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entre autobiographie, fiction, poésie, autofiction

INTRODUCTION

Cette troisième partie de la thèse voudrait encore, comme les deux précédentes, montrer à quel point l’ensemble considérable de papiers constitutifs du fonds André Pézard aux Archives Nationales peut aider à mieux comprendre et enrichir le profil intellectuel et spirituel d’un homme d’exception.

Les journaux de jeunesse – de 1909 à 1914 – brossent le portrait d’un lettré transporté par les passions de son temps, influencé par le milieu dans lequel il évolue et par ses lectures, en partie communes à sa génération383. Platon, Eschyle, Héraclite, Dante, Nietzsche constituent les références littéraires, philosophiques à partir desquelles le jeune Pézard s’affirme personnellement, déduction que l’on peut faire à en juger par le travail d’archivage précis qu’il a mené, apportant de précieuses indications sur les préoccupations propres à cette période.

La reprise en main de ce matériau va parfois donner lieu à la publication d’un ouvrage, comme c’est le cas de Nous autres à Vauquois, en 1918, témoignage direct de ses deux années passées dans les tranchées. Pour finaliser la rédaction de son ouvrage, Pézard revisite ses carnets et les annote. Les carnets comportent des commentaires de la main de l’auteur qui, en cherchant à restructurer son support, précise l’effet que produit sur lui cette relecture.

Elsa Marguin-Hamon a souligné une forme de constante, à savoir l’existence de deux temporalités à retenir dans la constitution et l’organisation la plus fidèle du fonds Pézard384. Tout d’abord, les carnets personnels ou journaux intimes contemporains de l’auteur manifestent une écriture « presque aphoristique, spontanée »385 car l’expression d’une simple pensée ou du sentiment du jour y sont consignés. Par la suite, ces écrits conservent la trace d’une revisitation de l’auteur, d’un affinement de leur contenu ou de corrections ultérieures clairement matérialisées ou datées de sa main sur le papier. C’est notamment le cas dans le Journal d’Avignon. Multiples sont les commentaires ajoutés par l’auteur au moment de ses relectures et ces annotations apportent non seulement des précisions mais

383 AN, Fonds Pézard, 691 AP/2, cahier manuscrit; AN, 691 AP/4, journaux personnels de Guerre, t. 2 (mars-septembre 1915) – cette mention fait référence au t. 1 de la même série (août 1914-mars 1915).

384 MARGUIN-HAMON Elsa, « André Pézard au miroir de ses archives », in Studi medievali e moderni, Arte, letteratura, storia, Anno XIX, I-II/2015, Napoli, Paolo Loffredo Iniziative editoriali, 2015, p. 285-295.

rendent compte, par la même occasion, encore une fois, de son état d’esprit au moment de ce remaniement du texte. S’opposent ainsi « deux états de conscience »386 puisqu’une distanciation forte s’opère entre le moment de l’écriture et le regard nouveau porté sur son contenu au moment du retour sur soi, parfois des années plus tard, à la lumière des expériences vécues.

Au fil du temps, le format d’écriture évolue. Le carnet de jeunesse ou le carnet de guerre qui apparaissait comme le témoin de l’instantané, la forme matérielle dépositaire du quotidien, laisse peu à peu place au choix de feuillets mobiles de petit format. Pézard recycle le verso de prospectus divers, d’enveloppes, de courriers ou découpe des fiches dans des agendas jusqu’alors inutilisés. Ces journaux « sur papier libre » étaient en partie conservés dans un fichier en bois semblable à ceux regroupant les fiches lexicales et bibliographiques de l’auteur, au domicile de sa fille Sylvie : une disposition matérielle et un choix d’archivage qui permettait à tout moment, selon les besoins d’écriture, de substituer à la succession chronologique des évènements une nouvelle organisation correspondant à un choix logique, selon une véritable méthode de travail. Le journal proprement dit devient, alors, un réservoir construit de matériaux divers pour une œuvre à venir, un laboratoire d’écriture où l’on peut trouver des ébauches plus ou moins achevées de formes littéraires, narratives, essayistes, poétiques, des éléments-traces d’une potentielle œuvre en devenir.

Dans cette partie, nous essayerons d’en rendre compte en présentant plusieurs exemples et ce, en partant de l’œuvre la plus aboutie et la première à être publiée en 1918, Nous autres à Vauquois, pour ensuite poursuivre avec l’exploration du Journal d’Avignon et ses différentes formes d’écriture.

386 Comme le souligne E. Marguin-Hamon dans MARGUIN-HAMON Elsa, « André Pézard au miroir de ses archives », op. cit., p. 287.

a) Nous autres à Vauquois : l’autobiographie

Nous autres à Vauquois est donc la première publication d’André Pézard, un ouvrage autobiographique qui constitue, à partir de ses matériaux, un témoignage direct de ses deux années passées dans les tranchées.

Dans son étude génétique de Nous autres à Vauquois387, Philippe Lejeune décrit l’ouvrage divisé en parties et en chapitres, comme un feuilleton, un journal de bord collant au vécu du narrateur et restituant l’expérience de la guerre vécue au jour le jour, dans toutes ses horreurs mais aussi dans ses instants de vie les plus précieux. Ce récit discontinu est, par ailleurs, également ponctué de longues descriptions, qualifiées de vrais poèmes en prose. Force est de constater que Pézard va poursuivre l’exercice des descriptions dans son journal durant la période avignonnaise à l’issue de ses promenades jusqu’à l’exploration de la Provence comme nous avons pu le voir dans la partie précédente de ce travail.

L’étude des archives de l’œuvre Nous autres à Vauquois ou l’approche géographique de son « dossier génétique », dans le fonds Pézard, aux Archives Nationales, apparaît, selon Ph. Lejeune, dans son organisation, comme le noyau incandescent des écritures de toute une vie. Il est fondé sur une double ellipse – on ne sait rien du passé du héros qui entre en scène le 26 janvier 1915, en partant pour le front et l’on ne saura plus rien de ce dernier, le 20 septembre 1916, quelques minutes avant d’avoir le genou irrémédiablement brisé.

Les cinq carnets de guerre sur lesquels André Pézard prend des notes au front constituent à la fois un journal, avec ses fonctions habituelles de mémoire et de soutien psychologique et un avant-texte destiné à la rédaction d’une œuvre future. Replacer ce dossier d’archives dans le flux de toute une vie consiste ainsi à prendre en considération que, dès son plus jeune âge, Pézard écrit et ce, jusqu’à la fin de son existence. Pour rappel déjà lycéen, puis khâgneux, il affectionne les petits carnets organisés en deux séries principales. Il tient, tout d’abord un journal personnel de 1906 à 1914, arrêtant, sur le papier, les faits marquants de sa vie quotidienne, ses découvertes, ses émotions, ses pensées ou ses flirts. S’organise, en parallèle, une

387LEJEUNE Philippe, Brouillons de guerre, Pour une étude génétique de Nous autres à Vauquois, in GALLY Michèle – MARGUIN-HAMON Elsa (dir.), André Pézard, autobiographe, italianiste, romaniste et médiéviste (1893-1984)- Pour un profil intellectuel, Paris, Éditions Classiques Garnier, Collection « Rencontres », 2017, p. 32.

autre série intitulée « Фαντασθἑντα »388 (Rêveries, Songes), de 1909 à 1913, se présentant comme un recueil d’aphorismes, à la Nietzsche, aux sujets variés parmi lesquels l’apologie de la guerre et l’exaltation du sentiment national389. Par leur structure ou certaines remarques, ces carnets manifestent déjà l’ambition de Pézard de devenir écrivain390.

De la même façon, les carnets de guerre du jeune homme se présentent non seulement comme un journal fixant la mémoire et les sentiments du quotidien mais aussi comme le lieu d’une compilation documentaire très méthodique de matériaux de nature différente. Il archive en effet toutes les photographies qu’il prend avec l’appareil Vest Pocket Kodak qu’il avait demandé à ses parents de lui envoyer au front ainsi que toute la correspondance entretenue avec eux et sa sœur Hélène. On y trouve aussi différents types d’écrits tels que des notes prises au quotidien, des croquis variés, des essais.

L’ensemble présente donc un contenu hétérogène, un caractère personnel utilitaire et constitue le lieu de la mémoire qui n’a pas pour finalité première d’être exploré ou lu par un tiers. Il s’agit, aux yeux de Pézard d’un « grimoire de la tranchée »391 , un écrit indéchiffrable, illisible. À ce propos, concernant Nous autres à Vauquois, Philippe Lejeune souligne et précise le caractère formidable de création littéraire effectuée par un véritable auteur. Le texte publié et son analyse génétique permettent de mesurer et d’apprécier le travail opéré et la distance entre les notes griffonnées sur les pages des carnets de guerre et les pages finalisées du livre.

Ph. Lejeune explique avoir mené une étude génétique du texte en suivant trois démarches392. La première consiste simplement à comparer le livre finalisé aux carnets de guerre qui ont servi de support à son élaboration. La seconde vise à comprendre si ce travail littéraire, ces transformations ont laissé des traces explicites et, si tel est le cas, les inventorier. La troisième, enfin, s’intéresse à la parole de l’auteur lui-même.

388AN, Fonds Pézard, 691 AP/4. Il y a sept carnets de Фαντασθἑντα.

389 A.P. écrit : « La guerre est une secousse heureuse qui fait tomber les feuilles mortes. » in Фαντασθἑντα, t.3, 3 juillet 1910 ; « Delenda Germania » in Фαντασθἑντα, t.5, 18 janvier 1911. Citations extraites de LEJEUNE Philippe, Brouillons de guerre, Pour une étude génétique de Nous autres à Vauquois, in GALLY Michèle MARGUINHAMON Elsa (dir.), André Pézard, autobiographe, italianiste, romaniste et médiéviste (18931984) -Pour un profil intellectuel, op. cit., p. 34.

390 Ibidem.

391 Ibidem, p. 36. 392 Ibidem, p. 38-44.

Le critique relève que le livre parachevé a une allure bien différente des carnets en matière de structure. À la différence du journal qui découle du quotidien, l’œuvre revêt un caractère romanesque et manifeste ainsi la présence d’un narrateur rétrospectif : elle est désormais agencée en trois parties constituées de huit chapitres pour les deux premières et de quatre chapitres pour la dernière. Ces trois parties comportent un titre et chacun des chapitres du livre est structuré en sous-parties annoncées par des chiffres romains et elles-mêmes souvent divisées par des groupements de trois astérisques.

L’ouvrage manifeste donc une progression hiérarchisée et se distingue des carnets pour le travail de complète recréation littéraire qui vise à transmettre les faits vécus au lecteur avec le plus d’exactitude possible. La première partie, La Butte393, met en lumière l’appropriation de la part du narrateur de son nouvel environnement dans lequel vont évoluer les soldats, et, de ce fait, la découverte de la mort, nouveauté à part entière elle aussi. La deuxième partie de l’ouvrage, La vieille Butte, voit l’expérience indirecte de la mort et la cohabitation avec celle-ci. Dans la dernière partie intitulée La Mort, le retour à la Butte de Vauquois est associé – avec l’approche de combats à venir – au retour direct de la mort, présence physique et non plus composante du décor. Le texte se présente comme une « oraison funèbre, un hymne à l’amitié et un adieu nostalgique à la guerre »394 , « une promenade dans le souvenir de ses amis morts »395.

En étudiant la genèse de Vauquois qui s’est étendue sur une année, du printemps 1917 au printemps 1918, Philippe Lejeune souligne surtout qu’André Pézard a conservé des traces de son travail finalisé de rédaction. Cependant, on n’y trouve aucune justification quant aux choix retenus de développer certains morceaux, ni de leur enchaînement au sein de l’œuvre. Seuls subsistent des feuillets témoignant de la recherche d’un titre pour le livre lui-même ou, encore, un ensemble de feuillets traitant des réflexions autour de la vie, de la mort, de la violence ou de la religion, topoï implicitement ou parfois explicitement présents au sein de l’œuvre. Philippe

393Sur la Butte de Vauquois, un des lieux historiques emblématiques de la Grande Guerre, voir http://butte-vauquois.fr/

394 LEJEUNE Philippe, Brouillons de guerre, Pour une étude génétique de Nous autres à Vauquois, in GALLY Michèle – MARGUIN-HAMON Elsa (dir.), André Pézard, autobiographe, italianiste, romaniste et médiéviste (1893-1984) – Pour un profil intellectuel, op. cit., p. 39.

395LEJEUNE Philippe, « Nous autres à Vauquois : amitiés de guerre », in La Faute à Rousseau n° 70, octobre 2015, p. 24-26.

Lejeune retient qu’il s’agit, à ce titre, d’une autobiographie plus spirituelle que d’un journal de guerre à proprement parler396.

Déjà, le titre de l’œuvre renvoie à une aventure humaine, collective et sonne comme un défi397 : « nous autres » fait référence au jeune Pézard et à ses camarades et s’adresse implicitement à « vous autres », le commun de la société civile et le lectorat potentiel qui n’a pas vécu l’atrocité du quotidien au front. C’est à ces absents de l’action que Pézard veut transmettre l’inexprimable par sa narration. Le pacte autobiographique398 est ainsi posé. Les dédicataires du livre sont ses « amis qui sont morts » et l’œuvre se présente comme « un hymne à l’amitié »399 et, d’une certaine façon, comme un hymne à la guerre, en tant qu’expérience humaine commune.

Des traces narratives évidentes de la genèse de l’œuvre sont présentes dans la version finalisée de celle-ci et éclairent la place de l’écriture « grimoire » des carnets.

Pézard nous permet de saisir leur rôle et le fait qu’il avait déjà l’intention, en les rédigeant, de les intégrer dans son projet d’écriture d’un texte autobiographique en

reportant un dialogue révélateur entre lui-même et Chalchat, sous-lieutenant qu’il appréciait grandement. Celui-ci s’interroge déjà, au moment des faits, quant à la finalité des carnets du lieutenant. S’ensuit une discussion entre les deux amis autour du titre éventuel de l’ouvrage en devenir sous leurs yeux :

« Ce que vous griffonnez tout le temps dans votre carnet jaune, c’est pour faire un bouquin, vous aussi ?

–Hélas ! oui, Chalchat ! Prenez garde à vous, je vous y fourre tout vivant !

–Vous y mettrez ce p’tit ancien ? Oh ! il faudra me faire voir ça ! Et vous y mettrez Leyrmuche aussi ? Ça sera plus dur ! (Leyrmuche est le nom intime de notre ami Rey.) Comment l’appellerez-vous, votre bouquin ?

–Je ne sais pas… Par exemple, comme nous appelons Vauquois : la Butte ! « LA » Butte !

–On pensera tout de suite à Montmartre, ça fera scandale ! Il faudrait préciser : la Butte de Tir, par exemple, […] Ou alors autre chose : « Les odeurs de Vauquois ».

–Tenez ! « Vauquois, ou ta colline expirée ». […] Il faudra y songer. »400

396 LEJEUNE Philippe, Brouillons de guerre, Pour une étude génétique de Nous autres à Vauquois, op. cit., p. 43. 397LEJEUNE Philippe, « Nous autres à Vauquois : amitiés de guerre », in La Faute à Rousseau n° 70, octobre 2015,

cit., p. 24-26, passim.

398 LEJEUNE Philippe, Le Pacte autobiographique, Paris, Éditions Seuil, Collection « Poétique » 1975. 399LEJEUNE Philippe, « Nous autres à Vauquois : amitiés de guerre », cit., p. 24-26, passim.

Par ses commentaires et conseils, Chalchat comprend et entrevoit immédiatement la fonction journalistique des carnets de Pézard qui ont pour finalité la représentation des faits de guerre, le témoignage d’un morceau de vie et d’une expérience commune dans les tranchées où apparemment la pratique d’écriture était courante, comme il le fait remarquer par l’emploi de l’expression « vous aussi ».

André Pézard – sous les yeux de Chalchat – écrit quotidiennement au front, insouciant du froid mais soucieux de ses notes :

« Chalchat me regarde griffonner, en grelottant, sur mon vieux carnet ; je lui ferme au nez avec autorité : « Documents, documents ! » Il s’écrie, la bouche et les yeux en O, avec un trépignement comique d’enfant impatient :

– Hhô, fils ! vivement le bouquin, que je m’y voie ! »401

Par les réactions de son camarade comparées à celles d’un enfant curieux de voir l’aboutissement d’un travail en cours de création, l’auteur met en lumière la pratique quotidienne rituelle, la dimension solennelle de cet exercice d’écriture. Il fige sur le papier la précieuse chronologie des faits de l’époque et le ressenti des acteurs. André Pézard se servira donc de ses carnets dès le retour à la vie civile. Comme nous l’avons déjà rappelé, il les revisite et les annote afin de parfaire la rédaction de son œuvre. Ces carnets comportent encore les commentaires de la main de l’auteur qui, en cherchant à restructurer son support, précise l’effet que produit sur lui cette relecture.

Jean Norton Cru, auteur d’une publication de référence pour les historiens du premier conflit mondial intitulé Témoins402, voit dans Nous autres à Vauquois une œuvre ambitieuse et particulièrement réussie, marquant une étape dans l’écriture de guerre parmi les trois cents ouvrages de combattants qu’il a choisi d’analyser. D’ailleurs, passé lui-aussi par l’expérience traumatisante du conflit, il connaît bien Vauquois, pour y avoir également combattu403.

401 PÉZARD André, Nous autres à Vauquois, op.cit., p. 320.

402 NORTON CRU Jean, Témoins. Essai d’analyse et de critique des souvenirs de combattants édités en français de 1915 à 1928, Paris, Éditions Les Étincelles, 1929, (Nancy, Presses Universitaires de Nancy, 1993, 2006).

403 NORTON CRU Jean, Lettres du front et d’Amérique 1914-1919, M-F. ATTARD-MARANINCHI - R. CATHY(éd.), préface de J-M GUILLON, Aix-en-Provence, Presses Universitaires d’Aix-en-Provence, 2007.

Comme J. Norton Cru l’explique : « le livre de Pézard est un de ces chefs d’œuvre dont le mérite n’est pas évident à la première lecture »404. En effet, l’ouvrage demande à être découvert progressivement. Il mériterait une deuxième lecture, la première ne pouvant constituer qu’une découverte du sujet ne livrant pas explicitement les intentions de l’auteur, non par manque de clarté de son écriture mais simplement parce que cette œuvre est la plus ambitieuse de toutes les œuvres de guerre : elle tente d’exprimer la partie ineffable de la guerre, auprès d’un lectorat potentiellement préparé à un texte immédiatement accessible, ce que ce type de sujet ne saurait être.

Pézard cherche, par ce témoignage, sous forme de journal de guerre, à restituer, auprès du lectorat, la vérité, l’image la plus fidèle, réaliste de la guerre, jusqu’à l’indicible, ce que les mots, la parole humaine ne peuvent pas exprimer, ni l’imagination compenser, à moins d’avoir soi-même vécu l’horreur des tranchées. Il ouvre, ainsi, un chemin nouveau, pour l’époque, dans le récit de guerre.

Pour ce faire, il restitue avec rigueur les faits matériels dont il est directement acteur ou témoin, comme il l’explique lui-même, avec une sorte d’étonnement, dans le dernier chapitre de l’ouvrage, intitulé La mort405, avec « calme », de façon factuelle, avec l’impression d’une certaine « froideur »406 au jour le jour. Il manifeste son ressenti immédiat d’avoir relevé sur le moment, dans ses carnets, « des choses bien naturelles » du quotidien de soldat, ne pensant, à cet instant, ni réellement à la guerre, ni à la mort.

Par un style relevant du constat, comme le souligne Marie Hartmann407 et dans une démarche d’honnêteté, le jeune auteur cherche à retranscrire de façon très scrupuleuse les notes de ses carnets et parvient à rendre, dans l’ensemble de son œuvre, une impression de réalité fidèle de la guerre, l’indication précise des dates constituant le cadre du récit. Il a voulu, ainsi, fixer par les mots et arrêter sur le papier les souvenirs de cette expérience de telle façon que le lecteur puisse ressentir quelque chose du climat du moment, que seuls les gens qui ont vécu le conflit

404 NORTON CRU Jean, Témoins. Essai d’analyse et de critique des souvenirs de combattants édités en français de 1915 à 1928, op. cit.

405 PÉZARD André, Nous autres à Vauquois, op. cit., p. 324-333. 406 Ibidem, p. 331.

407 HARTMANN Marie, « Une écriture poétique: Nous autres à Vauquois, La beauté en rempart contre l’horreur » in Studi medievali e moderni, Arte, letteratura, storia , Anno XIX, I-II/2015, Napoli, Paolo Loffredo Iniziative editoriali, 2015, p. 247-261.

connaissent. L’atmosphère du front prend toute sa force dans l’impuissance d’un vocabulaire à désigner les choses autrement que comme des abstractions qui prennent corps chez le lecteur sollicité, notamment par la mobilisation des sens, au sein du texte.

En premier lieu, l’écrivain utilise, en effet, certains procédés visant à résumer la journée écoulée à travers une tonalité dominante qui la caractérise. Par exemple, dès la première partie intitulée La Butte, précisément dans le deuxième chapitre, Le

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