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1.1. Le modèle de la sphère publique bourgeoise

a) Jürgen Habermas

L’Espace public, qui paraît en Allemagne en 1962, est le premier livre publié par Jürgen

Habermas 45. À l’exception des apitres 13 et 14, qui ont été ajoutés pour l’édition en

volume, il s’agit de l’Habilitation d’Habermas, soutenue l’année précédente à Marbourg sous la direction de Wolfgang Abendroth. L’Habilitation est en Allemagne le plus haut grade universitaire, équivalent, dans le système français, au doctorat d’État (« deuxième

45. HABERMAS Jürgen, 1962 (1993), L’Espace public. Aréologie de la publicité comme dimension constitutive

thèse ») d’avant la réforme Savary de 1984, à l’habilitation à diriger des reeres aujourd’hui.

Né en 1929 à Düsseldorf, Jürgen Habermas passe son enfance et son adolescence à Gummersba (Rhénanie-du-Nord-Westphalie, à une petite centaine de kilomètres à l’est de Düsseldorf), dans une famille protestante dont il est le second de trois enfants 46. Sa mère est

originaire de la petite bourgeoisie et son père, issu d’une lignée de fonctionnaires et ancien étudiant en philosophie et philologie, terminera sa carrière comme directeur de la ambre de commerce et d’industrie de Gummersba. Ayant obtenu son Abitur (baccalauréat) en 1949, Habermas étudie la philosophie, la psyologie, la liérature allemande, l’histoire et l’économie à Göingen, Züri et Bonn. C’est à Bonn qu’il soutient en 1954 sa Promotion (ancienne « première thèse » ou thèse de troisième cycle, désormais thèse de doctorat) avec une thèse intitulée Das Absolute und die Gesite. Von der Zwiespältigkeit in Sellings

Denken (L’absolu et l’histoire. De l’ambivalence dans la pensée de Selling). Suivent deux

années pendant lesquelles il vit de sa plume de journaliste indépendant et d’une bourse de reere, avant de devenir en 1956 l’assistant de eodor Adorno à l’Institut de reeres sociales de Francfort, où il s’installe alors pour la première fois. Il se brouille cependant avec Max Horkheimer, alors directeur de l’Institut, qu’il quie en 1959 pour Marbourg, où il soutient son Habilitation en 1961. Il enseigne ensuite la philosophie à Heidelberg, et revient à Francfort en 1964, où il reprend la aire d’Horkheimer, qui vient de partir en retraite. Il refuse la direction de l’Institut, préférant se consacrer à l’enseignement (séminaire de sociologie et de philosophie) et surtout à ses livres et interventions publiques, notamment dans la presse à laquelle il adresse, tout au long de sa carrière, de très nombreux articles politiques. C’est pendant cee période qu’il effectue ses premiers voyages comme professeur invité à l’étranger, notamment aux États-Unis, et qu’il publie entre autres Connaissance et

intérêt et La tenique et la science comme « idéologie » (tous deux en 1968). En 1971, il

quie à nouveau Francfort pour devenir l’un des directeurs de l’Institut Max-Plan de Starnberg, où il prépare son magnum opus, éorie de l’agir communicationnel, qui paraît en 1981. Il revient une troisième et dernière fois à Francfort, où il occupe une aire de philosophie jusqu’à sa retraite en 1994.

Figure majeure de la deuxième génération de l’École de Francfort, avec laquelle il a entretenu des rapports plurivoques (proximité avec Adorno, conflit avec Horkheimer),

Habermas a voulu en renouveler l’approe marxiste originelle. Politiquement, Habermas est un défenseur du parlementarisme et de la social-démocratie. Son approe théorique a principalement consisté à imprimer à la éorie critique un tournant linguistique consistant à affirmer que toute étude de la société doit passer avant tout par une étude du langage, lequel a pour fonction l’établissement d’un consensus rationnel entre les individus. Même si ce postulat, qui est au principe de la théorie de l’agir communicationnel, n’est pas encore formulé explicitement dans L’Espace public, il en constitue déjà le soubassement implicite.

b) Enjeux de l’étude de l’espace public

Pour Habermas, la sphère publique 47 est, aujourd’hui comme hier, « un principe qui

structure notre ordre politique » 48. Hier, la sphère publique de la cité grecque, dans laquelle

l’oikos était séparée de la polis. L’oikos désigne le domicile et les affaires privées, dont font partie les éanges économiques, qui assurent au citoyen les conditions d’existence lui permeant de s’adonner au débat politique au sein de la polis, l’assemblée des égaux dans laquelle acun ere à briller et à se distinguer des autres. Hier encore, mais plus près de nous, la « sphère publique structurée par la représentation », caractéristique pour Habermas des sociétés féodales, dans lesquelles « le prince et les États “sont” le pays au lieu de

simplement le représenter » 49 comme le fera plus tard le parlement du peuple. Dans cee

sphère, la représentation est singulière : le prince et les États « représentent leur pouvoir non

pas pour le peuple, mais “devant” le peuple. » 50 Ces deux sphères publiques liées à des

réalités historiques différentes, marquées par des conceptions différentes des domaines privé et public et des structures politiques guère comparables, ont pour Habermas la vertu d’expliquer les sociétés dans lesquelles elles se sont épanouies. D’où l’enjeu d’étudier la sphère publique d’aujourd’hui, ou tout au moins celle du XVIIIe siècle, qu’Habermas appelle

la « sphère publique bourgeoise » et qui lui a donné naissance. « Si nous parvenions à

comprendre l’histoire et les structures du complexe que nous embrassons de nos jours assez confusément sous l’intitulé “espace public”, nous serions alors en droit d’espérer à travers

47. Le terme allemand utilisé par Habermas est Öffentlikeit, liéralement la publicité au sens du fait d’être

public (ou rendu public, mis à la disposition du public). La traduction française rend indifféremment sphère publique ou espace public.

48. L’Espace public, p. 16. 49. L’Espace public, p. 19. 50. L’Espace public, p. 20.

une telle démare, outre un éclaircissement de ce concept du point de vue sociologique, que l’une des catégories centrales de notre propre société nous en livre la compréhension systématique. » 51 L’ambition est très grande, peut-être démesurée : la « compréhension

systématique » de la société implique en effet de parvenir à l’établissement d’un concept à la

fois suffisamment précis pour en rendre les phénomènes les plus divers et potentiellement contradictoires, et autorisant une montée en généralité suffisamment importante pour donner à entendre, grâce à un travail d’abstraction, un ou des principes générateurs de la société.

Certainement conscient des risques et difficultés d’une telle entreprise, Habermas a cependant soin de prendre très tôt quelques précautions méthodologiques qui sont loin d’être anodines. La première phrase de son ouvrage est en effet : « La présente étude a pour

tâe d’analyser le modèle de l’“espace public bourgeois”. » 52 Auteur coutumier des longs

développements agrémentés de notes très détaillées et d’une foule de références, écrits dans une langue souvent difficile et parfois à la limite de l’impénétrable, bien loin de l’élégance et de la clarté d’un Norbert Elias ou de la rigueur obsessionnelle parsemée d’humour rentré d’un Pierre Bourdieu, Habermas livre en ouverture de L’Espace public un court avant- propos qui, en moins de trois pages, résume de façon limpide son propos et peut être considéré comme une mise en garde contre de toujours possibles surinterprétations. Il y insiste notamment, à plusieurs reprises, sur le fait que la sphère publique bourgeoise doit

être comprise comme « une catégorie caractérisant une époque déterminée » 53. Habermas

revendique en outre le caractère pluridisciplinaire de son travail, nécessaire selon lui pour aborder une question d’une telle complexité et intéressant un amp embrassant sociologie, économie, droit public, politologie, histoire sociale et histoire des idées. Toutes disciplines dans la pratique desquelles l’aention au contexte est primordiale afin de parvenir à rendre compte des phénomènes observés. Pas question pour Habermas de produire un concept « hors-sol » comme l’on cultive des légumes sans terroir et donc sans spécificité. La dimension historique à laquelle il fait constamment appel tout au long de l’ouvrage, est là pour rappeler que l’espace public n’est pas envisageable sans une analyse préliminaire des circonstances particulières dans lesquelles il naît et se développe. En deux mots, l’espace

51. L’Espace public, pp. 17-18. 52. L’Espace public, p. 9. 53. L’Espace public, p. 9.

public ne peut être transformé en un « type-idéal universalisé » 54. Dans cee expression,

c’est le terme « universalisé » qui prime et s’oppose à l’idée de contextualisation de l’analyse. Car pour le reste, on peut considérer la démare d’Habermas comme « idéaltypologique », ce qu’il confirme d’ailleurs lui-même dans la préface rédigée pour l’édition allemande de 1990, dans laquelle il dit avoir originellement voulu « déplier le type

idéal de la sphère publique bourgeoise » 55.

Certes, Habermas ne fait jamais référence à la construction d’un idéaltype au sens où l’entend Max Weber dans les Essais sur la théorie de la science 56. Cependant sa

préoccupation de construire un « modèle » enraciné dans un contexte et contribuant à l’intelligibilité de la société renvoie bien à la méthode wébérienne. Celle-ci vise en effet à

peindre un « tableau de pensée homogène » 57, notamment par un travail historique dont le

but n’est ni de définir des lois réglant une fois pour toutes le fonctionnement de la société, ni d’épuiser définitivement les particularités de aque phénomène, mais bien de proposer un instrument autorisant, par la stylisation, les comparaisons entre situations dans une finalité heuristique. Le travail d’Habermas, en tant qu’il étudie les conditions d’existence d’une sphère publique bourgeoise au XVIIIe siècle en Angleterre, en France et en Allemagne

et qu’il en réunit les caractères au sein d’un modèle qui accepte et surtout permet de penser les variations entre ces trois pays tout en restant historiquement déterminé, me paraît bien relever d’une approe idéaltypologique. Habermas présente un projet qui n’a pas de vocation universelle, mais s’aae aux « caractéristiques d’une forme historique

déterminée » 58.

c) Genèse de la sphère publique bourgeoise

La sphère publique bourgeoise naît en quelque sorte du délitement progressif de la sphère publique structurée par la représentation. On pourrait résumer à traits grossiers cee évolution en évoquant, pour le cas de la France, le lent passage de la société féodale d’Ancien Régime, caractérisée par la division entre clergé, noblesse et Tiers état, à la société bourgeoise marquée par la domination de la classe des possédants sur celle des prolétaires.

54. L’Espace public, p. 10. 55. L’Espace public, p. III.

56. WEBER Max, 1922 (2006), Essais sur la théorie de la science. 57. WEBER Max, 1922 (2006), Essais sur la théorie de la science, p. 141. 58. L’Espace public, p. 10.

C’est encore la période pendant laquelle naissent les États modernes et les économies nationales. Pour Habermas, cee évolution provoque notamment une modification des rapports entre domaines privé et public. La religion, par exemple, devient une affaire privée, alors que les questions corporatistes liées à la profession et les questions économiques, relevant autrefois du domaine privé, sont désormais d’intérêt public. Ce glissement, qui accompagne et rend possible la naissance de la sphère publique bourgeoise, ne se fait évidemment pas en un jour, ni même en un siècle. Si la sphère publique bourgeoise prend sa forme à la fin du XVIIe siècle en Angleterre et au cours du siècle suivant en Allemagne et en

France 59, les éléments qui concourent à cee évolution se meent en place à partir du XIIIe

siècle. Ce phénomène, bien connu des historiens et qu’Habermas traite dans la dernière partie de son introduction — qui constitue le premier apitre du livre —, est celui du développement, partant des villes de l’actuelle Italie du nord et s’étendant vers l’Europe de l’ouest et du nord, du capitalisme marand et financier. Ver dans le fruit de la société féodale, le grand commerce pré-capitaliste est ambivalent : « D’un côté il renforce les

rapports de domination établis, et de l’autre, il libère les éléments au sein desquels ces rapports se dissoudront un jour. » 60 Les « éléments » dont parle Habermas n’ont rien de

mystérieux ou d’abstrait : il s’agit de l’éange des marandises et des informations, dont la croissance et la maîtrise par la bourgeoisie qui s’affirme sont intimement liées.

Dans les villes, les marés locaux deviennent des foires d’intérêt parfois international, qui s’installent de façon permanente parallèlement à l’apparition de nouveaux instruments financiers (emprunts, leres de ange) et à la naissance des premières Bourses. Le grand commerce ne peut se faire sans éange d’information : les éanges épistolaires entre partenaires n’y suffisent bientôt plus, et se transforment en un système de correspondances commerciales d’abord manuscrites, puis imprimées, dont la publication se doit d’être régulière, puisque les centres du commerce des marandises sont désormais permanents. Le développement des postes participe de ces angements. Celui de la presse également, mais il est plus tardif : les informations dont ont besoin les marands d’une part, les

59. « Angleterre », « France », « Allemagne » : je reprends ici les termes d’Habermas pour des raisons de lisibilité. Présents dans le livre, ils sont compréhensibles pour le lecteur d’aujourd’hui à condition d’avoir conscience qu’ils ne représentent pas la réalité historique. Dans cee perspective, il aurait fallu préférer « royaume de Grande-Bretagne » (à partir de 1707) ou « Royaume-Uni » (après 1800) à « Angleterre » ; la France est alors un royaume qui devient république puis empire ; quant à l’Allemagne, elle n’existe pas encore (le Saint-Empire perdure jusqu’en 1806).

diplomates de l’autre, ne sont pas publiques pendant bien longtemps. L’information imprimée existe bel et bien — elle apparaît très vite après la deuxième invention de l’imprimerie par Gutenberg en 1438 61 —, mais elle est encore très rudimentaire. Mis à part

les calendriers, les almanas et les collections de Nouvelles ecclésiastiques, qui paraissent tous les ans, l’irrégularité est de mise pour les « occasionnels », les « canards », les libelles et les placards qui colportent peu de nouvelles d’intérêt général, mais beaucoup de faits divers ou d’événements extraordinaires plus ou moins imaginaires (inondations, tempêtes, apparitions…). Les premiers véritables périodiques, en général hebdomadaires, naissent à la arnière des XVIe et XVIIe siècles en Allemagne et aux Pays-Bas. Le Weekly News, premier

hebdomadaire britannique, paraît à Londres à partir de 1622. En France, il faut aendre 1631 pour que éophraste Renaudot publie sa Gazee, elle aussi hebdomadaire. Elle détient le monopole des nouvelles politiques, aque numéro étant soumis à l’avis préalable du censeur royal. Dans les décennies qui suivent, d’autres privilèges du même ordre sont accordés en France : au Journal des savants en 1665 pour tout ce qui a trait aux sciences et aux arts, puis au Mercure (futur Mercure de France) en 1672 pour les nouvelles mondaines et liéraires 62. La transition entre le système des correspondances privées et la presse

d’information générale est longue 63, mais elle est essentielle à l’établissement de la sphère

publique bourgeoise dont l’élément déterminant est la Publicité 64. Pour Habermas, la Presse

(avec majuscule) n’existe en tant que telle, c’est-à-dire grosso modo telle que nous la connaissons, que depuis que les comptes rendus sont devenus accessibles à tout le public, cela ne se produisant qu’à la fin du XVIIe siècle, période à laquelle apparaissent également les

premiers quotidiens. Les motivations des éditeurs ne font guère de doute pour Habermas : il y a un véritable intérêt à rendre publiques des nouvelles qui étaient jusqu’alors privées.

61. La tenique d’impression par xylographie est inventée en Chine au VIIe siècle ap. J-C, et est connue en Europe à partir du XIVe siècle. L’apport de Gutenberg consiste dans la typographie, soit le remplacement des planes de bois gravées par des caractères mobiles en métal (articles « Gutenberg » et « Imprimerie », in ENCYCLOPÆDIA UNIVERSALIS).

62. Sources : ALBERT Pierre, article « Presse » in ENCYCLOPÆDIA UNIVERSALIS ; JEANNENEY Jean-Noël, 1996, Une

histoire des médias des origines à nos jours, pp. 24-28 ; MARTIN Marc, 2002, La Presse régionale. Des Affies aux grands quotidiens.

63. Comme toujours dans l’histoire des médias, ceci n’a pas tué cela : les correspondances privées existent toujours au XXIe siècle sous la forme de leres d’information cultivant une certaine confidentialité.

64. Je reprends ici l’artifice graphique introduit lors de la traduction de L’Espace public par Marc B. DE LAUNAY : la Publicité désigne le caractère de ce qui est public, accessible par le public, tandis que la « Publicité » désigne la réclame, la publicité commerciale qu’Habermas qualifie de démonstrative et manipulatoire.

« En effet, l’éange des informations ne s’est pas seulement développé en liaison avec les

besoins des éanges de marandises, les informations sont elles-mêmes devenues des marandises. » 65 Les autorités y ont également un intérêt, lié à des formes plus ou moins

élaborées de propagande et de contrôle de l’information, le système français des privilèges étant un des reflets de ces préoccupations. Ce qui n’empêe pas la presse d’élargir son amp d’activités. Dans les journaux apparaissent des articles de fond, parfois confiés à des savants ou des professeurs, qui marquent la naissance de l’analyse critique dans la presse. Aux journaux s’ajoutent les revues, qui publient des articles didactiques, voire des critiques, notamment liéraires. Le phénomène prend tellement d’ampleur que la tentation est grande de le réglementer, ce que fait le roi de Prusse en exigeant des professeurs d’université des notes synthétiques régulières concernant leur amp de compétence. « Les bourgeois

élaborent, pour l’heure sous l’autorité du Prince, les idées qui ne tarderont pas à devenir les leurs et à être dirigées contre son pouvoir même. » 66 C’est dans ce mouvement que se joue la

naissance de la sphère publique bourgeoise.

d) De la critique liéraire à la critique politique

La définition de la sphère publique ouvre le second apitre de L’Espace public. « La

sphère publique bourgeoise peut tout d’abord être comprise comme la sphère des personnes privées rassemblées en un public. Celles-ci revendiquent cee sphère publique réglementée par l’autorité, mais directement contre le pouvoir lui-même […]. Le médium de cee opposition entre la sphère publique et le pouvoir est original et sans précédent dans l’histoire : c’est l’usage public du raisonnement. » 67 L’éange d’informations et de faits

issus de l’expérience entre personnes privées constituant un public, leur analyse et leur critique aboutissent à la constitution d’une « opinion publique tout d’abord apolitique » 68.

Animée par des discussions liéraires à son début, la sphère publique bourgeoise prend petit à petit conscience de sa capacité à la réflexion et s’entraîne alors à l’exercer sur d’autres sujets comme la conduite des affaires de la ville et de l’État. L’opinion publique issue de la sphère publique bourgeoise finira par être pensée comme un pouvoir permeant à la

65. L’Espace public, p. 32. 66. L’Espace public, p. 36. 67. L’Espace public, p. 38. 68. L’Espace public, p. 40.

bourgeoisie d’asseoir politiquement sa domination économique. Car il n’est pas question, au terme de cee réflexion, de partager le pouvoir du Prince, mais bien de contester le principe même qui en fonde la légitimité : il s’agit de « transformer la nature de la domination » 69.

Le emin qui mène à la sphère publique emprunte donc deux voies parallèles : l’une mène de l’intimité familiale au débat public, l’autre de la critique liéraire à la critique politique. Ces deux voies se rejoignent en un point nommé salon, entendu au sens propre comme au sens figuré. La famille bourgeoise, tout d’abord, est le lieu de naissance d’une intimité qui n’était envisageable ni dans la famille populaire élargie, ni dans la famille aristocratique nécessairement entourée d’une myriade d’employés et de domestiques. Dans cet espace privé — au sens actuel d’intime —, les individus se conçoivent comme indépendants, détaés notamment des contraintes économiques. Il devient possible de fonder entre les individus, considérés comme des « êtres humains purs et simples », des relations elles-mêmes « purement humaines », fondées sur le caractère absolu du genre humain : la volonté d’émancipation. Or, pour Habermas, « cee subjectivité qui représente

la part la plus intime du domaine privé est déjà d’emblée corrélative du public. » 70 Cela pour

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