• Aucun résultat trouvé

B. Un moyen de contenir les excès du protecteur

2. L'Espagne et la Fontenelle : Mercœur,

Nous avons vu plus haut que l'Espagne connaissait des difficultés dans les dernières années du conflit. La banqueroute de 1596 avait mis un frein à ses dépenses militaires et la lente agonie de la Ligue lui avait fait perdre son emprise sur le territoire français. Dans cette dernière période, elle était plus que jamais distante de Mercœur. Tout d'abord elle n'était plus en mesure de financer de grandes campagnes militaires. L'Espagne s'était tournée vers une guerre de positions moins coûteuse et était plus intéressée par la conquête de places-fortes et de ports qui pouvaient lui servir de monnaie d'échange lors des négociations de paix. Ensuite, elle se concentrait désormais sur des opérations en Basse-Bretagne. Les Espagnols et Mercœur étaient engagés sur deux fronts différents. Le processus n'était pas nouveau mais il devenait plus évident. L'Espagne n'avait jamais montré d'intérêt pour les expéditions de Mercœur dans les terres. Comme l'écrit Hervé Le Goff, « la guerre de Bretagne [est] d'abord, pour les Espagnols et les Anglais, une guerre des îles, des presqu'îles et des ports »186. Le chef

de la Ligue voyait progressivement l'Espagne se désengager de l'alliance pour se consacrer à ses projets expansionnistes à l'autre extrémité de la péninsule.

L'Espagne s'était tournée vers un nouveau partenaire breton dont l'influence ne cessait de croître en Basse-Bretagne : Guy Éder, seigneur de la Fontenelle. Le folâtre Guyon, comme le surnommaient ses contemporains, faisait partie de ces ligueurs opportunistes plus intéressés par l'appât du gain que les idéaux politiques ou religieux. Ses liens avec Mercœur étaient ambigus. Si le chef de la Ligue put compter sur son aide à plusieurs reprises, dont lors de la victoire de Craon, ses excès lui avaient valu ses remontrances ainsi que celles des États Généraux bretons. À partir de 1595 cependant, son influence était devenue telle qu'il faisait armes égales avec Mercœur. Il avait sous ses ordres une flotte et une armée puissantes composées de Bretons et de déserteurs espagnols et irlandais187, et il contrôlait plusieurs

places-fortes en Basse-Bretagne. En juin 1595, il s'était emparé de l'île Tristan dans la baie de

186 Ibid, 185-186.

Douarnenez, une forteresse imprenable dont il fit son quartier général et qu’il rebaptisa même l'île Guyon. L'année suivante, il s'emparait de Penmarc'h et du fort de Primel.

Les Espagnols avaient pris part à ces affaires qui allaient dans le sens de leur nouvelle stratégie. C'est avec beaucoup d'enthousiasme qu'Águila présentait les entreprises de la Fontenelle à Philippe II. Le ligueur-bandit avait d'ailleurs affirmé à plusieurs reprises son dévouement à la cause de l'Espagne, Mendo allant même jusqu'à dire qu'il était Espagnol188.

En janvier 1596, alors que la Ligue bretonne avait signé une trêve avec les royaux, Águila se rendait au secours de l'île Tristan189, assiégée par les ennemis, et cela malgré l’opposition de

Mercœur. En avril suivant, alors que la trêve était encore de vigueur, il récidivait en envoyant des hommes participer à la prise du fort de Primel, ce qui lui valut encore une fois les réprimandes de Mercœur190.

Cependant, ce divorce entre les deux partis ne peut-il pas s’expliquer également par les dissensions personnelles entre Mercœur et Águila ? Car en effet cette nouvelle configuration des alliances arrangeait bien le général espagnol dont les inimitiés pour le chef de la Ligue bretonne furent une constante tout au long de l’intervention. Si dans les premiers temps de la coopération, les deux chefs semblaient pourtant s'entendre191, dès mai 1591, les

premières dissensions commencèrent à poindre autour de la question du commandement. Dans une lettre adressée à Philippe II, Águila écrivait :

Je ne fais pas cette guerre à ma manière, mais bien à celle du duc [...] car, s'il avait agi comme il convient, il y a quelques jours, il se serait mis à la recherche du prince de Dombes [...] et s'il survient des revers, qu'il plaise à V . M. de croire que ce n'est pas ma faute, puisque je marche suivant les plans et les ordres du duc.

Par la suite, en plus des désaccords militaires, une défiance profonde s’installa entre les deux hommes. Águila soupçonnait en effet Mercœur de convoiter le duché et d'entretenir des ententes secrètes avec Henri IV. D'ailleurs, à mesure qu'il s'éloignait de Mercœur, le

188 Ibid, II, doc. 273, p. 101-102 & doc. 330, p. 133.

189 Comme les Espagnols, la Fontenelle faisait fi des trêves de Mercœur et poursuivait de son côté la guerre contre les royaux.

190 Ibid, II, doc. 277, 279 & 280, p. 104-109.

191 Suite au siège d'Hennebont, mené de concert par les deux alliés en décembre 1590, Mercœur remerciait Philippe II de son aide et affirmait sa bonne entente avec le général espagnol. Il lui écrivait : « C'a esté par une belle et avantageuse capitulaon au traité de laquelle le seigneur dom Jouan a tousiours asisté et ne sy est rien faict que par son advis ». Ibid, I, doc. 44, p. 30.

général espagnol était porté à croire à ces rumeurs colportées par les ligueurs opportunistes dont il avait fait progressivement ses nouveaux alliés. Beaucoup d’entre eux étaient des intrigants, ennemis de Mercœur, qui cherchaient dans l'Espagne un soutien et un financement192. En parallèle à La Fontenelle, qui était le plus puissant de ces nouveaux alliés

mais peu hostile à Mercœur, il entretenait des liens privilégiés avec les ligueurs du golfe du Morbihan comme les frères d'Arradon et de Montigny – l'un des deux frères, le seigneur de la Hautière, fut particulièrement virulent – ou encore avec le seigneur de Rosampoul. L'opinion d'Águila était-elle manipulée par certains de ces personnages ? Il est certain que leur collaboration n'était pas totalement désintéressée et qu'ils voyaient dans l'éloignement des Espagnols avec Mercœur un moyen de se placer193. Ainsi, Águila tint régulièrement le rôle

d'entremetteur avec Philippe II pour leur trouver des financements voire des hommes194.

Cependant, on peut faire l'hypothèse qu'Águila trouvait également son intérêt à croire ces rumeurs qui le confortaient dans sa défiance.

D’ailleurs, ce maillage d'alliés ligueurs, dont bénéficiait Águila dans les dernières années d’intervention, avait été le fruit du lent travail diplomatique mené par le général mais aussi par les ambassadeurs de Philippe II, Diego de Maldonado et Mendo de Ledesma. Ces deux agents espagnols qui étaient au plus près de Mercœur à Nantes, s'activaient également de leur côté à favoriser les desseins espagnols. Dans la prochaine partie, nous allons justement nous intéresser à ces ambassadeurs au double visage, représentants et espions, et nous allons voir comment ils contribuèrent, à leur manière, à faire avancer les intérêts espagnols en Bretagne.

192 Les Espagnols furent approchés dès le début par des intrigants qui, dans une certaine mesure, se ressemblaient. Ils étaient tous en effet hostiles à Mercœur et ouvertement hispanophiles. D’ailleurs, bien que ces personnages eussent des profils et des histoires différents, ils formaient un réseau, une sociabilité. Beaucoup d’entre eux étaient amis et se recommandaient mutuellement aux Espagnols comme le firent Guy de Lansac avec la Hautière ou Yves Gourmil avec Rosampoul. Il est difficile cependant de définir clairement les frontières de cette mouvance ligueuse qui ne s’affirmait pas comme parti mais était au contraire le produit d’ambitions personnelles. Ces ligueurs étaient plus ou moins virulents envers Mercœur et leur position put même varier selon les circonstances. Si Águila semblait aimer à s’entourer de ces personnages, ce n’était pas le cas de l’ambassadeur Ledesma qui se méfiait par exemple de la Hautière. Gaston de Carné a publié plusieurs lettres et mémoires que ces intrigants avaient adressés aux Espagnols. On retrouve notamment des documents écrits par Guy de Lansac (doc. 62, 80), Adrien Lamotte-Jacquelot (doc. 68 et 155) et son acolyte Louis Dodieu (doc. 174) tous les deux répudiés par Mercœur au parlement de Nantes en 1593, Yves Gourmil (doc. 150) et les deux frères de Montigny, Julien de la Hautière et Louis, gouverneur de Suscinio (doc. 248, 341).

193 Voir à ce sujet la proposition de la Hautière, auquel se joint la famille d’Arradon, qui appelle Philippe II à collaborer avec eux en laissant de côté Mercœur. Ibid, II, doc. 341 & 342, p. 139.