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Partie III- Le rythme au service de la structuration psychocorporelle

I. Soutien du développement psychomoteur

1. Enveloppe, contenance et conscience corporelle

Louis reste difficilement en place durant les temps de transition et parfois même au sein d'une proposition. Il se lève régulièrement, effectue des roulades, grimpe à l'espalier. Il peut aussi se « cogner » involontairement à nous. De plus, Louis présente également des décharges verbales (injures) et motrices. Il peut alors donner des coups sur le tapis et même se faire mal.

Louis semble tester ses limites corporelles par une motricité débridée et non adressée et par des mises en danger, probablement, en raison d’un manque de conscience de son corps propre. Cette instabilité est révélatrice d’une quête des frontières corporelles et psychiques. Par le rythme et notamment par le biais des percussions corporelles, nous tentons de favoriser cette prise de conscience. Il s'agit d'une autre façon de se mettre en mouvements pour ressentir son corps. L'instrument peut aussi jouer le rôle de média, de tiers facilitant, par son contact, l'intégration de l'enveloppe corporelle.

L’utilisation du rythme implique toujours le mouvement et donc un engagement corporel. Quelles que soient les positions adoptées (assis, debout, en statique ou en mouvement) ainsi que les parties du corps mobilisées (entre elles ou sur un support), les percussions corporelles stimulent le corps dans sa globalité. Elles vont à la fois éveiller les sensations proprioceptives qui renseignent sur la position et les mouvements du corps propre mais aussi les sensations extéroceptives ou cutanées. Elle ré-informe donc chaque partie du corps dans son ensemble et participe à enrichir le vécu et à en affiner les perceptions. C’est ce qu’évoque A. PIJULET (2015) par la « dynamique de Percussion/Répercussion ». La percussion vient résonner, imprimer, laisser une trace dans le corps du sujet. Elle peut entraîner des ajustements posturaux mais aussi venir résonner avec l’état émotionnel de l’individu. Elle modifie le rapport qu’il entretient avec son corps.

La vibration et le son sont à l’origine de la création d’une enveloppe contenante. Or, la sensibilité vibratoire, conduite par l’os, est avec la sensibilité tactile et vestibulaire, la plus archaïque. A. FROHLICH (1993) dans La stimulation basale insiste sur l’utilité des perceptions vibratoires dans la perception de l’unité corporelle. La conscience osseuse et celle

d’un corps sonore mises en jeu par les percussions corporelles, soutiennent le sentiment de densité et d’unité corporelle.

Assis en cercle et en tailleur, chaque personne disposait sa main droite sur celle de son voisin de droite et sa main gauche sous celle de son voisin de gauche. Il s'agissait de taper de droite à gauche en respectant son tour et le rythme imposé par la comptine « dans ma maison sous terre ». Il fallait être attentif à retirer sa main à « three » sous peine d'être éliminé. Les enfants se sont immédiatement opposés au choix de la première chanson qui faisait « bébé ». Yann est le seul à connaître la comptine proposée et chante volontiers. Il comprend rapidement la consigne mais anticipe trop longtemps à l'avance le « three » en retirant sa main alors que la comptine n'est pas terminée. Il n'est plus tout à fait dans le rythme. Il est très dynamique et continue à chanter, avec entrain, bien qu'il soit éliminé.

Dans cet exemple, on peut imaginer que l’enveloppe sonore créée par le groupe est suffisamment contenante pour Yann afin de lui permettre de supporter cette élimination et surtout les instants de transition à l’origine, habituellement, d’agitation. Chanter, bien qu’il soit éliminé, lui assure une continuité et garantit sa place au sein du groupe.

Selon, D. ANZIEU (1995), bien avant le regard et le sourire de la mère qui viennent renforcer son Soi en lui renvoyant une image de lui visuellement perceptible afin qu'il l'intériorise, l'enfant est plongé dans un bain mélodique qui l'enveloppe. Celui-ci se matérialise par la voix de sa mère, les comptines et devient de ce fait un miroir sonore que l'enfant utilise d'abord par ses cris puis ses gazouillis et enfin, ses jeux d'articulation phonématique. Il s’agit de l’enveloppe sonore décrite par Anzieu.

Le rôle de la psychomotricienne est de faire éprouver par des jeux corporels et rythmiques cette enveloppe temporelle et sonore. En effet, elle reprend la fonction maternelle dans son rôle de miroir mais aussi de contenance. D. MARCELLI (1992) comme je l’ai décrit précédemment, montre l’importance des macrorythmes et des microrythmes dans la construction de la temporalité de l’enfant, ainsi que l’utilité des jeux à suspens « la petite bête qui monte » dans l’élaboration des enveloppes de temps. Il paraît essentiel de conserver, en séance de psychomotricité, ce schéma en maintenant des invariants et une structure repérable par l’enfant (les rituels de début et de fin, le déroulement type d’une séance) qui font office de macrorythmes assurant des repères et permettant une anticipation. Il s’agit aussi d’introduire de la surprise en nuançant les propositions. L’utilisation de comptines comme « dans ma maison sous terre » remet en jeu ces deux dialectiques et soutient le développement d’une enveloppe sonore et un renforcement du Soi. De même, chez l’enfant instable, la fonction de pare-excitation est défaillante. Il lui est difficile de s’auto-réguler seul et de filtrer les

stimulations, l’agitation devient un moyen de défense. La psychomotricienne permet, dans un premier temps, de contenir et de filtrer les stimulations qui pourraient être excessives pour permettre, progressivement, à l’enfant d’acquérir cette autonomie par le développement d’enveloppes corporelles et psychiques pare-excitantes lui donnant le sentiment d’être contenu.