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5. Les entretiens : résultats

5.5 Entretien avec un élève-Matas

« Un élève-Matas est comme une fleur qui s’ouvre » Agriculteur de la Ferme Matas (2010)

J’ai choisi de consacrer un chapitre de mon mémoire à un élève ayant vécu l’expérience de la Ferme de Démoret. En effet, il est un acteur central, car il est le premier concerné par la démarche. C’est pourquoi, j’ai voulu lui donner la parole. Au travers de ces quelques lignes, je souhaite donc mettre en avant l’avis de cet élève, ses ressentis face à ce qu’il a pu vivre à la Ferme, ainsi qu’à l’école. Je mettrai ses propos en perspectives avec ceux des professionnels. Afin de faciliter la lecture de ce chapitre, l’élève interviewé se prénommera Adam26. Il est âgé de huit ans et a été admis à la Ferme en mars 2010. La fin de sa prise en charge est prévue, sa réintégration totale dans sa classe est donc proche.

La Ferme

Il est 9h30, Adam et moi nous nous installons dans le vestiaire de la classe, afin de ne pas être dérangés par les autres élèves. Adam semble à l’aise, posé et tellement calme que sa voix fluette ressemble à un léger chuchotement, quasi inaudible.

Adam n’a aucune peine à m’expliquer les raisons de sa présence à la Ferme. En effet, s’il est là, c’est parce qu’ « avant il tapait beaucoup ses copains, parce qu’ils l’énervaient ». Mais Adam met bien en avant le fait que ces coups sont de l’ordre du passé : « maintenant ça s’est calmé ».

Adam « aime beaucoup » venir à la Ferme, ici « tout lui plaît », en particulier les animaux, parce qu’Adam « aime bien rester avec eux, nettoyer leur cage et les nourrir». Mais ce qu’il préfère, c’est le moment où il peut porter les animaux, « parce que ça le calme, ça le détend ». Adam « aime bien rester tranquille » et lors de ce moment, « il n’y a personne qui lui parle ». L’équipe de la Ferme perçoit d’ailleurs au fil des jours, « un apaisement chez les élèves, une mise au travail, une détente, une ouverture chez eux ».

A l’entendre parler, tout semble avoir été simple pour Adam. Pourtant, ce n’est facile pour aucun élève de venir à la Ferme. En effet, pour l’enseignante spécialisée « c’est difficile au début, parce qu’ils ne sont pas comme les autres, ils doivent s’habituer à beaucoup de personnes, à un tel environnement, à plein de choses qu’ils ne connaissent pas ». Du coup, « ils n’arrivent pas avec le sourire jusqu’aux oreilles, ils ont peur et se demandent sur quelle planète ils sont tombés ». Donc les élèves qui arrivent à la Ferme, sont en général « très tendus et déstabilisés » par le fait d’être sortis de leur classe, mais surtout de la ville. En effet, comme je l’ai déjà mentionné, la Ferme « c’est un autre monde ».

Les élèves doivent donc s’habituer à ce nouvel univers, apprendre à l’apprivoiser. Et pour Adam, « ça lui paraissait bizarre de venir à la Ferme », mais « après, il a vu qu’il s’y sentait bien ». Souvent d’ailleurs, « au début de la prise en charge les élèves se sentent mieux à la 







Ferme qu’à l’école et ne veulent donc plus y retourner ». Mais l’équipe du Matas leur rappelle alors très vite « qu’ils ne peuvent pas rester à la Ferme indéfiniment et que s’ils y sont, c’est pour aider à ce que l’école fonctionne mieux. La Ferme de Démoret est un passage ».

A la Ferme, tout n’est donc pas facile et même s’il n’y a qu’une seule règle à respecter, elle est très « contraignante », comme je l’ai déjà dit, il s’agit du respect des gens, de soi et des animaux. Adam la connaît bien depuis le temps et même si maintenant elle ne lui pose plus trop de problèmes, ce n’était pas le cas au début. En effet, « il n’arrivait pas à se contrôler et s’énervait contre les autres, les embêtait ». A la Ferme, il avait donc la même difficulté qu’à l’école.

En venant à la Ferme, Adam a appris à respecter cette règle, à se contrôler, « à maîtriser ses émotions », une condition importante pour pouvoir bien fonctionner en groupe. Mais il a également appris « à nourrir les animaux, à s’en occuper, à les porter avec tendresse, à monter à cheval ». Et comme le dit l’éducateur, Adam « a été pris dans un mouvement où il est utile aux animaux », où les soins qu’il leur procure « sont nécessaires, car leur vie en dépend ». Adam « aimerait bien rester à la Ferme » et la raison principale de cette envie est sa passion pour les animaux. D’ailleurs, s’il y avait une ferme près de chez lui, il m’assure qu’il y passerait « tous les jours ! ». Adam pense « se sentir mal, triste » lors de son départ de la Ferme.

Et apparemment il ne sera sans doute pas le seul à être dans cet état. Comme me l’a confié l’agriculteur « quand ça va bien ça fait mal parce que c’est tout le temps là qu’on voit les enfants partir, c’est déchirant ».

Adam sait qu’il a fait beaucoup de progrès à la Ferme, au niveau, non seulement de son comportement, mais aussi de l’écriture et de la lecture. Mais faire des progrès à la Ferme est une chose, encore faut-il que cela soit productif à l’école.

L’école

Avant, Adam « n’aimait pas trop l’école », maintenant il a du plaisir à y aller. A l’école, « il se sent amélioré, son comportement a changé, la maîtresse le gronde moins souvent et il y a moins de bagarres ; ça va très bien ». Toutefois, il y en a quand même encore de temps en temps. C’est quand Adam « oublie ce qu’il a appris à la Ferme », tout comme il oublie parfois comment lire et écrire. Mais ça, c’est quand il « se déconcentre trop ». Je lui demande alors si avoir un animal en classe pourrait l’aider et sans la moindre hésitation, les yeux tout étincelants, sa réponse est positive. Mais quand Adam pense à utiliser les apprentissages effectués à la Ferme, il se met alors « à ne plus écouter les autres, à oublier ce qu’il se passe, puis il part », ce qui évite ainsi des bagarres.

L’école n’est donc pas encore facile pour Adam, surtout quand « ses copains font des trucs exprès pour qu’il se fasse gronder par la maîtresse ». C’est d’ailleurs pour cette raison qu’il « ne leur fait pas confiance ».

Les deux enseignantes interrogées ont aussi trouvé que leur élève-Matas « venait à l’école plus calmement, ce qui donnait des conditions beaucoup plus agréables pour lui et le reste de la classe ». Les changements étaient visibles, notamment au niveau de l’agressivité qui avait « beaucoup diminué ».

Et si au retour d’un téléphone avec la maîtresse d’Adam, l’enseignante spécialisée lui annonce que « son comportement à l’école ne va pas », il se « sent un peu mal ». Toutefois, il « croit qu’il y aura moins de bagarres bientôt ».

A l’heure actuelle, tout va bien dans sa classe et malgré un sentiment de tristesse lisible sur le visage d’Adam à l’approche de son départ, il sera bientôt prêt à réintégrer sa classe à 100 %.