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A. Les résultats

2. D’après les entretiens

a. Une faible anticipation de l’entrée en institution

D’après les entretiens réalisés au cours de cette étude auprès de résidents pour lesquels un traitement antidépresseur a dû être introduit ou majoré, seuls deux nouveaux résidents sur seize (soit 12.5%) avaient anticipé une éventuelle entrée en institution en discutant avec un proche, ami voire avec son médecin traitant bien avant l’entrée effective. Ce chiffre est près de 3 fois supérieur dans l’enquête DREES de 2007 [14] (36%), enquête qui détermine que les résidents qui se sont préparés bien avant à l’entrée en institution ont près de deux fois plus de chances d’avoir le sentiment d’avoir bien vécu l’entrée en EHPAD.

Pour pouvoir exercer son droit au libre choix, ce dernier doit d’abord être raisonné, réfléchi. Toute réflexion prend du temps. Les entretiens de cette étude et l’enquête DREES confirment bien l’importance de l’anticipation d’une entrée éventuelle en institution.

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b. Acceptation initiale : non correspondance entre les informations recueillies sur dossiers et celles recueillies aux entretiens

« Bien vivre l’entrée en établissement influence de manière significative le bien-être ressenti par le résident par la suite » selon l’article sur la satisfaction des personnes âgées vivant en EHPAD et en maison de retraite de l’enquête DREES de 2007 [14].

Les entretiens ont permis de mettre en évidence une discordance entre les données recueillies sur dossier concernant l’adhésion au projet d’entrée en institution et celles déclarées par les nouveaux résidents. En effet, 62% des nouveaux résidents interrogés affirment avoir été en accord avec ce projet contre 87% selon leur dossier. On peut en grande partie expliquer cette différence par le facteur temps : la précipitation de l’entrée limite souvent le temps de réflexion nécessaire pour l’exercice du libre choix. Poussés par l’aggravation brutale de leur état de santé, par les proches, parfois par le personnel médical, ces nouveaux résidents ont pu accepter (sans le délai de réflexion nécessaire) l’idée d’entrer en institution. Par ailleurs, entre les données des dossiers recueillies à l’entrée et les entretiens, le temps s’est écoulé : l’âge et l’évolution des pathologies notamment des troubles cognitifs ont pu modifier le vécu à l’entrée.

c. Libre choix de l’établissement

Un résident sur deux au cours des entretiens déclare avoir eu le choix de l’établissement. Les critères avancés au cours des entretiens sont surtout géographiques. L’un des souhaits premier des nouveaux résidents était, en effet, de rester dans le quartier de son domicile pour limiter la perte des repères et souvent de retrouver au sein de l’établissement des connaissances (amis, voisins et parfois membre de la famille). Parfois, il s’agit d’un rapprochement familial, de façon à faciliter la visite des proches au sein de l’établissement. Ce critère géographique affirme bien l’importance accordée par le futur résident et sa famille au maintien de la vie sociale.

L’effectif est trop faible pour déterminer s’il existe une différence significative concernant le choix de l’établissement selon les circonstances d’entrée en institution. Les chiffres montrent une tendance à un plus grand libre choix parmi les résidents venant du domicile. Intuitivement, ce sont les résultats attendus. En effet, une hospitalisation est souvent la conséquence d’une situation de crise. Or, nous avons vu précédemment que l’entrée en institution est rarement anticipée, selon les déclarations des nouveaux résidents. Devant l’impossibilité de maintien au domicile, les demandes au sein des établissements environnants sont souvent multiples et le « choix » se porte dans l’établissement qui présente la première disponibilité.

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Ainsi, si, dans les suites d’une hospitalisation, le libre choix d’entrée en maison de retraite peut, malgré la situation de crise, être raisonné (la personne âgée reconnaissant son incapacité désormais à vivre seule au domicile malgré les diverses aides), la situation d’urgence fait que le libre choix de l’établissement est souvent non respecté. On peut alors imaginer que l’adaptation dans ce nouveau lieu de vie n’en est que plus difficile.

Anticiper l’entrée en EHPAD en réalisant des demandes auprès des établissements souhaités, c’est aussi anticiper une situation de crise, se protéger soi et son libre choix.

d. Libre choix du médecin traitant

« Le médecin doit respecter le droit que possède toute personne de choisir librement son médecin. Il doit lui faciliter l'exercice de ce droit. » [28] Ceci est repris par le Code de Déontologie médicale.

« Le droit du malade au libre choix de son praticien et de son établissement de santé est un principe fondamental de la législation sanitaire. » [29]

Comme vu en introduction, le libre choix du médecin traitant par le patient est un principe fondamental de la médecine libérale, apparaissant dans la charte médicale de 1927 [2] et qui ne cesse d’être affirmé depuis les années 2000. Qu’en est-il du libre choix du médecin traitant en EHPAD ?

Concernant les treize EHPAD de cette étude, dont la capacité d’accueil va de 44 à 315 résidents, on retrouve des fonctionnements divers quant à la présence médicale. Ainsi les médecins généralistes libéraux sont au nombre de 3 à 55 à se déplacer selon les structures. De manière générale, le nombre est plus faible en périphérie de Brest, en milieu rural, ceci s’expliquant probablement par une plus faible démographie médicale. Dans un établissement, on retrouve un fonctionnement avec six médecins salariés. Cependant cette structure laisse le choix au résident de choisir un médecin généraliste extérieur à ses frais. Ainsi trois médecins exerçaient à titre libéral au moment de l’étude dans cette structure. Concernant les résidents interrogés, seuls 56% d’entre eux ont pu conserver leur médecin traitant, même si au total 75% ont eu le choix de leur médecin traitant. La plupart du temps, cet écart est le résultat d’une problématique géographique, l’ancien médecin traitant ne pouvant assurer le suivi de son patient en raison d’un éloignement trop important. Parfois, le patient a souhaité changer de médecin traitant.

Des entretiens avec les différents médecins coordonnateurs, on en retire que de maintenir le libre choix du médecin traitant au résident est avant tout un respect de leurs droits mais aussi leur permettre de conserver un point de repère avec leur vie antérieure et ainsi de faciliter leur adaptation dans leur nouveau lieu de vie. Cependant, tous évoquent la difficulté de coordination des soins entre le médecin et l’équipe paramédicale lorsque le nombre de

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médecins généralistes libéraux se multiplie. Les médecins coordonnateurs l’expliquent ainsi : le médecin généraliste qui ne suit qu’un ou deux résidents dans une même structure ne s’impliquerait pas autant dans le fonctionnement de l’établissement et notamment dans le système informatique.

C’est pour pallier à cette difficulté que le contrat-type de médecin traitant en EHPAD a été créé avec le décret du 30/12/2010 relatif à l’intervention des professionnels de santé exerçant à titre libéral au sein des EHPAD [30]. Ce contrat, déjà prévu, dans le code de l’action sociale et des familles [31], a été dénoncé par le conseil national de l’ordre des médecins craignant une atteinte à la liberté de choix du patient mais aussi à la liberté d’indépendance et de prescription du médecin libéral. Avec l’arrêt du Conseil d’Etat du 20/03/2013, le contrat-type est maintenu avec toutefois des modifications assurant les principes fondamentaux de la médecine libérale et surtout interdisant aux EHPAD de ne pas autoriser l’accès à l’établissement lorsqu’un médecin libéral souhaite exercer son activité dans la structure en acceptant les conditions particulières d’exercice prévues par le contrat- type, garantissant ainsi le libre choix du résident.

L’existence de ce contrat-type doit être spécifiée dans le contrat de séjour, dont la signature par le résident vaut pour accord. Mais qu’en est-il des résidents qui n’ont pas eu le choix de l’établissement souvent dans les suites d’une situation de crise ? Ceci explique peut-être les 25% des résidents qui ont déclaré au cours des entretiens ne pas avoir pu exercer le libre choix de médecin traitant, le « choix » n’existant en réalité qu’au sein d’une liste limitée. Selon l’étude DREES de 2007 [14], ce pourcentage pourrait être nettement plus important. Leur enquête retrouve en effet 44% des résidents (tout établissement pour personnes âgées confondu) considérant ne pas avoir pu exercer leur libre choix de médecin traitant

e. EHPAD : le domicile ?

Quel est le statut juridique de l’espace privé en EHPAD ? La réponse n’est pas si simple et il est souvent fait une distinction entre résidence et domicile.

Selon l’ANESM [32], on entend par domicile « le lieu de résidence, principale ou secondaire, sans distinction de propriété ou de location ». Le code civil définit le domicile comme étant « le lieu où une personne possède son principal établissement » [33]. Ce n’est qu’en 2006 que le ministre délégué aux personnes âgées, M. Philippe BAS, reconnaît le droit à l’hospitalisation à domicile en EHPAD, notion reprise dans la loi de 2009 portant la réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires [34] .

Cependant un arrêt de la cour de cassation de 1998 [35 et annexe 8], détermine que le contrat de séjour n’est pas un contrat de bail mais un contrat de prestation de services. Ceci est lourd de conséquences, puisqu’ainsi le respect de la trêve hivernale n’est pas obligatoire lors d’une expulsion d’une EHPAD. C’est ainsi que le débat a été relancé sur la notion de

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« domicile » suite à l’expulsion en hiver d’une résidente nonagénaire pour cause d’impayés en 2013.

Si le statut juridique de l’EHPAD est difficile à déterminer, l’EHPAD reste un lieu de résidence, où la chambre a toujours été considérée comme un lieu privé. Or, « l’espace privatif doit être considéré comme la transposition en établissement du domicile du résident. Il doit pouvoir être personnalisé [36]».

Dans cette étude les entretiens révèlent que 44 % seulement des résidents interrogés (ayant nécessité une introduction ou une majoration de traitement antidépresseur) considèrent leur chambre comme leur domicile, chiffre significativement différent de celui de l’enquête DREES [12] (deux tiers) portant sur un ensemble de résidents de plusieurs EHPAD. Se sentir chez soi est pourtant un enjeu de la qualité de vie et de bien-être.

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