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Epistémologie et méthodologie de la recherche

C HAPITRE 3 :Histoire des professions soignantes

Chapitre 4. Epistémologie et méthodologie de la recherche

Les idées pétrifiées devant la merveilleuse indifférence d’un monde passionné D’un monde retrouvé

D’un monde indiscutable et inexpliqué

D’un monde sans savoir-vivre mais plein de joie de vivre

A ce stade du travail, à l’issue des développements conceptuels réalisés, nos questionnements de départ se sont affinés. Nous souhaitons dès lors préciser notre posture épistémologique afin d’inscrire ces derniers dans un cadre cohérent.

Pour construire notre mémoire de recherche en sciences de l’éducation, nous avons choisi la posture compréhensive. Nous nous rallions à la position critique à l’égard de la démarche explicative formulée par Charmillot et Seferdjeli (2002) en référence à Schurmans (2000).

Cette critique porte sur la démarche explicative comme seule démarche scientifique légitime.

L’explication, dans le sens de « faire connaître la cause de quelque chose », traduit la volonté techniciste du positivisme. « Cette volonté est éminemment respectable en ce qu’elle a permis de forger comme connaissance et dramatiquement sclérosante en ce qu’elle a contribué à nier. Plus précisément, il s’agit de considérer au départ que, si les déterminismes existent, biologiques, environnementaux, historiques, culturels, sociaux, ils ne suffisent pas à la saisie

des phénomènes humains sociaux. Car ils ne permettent pas d’aborder le travail constant de production de sens qui caractérise l’humain. L’approche compréhensive se focalisera sur le sens : d’une part les sujets humains réagissent par rapport aux déterminismes qui pèsent sur eux ; d’autre part, ils sont les propres créateurs de ces déterminismes » (Schurmans 2000, citée par Charmillot & Seferdjeli, 2002, p. 188).

Comment s’intéresser à cette question du sens, en compréhension ? Selon Charmillot et Seferdjeli (2002), travailler en compréhension, c’est prendre en compte la spécificité de l’humain, ne pas le considérer uniquement comme un agent déterminé par des forces extérieures à lui, mais le tenir également « comme un acteur qui construit des significations à partir de la place qu’il occupe dans le monde et qui, produisant des faits sociaux, contribue à la reproduction des déterminismes » (p. 188). Dans notre recherche, nous avons souhaité comprendre les différents aspects de la construction de l’identité des acteurs en tant qu’ils sont déterminés mais aussi dans la production d’eux-mêmes. Les acteurs auxquels nous nous sommes intéressées sont ici les ASSC.

Comme l’écrit également Schurmans (2001), « l’humain est tout à la fois produit et producteur du social. Cette position implique de pouvoir distinguer, dans la multiplicité et la variété des conduites humaines individuelles et collectives, la part sans cesse redéfinie de l’agentité et de l’actorialité » (p. 164). Nous avons voulu, dans un premier temps, décrypter ce « fait de l’humain » à la fois « produit et producteur de social ». Dans quel paysage se dessinent ces conduites humaines individuelles et collectives ? Qu’est-ce qui sous-tend leur pluralité ? Qu’est-ce qui permet de lire ces conduites en termes de postures d’agent ou d’acteur ?

Pour la compréhension des conduites humaines sur notre terrain professionnel, la notion d’identité s’est rapidement imposée. Nous avons tenté d’ordonner sa construction en développant une sensibilité théorique en référence à ce qui nous semble être les théories de l’action, « qui sont au fondement de la compréhension » comme l’écrivent Charmillot et Seferdjeli (2002, p. 190). Le domaine des théories de l’action est vaste et mal délimité. Nous avons principalement mis l’accent sur les théories qui intègrent la prise en compte de l’Histoire.

Notre recherche s’inscrit par ailleurs dans le cadre de la transaction sociale. En effet, nos questionnements portent sur la construction identitaire d’acteurs en formation d’abord, puis

accédant à une nouvelle profession, autrement dit une profession émergente dans le domaine des professions de la santé. Nous souhaitons comprendre comment les acteurs de cette nouvelle profession agissent et interagissent, au quotidien, dans des milieux de soins où leur spécificité n’est bien souvent ni reconnue, ni même connue. Le paradigme de la transaction sociale, en tant que paradigme méthodologique à fonction heuristique peut en effet aider à rendre compte des situations d’incertitude vécues par les acteurs concernés. Ceci notamment

« en raison de son intérêt pour saisir les situations complexes et peu structurées où les partenaires produisent, progressivement et de manière tâtonnante, les normes de leur interaction dont l’évolution comporte un fond relativement important d’incertitude et de risque » (Van Campenhoudt, Rémy, Péto et Hubert, 1994, p. 44).

Choisir la posture méthodologique de la transaction sociale, la perspective dialectique agent/acteur qu’elle propose et la gestion des situations d’incertitude qui la caractérise, dans un sens productif et créatif, ne va pas de soi. Comme l’écrit Schurmans, citée par Hernandez (2003) : « La transaction sociale implique une posture exigeante dans la mesure où l’approche qu’elle génère présuppose une prise en charge conceptuelle de la complexité du social : organisation sociale, production du sens et historicité sont inter-reliées » (Schurmans in Hernandez p. 41).

Les acteurs, dans un environnement donné, sont en constantes interactions avec ce dernier, avec leurs pairs, de même qu’avec d’autres acteurs, avec des « autruis » plus ou moins significatifs, dans un état de conscience plus ou moins élevé. Les autruis sont les autres acteurs ou les instances sociales ou institutionnelles ou encore les références historiques, mythiques ou symboliques. On parle de « rationalité limitée » pour exprimer le fait que les conduites humaines ne peuvent être interprétées comme des actions purement stratégiques.

Dans le cadre qui nous occupe, les actions des ASSC et leurs interactions avec les différents acteurs produisent du sens et participent à leur construction identitaire. En effet, les processus transactionnels, lorsqu’ils se traduisent par de nouvelles conventions, engendrent des modifications de l’identité des acteurs engagés dans l’interaction. Autrement dit, le produit transactionnel peut être interprété sous l’angle d’un processus de construction identitaire :

« L’interaction entre le sujet et son environnement (individu, groupes, structures sociales) est déterminante pour la genèse et la dynamique de l’identité, celle-ci se construit par identifications et différenciations successives et permet le sentiment d’appartenance à divers groupes (famille, pairs, etc..) » (Berger et Luckman, 1996, cités par Hernandez, 2003, p. 40).

La dialectique agent/acteur, en ce qu’elle met en évidence les contraintes structurelles qui pèsent sur les acteurs, prend en compte l’Histoire. La transaction sociale s’inscrit en cela dans le cadre épistémique de l’interactionnisme historico-social tel que le définit Schurmans (2007) : « L’interactionnisme historico-social pose comme point de départ l’activité collective, c’est-à-dire les modalités pratiques d’organisation des groupes humains. Cette activité génère, à travers l’échange langagier, des représentations portant sur les modalités de fonctionnement du collectif, et elle engage par conséquent la constitution de normes actionnelles ainsi que, par appropriation, la construction des représentations individuelles.

C’est sur cette toile de fond que sont évaluées les actions singulières, et c’est donc à partir de cette évaluation que s’oriente l’action individuelle » (Schurmans, 2007). Il importera donc, pour une analyse optimale de toute action singulière, de connaître la constitution des normes actionnelles ainsi que les représentations individuelles y relatives. C’est dans cette perspective que nous avons soigneusement contextualisé le cadre de notre recherche et développé les aspects historiques des professions exercées par les acteurs en place (chapitre 3).

Sur les terrains de pratique de soins, les positions des acteurs sont prévues, organisées en fonction de contraintes structurelles. L’action des acteurs se situe, s’adapte, se fabrique, se modifie en fonction des habitus institutionnels, et, en fonction également des autres acteurs, de même qu’en fonction des jeux de pouvoir. Ces actions se lisent à travers les interactions, formelles autant qu’informelles. Dans une institution, dans un lieu de pratique, les relations sont asymétriques et chacun ne dispose pas du même pouvoir. Mais la possibilité d’entamer un processus transactionnel permet à chacun d’orienter son action, de contribuer à la production éventuelle de nouvelles conventions et dans tous les cas, à la production de sens pour les deux parties.

Etat de la question de recherche

A ce stade de notre travail, nous pouvons reformuler nos questions de recherche en ces termes :

- Quelles sont les phases repérables (accélération ou ralentissement) du processus d’actorialisation et d’agentification des nouveaux professionnels lorsqu’ils sont en relation de travail, dans un lieu de pratiques ?

- Catégorie professionnelle naissante, comment ces nouveaux profesionnels opèrent-ils la construction sociale progressive d’un principe minimal d’accord?

- Quels sont les mondes concernés par le travail de construction transactionnelle ? - Quel est l’impact de cette construction sur l’identité des différents acteurs engagés

dans l’interaction ?

Production des données : les entretiens

La posture compréhensive permet de cerner l’articulation entre la logique des conduites humaines individuelles et celle des conduites collectives. Cette posture se centre sur la mise à jour des significations que chacun de nous attribue à son action. Par exemple : « Que veut l’acteur ? Quels buts veut-il atteindre ? Quelles sont ses conceptions des attentes des autres ? Quelles sont les attentes des autres ? » (Schurmans, 2003, p. 53).

Ces interrogations portent aussi sur la mise à jour de la logique collective qu’est l’activité sociale. Comment les actions singulières se croisent-elles et produisent-elles un réseau de significations ? Comment les comportements définissant le statut d’agents peuvent-ils se déplacer vers ceux définissant le statut d’acteur ? Ont-ils conscience de leurs actions, les prévoient-ils, les anticipent-ils ? Nous partirons des questions que se posent les acteurs en relation avec leurs savoirs concrets plutôt qu’à partir des questions que le chercheur se pose, comme le dit Blanchet (1985) (cité par Charmillot & Seferdjeli, 2002, p. 189). Pour connaître les savoirs des acteurs et comprendre leurs actions, nous réaliserons des entretiens de

recherche de type compréhensif (Kaufmann, 1996). Ces entretiens nous permettront de mettre en évidence la manière dont les ASSC construisent ou non une position d’acteur sur leurs lieux d’activités, comment leurs actions rencontrent celles des autres protagonistes de terrain, et si les ajustements des diverses actions créent une plus value dans le registre du travail quotidien sur les lieux de soins.

Les entretiens prévus sont des entretiens compréhensifs semi-dirigés qui vont nous permettre de laisser la personne interviewée parler librement de sa pratique, de sa réalité, de ses représentations, de la singularité de son expérience. Blanchet et Gotmann (1992, p. 30-36) indiquent que les recherches où il est pertinent d’utiliser les entretiens sont celles qui concernent les représentations ou les pratiques. Selon ces auteurs, les recherches qui visent les représentations associées aux pratiques sont particulièrement bénéficiaires de l’utilisation de l’entretien compréhensif. Charmillot & Seferdjeli (2002) indiquent également que l’entretien est un outil privilégié dans une démarche de recherche qui vise à en savoir plus sur les représentations : « la technique méthodologique la plus indiquée pour réaliser le travail de conquête et de construction propre à la perspective compréhensive est l’entretien de recherche » (p. 189). Elles insistent sur l’importance de la phase exploratoire, constitutive de la recherche elle-même. Lors de la phase exploratoire, une place se dessine pour l’observateur qui se sent impliqué et qui construit très progressivement son objet à partir des entretiens préalables et de sources d’informations larges (dans notre cas, notre journal de bord).

L’entretien compréhensif définit une modalité très spécifique de la rupture entre sens commun et savoir savant. Celle-ci va être « progressive, en opposition non pas absolue mais relative avec le sens commun, dans un aller-retour permanent entre compréhension, écoute attentive et prise de distance, analyse critique » (Kaufmann, 1996, p. 22). Notre posture durant l’activité de l’entretien sera celle du chercheur « stratège » utilisant une boîte à outils remplie d’instruments souples et évolutifs ainsi que de créations méthodologiques de circonstances issues des interactions mêmes(Kaufmann, 1996, p. 39). Selon Norbert Elias (1991) cité par Kaufmann (1996), l’individu peut-être considéré comme un concentré du monde social, c'est-à-dire quelqu’un qui a en lui, structurée de façon particulière, toute la société de son époque.

Confronté à ce social hétéroclite incorporé, l’individu ne devient lui-même qu’en fabriquant son identité, c’est-à-dire en tissant le fil qui donne un sens à sa vie : « le principe de la vérité unique essentiel à la bonne marche de la vie ordinaire » (Bourdon, cité par Kaufmann, 1996, p. 58). Jour après jour, on observe que cet individu travaille à ce fil, se construisant en tant que personne par la réalisation de son unité, travail d’autant plus difficile que cette unité est

incertaine et qu’elle change sans cesse. A cet endroit précis intervient l’enquêteur, autrement dit, il s’insère dans cette construction permanente et changeante. Il doit se convaincre, selon Kaufmann (1996), de la nature privilégiée de sa situation : «... il occupe une position d’observation privilégiée, en prise directe sur la construction sociale de la réalité à travers la personne qui parle en face de lui » (p. 59). Selon Kaufmann toujours, lorsque l’enquêteur parvient à entrer dans le monde de l’informateur et à trouver certaines des catégories centrales de ses mécanismes identitaires, le locuteur est en quelque sorte engagé dans le développement de son propos : « Plus elles sont loin, plus il s’engage parallèlement pour mettre de l’ordre dans ce qu’il dit de lui car c’est sa vie, son moi qui sont en jeu. Et plus il s’engage dans ce travail de mise en ordre, plus il parle de lui, livrant à son tour d’autres informations qui exigent à leur tour d’autres mises en ordre » (p. 61). Celui qui parle donc ne se limite pas à livrer des informations. Selon Kaufmann encore, on peut constater que l’interviewé, en s’engageant, entre dans un travail sur lui-même : « Pour construire son unité identitaire, en direct, face à l’enquêteur », et ceci, à un niveau de difficulté et de précision qui dépasse de loin ce qu’il fait ordinairement (p61).

Conscientes de la nature privilégiée de cet état de fait, nous nous emploierons, avec respect, à habiter cette posture de l’interviewer attentif, ingénieux et reconnaissant, afin d’accueillir dans un esprit d’ouverture les propos des interviewés. Puis, après la phase d’entretiens avec les interviewés, nous tenterons d’interpréter le texte selon Blanchet et Gotmann (1992, p. 92).

Nous garderons intact le texte de l’interview –sa retranscription intégrale–, puis nous effectuerons une analyse de contenu pour nous permettre de construire des interprétations concernant les propos co-construits. Comme l’indiquent ces auteurs, l’analyse de contenu a

« pour fonction de produire un effet d’intelligibilité et comporte une part d’interprétation » (p. 92). Pour analyser les contenus de nos entretiens, nous allons effectuer une condensation du texte en procédant à sa codification selon la structure et l’allure des réponses à nos questionnements. Sans aller jusqu’à utiliser complètement le modèle proposé par Bardin (1998), trop en rupture avec Kaufmann (1996), nous empruntons la première partie de sa

« compartimentation » de texte pour le codage, au sens d’ « un processus par lequel des données brutes sont transformées systématiquement et agrégées dans des unités qui permettent une description des caractéristiques pertinentes du contenu » (Bardin, 1998, p. 134). Nous analyserons donc les textes des entretiens en fonction de catégories pertinentes créées en regard de nos hypothèses souples, issues des entretiens exploratoires, des situations

du journal de bord, des aspects socio-historiques relatifs à la profession ASSC, et de notre cadre conceptuel.

Rappelons, pour terminer, que la posture compréhensive ne se réduit pas aux méthodes qualitatives (Charmillot & Dayer, 2007). Une recherche compréhensive peut combiner les techniques quantitatives et qualitatives. Dans notre recherche, nous nous limiterons cependant à un traitement qualitatif des données. En résumé, notre objectif, à travers la technique des entretiens de recherche, est de comprendre comment les acteurs en situation de travail traversent les situations d’incertitude liées à l’exercice d’une profession nouvelle, celle des ASSC. Nous souhaitons que les entretiens permettent de mettre en évidence la manière dont ces nouveaux professionnels construisent ou non une position d’acteur sur leurs lieux d’activités, dans leur état de personnes certifiées. Nous souhaitons, enfin, comprendre comment leurs actions rencontrent celles des autres protagonistes de terrain, au moment du stage d’abord et après l’acquisition de leur certification ensuite, et si les ajustements des diverses actions bénéficient d’une plus value dans le registre du travail quotidien sur les lieux de soins.

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