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Erreurs médicales et détresse psychique, un cercle vicieux (« le syndrome de la

Section IV Répercussions sur la qualité des soins

C) Erreurs médicales et détresse psychique, un cercle vicieux (« le syndrome de la

Les conséquences d’erreurs médicales sont la huitième cause de décès aux États-Unis, chaque année, entre 44’000 et 98’000 décès évitables sont attribuables à ce phénomène[91]. Ces chiffres sont très probablement sous-évalués car de nombreux médecins et soignants gardent le silence sur leurs erreurs commises par crainte des répercussions telles qu'humiliations par la hiérarchie, reproches ou plaintes pénales des patients et par peur de perdre leur réputation[91]. On estime la proportion des patients hospitalisés affectés par les erreurs médicales entre 5% et 10% mais certains auteurs avancent même des proportions allant jusqu’à 50%[59].

Les médecins fatigués ou épuisés ont une propension plus grande à commettre des erreurs. À l’inverse, commettre des erreurs médicales a un impact substantiel sur les cliniciens et peut sensiblement induire un stress supplémentaire ou une profonde détresse chez le soignant. Pour divers auteurs, le soignant qui commet l’erreur médicale est la seconde victime, après le patient, et ressent communément stress, culpabilité, honte et dépression[59]. Le terme du « syndrome de la victime secondaire » a été développé pour parler de ce phénomène[59]. Ces effets peuvent être de longue durée et certains médecins sont blessés à titre définitif, surtout si les conséquences de l’erreur commise sont importantes pour le patient (mutilation, handicap, voire décès). Ainsi, erreur médicale et détresse psychologique sont dans un cycle toxique réciproque[59](Cf. illustration 66).

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Illustration 66 : les erreurs médicales et la souffrance psychique des soignants s’influencent réciproquement selon un cercle vicieux. Illustration par Gaëlle Devillard.

L’hôpital, le cabinet ou l’institution dans lequel l’erreur a eu lieu est parfois appelé la troisième victime[317] notamment en raison des dégâts d’image et de réputation. Lors de plainte juridique d’un patient ou de ses proches, c’est souvent la responsabilité individuelle du médecin qui est engagée malgré le fait qu’il travaille comme salarié.

Cela peut être extrêmement difficile à vivre. Certains auteurs recommandent au médecin concerné d’avertir ses supérieurs et de mieux partager les prises de décisions afin d’éviter de se retrouver seul à affronter les conséquences[318].

De plus, dans certains pays comme aux USA et au Royaume Uni, des avocats offrent des contrats lors de plainte contre une erreur médicale sur la base d’un « pas de frais si pas de gain » afin de mieux inciter les patients à porter plainte et pour en tirer des bénéfices[185]. Aux USA, certains avocats n’hésitent pas à venir chercher des clients dans les salles d’attentes des hôpitaux. Les coûts économiques des plaintes pénales et de la pratique défensive de la médecine liées à la judiciarisation de la médecine sont importants[217], [218].

La plupart des études qui évaluent les liens entre des mesures de souffrance psychologique et les erreurs médicales utilisent des questionnaires d’auto-évaluation portant sur les erreurs auto-perçues ou auto-rapportées130[59]. D’autres études ont mis en place pendant la durée de l’observation un système de suivi rapproché des soins avec du personnel supplémentaire spécialement dédié à une observation active avec un contrôle strict des dossiers médicaux[56], [191].

130 Les erreurs auto-évaluées peuvent regrouper les plus significatives mais sont également moins précises car sujettes à une sous-évaluation (peur des répercussions) ou à des distorsions cognitives négatives (travail perçu plus négativement si dépression par exemple).

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Une étude longitudinale, publiée en 2010, par Shanafelt et ses collaborateurs montre qu’un état d’épuisement, de détresse psychologique ou les deux ensemble sont associés à une augmentation de 15%, 20% et 28% des erreurs médicales auto-rapportées (échelle « self assessment of medical errors ») respectivement parmi un collectif national de médecins chirurgiens des USA[310]. étaient associées à un risque plus important de rapporter une erreur médicale dans les 3 prochains mois (7% par augmentation d’un point de score d’EE, 10% par augmentation d’un point du score de DP et 7% par augmentation d’un point du score d’AP). Dans cette étude, 34% des médecins internes sondés rapportaient au moins une erreur médicale majeure dans les 3 derniers mois et 97% des médecins internes qui avaient commis une erreur médicale majeure en avaient parlé au moins à une personne (à d’autres médecins internes pour 83% des sondés, à la famille ou à des proches pour 65% des sondés et à des superviseurs seulement dans 54% des cas)[59].

Une étude publiée en 2004 a montré une corrélation importante entre le manque de sommeil, la fatigue et les erreurs médicales en comparant pour des médecins internes en tournus aux soins intensifs deux types d’horaires : l’horaire standard avec gardes prolongées jusqu’à 34h consécutives et environ 80h par semaine et un horaire d’« intervention » qui limitait les heures de travail à 63h maximum par semaine et au maximum 16h consécutives[191]. Dans cette étude, les médecins internes ont fait 36%

plus d’erreurs médicales sérieuses pendant l’horaire traditionnel que pendant l’horaire d’intervention qui incluaient 57% d’erreurs sérieuses supplémentaires non interceptées.

Au total, avec l’horaire standard, il y avait pour la période étudiée, 22% plus d’erreurs sérieuses avec 21% plus d’erreurs de prescription et 6 fois plus d’erreurs de diagnostic.

Les auteurs concluaient que de nombreuses erreurs étaient imputables à la fatigue.

Ils citaient une étude ayant montré que parmi 114 chefs de service, 41% indiquaient la fatigue comme cause de leurs plus sérieuses erreurs commises par le passé, le plus souvent pendant leur internat, dont 31% avaient été fatales, occasionnant le décès du patient[310].

Une étude a montré également que l’abus d’alcool était associé avec un risque plus élevé d’erreurs médicales[175].

Ces données montrent que les erreurs médicales sont un problème majeur pour la qualité des soins, qu’elles sont fréquentes et peuvent avoir des conséquences dramatiques pour le patient mais aussi secondairement pour le soignant.

131 Par contre, il n’y avait pas de différence significative sur le nombre d'erreurs observées entre médecins internes en burnout et médecins internes sans critères de burnout

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Il est important, pour lutter contre les erreurs médicales, de promouvoir un climat de récoltes des erreurs dans les soins de façon non sanctionnelle pour les individus ayant commis l’erreur car dans la grande majorité des cas, la responsabilité est institutionnelle et collective (modèle dit du « gruyère suisse » de Reason) (Cf.

illustration 67) [317], [318]. Ce climat non discriminant est essentiel pour une récolte fiable des événements indésirables et pour en trouver les causes (recherche et « analyse des causes racines ») sur un plan systémique et planifier des mesures de prévention ciblées[318]. En outre, comme mentionné, le soignant ayant commis une erreur médicale peut être dans une profonde détresse et il convient qu’il puisse recevoir une écoute bienveillante et un soutien plutôt qu’une humiliation ou une stigmatisation supplémentaires.

Illustration 67 : l’alignement des défauts du système, des erreurs actives et des failles de sécurité (les trous des fromages) permet la survenue des accidents. Les facteurs latents du système déterminent les conditions favorisant l’erreur, ainsi que les failles des barrières de sécurité (mesures protégeant le patient des évènements indésirables), et permettent de répondre à la question « pourquoi est-ce arrivé ? ». L’erreur active répond à la question « qu’est-ce qui est arrivé ? » et la trajectoire de l’erreur répond à la question « comment est-ce arrivé ? ». Adapté du « Swiss cheese model » de J. Reason[319], [320]. Illustration tirée de[317, p. 301].

Les incidents secondaires sérieux132 en psychiatrie (ex : suicide, homicide, tentative de suicide, agression grave, fugue de patients à risque) ont également un fort effet sur les équipes tout comme les conséquences des enquêtes internes qui sont souvent réalisées après ces évènements dans les services de soins[216]. Une étude pointe qu’il y a souvent un manque de soutien aux équipes et que les réactions et les effets sur les autres patients sont ignorés étant donné que les équipes de soins sont très affectées et moins attentives aux répercussions sur les patients du service[216]. Ces incidents

132 Ces incidents sont appelés « serious untoward incidents » au Royaume Uni et « sentinel events » aux USA.

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graves et leurs conséquences sont souvent sous-estimés tant sur la vie professionnelle que personnelle des soignants[144], [215]. Ces incidents peuvent notamment mener au développement d’état de stress post-traumatique si non pris en charge ou d’état de stress qui peuvent se réactiver dans des situations similaires rencontrées pour les soignants concernés avec une charge émotionnelle qui peut alors conduire à des biais cognitifs et favoriser des erreurs dans les soins[321].