LE QUOI D E ~J E U F
interview de Didier MUJICA
-COMMEUT SE 0[1\C:.ILE LE "QllOl DE t~EUF '?11 DANS TA Cl ASSE ?
C'est un moment à priori tout simple : le matin, nous entrons en classe, nous nous installons, chacun s'occupe alors de son métier, de sa responsabilité, range ses affofres, et nous nous retrouvons à nos places (les tab1es sont installées en U)1 Le Président, tiré au sort pour 3 présidences consécutives, lance a1or$ à cha-cun de nous le "Quoi de neuf ?".
Le·s enfant~ élyant quelque chose à dire, à pdsent:er, le font et à la fin de leur intervention, le µrésident mène la ronde des questions. Chacun est ainsi interpel -lé et peut répondr.J 11Ri1m" s'il n'a rien à dire.
Ce moment dure environ une demi-heure ; il n'est pas à proprement parler limi-té dans le temps, mais je veille à ce qu'il ne s'éternise pas en rappelant l'heure aux enfants.
Pendant ce t~rnps, je suis à 1oa place dans le cercle ~es tables, j'écoute, je pose des questions. J' inteniiens quand le président me demande "Quo:.. de neuf, Didier?".
J 1 ai aussi à ce moment-là une gri lln à double entrée devant moi où je note, en style télégraphiqLre, les interventions des enfants et qui pose des questions à qui. Cette grille me permet par la sui te de mieux saisir ce qui se passe au cours des "Quoi de neuf ?"1 d';::r. ·1oir l'évolution, de pouvoir rappeler à tel enf élnt qui se retrouvo coincé devant la lettre de son correspondant qu •il nous avait parlé de tel ou tol sujet, et de mieux comprendre les enfants au travers de leurs interventions.
MAIS POUR0UOI FAUŒ UN uqUOl DE NEUF ?"
le "Quoi de neuf ?11 est un passage entre le moment de non-travail qui pré-cè'de le moment de travai 1 qui va suivre. 11 est ce moment où des individus se retrouvent dans un même lieu et se racontent. 11 ressemble en celd au fonction-nement naturel ·qu'ont des groupes d'adultes· se retrouvant tous les matins et échangeant sur divers· points avant de passer à autre chose ... il suffit aussi d'observer des enscign1Jnts so retrouvant le matin à' l 'école ... on peut presque dire qu'ils ont leur "Quoi de neuf ?11 (même si on y parle parfois que de la pluie et du beau temps ! ... ).
Le "Quoi de neuf ?11 eGt avant tout un moment de communication avec toutes les règles que cela implique.
Les enfùnts s'expri~ent, parlent et le retour que les autres leur donnent au
tra-vers de leurs questions les obligent à travailler leur langage. On voit très
rapidement une diminution des "trucs", des "bidules", et des "machins" dans_.le vocabulaire utilisé : chacun est obligé de trouver le mot juste et, s'il ne 'le connaît pas, le groupe (les enfcnts et le roaître) est là pour l'aider ..
Certain~. enfants font cussi das re~arques sur la manière de parler de leurs cama-rades (11 est plus facile effectivement de le faire sur les autres que sur soi-même). Je suiD là très vigilant de foçon à ce que ces remarques n'entraînent
- 2
3 --
"Quoi de neuf, Denis ?
11Et
Denis
raconte sondimanche ... des disputes familiales
entre satante,
sononcle qui
s'arrachentleurs
enfants, samère
enceintebousculée qui
chute ... etil
fond enlarmes. Quelques questions
surl'état
de santéde
sa mère ... çava. Denis ne fera
pour ainsi direrien
pendantles deux
jours en classequi sui
-vront ... personnen'en
a rien dit... Denis
avait posé sonmanteau
dudehors
troplours à porter pour lui.. . la
classe est devenue un1
ieude
repos,de paix ...
sans
plus. Qu'en
aurait-il été si
Denis n'avait pu dire, se dire ?Deux
semainesplus
tard,i 1
annoncera àun "Quoi de
neuf ?"que
toutva
bien pour samère
et pour ses cousines.MAIS N'Y A
-T'llPAS
QUELQUE CHOSE DE MALSAIN ARACONTER AINSI
LESMISERES
DE CHÀCUN ?Je
ne
croispa
s carrien n'oblige l
es enfants à raconter, àdire.
llséprou-vent
pour certainsle
besoin de poser leurs problèmes, pour les évacuer,pour les faire partager
.. . et le groupejoue
souvent un
rôlesain (je
suislà de
toute façonpour
yveiller
...).
On pourrait multiplierles
exemples
d'enfantsqui
ont ce besoin de se soulager de leurs petits ou grands malheurs:
cemême Denis
enpleurs
àla
mortde
son chien, Nadine qui s'
est fait battre pour n'avoir pas fait sonlit ce matin
-là,
tel
autre dont les parents sont en train de se séparer ...Mais
nous
avons aussi droit aux grands bonheurs : Denis quinous
annoncela
future naissance de sa petite soeur,
etl
à,
c'est la classe entière quide -vient
pleine de joie pourlui : l
es questions fusent sur le
futur prénom,les réactions
deDenis ..
.Pierre
nous
annoncera aussi une future naissance en se posant toutefois des ques-tions: "Je
me suisdit
que ma petite soeur, je vais l'avoir
toute lavie!"
... c'est dit tout simplem
ent ... c'est écouté parles
autres, entendu par le maître.Ce qui serait
malsain
et àl
alimite
dangereux, ce serait de demander à Pierre d'aller plusloin
après cette réflexion enlui
posant des questions.Chaque enfant peut dire et cela s
'arr
ête là. Jen'insiste
pas avecdes
questions qui pourraient transformerle "Quoi
de neuf ?" enune "psychothérapie"
de basétag~ où rie~ de serait contrôlé. C'est aussi
une
des raisons pour laquelle je limi te le "Quoi
de neuf ?" dansl
e temps. 11 me sembleimportant
que les enfants aient un momentinstitutionnalisé
dans le tempsde
classe pour s'évoquer, parler deleurs diffi
cultés
ou deleurs
joies. On pourrait ici me rétorquerqu'après
tout, s'ilsle
désirent, telsl
es adultesque je
citais plus haut,l
es enfants pourraient pratiquer des"Quoi
de neuf ?11 informels, mais ceux-ci n'auraient plus alors la m
ême valeur (ici, le"Quoi
deneuf
?" à 1 ieudans
la classe,dans
l'école, et avec le maître, représentant de l'Ecole). ~~Limitation dans le temps donc, pour éviter de trop fouiller les problèmes
indi-viduels, et
pour aussi avoir le temps de les résoudre, dele
s diluer dansle
tr~vai 1, dans l 'activité
,
dans les métiers, dans l'organisation coopérativede la
classe.
Et nous avons droit aux si
l
ences des enfants, de ces silences qui en disentparfoi
s plus que de .long
s discours : JérSme quine
parlera pas de son frèreem-p;~sonné,
Nadine
qui viendra me voir pendantune
récréation pour medire
"Moi,
m
a mère, el le
.attend un bébé, mais je ne veux pas en parler au"Quoi
de neuf ?" ! ".Avoir