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Espèces sensibles et transmission inter-hôtes

I. Les virus Influenza : caractéristiques générales et maladie associée

5. Les virus Influenza responsables d’une maladie respiratoire : la grippe

5.2. Espèces sensibles et transmission inter-hôtes

5.2.1. Rôle des volailles dans l’épidémiologie des virus Influenza A

Les virus Influenza A présentent globalement une forte spécificité d’hôte mais qui n’empêche pas

les transmissions inter-espèces (Neumann et Kawaoka, 2006; Landolt et Olsen, 2007), en particulier

entre les oiseaux et les mammifères. Des franchissements de barrière d’espèces sont ainsi

fréquemment observés, complexifiant la composition des populations virales infectant les différentes

espèces (Figure 3). Ainsi, seul un sous-ensemble de sous-types est devenu endémique chez les

mammifères, entrainant des infections à tropisme respiratoire plus ou moins sévères : H1, H2 et H3

chez l’homme, H1 et H3 chez le porc, et H3 et H8 chez le cheval. H3 est également observé dans

l’espèce canine.

En revanche, tous les sous-types HA et NA circulent chez les canards et le gibier d’eau, considérés

comme réservoirs de la diversité génétique des virus Influenza A (Hinshaw et al., 1980; Webster et

al., 1992; Webby et Webster, 2001). Il convient d’identifier deux « pathotypes » de virus Influenza

affectant les volailles : les virus aviaires faiblement pathogènes, causant des infections locales

(intestinales ou respiratoires) mais qui restent bénignes voire asymptomatiques, et les virus

hautement pathogènes, générant des infections généralisées sévères pouvant entrainer 100% de

mortalité (grippe aviaire). La majorité des virus influenza aviaires sont faiblement pathogènes, mais

peuvent acquérir le caractère hautement pathogène par mutation. Selon la souche virale et l’espèce

de gibier touchée, les virus Influenza peuvent infecter puis être excrétés par les voies respiratoires

et/ou les voies entériques (Webster et al., 1978), avec une réplication préférentielle des virus

Influenza aviaires dans les cellules de l’épithélium gastro-intestinal. Les infections en découlant,

majoritairement asymptomatiques, conduisent à une longue excrétion (jusqu’à 30 jours) de

quantités importantes de virus dans les fèces ainsi qu’à la contamination de l’eau des lacs pour des

semaines voire des mois (Hinshaw et al., 1980; Stallknecht et al., 1990). Compte-tenu du

comportement migratoire de ces animaux (Rohani et al., 2009) et de la capacité des virus Influenza à

persister dans l’eau froide des lacs, cette caractéristique d’excrétion pourrait jouer un rôle important

dans la propagation des virus Influenza aviaires. En effet, ces virus franchissent parfois la barrière

inter-espèce. Des cas de transmission directe du gibier d’eau vers le porc (Karasin et al., 2004;

Karasin et al., 2006), le cheval, le vison (Gagnon et al., 2009), les volailles domestiques et les

mammifères marins ont déjà été rapportés, avec une sévérité variable selon les infections. La

transmission des virus Influenza d’origine aviaire (« avian like ») à l’homme a également été

rapportée de nombreuses fois au cours des dernières décennies (Claas et al., 1998; Subbarao et al.,

1998); de Jong et al., 1997 Nature). Le virus H5N1, hautement pathogène, a d’ailleurs engendré de

nombreux décès dans la population humaine (Choi et al., 2005; Isoda et al., 2006; Lipatov et al.,

2008).

Le gi ie d’eau est o sid o e le se oi atu el des i us I flue za de

type A. Ces animaux ne montrent pas de signes cliniques mais excrètent le

virus dans leurs fèces. Le comportement migratoire de ces animaux, allié au

la ge spe t e d’hôtes des i us I flue za de t pe A olailles, a if es

aquatiques, chevaux, hommes ou porcs) participe à la dissémination de ces

virus à travers le monde.

5.2.2. Mécanismes de restriction de la transmission inter-espèces

Pour le moment, les protéines virales qui restreignent le nombre d’espèces potentiellement

hôtes ne sont pas clairement identifiées. Les huit segments génomiques des virus Influenza A

semblent néanmoins contribuer à la capacité d’adaptation à différents hôtes. On parle ainsi de

spécificité d’espèce « multigénique » (Neumann et Kawaoka, 2006; Landolt et Olsen, 2007). La NP a

été évoquée comme possible déterminant de la spécificité d’hôte pour le virus mais c’est le gène

codant HA qui est considéré comme dominant puisque HA joue un rôle dans la liaison avec le

récepteur. En effet, bien que tous les virus Influenza A reconnaissent les oligosaccharides de la

surface cellulaire avec un acide sialique terminal, les récepteurs à acide sialique sont différents selon

les espèces (Ito, 2000; Matrosovich et al., 2000; Landolt et Olsen, 2007; Nicholls et al., 2008). Ces

différences de récepteurs proviennent de substitutions au niveau des acides aminés. Les virus

d’origine aviaire et équine se lient préférentiellement aux liaisons α-2,3 de l’acide sialique, présentes

dans le système respiratoire inférieur (et dans le système digestif des volailles), quand les virus

humains et porcins présentent une plus forte affinité pour les liaisons α-2,6, plus représentées dans

la partie haute de l’appareil respiratoire des hommes et du porc. Dans cette dernière espèce, ces

deux types de récepteurs d’acides sialiques sont exprimés sur les cellules épithéliales de leurs voies

respiratoires : (1) les récepteurs de type aviaire (se liant à α-2,3) et (2) les récepteurs de type

humains (liaison à α-2,6) (Ito, 2000; Nelli et al., 2010; Van Poucke et al., 2010). Le porc est donc

sensible à une infection par les virus influenza d’origine aviaire, humaine et même équine et a

d’ailleurs été considéré comme l’hôte intermédiaire par excellence (« mixing vessel ») pour le

réassortiment génétique (Pensaert et al., 1981; Webster et al., 1992; Kida et al., 1994; Ito et al.,

1998; Scholtissek et al., 1998; Brown, 2000; Karasin et al., 2000b; Karasin et al., 2004; Van Reeth,

2007).

5.2.3. Etat des lieux des transmissions inter-espèces

Les virus Influenza porcins de type A (swIAVs) peuvent infecter d’autres animaux de la famille des

suidés tels que les sangliers (Saliki et al., 1998). Un projet américain conduit sur sangliers a montré

entre 2 et 40 % de sera positifs aux anticorps H1 et H3 dans les six Etats considérés, le sous-type

H3N2 étant le plus fréquemment détecté (Hall et al., 2008; Baker et al., 2011). Dans deux autres Etats

à forte densité porcine (Caroline du Nord et Caroline du Sud), un niveau de prévalence encore plus

élevé a été détecté, suggérant une relation entre ces détections et la proximité avec les porcs

domestiques : 73 % des échantillons positifs à H1

hu

N1, 7 % au réassortant H1N1 d’origine porcine et

aviaire, 14 % au H1N1 « classical swine » et 47 % au H3N2 (Corn et al., 2009). Enfin, en Europe, une

étude montre que 5,2 % des sangliers avaient des anticorps contre H1N1 et H3N2 enzootiques

(Kaden et al., 2008).

L’infection des volailles par les virus provenant d’autres espèces a également été documentée de

nombreuses fois. La dinde est l’espèce aviaire la plus sensible aux swIAVs : aux Etats-Unis, une ferme

abritant un bâtiment de dindes, distant d’une douzaine de mètres d’un bâtiment logeant des porcs, a

connu deux épisodes de grippe dans deux lots consécutifs. Ces deux épisodes ont chacun suivi des

infections grippales dans l’élevage porcin suite à l’introduction de verrats sur l’élevage. A chaque

fois, les dindes ont montré des chutes de ponte et le diagnostic sérologique a montré l’infection des

deux espèces par un même virus influenza H1 (Mohan et al., 1981). De nombreuses autres études

confirment l’infection des troupeaux de dindes et de cailles par les swIAVs (Hinshaw et al., 1983;

Andral et al., 1985; Ficken et al., 1989; Wright et al., 1992; Ludwig et al., 1994; Wood et al., 1997;

Suarez et al., 2002; Choi et al., 2004a; Choi et al., 2004b; Tang et al., 2005; Olsen et al., 2006c) et,

plus rarement, du gibier d’eau (Olsen et al., 2003; Ramakrishnan et al., 2010). Des segments

génomiques des swIAVs ont d’ailleurs été identifiés chez des canards sauvages, illustrant l’ampleur

des échanges pouvant exister dans la nature (Hatchette et al., 2004; Yassine et al., 2007).

A l’inverse, bien que le porc puisse être expérimentalement infecté par des virus Influenza

aviaires (Kida et al., 1994), il montre généralement une faible sensibilité à ces infections par des virus

aviaires, même hautement pathogènes. Des infections naturelles par les virus aviaires, de canards et

gibiers d’eau principalement, ont été décrites à travers le monde : les sous-types H1N1, H3N2, H3N3,

H4N6 et H7N2 ont été isolés chez le porc au Canada et en Asie (Kida et al., 1988; Guan et al., 1996;

Brown, 2000; Karasin et al., 2000a; Kwon et al., 2011), et H5N1 et H9N2 en Asie (Peiris et al., 2001;

Choi et al., 2005; Shi et al., 2008; Takano et al., 2009). En général, ces transmissions vers le porc n’ont

été détectées que ponctuellement et ne se sont pas maintenues dans la population porcine, excepté

le virus H1N1 d’origine aviaire de 1979, seul exemple de virus aviaire complet qui s’est adapté au

porc et qui est aujourd’hui établi en Europe (Pensaert et al., 1981; Scholtissek et al., 1983; Donatelli

et al., 1991; Brown, 2000; Van Reeth et al., 2008; Kyriakis et al., 2011). Cette transmission

majoritairement ponctuelle est en accord avec les études expérimentales qui montrent que la

réplication et la transmission entre porcs est limitée pour les virus Influenza aviaires (Choi et al.,

2005; Lipatov et al., 2008; De Vleeschauwer et al., 2009a; De Vleeschauwer et al., 2009b; Lee et al.,

2009; Manzoor et al., 2009). Les animaux inoculés par le virus H5N1 HP produisent des anticorps

contre l’infection mais la multiplication virale est peu efficace. Aucun signe clinique n’est observé et

le virus ne se transmet pas aux porcs contacts (Choi et al., 2005). Ainsi, les virus Influenza aviaires

doivent muter ou se recombiner avec des virus bien adaptés au porc pour pouvoir se répliquer

efficacement dans cette espèce. Seuls les réassortants possédant les gènes viraux aviaires et porcins

se sont établis dans cette population.

Les virus Influenza humains ont également été isolés sporadiquement chez le porc : le virus H3N2

humain a été retrouvé chez le porc en Asie et parfois en Europe et en Amérique du Nord (Hinshaw et

al., 1978; Brown, 2000; Karasin et al., 2000c). De même que pour les virus aviaires, une transmission

efficace des virus humains vers le porc requiert une adaptation à l’espèce cible (Landolt et al., 2006;

Weingartl et al., 2009). Les virus H3N2 qui se sont maintenus dans la population porcine en Amérique

du Nord et en Europe sont des réassortants comprenant un mélange de gènes issus de virus humains

et de gènes de virus adaptés au porc. Ces virus porcins européens H3N2 sont encore

antigéniquement proches des virus humains des années 1970-80, alors que les virus humains actuels

se sont éloignés de leurs précurseurs (de Jong et al., 1999; de Jong et al., 2007; Kyriakis et al., 2011).

Le porc pourrait donc agir comme un réservoir d’anciens virus humains pouvant être ré-introduit

chez des personnes sensibles à la faveur du renouvellement de générations.

5.2.4. Focus sur la pandémie de 2009

En Avril 2009, un virus Influenza d’origine porcine de sous-type H1N1 a été identifié chez des

patients atteints de sévères troubles respiratoires en Californie (Etats-Unis) (Centers for Disease

Control and Prevention (CDC), 2009). Ce même virus a également été identifié au Mexique et au

Canada, puis des infections ont été confirmées en Europe, Océanie et Asie. En 2009, l’infection de

plus de 44000 personnes et le décès de 180 personnes, principalement au Mexique, ont été

confirmés par l’ONU (World Health Organization (WHO), 2009). Le foyer initial se situait au Mexique

et les premiers cas en dehors du pays provenaient de personnes ayant voyagé récemment vers le

Mexique. Bien que certains experts affirment que la transmission originelle a eu lieu du porc vers

l’homme, c’est la transmission entre hommes qui a catalysé la propagation du virus à travers le

monde (Neumann et al., 2009; World Health Organization (WHO), 2009). Les analyses

phylogénétiques indiquent que ce virus serait un réassortant (a) d’un triple réassortant

nord-américain H1N2 avec 5 gènes du H1N1 « classical swine », deux d’origine aviaire et un d’origine

Figure 4 - Origine supposée du virus Influenza H1N1 pandémique de 2009 (H1N1pdm/09). Les gènes

codant les protéines HA et M dériveraient d’un virus eurasiatique H1N1 d’origine aviaire. Les six autres

gènes sont étroitement liés à ceux d’un triple réassortant H1N2 possédant un mélange de gènes de virus

porcins, aviaires et humains présents aux Etats-Unis (cinq gènes du virus H1N1 « classical swine, deux d’un

virus aviaire et un d’un virus humain H3N2). Un réassortiment a ensuite été observé entre ces deux virus,

chez le porc ou une autre espèce, conduisant à l’émergence du virus H1N1pdm/09 (Source : adapté de

Neumann et al., 2009).

humaine (Cooper et al., 1999; Olsen et al., 2002) et (b) d’un H1N1 eurasiatique. Ce nouveau virus a

acquis six segments de gènes du premier et deux du second (Figure 4). Contrairement aux autres

virus, c’est le segment M qui semble être le facteur prépondérant de la transmission observée entre

espèces pour le virus pandémique de 2009.

Le virus pandémique H1N1 de 2009, H1N1pdm/09, a été à l’origine d’un épisode de troubles

respiratoires chez le porc au Canada en Mai 2009 (Canadian Food Inspection, 2009). Ce virus aurait

été introduit dans un élevage dédié à la recherche par des employés. La séquence des infections

montre clairement que les cas humains ont précédé les infections chez les porcs, dont les premières

infections ont eu lieu six jours après exposition au cas index humain. Enfin dans cette même étude,

67% (25 employés) et 94% des porcs ont été infectés montrant non seulement la transmission

inter-espèces effective mais également la capacité de transmission au sein des deux populations (Forgie et

al., 2011). Le premier signalement chez le porc a effectivement eu lieu au Canada (Howden et al.,

2009) puis il a rapidement été identifié à travers le monde (Moreno et al., 2010; Pasma et Joseph,

2010; Pereda et al., 2010; Song et al., 2010; Welsh et al., 2010). En Norvège, pays indemne de virus

Influenza « classical swine », Hofshagen et al. (2009) ont décrit la propagation du virus pandémique

de 2009 et les hommes infectés sont la source d’introduction la plus probable sur le territoire, les

autres voies d’introduction ayant tour à tour été écartées. Ce virus est aussi connu pour se

transmettre efficacement entre porcs (Brookes et al., 2009).

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