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« l’ingénierie didactique

coopérative »

Dialogue 1 Recherches en didactique et égalité

des sexes

LAVATAR

Qu’entendez-vous par approche didactique ?

LINDAGATRIX

D’après Wegner, la didactique pensée en tant que « Allgemeine Didaktik » (au contraire de la

« Fachdidaktik » c’est-à-dire la didactique des disciplines) constitue une discipline centrale

pour une réflexion scientifique sur l’enseignement-apprentissage. (Wegner, 2016, p. 14).

« La didactique est la science dont les pratiques d’éducation font l’objet. Une pratique d’éducation est

fondée sur la transmission d’un savoir. Dans cette acceptation, l’éducation englobe l’enseignement,

l’apprentissage, et l’instruction, au sens courant de ces termes. Eduquer, c’est instruire d’un savoir. »

(CDpE, 2019, p. 595)

L’approche didactique consiste à analyser l’activité d’enseignement-apprentissage d’un savoir.

En théorie de l’action conjointe en didactique (Sensevy, 2011 ; Gruson, Forest, & Loquet,

2012 ; CDpE, 2019) ou TACD, cadre théorique et méthodologique de cette étude, « le savoir

est vu comme ce qui rend capable d’agir en situation. Le savoir confère donc une puissance

d’agir. (…) Réciproquement, toute puissance d’agir est un savoir. » (CDpE, 2019, p. 603). Par

exemple, lorsqu’un·e adulte apprend à un·e enfant à faire du vélo, il s’agit d’une situation

d’enseignement-apprentissage, autrement dit d’une situation didactique. De plus, le savoir

donne forme à l’action professeur·e-élève. En effet, en TACD, la compréhension de l’acte

d’enseignement-apprentissage se réalise au regard de l’action coordonnée entre professeur·e et

élève(s) et à laquelle le savoir en jeu donne forme. Cette action coordonnée ayant lieu entre au

moins deux personnes est appelée « action conjointe ». Par ailleurs, afin de décrire les

interactions à travers le savoir en jeu, la TACD mobilise le modèle du jeu (Gruson, Forest, &

Loquet, 2012), nous y revenons plus bas.

Dans notre cas, l’approche didactique consiste à analyser l’activité

d’enseignement-apprentissage de l’écriture d’une histoire inventée au CP à partir de l’articulation étroite de

deux points de vue. A la fois celui du savoir épistémique de l’écrire et celui du savoir éthique

de l’égalité des sexes. Autrement dit à comprendre comment l’enseignement-apprentissage du

savoir co-écrire permet de construire un rapport fille-garçon favorisant l’identification de leur

équipotence à co-écrire.

LAVATAR

La didactique s’intéresse-t-elle aux questions d’égalité des sexes ?

LINDAGATRIX

L’extrait ci-dessous rend compte d’une étude menée par Schneuwly qui souligne d’une

manière générale et dans le champ qui nous intéresse, la didactique du français

29

, « la relation

encore distancée entre la didactique et la question de genre » (Schneuwly, 2015)

« Pour connaître ce que dit la didactique à propos de la question du genre, j’ai donc recensé les

travaux spécialisés, dédiés à cette thématique dans dix revues représentatives de différentes

didactiques. (…) Le constat est radical : 0.85% seulement des articles sont dédiés à cette

problématique ; sur 2 952 titres, 25 l’abordent d’une manière ou d’une autre, ce qui ne représente

presque rien. (…) Dans les deux revues francophones généralistes de didactique qui couvrent

l’ensemble du champ disciplinaire « didactique » à savoir Education et didactique et Recherches en

didactique, aucun article n’a paru consacré à cette thématique. Aucun titre non plus ne fait référence à

la question du genre dans les deux principales revues de didactiques du français, à savoir Repères et

Pratiques. » (Schneuwly, 2015)

Ces éléments de 2015 « démontrent à l’évidence que la didactique ne s’est pas emparée de la

question genre » (Schneuwly, 2015). Depuis il semble que peu de didacticien·ne·s se soient

saisi·e·s de cet objet d’étude. Comme vu précédemment, cette thèse s’inscrit en didactique dans

le champ des recherches menées à l’aune du paradigme de « l’action didactique conjointe

professeur·e-élève(s) » (Sensevy & Mercier, 2007). Dans ce champ de recherches, il apparait

que seuls les travaux réalisés par Amade-Escot et Verscheure traitaient jusqu’ici de la question

de l’égalité des sexes. A la suite des recherches sur le « contrat didactique différentiel »

(Leutenegger & Schubauer-Leoni, 2002) ces études en didactique de l’EPS donnent à voir les

phénomènes de « contrat didactique différentiel » et ses effets sur les actions des élèves au

regard de leur « positionnement de genre épistémique » (Amade-Escot, Elandoulsi, &

Verscheure, 2015), (Amade-Escot, 2019)

« La problématisation de la question du genre dans les recherches didactiques est récente. Elle

consiste à identifier les subtiles différenciations à l’œuvre dans l’enseignement et l’apprentissage des

savoirs scolaires qui sont à l’origine des mécanismes de production et de reproduction d’un ordre

genré dans les classes. Nos recherches ont ainsi mis au jour les mécanismes très fins sous-tendant la

reproduction des inégalités sexuées en mettant en évidence la co-construction des savoirs et du genre

au fil des interactions didactiques (Verscheure, Elandoulsi & Amade-Escot, 2014, Verscheure &

Vinson, 2018). » (Verscheure, Debars, Amade-Escot, & Vinson, 2019, p. 42)

Ces études s’intéressent à « la construction sociale des rapports sociaux de sexe ainsi qu’à

l’actualisation des multiples formes de « fémininitéS » et « masculinitéS » dans la classe »

(Verscheure et al., 2019, p. 41).

Nonobstant l’importance de ces travaux, la problématique de l’égalité des sexes en

didactique s’avère à ce jour un champ en développement en France. Ceci notamment dans la

mesure où dans la plupart des études en didactique, il est question de « l’Elève » et « du

Professeur » envisagés en tant que « instance élève » et « instance professeur », et par

conséquent appréhendés comme asexués. Les rares travaux existants tendent à attraper cet objet

de recherche en tenant en tension savoirs en jeu et identités « féminin »/« masculin ». En cela,

penser l’égalité des sexes à partir de la symétrie des responsabilités filles-garçons dans et par

les savoirs, comme le propose cette thèse, pourrait apparaitre comme une piste relativement

originale.

Dialogue 2 L’égalité comme fait d’équipotence

LAVATAR

Comment définissez-vous l’égalité ?

LINDAGATRIX

« Il peut sembler surprenant que jamais les innombrables textes politiques ou juridiques qui se

réclament de l’idée d’égalité ne disent jamais en quoi elle consiste. (…) Jamais elle n’est définie, sinon

comme refus de l’inégalité qui, elle, est immédiatement visible. Quel sens alors donner au concept ? »

Cet extrait du Dictionnaire culturel en langue française révèle il me semble trois éléments

notables. Premièrement la complexité de circonscrire les contours d’un tel concept.

Deuxièmement le fait que l’égalité s’avère souvent définie à l’aune de l’inégalité.

Troisièmement le caractère invisible de l’égalité. Quoique la tâche s’avère peu aisée, je vais

tenter de définir l’égalité autrement qu’en référant à l’inégalité.

L’égalité est un principe démocratique. Pour Fraisse, « La pensée démocratique offre avec

l’opérateur « égalité », une possibilité de penser le partage sexué en toute rigueur. L’égalité

dérègle le partage ancien et dissymétrique, et s’allie à la liberté. » (Fraisse, 2010, p. 10). Je

retiens l’idée de symétrie comme outil pour penser l’égalité des sexes. De plus l’égalité est un

droit. Droit qui cependant n’implique pas mécaniquement l’égalité de fait. Or il me semble que

l’enjeu revient précisément à penser l’égalité de fait c’est-à-dire la concrétisation de l’égalité

dans et par la pratique, ici celle de la co-écriture d’une histoire inventée. Si j’osais m’aventurer

vers une définition de l’égalité des sexes, forcément lacunaire compte-tenu de la complexité du

terme à définir et du caractère exploratoire de ma recherche, je proposerais ce qui suit. L’égalité

des sexes se concrétise dans un fait d’équipotence fille/garçon dans la réalisation d’une œuvre

commune. De plus, comme nous l’avons vu dans le Dialogue 4 du Chapitre 1, l’égalité constitue

un présupposé à vérifier par la conception et la mise en œuvre de dispositifs didactiques

adéquats.

LAVATAR

Qu’entendez-vous par équipotence ?

LINDAGATRIX

Le mot équipotence est composé de équi- du latin aequus « égal », et de potence du

latin potens « puissance ». Dans notre cas, cela amène à définir l’équipotence en tant

que correspondance des puissances d’agir fille-garçon. Il y a fait d’équipotence fille-garçon

lorsqu’apparait un fait desymétrie épistémique fille-garçon. C’est-à-dire lorsque l’observation

d’une situation donne à voir que les responsabilités assumées par la fille dans le savoir/la

pratique en jeu correspondent à celles assumées par le garçon, et réciproquement. Par exemple

dans l’épisode T’écris « sont à vélo », les responsabilités assumées par la fille ne correspondent

pas tout à fait à celles assumées par le garçon, lors il s’avère compliqué de vérifier l’équipotence

fille-garçon. L’équipotence s’éprouve dans la relation fille-garçon induite par la

co-construction d’une œuvre, autrement dit dans une action conjointe. Ici la relation fille-garçon

est induite par la situation de co-écriture. Néanmoins, si elle est un préalable, l’action conjointe

fille-garçon ne garantit pas toujours une concrétisation de l’équipotence fille/garçon. D’où

l’intérêt de mener une ingénierie didactique pour identifier les variables qui, dans une situation

didactique, contribueraient à rendre visible l’équipotence fille/garçon. Ceci pour être en mesure

de concevoir des situations didactiques de telle manière qu’elles concrétisent l’équipotence

fille/garçon, dans une perspective de favoriser l’égalité des sexes à l’école.

Ainsi l’égalité s’actualise dans une dimension symétrique au cœur de la relation

fille-garçon. Cependant, l’égalité revêt aussi une dimension politique à travers la construction du

commun par une coopération en mixité. Le mot coopération est à entendre ici au sens de

Laurent. « Les femmes et les hommes coopèrent avant tout pour améliorer leur connaissance

d’eux-mêmes, des autres et du monde. » (Laurent, 2018, p. 15). La coopération fille-garçon

s’inscrit en lien étroit avec un enjeu de savoir.

« On coopère pour connaître. L’œuvre collective que vise la coopération est la connaissance

commune, le plus précieux des biens humains. Parce que coopérer c’est apprendre à connaître

ensemble, la coopération transforme les humains en pédagogues les uns pour les autres. (…) Il existe

un lien fondamental entre coopération et démocratie. » (Laurent, 2018, pp. 17-18)

Dialogue 3 Reconnaissance épistémique

fille-garçon

LAVATAR

Le fait que les filles et les garçons fassent la même chose en classe suffit pour l’égalité

des sexes, pourquoi y ajouter la construction d’une œuvre commune ?

LINDAGATRIX

Effectivement, « L’utopie de la didactique a été proposée il y a très longtemps déjà

par Comenius selon lequel « il faut apprendre tout à tout le monde par tous les moyens, les

filles et les garçons ». » (Schneuwly, 2015). Cependant, prenons l’exemple des situations

ordinaires de lire-écrire en première année d’élémentaire. Il est généralement demandé aux

filles et aux garçons de réaliser le même travail. Les situations d’écriture y prennent

généralement place dans le cadre d’un temps solitaire d’écriture, rarement dans celui d’un

temps social de travail en groupe et encore moins en groupe mixte. C’est le cas de la situation

ci-dessous représentée par deux arrêts sur image extraits d’un film d’observation de pratiques

ordinaires d’écriture dans une même classe en décembre 2016.

Photogramme 4 Pratiques ordinaires au CP. Ecriture en temps solitaire. Plan large

L’attention de l’élève est généralement portée à son action propre, ou bien elle est appelée à

être portée à l’attention du·de la professeur·e. Par conséquent, comme on peut le voir sur le

photogramme ci-après, dans les pratiques ordinaires les rapports fille-garçon s’actualisent

rarement dans une attention portée à l’attention de l’autre dans le savoir écrire.

Photogramme 5 Pratiques ordinaires au CP. Ecriture. Plan serré sur un garçon et une fille

L’attention réciproque fille-garçon s’inscrit peu dans l’éprouvé des élèves. L’identification par

chacun·e de la symétrie des capacités d’attention et de recherche s’en voit moins prégnante.

A l’inverse, la production d’une œuvre commune fille-garçon parait davantage propice à ce que

la fille porte son attention à l’attention du garçon dans le savoir, et réciproquement, à ce que le

garçon porte son attention à l’attention de la fille dans le savoir. La Théorie de l’action conjointe

en didactique désigne l’attention du·de la professeur·e portée à l’attention de l’élève dans le

savoir en tant que « reconnaissance didactique ».

En TACD, la notion de reconnaissance didactique renvoie à l’attention portée par le professeur à

l’élève, à l’attention de l’élève, et à l’arrière-plan sur lequel cette attention de l’élève prend son sens. »

(CDpE, 2019, p. 602)

Je m’en inspire et propose de nommer l’attention réciproque fille-garçon dans le savoir :

« reconnaissance épistémique fille-garçon». Ainsi, la construction d’une œuvre commune

fille-garçon en symétrie me semble propice une reconnaissance épistémique fille-garçon dans

la mesure où chacun et chacune peut identifier concrètement la symétrie des actions des

co-auteur·rice·s au regard du savoir en jeu. C’est le cas dans l’exemple suivant extrait du film

30

Co-écriture fille-garçon en symétrie (Gerin, Chevallier, & Piquemal, 2019). Cet épisode

intitulé « Il m’a dit, j’l’ai écrit. J’lui ai dit, il a écrit » donne à voir un binôme de co-auteur·rice·s

fille-garçon (F pour fille et G pour garçon) dans le cadre d’un entretien post-séance. Ici la fille

prend appui sur leur « bande-brouillon »

31

pour rendre compte d’une dictée à l’autre mise en

œuvre pour la co-écriture de l’histoire commune.

Photogramme 6 Ingénierie didactique coopérative. Episode "Il m'a dit, j'ai écrit. J'lui ai dit, il a écrit"

« I’ m’a dit des choses et moi j’l’ai écrit, et moi j’lui ai dit des choses et il a écrit » : la

construction symétrique de la phrase de l’élève rend compte de la symétrie et de la réciprocité

30 Co-écriture en symétrie fille-garçon (Gerin, Chevallier, & Piquemal, 2019) est un court métrage co-réalisé à l’issue de notre recherche avec Armelle Chevallier et Didier Piquemal deux professeur·e·s de CP membres de l’ingénierie didactique coopérative éponyme. Le film a été présenté le 26 juin 2019 dans le cadre d’une communication à l’occasion du Premier congrès international de la théorie de l’action conjointe en didactique à l’ESPE de Rennes. Il donne à voir en quinze minutes l’ingénierie, son enjeu et ses résultats les plus prégnants.

31 « La bande-brouillon » est un type de brouillon particulier inventé par les membres de l’ingénierie pour répondre à un problème central de la recherche : favoriser et rendre visible la symétrie fille-garçon en co-écriture. Il a été nommé ainsi car il se compose d’une longue bande de papier couleur et de petits morceaux de papier sur lesquels les élèves écrivent leur histoire au brouillon. Les étapes de co-écriture de la « Bande-brouillon » sont explicitées dans le chapitre IV.2 de la partie II de la thèse.

des actions fille/garçon dans l’action conjointe de co-écriture. La fille prend appui sur leur

brouillon commun, appelé la « bande-brouillon », pour dire la symétrie des actions à partir de

signes visibles. Ce faisant elle confirme que les responsabilités assumées par elle correspondent

à celles prises en main par le garçon, et réciproquement. Dire ainsi la symétrie et la réciprocité

fille/garçon dans l’action conjointe participe d’une part de faire émerger l’égalité de fait, d’autre

part, de la renforcer compte tenu du « caractère performatif des mots » (Austin, 1991). Ces

« signes de reconnaissance » (Ricoeur, 2004b, p. 33) contribuent à ce que la fille et le garçon

du binôme tiennent chacun·e pour vraie l’équipotence fille/garçon à co-écrire.

LAVATAR

Concrètement à quoi réfère « signes de reconnaissance » ?

LINDAGATRIX

Prenons un exemple concret, celui de l’épisode

32

ci-dessous intitulé « D’abord moi et

après lui ». Il s’agit du même contexte que pour le binôme précédent, c’est-à-dire un entretien

post-séance. Ici la fille répond à la question de savoir quel ordre d’apparition a été décidé pour

chaque monstre de l’histoire inventée en commun.

Photogramme 7 Ingénierie didactique coopérative. Episode "D'abord moi et après lui"

L’image numéro un donne à voir ce qui suit. La fille pose sa main droite à plat sur la

première partie du récit à gauche de la bande-brouillon. Le placement de la main correspond

au chapitre concernant le monstre inventé par la fille. Par « moi » il faut entendre mon monstre.

Puis l’image numéro deux montre la fille faisant de même sur la partie droite de la

bande-brouillon, chapitre concernant le monstre inventé par le garçon. Le garçon confirme. La fille,

32 Cet épisode est également extrait du film documentaire Co-écriture en symétrie fille-garçon (Gerin, Chevallier, & Piquemal, 2019).

puis le garçon, identifient ainsi la part de chacun·e dans la co-écriture de leur histoire commune.

Les mots et les gestes des élèves « parlent » à partir de la bande-brouillon.

« On peut dès maintenant assigner à ce „signe de reconnaissance“ beaucoup plus qu’un rôle dérivé

secondaire, mais celui de médiation implicite, d’idée pont, jetée entre la première idée souche, saisir

par la pensée, etc., et la seconde, accepter, tenir pour vrai. » (Ricoeur, 2004b, pp. 33-34)

D’une part, la bande-brouillon co-produite par les deux élèves en symétrie constitue une trace

matérialisée de l’équipotence fille-garçon dans la co-écriture. En cela elle représente déjà à elle

seule « un signe de reconnaissance » de cette égale capacité à (co-)écrire. D’autre part, la

bande-brouillon constitue un lieu à partir duquel la symétrie peut être dite et montrée, où des

signes de reconnaissance oraux et gestuels peuvent émerger comme dans D’abord moi, et après

lui. Ce faisant la bande-brouillon constitue un média à partir duquel la symétrie des actions

d’écriture de la fille et du garçon peut être « tenue pour vraie », « acceptée ».

La bande-brouillon opérant comme « signe de reconnaissance » de l’équipotence fille-garçon

à co-écrire, s’avère elle-même constituée de marques de reconnaissance variées mises en

exergue dans le photogramme ci-après. F désigne l’action d’écriture de la fille, G celle du

garçon. FG indique que la fille dicte au garçon un contenu inventé par elle, et réciproquement

pour GF.

Photogramme 8 Ingénierie didactique coopérative. Bande-brouillon du binôme de l’épisode "D'abord moi et après lui"

De quelles marques s’agit-il ? Premièrement, le placement des paperoles, petits morceaux de

papier inspirés des paperoles de Proust sur lesquels les élèves écrivent. Leur écriture a été

attribuée en symétrie à la fille et au garçon. Les paperoles sont placées sur la bande de papier

couleur selon cette symétrie. Deuxièmement, le monstre inventé par chacun·e constitue une

seconde marque. Le monstre inventé est dessiné. Puis il est recouvert d’une paperole (sur le

photogramme ci-dessus la paperole a été relevée afin que l’on puisse voir le dessin du

personnage), morceau de papier sur lequel l’élève écrit la description du monstre.

Troisièmement il s’avère relativement aisé d’identifier le.la scripteur·rice à l’origine de chaque

paperole à partir des signes liés à la graphie en fonction de l’épaisseur des traces d’écriture des

élèves. En effet, la fille dispose d’un feutre large et le garçon d’un stylo à pointe fine. Lorsqu’il

arrive que les élèves à un moment donné inversent les stylos (soit par inadvertance comme ici,

soit pour écrire à la place de l’autre), les styles différents de graphie des élèves permettent

encore d’identifier qui a écrit quoi. Ces trois types de « marques », placement des paperoles en

symétrie fille-garçon, dessin d’un monstre par chacun·e, traces de la graphie de chacun·e,

rendent visible l’équipotence fille-garçon à co-écrire. Ainsi la bande-brouillon constitue « un

signe de reconnaissance » (Ricoeur, 2004b, pp. 33-34) composée de « signes de

reconnaissance » variés donnant à voir l’équipotence fille-garçon dans la co-écriture. L’égalité

de fait émerge lorsqu’elle est rendue visible par des « signes de reconnaissance » qui permettent

de la « tenir pour vrai[e], [de l’]accepter » (Ricoeur, 2004b, p. 30).

Faire émerger l’égalité de fait consiste à mettre en œuvre des dispositifs qui vérifient

l’équipotence fille-garçon, du latin verus (« vrai ») et facio (« faire »). « Faire vraie »

l’équipotence fille-garçon suppose d’inscrire l’action conjointe fille-garçon dans une

« sémiose » (CDpE, 2019). Autrement dit dans notre cas, à faire produire des signes aux élèves

attestant de la capacité de chacun·e à co-écrire, de telle manière que les élèves en aient une

perception visuelle immédiate, afin que chacun·e puisse tenir pour vraie cette équipotence

fille-garçon. Ricoeur illustre ce lien entre signes et reconnaissance-acceptation notamment à partir

d’épisodes de l’Odyssée d’Homère.