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Spéculation et langage : l’autoprésentation de la chose dans le discours

5 ESP, III, § 41, 246 [27].

vue de la représentation, elle relève d’un registre de la pensée moins fondamental que celui de la spéculation. Ce serait donc une erreur d’envisager la relation du sujet et du prédicat de la même manière dans les jugements empiriques et dans les propositions philosophiques, de vouloir évaluer leur vérité en conservant le même point de vue. C’est pourquoi Hegel écrit que « la proposition, quand elle a la forme d’un jugement (in Form eines Urteils), n’est absolument pas propre immédiatement à exprimer des vérités spéculatives1 ». Ce verdict est par ailleurs renforcé

dans l’Encyclopédie lorsque Hegel mentionne que la forme du jugement « est impropre à exprimer ce qui est concret », c’est-à-dire l’universalité du concept, et que « le jugement est, par sa forme, unilatéral et, dans cette mesure, faux2 ». Par « faux », Hegel veut dire inapproprié pour exprimer

une vérité philosophique. La seule mesure de référence de la vérité spéculative doit être la pensée elle-même. La vérité, en régime spéculatif, correspond à l’unité du concept avec lui-même. Elle n’est pas l’adéquation de la pensée avec un objet qui subsisterait extérieurement à elle3.

L’on pourrait objecter que, à tout le moins du point de vue de leur forme, la proposition « le réel effectif est l’universel » et l’énoncé « la rose est rouge » semblent parfaitement identiques. Pourquoi devrait-on s’interdire, selon Hegel, de comprendre la signification d’une proposition spéculative de la même manière qu’un jugement prédicatif empirique de forme « A est B »? C’est ici que la distinction entre catégories grammaticales et concepts logiques (ou déterminations-du- penser), trouve toute son importance. Certes, la proposition spéculative « le réel effectif est rationnel » exprime l’identité du sujet et du prédicat. La thèse défendue par Hegel est pourtant que l’identité des déterminations-du-penser est ici spéculative. Elle ne se résume donc pas à l’identité unilatérale de catégories grammaticales fixes comme le sujet et le prédicat d’un jugement. Dans un jugement, en effet, « la copule affirme seulement l’identité (alors abstraite, unilatérale) des moments du jugements4 ». À l’inverse, une identité est spéculative lorsqu’elle

contient en elle le moment de la différence, et qu’elle est l’expression de l’unité de déterminations-du-penser opposées. Hegel suggère donc, au moyen d’une analogie musicale, que « dans la proposition philosophique, l’identité du sujet et du prédicat ne doit pas anéantir (vernichten) leur différence, qui est exprimée par la forme de la proposition, et [que] leur unité doit surgir, au contraire, comme une harmonie5 ». Une fois cela dit, il nous faut encore déterminer

1 SL, I, 66 [93].

2 ESP, I, § 31, 295-296 [98]. 3 Supra, p. 19.

4 B. Bourgeois, « Présentation de L’Encyclopédie des sciences philosophiques », op. cit., p. 296, note 2. 5 PhE, 103 [59].

plus exactement en quoi cette identité qui n’anéantit pas la différence, mais la conserve, se distingue de l’identité posée judicativement (« A est B »). L’argument développé par Hegel est le suivant : le sujet et le prédicat d’une proposition spéculative ne constituent pas deux termes indépendants1. Leur relation n’est donc pas extérieure, ni contingente, mais bien nécessaire. On le

comprend plus aisément en observant le contraste au niveau de l’énonciation elle-même. Que se produit-il en effet lorsqu’un locuteur prédique que « cette rose est rouge » ou même, tout simplement, que « ceci est rouge »? Pour répondre, J.-F. Marquet décompose l’énoncé en trois termes : le sujet S de l’énoncé (ou le Sujet avec un grand « S »), le prédicat P et le sujet parlant s (le sujet avec un « s » minuscule »), c’est-à-dire le locuteur2. Dans ce type

d’énoncé ordinaire, le sujet S, celui dont on parle, est donné avant même que l’énonciation ait lieu, comme une base fixe, un fondement passif destiné à recevoir un ou des prédicats grammaticaux comme ses accidents. Il est présupposé par le locuteur de la proposition pour qui, comme le dit J. Hyppolite, « cette base paraît précéder le savoir », et donc pour qui « la chose est là avant que nous ayons un savoir d’elle3 ». Bref, compris ainsi, le sujet S est un ὑποκείμενον qui

attend tranquillement que des accidents lui soient greffés, par l’intervention du sujet parlant qui le déterminera. Hegel résume ce rapport de la conscience commune à la connaissance en suggérant que « d’ordinaire, c’est d’abord le sujet [S] en tant qu’il est le Soi-même fixe objectal (das gegenständliche fixe Selbst) qui est posé comme principe de départ4 ».

Si le sujet S gît passivement, le sujet s (le locuteur) apparaît quant à lui comme le principe de sa détermination. Le locuteur décide extérieurement de l’attribution de tel ou tel prédicat au sujet S : il est à chaque fois maître d’énoncer que « ceci » est « rouge », « délicat » et/ou « flétri », selon son sa perception. La section de la Phénoménologie sur la « Perception » nous permet de préciser la nature du lien entre ces prédicats de la rose : « Dès lors qu’elles sont exprimées dans la simplicité de l’universel, ces déterminités […] se réfèrent à elles-mêmes, sont indifférentes les unes aux autres (gleichgültig gegeneinander), chacune étant pour soi, libre de l’autre5. » Les propriétés de la

rose ne s’affectent pas mutuellement : chaque propriété est une pure référence à soi-même

1 Cf. S. Houlgate, Hegel, Nietzsche and the criticism of metaphysics, op. cit., p. 146 : « In the speculative sentence no clear

distinction between subject and predicate can be made, since subject and predicate are not presented as ‘independent’ (selbständig) entities or qualities. »

2 J.-F. Marquet, Leçons sur la Phénoménologie de l’Esprit de Hegel, Paris, Ellipses, 2004, p. 18. 3 J. Hyppolite, Logique et existence, op. cit., p. 181.

4 PhE, 102 [58]. 5 PhE, 143 [94].

(Sichaufsichbeziehen). Elles ne sont liées que par le Moi qui prend la rose pour telle ou telle (wahrnehmen) en un ici et maintenant. Lorsqu’il prédique une propriété, le Moi passe par-dessus la base fixe S, en s’appuyant sur elle et la laissant derrière, pour lui attribuer la rougeur, la délicatesse, et progresser ainsi de prédicat en prédicat. C. E. de Saint-Germain écrit à ce propos que le Moi n’apparaît « que sous la forme d’une médiation abstraite, extérieure aux termes qu’elle médiatise », et que le substrat se conserve pour soi « comme quelque chose de distinct, dans son essence, des prédicats accidentels que nous lui attribuons1 ». Il n’y a pas de lien nécessaire entre,

par exemple, cette rose et la délicatesse : les deux termes de l’énoncé du jugement demeurent indépendants l’un de l’autre, puisque leur relation est celle de la substance à son accident. Cette relation est médiatisée par l’opération d’une subjectivité pour laquelle le contenu n’est qu’un donné. C’est donc le Moi qui est ici, selon Hegel, « le lien fédérateur des prédicats et le sujet qui les tient2 ». Ce n’est pas le contenu qui s’explicite lui-même, qui détermine ce qu’il est, en se

réfléchissant dans ses prédicats. L’énoncé ne reflète ici que le pouvoir du sujet parlant sur le substrat inerte, sur la chose extérieure3. Encore une fois, ce genre d’énoncé convient tout à fait

aux sciences empiriques ou à la vie ordinaire : il n’appartient toutefois pas à la philosophie, étant donné que celle-ci doit prouver la nécessité de son contenu.

Dans la proposition spéculative, à l’inverse, l’extériorité du Moi par rapport au contenu de l’énoncé disparaît. Du même coup, la distance entre le sujet S et le prédicat P, qui tenait à leur indifférence, est, elle aussi, surmontée. Voici comment Hegel exprime le renversement par lequel le sujet s passe dans le sujet S (ou le Moi dans le Soi-même du contenu) :

Mais dès lors que ce premier sujet [S] entre dans les déterminations elles-mêmes et est leur âme, le second sujet [s], celui qui sait, trouve encore le premier sujet [S] dans le prédicat, c’est-à-dire celui avec lequel il voudrait en avoir déjà terminé et par- dessus lequel il voudrait passer pour rentrer en soi ; et au lieu de pouvoir être dans le mouvoir du prédicat l’élément agissant (das Tuende), comme pensée qui raisonne (als Räsonieren) décidant si tel ou tel prédicat devrait être apposé à ce premier sujet [S], il a, au contraire, encore à faire avec le Soi-même du contenu (mit dem Selbst des

Inhalts), n’est pas censé être pour soi, mais être avec ce contenu, conjoint à lui (mit diesem zusammen sein)4.

1 C. E. de Saint-Germain, Raison et système chez Hegel, op. cit., p. 455. 2 PhE, 102 [58].

3 J.-F. Marquet, Leçons sur la Phénoménologie de l’Esprit de Hegel, op. cit., p. 18. 4 PhE, 102 [58-59].

La différence entre le simple jugement prédicatif et la proposition spéculative est que le sujet S ne constitue pas, dans la seconde, un sol ferme sur lequel le sens de la proposition s’érige par la fixation d’un prédicat. Au contraire, Hegel indique que le contenu de la proposition spéculative ne concerne pas exclusivement le prédicat P du sujet S. Le prédicat n’exprime pas ici un universel indifférent – « la rougeur », « la délicatesse », etc. – au sujet S sur lequel il est apposé, et donc libre d’échoir aussi bien à « cette rose » qu’à un substrat tout autre. Le contenu n’est plus un accident du sujet S, « mais il est la substance (die Substanz), il est l’essence (das Wesen) et le concept (der Begriff) de ce dont il est question1 ». En un mot, la proposition spéculative révèle la

vérité de ce dont il est question2. Il ne convient plus, dès lors, de parler d’indifférence ou

d’indépendance du sujet S et du prédicat P, car l’énonciation du prédicat exprime ce qu’est le sujet S en sa vérité, en son essence. La conséquence est que l’écart entre le sujet S et le prédicat P est surmonté : en effet, étant donné que le prédicat est la substance même de ce dont il est question, il est nécessairement identique au sujet S qu’il détermine. Il en constitue un trait essentiel, et non pas simplement une propriété ou une qualité extérieure. Ainsi, la proposition spéculative « le réel effectif est l’universel » exprime plus que l’universalité du réel effectif : sa signification est non seulement que le réel effectif est universel, mais plus fortement que l’essence du réel effectif est l’universalité3.

Il en résulte un renversement capital dans la manière dont le sujet S et le prédicat P doivent être compris, dans une proposition philosophique. Rappelons que la pensée ordinaire (ou représentative) posait le sujet S comme un fondement lui servant de tremplin pour progresser de prédicat en prédicat. Or, Hegel montre que cette progression se trouve freinée aussitôt que la substance réapparaît, non plus au départ comme base fixe, mais dans le prédicat qui exprime l’essence du sujet : « Commençant par le sujet, comme si celui-ci demeurait le fondement, elle [la pensée] trouve, dès lors, que c’est au contraire le prédicat qui est la substance, le sujet passé (übergegangen) au prédicat, et par là même aboli (aufgehoben)4. » Ce passage du sujet S dans le

prédicat est la raison pour laquelle le premier ne peut plus servir de sol ferme pour la pensée. Le prédicat devient lui-même sujet dans ce passage, étant donné qu’il ne dit rien d’autre que l’essence du sujet S initial. C. E. de Saint-Germain en conclut que le « prédicat, parce qu’il exprime la

1 PhE, 102 [58].

2 Cf. SL, II, 1 [13] : « La vérité de l’être est l’essence. » 3 PhE, 103-104 [60].

substance qui s’explicite en lui, n’est plus une détermination extérieure du sujet, mais [qu’]il est le devenir même de celui-ci1 ». Cela signifie qu’il n’est donc plus question, avec la proposition

spéculative, d’un ὑποκείμενον passif, mais plutôt d’un sujet S qui est l’activité de s’auto-expliciter en passant dans le prédicat. Le sujet S, « plutôt que de demeurer face à la déterminité, [la] constitue au contraire2 ». Il entre ainsi dans les déterminations pour se mouvoir en elles ; il est

leur âme (ihre Seele)3.

Hegel suggère d’éclairer cette transition du sujet S dans le prédicat P en l’illustrant à l’aide de la proposition « Dieu est l’être4 ». L’exemple choisi peut paraître surprenant, dans la mesure

où la pensée pourrait avoir tendance à attacher un contenu représentatif au nom « Dieu » (qui appartient au langage de la religion). Au surplus, une multiplicité de significations peuvent être attachées à Dieu selon la subjectivité particulière qui se le représente5. Pour comprendre

l’exemple de Hegel et éviter tout contresens, il vaut ainsi mieux sortir du régime de la représentation. Dieu n’est pas un étant, autrement dit. L’inverse aurait pour conséquence d’entraver la libre autodétermination du contenu de la proposition, c’est-à-dire du concept. Plus tôt dans la « Préface » de la Phénoménologie, le lecteur est déjà prévenu contre cet inconvénient de l’usage du mot « Dieu » en philosophie, qui découle d’un besoin de se représenter l’absolu comme sujet. Le défaut d’une proposition comme « Dieu est l’Éternel » est ainsi que « le vrai est simplement posé directement comme sujet [par la représentation], mais n’est pas exposé comme le mouvement de réflexion de soi en soi-même6 ». Dieu demeure ainsi un immédiat qui ne s’expose

pas lui-même comme la vérité. C’est pourquoi l’on pourrait bien soutenir, par exemple, que la vie de Dieu est « un jeu de l’amour avec lui-même [:] cette idée retombe[rait] au niveau de l’édification, et même dans la fadeur », s’il y manquait « le sérieux, la douleur, la patience et le travail du négatif7 ». Cette affirmation ne trouve sa pleine signification que si l’on laisse l’universel

se déployer librement, s’exposer dans ce jeu qui implique aussi l’auto-négation, la perte de soi. Hegel semble avoir en vue une sorte de kénose du concept divin8 : à la manière dont l’amour de

1 C. E. de Saint-Germain, Raison et système chez Hegel, op. cit., p. 457. 2 PhE, 101 [57].

3 PhE, 102 [58]. 4 PhE, 103 [59]. 5 ESP, I, § 31, 295 [97].

6 PhE, 71 [26]. Nous soulignons. 7 PhE, 69 [24].

8 Hegel écrit ainsi à la toute fin de la Phénoménologie : « La science contient en elle-même cette nécessité de s’aliéner

(entäußern) et défaire de la forme du concept pur, ainsi que le passage du concept dans la conscience. » (PhE, 650 [589].) R. Pippin parle d’un « style biblique » dans les dernières pages de la section « Savoir absolu ». Il remarque

Dieu se réalise dans le dépouillement de sa toute-puissance, le concept n’est effectif que par le sacrifice, l’étrangement (Entfremdung) de son universalité première. À ce prix seulement peut-il s’autodémontrer en sa qualité d’être pour soi.

Pour ces raisons, Hegel juge que la prédication des attributs divins par le Moi extérieur est incapable d’avancer la preuve, c’est-à-dire la vérité de ce qui est énoncé. Cela vaut au premier chef pour l’existence de Dieu : pour Hegel, « les preuves traditionnelles [de l’existence de Dieu] sont à critiquer parce qu’elles ne sont pas une autodémonstration mais une démonstration effectuée par un penseur "abstraitement subjectif", au sens où il est séparé de son objet d’investigation1 ». La vérité du concept ne s’atteste que par l’autodémonstration de son unité

avec lui-même et ses médiations. Pour revenir à notre exemple, Hegel est donc moins intéressé à prouver ou réfuter l’existence de Dieu qu’à déplier les implications conceptuelles de la proposition « Dieu est l’être » : ici, Dieu n’est pas un être, il est, suivant l’énoncé, le concept même de l’être (c’est-à-dire l’être même). Ainsi, en nous invitant à examiner la proposition, Hegel nous enjoint à délaisser le point de vue de la représentation pour adopter celui de l’effectivité du concept. « Dieu », dès lors, ne doit plus être pris « comme un point fixe auquel on ancre fermement les prédicats, par un mouvement qui appartient à celui [le Moi extérieur] qui sait ce qu’il en est de lui », mais comme « quelque chose qui est réfléchi en soi, un sujet2 ». Il n’est plus,

autrement dit, un objet (Objekt) présupposé, tout fait3.

Dans la proposition philosophique « Dieu est l’être », « Dieu » perd la signification substantielle qu’on lui aurait prêtée en l’envisageant strictement comme un substrat statique. C’est le prédicat « l’être » qui nous révèle ce que le sujet « Dieu » est en vérité, c’est-à-dire que c’est au prédicat qu’il convient désormais de prêter la substantialité. Le sujet « Dieu » s’est fondu (zerfließt) en lui, commente Hegel4. « Être » ne doit pas être compris comme un simple prédicat

de « Dieu », au sens d’une qualité qui lui appartiendrait ou d’un accident, mais comme l’essence même de « Dieu ». S. Houlgate remarque que le prédicat a pour ainsi dire « usurpé » la position du sujet S, et que se dissipe du même coup la « certitude immédiate » selon laquelle nous savons

que « Entäußerung » est le terme par lequel Luther traduit « kénose ». (R. Pippin, « Le statut de la littérature dans la

Phénoménologie de l’esprit », trad. D. Lepage, dans D. Perinetti et M.-A. Ricard (éd.), La Phénoménologie de l’esprit de Hegel : lectures contemporaines, Paris, PUF, 2009, p. 169.)

1 G. Marmasse, « Que prouvent, chez Hegel, les preuves de l’existence de Dieu? », Les Études philosophiques, No. 92,

2010/1, p. 109.

2 PhE, 72 [27].

3 ESP, I, § 31, Z, 486 [98]. 4 PhE, 103 [59].

précisément à quoi réfère le sujet S, à savoir Dieu envisagé comme une entité fixe1. En d’autres

termes, Dieu ne peut plus être défini à partir de sa fonction de sujet grammatical de la proposition. La pensée qui cherchait à progresser de prédicat en prédicat perd le substrat stable qui lui servait de tremplin : « La pensée, au lieu de continuer à avancer dans le passage du sujet au prédicat, et étant donné que le sujet se perd, se sent au contraire freinée et rejetée vers la pensée du sujet, puisqu’elle en déplore l’absence [.]2 » La perte du sujet S renvoie la pensée vers

celui-ci : elle doit en réévaluer la signification, se demander à nouveau ce qu’il est. C’est le contenu lui-même qui commande cet arrêt : le passage du sujet dans le prédicat, puisqu’il n’est pas le fait d’un Moi extérieur, oblige la pensée à s’interroger sur cet automouvement – ou à tout le moins, comme le spécifie Hegel, l’« exigence » qu’elle se plonge dans les profondeurs du contenu est posée3.

Pour remplir cette exigence, et se plonger effectivement dans l’automouvement du contenu, la pensée doit se résoudre à la perte du fondement stable sur lequel elle croyait pouvoir s’ériger. Si elle veut retrouver le sujet S, elle doit suivre son passage et se tourner vers le prédicat, puisque c’est lui qui exprime ce que le sujet est essentiellement et en « épuise la nature4 ». Elle

doit, en d’autres termes, lire la proposition spéculative conformément au devenir du contenu. Ce devenir est celui du sujet S qui se libère de sa fixité pour se déterminer lui-même en se répandant (zerfließt) dans le prédicat. Une considération attentive de ce mouvement nous permet par ailleurs de retrouver dans la proposition les trois côtés du logique analysés plus haut. 1/ « Dieu » et « l’être » sont d’abord immédiatement posés en leur différence, c’est-à-dire comme deux termes qui subsisteraient tout aussi bien de manière indépendante : c’est le moment de l’entendement. La proposition spéculative exprime d’abord les deux déterminations en les contenant comme différentes. 2/ Le moment dialectique correspond au passage de la première détermination dans la seconde : Dieu passe dans l’être et semble se dissoudre dans ce passage. La négation est ici celle du sujet S comme sol stable pour la pensée : le sujet « en question est lui-même perdu », il va à l’abîme (zugrundegehen)5. 3/ M.-A. Ricard fait remarquer que le verbe

employé par Hegel « a littéralement le sens d’"aller au fondement" et évoque d’un seul tenant le

1 S. Houlgate, Hegel, Nietzsche and the criticism of metaphysics, op. cit., p. 148. (Nous traduisons.) 2 PhE, 103 [59].

3 PhE, 103 [59]. 4 PhE, 103 [59]. 5 PhE, 101 [57].

caractère également positif de cette négation1 ». C’est le moment spéculatif qui se laisse déjà

deviner dans la négation dialectique : lorsque la pensée subit le « contrecoup » qui la rejette du prédicat vers le sujet de la proposition, l’unité des déterminations dans leur relation essentielle peut surgir. Même si la forme de la proposition (« A est B ») suggère immédiatement une certaine forme d’identité des termes, cette identité ne se découvre comme spéculative, c’est-à-dire différenciée, que dans l’appréhension du devenir de son contenu.

Comme l’indique S. Houlgate, la pensée pénètre plus profondément dans « la complexité logique du sujet lui-même2 » lorsqu’elle s’attache à la totalité du mouvement de la proposition

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