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Les environnements numériques dans l’espace-temps de sémiotisation d’une recherche

2.3. Genèses instrumentales d’enseignants du secondaire élaborant un parcours de formation

2.5.2. Les environnements numériques dans l’espace-temps de sémiotisation d’une recherche

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2.5.2. Les environnements numériques dans l’espace-temps de sémiotisation d’une

recherche visant le développement

Lors de cette recherche, l’analyse n’a pas porté sur le développement en tant que dépassement de contradictions dans un processus de restructuration du rapport entre les aspects du développement et les modifications de la personnalité, néanmoins, rétrospectivement, elle apparait comme une situation sociale de développement. En effet, les données recueillies lors des entretiens de recherche permettent d’approcher l’expérience vécue des acteurs du projet, le rapport entre des facteurs du milieu et des facteurs personnels, et, ce qui ressort des discours recueillis lors des entretiens de recherche classiques, c’est que le dispositif groupal (Grossmann, 2009), initialement mis en place pour soutenir la reprise de l’activité en vue de la formaliser pour une raison pratique (la nécessité de produire des ressources partageables) a joué un rôle décisif dans les apprentissages et le développement des acteurs du projet. Ceci conforte l’importance de l’espace-temps de reprise de l’expérience dans les processus de développement. Et la nécessité de les introduire quand la recherche se veut une situation sociale pour le développement.

Ce qui caractérise le milieu de recherche dans INO est la place qu’y ont occupé les technologies numériques, en particulier le blog collaboratif et le journal de bord en ligne. Environnement de partage et journaux de bord ont, comme le dispositif groupal, soutenu fructueusement des activités sémiotiques. Le journal de bord était public du fait que la formalisation de l’expérience contribuait à la préparation des ressources, en mettant les praticiens dans une forme d’instruction au sosie, méthode indirecte mise au point dans le monde industriel par Oddone et ses collaborateurs (Oddone, et al., 1981) et formalisée par Clot pour la formation des enseignants (Clot, 1999). Cette situation se justifiait dans INO du fait du degré de précision attendu dans la description des pratiques à partager dans le parcours de formation en ligne. Il est toutefois possible de le concevoir autrement, comme un espace-temps privé à l’instar de celui du portfolio (voir figure 2.2), un espace pour le rapport quasi-social à soi-même (Bronckart, 1999), partant, un espace-temps pour le développement.

Par la place qu’ils occupent dans ma démarche de recherche, ces travaux ont été menés avant que je ne travaille sur l’enseignement supérieur. Ce qui peut être discuté, c’est ce qu’ils peuvent apporter à la recherche sur l’enseignement supérieur. Les résultats de cette recherche peuvent nourrir la compréhension et l’instrumentation de l’accompagnement des parcours des jeunes, parcours d'élève à étudiant, passage de l'enseignement secondaire à l’enseignement supérieur. En cela, ils répondent à une préoccupation politique actuelle de mise en relation des parcours. Ils répondent aussi à une préoccupation sociale car si certains étudiants sont bien instrumentés, comme dans le cas étudié (voir supra, 2.2.4 dans la section 2.2), ce n’est pas le cas de tous les étudiants. En revanche, il me semble difficile de transposer, directement et à l’ensemble des cursus universitaires, l’accompagnement du projet d’orientation du jeune, tel qu’il a été expérimenté avec des enseignants du secondaire, au niveau de l’enseignement supérieur. Sans doute, ces travaux peuvent-ils nourrir la réflexion sur l’accompagnement du projet du jeune dans les filières qui ont une visée de professionnalisation, et, pour la recherche, une réflexion conceptuelle sur la mise en relation des parcours. Mes travaux portant sur l’enseignement supérieur qui seront présentés dans la Partie 3

prennent le problème d’une autre manière, par la construction de projets et de programme de formation, et non par l’accompagnement direct des étudiants.

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La troisième et dernière partie sera axée sur la construction d’instruments psychologiques. Ainsi seront couverts les deux versants de l’apprentissage du métier (Saussez, 2012). Les travaux présentés sont menés auprès d’une population d’enseignants du supérieur.

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Troisième partie : Recherche et potentiel développement

des enseignants du supérieur. Se ressaisir de son

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Cette troisième parties’intéresse plus particulièrement aux instruments psychologiques, à partir de deux recherches menées auprès d’enseignants du supérieur. La première recherche a des enjeux essentiellement méthodologiques : il s’agit d’élaborer un procédé systématique pour l’exploration de l’activité d’enseignement autour d’un questionnement sur les connaissances techno-pédagogiques de contenus. Permettant aux enseignants de se ressaisir de leur activité pédagogique, la méthode élaborée dans cette recherche enrichit l’approche en introduisant la systématisation de l’expérience. La seconde recherche a des enjeux méthodologiques et conceptuels. Cherchant à instrumenter le développement des capacités des enseignants du supérieur à agir sur leur milieu dans le cadre de nouvelles attentes de l’institution (les transformations curriculaires dans l’enseignement supérieur) qui n’affectent pas uniquement les enseignants pris individuellement, mais également leurs milieux d’action, elle introduit des instruments originaux pour soutenir la décomposition des expériences vécues individuelles en éléments, et leur réorganisation dans la construction d’une expérience collective. Du point de vue conceptuel, elle enrichit l’approche de la recherche comme situation sociale pour le développement, en intégrant simultanément développement du sujet (à propos du développement et du développement professionnel, voir 1.1.2.2 dans la section 1.1) et développement du milieu.

Cette troisième partie interroge comment créer des situations potentielles de développement (Mayen, 1999 ; Mayen & Olry, 2012) dans un milieu de recherche associé à un milieu de terrain. La

Partie 2 interrogeait la recherche comme moment d’apprentissage, de genèse instrumentale des enseignants, dans la perspective que ces enseignants soutiennent le développement des élèves. La perspective de développement dans cette troisième partie est celle des enseignants eux-mêmes, des enseignants du supérieur engagés dans des recherches portant sur leur domaine d’activité d’enseignement (pour les domaines d’activité, voir 2.1.1.2 dans la section 2.1) :

• La première recherche vise à concevoir un instrument méthodologique pour la recherche prenant appui sur un artefact élaboré pour médier une activité de formalisation des connaissances techno-pédagogiques de contenus (Loisy, Van de Poël, & Verpoorten, 2017) participant ainsi de la construction d’un instrument psychologique (Vygotski, 1930/1985) pour le répondant ;

• La seconde recherche vise à concevoir un dispositif d’accompagnement des demandes de changements curriculaires (Loisy, 2018a) qui permette, aux enseignants du supérieur, de contribuer au développement de leur milieu tout en se développant (Clot, 2018).

Ces deux recherches concernent des aspects complémentaires, mais différents, du développement professionnel des enseignants du supérieur, elles ne prennent pas les mêmes objets, et les interactions de recherche n’ont pas lieu au même moment dans le processus de transmission-apprentissage / développement. La conception de l’artefact permettant de médier une activité de formalisation des connaissances techno-pédagogiques de contenus s’inscrit dans un questionnement sur la conscientisation des dimensions de l’activité propre de l’enseignant ; elle prend pour objet un aspect de son activité ; elle prend la forme d’un entretien de recherche qui a lieu en fin de projet car elle participe également du recueil de données visant à étudier ce qu’a apporté la recherche. La conception d’un dispositif d’accompagnement des demandes de changements curriculaires s’inscrit dans un questionnement sur la conscientisation et l’action sur le milieu ; elle prend pour objet l’élaboration d’un projet de formation ; les interactions de recherche se déroulent et se transforment tout au long de la recherche.

Comme cela a été développé dans la session 1.1.1 de la Partie 1, le développement est un processus incessant d’automouvement « dont la source est externe » (Brossard, 2008, p. 82) et dont le moteur est la contradiction (Schneuwly, 1999). L’activité est régulée par l’efficience et le sens (Brossard, 2014). Le développement est possible si, par leurs initiatives, les personnes peuvent « affecter » le développement de leur milieu d’activité (Clot, 2018). Le développement fait l’objet de différenciations et de réorganisations par la médiation des outils et des signes (Sève, 2014). Nous nous intéressons particulièrement ici au signe, par la médiation duquel est contrôlé le comportement, qu’il s’agisse de son comportement propre, ou de celui des autres (Vygotski, 1931/2014), aux activités sémiotiques :

• L’élaboration de l’artefact visant à médier une activité de formalisation de connaissances techno-pédagogiques de contenus participe de l’élaboration d’un procédé systématique pour explorer ses propres activités : un outil de questionnement instrumenté est développé par le chercheur pour outiller sa recherche, mais l’idée est que le processus ne s’arrête pas là, et que l’enseignant intériorise ce procédé (Schneuwly, 2008) ;

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• La conception du dispositif d’accompagnement des demandes de changements curriculaires interroge la conscientisation et l’intellectualisation du rapport au monde du travail. En effet, l’introduction des réformes curriculaires dans l’enseignement supérieur suscite des interrogations philosophiques et sociologiques (Lenoir, 2002). De plus, elle sous-entend des changements importants : d’une part, elle vise à modifier à la fois les actes instrumentaux des enseignants par la mise en œuvre de l’approche par compétences (Coulet, 2011), et leur implication dans l’organisation des enseignements par la mise en œuvre de l’approche-programme (Prégent, Bernard, & Kozanitis, 2009). Ces réformes se mettent en place dans un contexte où un travail collectif est attendu des enseignants du supérieur alors qu’ils ont peu l’habitude de collaborer sur les questions pédagogiques (Berthiaume & Rege Colet, 2013), la famille d’« activité administrative et sociale liée à l’enseignement » (pour les familles d’activité, voir 2.1.1.2 de la section 2.1) s’en trouve élargie.

Poser que les milieux de recherche puissent offrir des situations potentielles de développement (Mayen, 1999) est un choix éthique (volonté que mes activités de recherche contribuent au développement des enseignants impliqués) et épistémologique. Cependant, vouloir agir sur les apprentissages et le développement des personnes dans le cadre d’une recherche n’est pas dénué d’ambigüité. Il ne s’agit pas à proprement parler d’une intervention-recherche destinée à « tenter de trouver des solutions à des “dysfonctionnements” » (Amigues, 2003, p. 12), mais des formes idéales de développement sont présentes dans les situations élaborées par et pour la recherche, ce qui constitue une forme d’intervention. De plus, j’ai construit les terrains de recherche dans le contexte de conventions avec le Ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche qui finançait des projets, ce qui renforce l’ambigüité de la situation qui met « dans une posture épistémologique délicate à plus d’un titre » (ibid., p. 12). Il s’agit bien en quelque sorte d’impulser des changements, mais avec l’idée de le faire avec les enseignants du supérieur. Pour réduire cette tension, la posture adoptée est une posture d’accompagnement (Paul, 2009), terme souvent employé dans l’enseignement supérieur lorsqu’il s’agit de développer l’autonomie de l’étudiant (Annoot, 2014), et la formation des enseignants (Heutte, Lameul, & Bertrand, 2014).

Les deux recherches présentées dans cette troisième partie ont été réalisées dans le cadre du projet DevSup – Développement professionnel des enseignants du supérieur, auprès de deux populations différentes, impliquées sur deux aspects distincts du projet :

La recherche sur l’élaboration d’un procédé systématique permettant à l’enseignant d’explorer ses propres activités a été réalisée à la fin de la première phase du projet DevSup, auprès d’enseignants ayant été, pendant l’année universitaire précédente, engagés dans l’élaboration conjointe d’un programme de formation, et la conception conjointe d’une application support des cours, l’application ALOES45 ; cette recherche sera nommée DevSup-1 car elle participe de la première phase du projet DevSup réalisée auprès d’une même population, les enseignants du master Architecture de l’information de l’ENS de Lyon et dont l’objectif est de concevoir l’application ALOES ;

La recherche sur la conception d’un dispositif d’accompagnement des demandes de changements curriculaires a été réalisée lors de la deuxième phase du projet DevSup, auprès d’enseignants engagés dans une unité d’enseignement d’un master MEEF (Métiers de l’enseignement, l’éducation et de la formation) ; cette recherche sera nommée

45 L’application ALOES (Assistant en Ligne pour l’Opérationnalisation de l’Enseignement dans le Supérieur) est un outil en ligne pour formaliser plans de cours, référentiels de compétences, et situations d’apprentissage. Elle permet également d’intégrer ce qui a été formalisé dans une plateforme pédagogique (de type Moodle, par exemple) pour le mettre à disposition des étudiants et faciliter ainsi l’enseignement en ligne, et même le diffuser sur le Web pour le rendre public afin de diffuser les informations sur la formation. La visée principale d’ALOES est de soutenir la publication des contenus enseignés dont il s’agit de rendre explicites les caractéristiques. Pour cela, ALOES a été conçue pour permettre l’objectivation des éléments de la formation (objectifs d’apprentissage, concepts fondamentaux, ressources, méthodes et moyens pédagogiques, activités prévues, modes d’évaluations…) dans le but de les partager et la formalisation des choix pédagogiques dans le but de les rendre explicites (Loisy, Sanchez, Decossin, et al., 2013 ; Loisy & Sanchez, 2016).

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2, elle concerne un autre objet de recherche, la modélisation de l’accompagnement d’une équipe pédagogique46 engagée dans l’élaboration d’un projet de formation.

La section 3.1 développe les fondements théoriques mobilisés concernant la conscientisation et l’intellectualisation du rapport à soi et au monde, et contextualise l’utilisation de ces notions dans les recherches. La section 3.2 pose la question de l’ambiguïté des recherches ayant une double visée, de répondre à des demandes, et de soutenir le développement des enseignants. La section 3.3 développe l’utilisation du procédé systématique d’exploration de ses propres activités auprès d’une population d’enseignants engagés dans la recherche DevSup-1. La section 3.4 développe la modélisation du dispositif d’accompagnement d’une équipe pédagogique engagée dans l’élaboration d’un projet de formation (DevSup-2) réalisée en collaboration avec une équipe d’enseignants du supérieur qui sont formateurs d’enseignants, et des membres d’un service d’appui à la pédagogie. La conclusion (3.5) continue à développer la recherche comme situation sociale pour le développement, en intégrant de nouvelles formes de reprise de l’expérience, et en prenant simultanément en compte développement personnel et développement du milieu.