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Entrées de capitaux et ajustement du taux de change

3. Implications à court et moyen termes

3.2. Entrées de capitaux et ajustement du taux de change

réé quilibrée de cinq manières non nécessairement exclusives les unes des autres :

• par le simple jeu de l’offre et de la demande, qui entraîne une appré-ciation de la monnaie nationale ;

• la Banque centrale peut abaisser son taux d’intérêt de manière à réduire la rémunération des différents actifs du pays et à freiner l’appréciation du change ; cependant cette politique est diffi cile à conduire dans la mesure où les entrées de capitaux provoquent gé-néralement un développement du crédit, que la baisse des taux tend à amplifi er ; le résultat est alors une appréciation du change réel via la hausse des prix internes ;

• la Banque centrale peut aussi compenser les entrées de capitaux en accumulant des réserves de change (ce qui correspond, dans la balance des paiements, à une sortie de capitaux) ; dans la mesure où celles-ci sont stérilisées, ces interventions n’ont pas d’impact sur la politique monétaire ; si elles ne le sont pas, elles se traduisent par une expansion monétaire, ce qui nous ramène au cas précédent ;

• il est possible de faire appel à la politique budgétaire. Une politique restrictive réduit le taux d’intérêt à long terme, ce qui freine à la fois les entrées de capitaux et l’expansion de la demande. C’est donc en principe une bonne réponse, qui rencontre cependant des limites lorsqu’elle impose de maintenir ou d’accroître des excédents budgétaires importants qui ne se justifi ent pas du point de vue de la gestion des fi nances publiques ;

• enfi n, le gouvernement peut décider de restreindre les entrées de capitaux par des instruments réglementaires ou des taxes.

À cette panoplie s’ajoutent les mesures d’accommodement destinées à réduire le potentiel déstabilisant des entrées de capitaux pour l’économie locale. Il s’agit essentiellement des mesures macro-prudentielles permettant que ces entrées de capitaux ne se transforment pas en bulles de prix d’actifs et d’endettement. Certaines mesures prudentielles, comme la limitation des positions en devises des banques, peuvent s’apparenter à des contrôles de capitaux. Toutefois, elles n’affectent que les fl ux intermédiés, pas les investissements de portefeuille. Elles demeurent donc des mesures macro-prudentielles destinées à limiter le risque pris par les banques, et non des contrôles de capitaux qui devraient, pour être effi caces, toucher sans dis-tinction les fl ux intermédiés et de portefeuille.

Initialement accueillie avec réserve, l’idée que les économies émergentes, dont les rendements du capital sont structurellement plus élevés que ceux des pays avancés, puissent dans certains cas être amenées à se protéger contre des affl ux brutaux de capitaux est de plus en plus admise. Le FMI, notam-ment, a récemment amorcé un changement de doctrine (Ostry et al., 2010).

Toutes ces réponses présentent cependant des inconvénients.

Les contrôles de capitaux, ou plus exactement les mesures destinées à

« fi ltrer » les entrées afi n de laisser libres les mouvements de capitaux longs et à décourager les mouvements spéculatifs, ont des défauts notables : leur effi cacité est limitée, surtout face à des affl ux structurels car ils fi nissent ré-gulièrement par être contournés ; ils provoquent des distorsions dans l’allo-cation des ressources ; ils sont, comme toutes les protections, générateurs de rentes. En outre, les pays émergents de l’Union européenne ne peuvent pas y avoir recours, car ils sont bannis par le Traité. C’est pourquoi ils sont considérés comme une dernière ligne de défense, utilisable lorsque les autres instruments macroéconomiques (interventions de change, politiques monétaire et budgétaire) et prudentiels se révèlent insuffi sants.

Les interventions offi cielles sur le marché des changes posent des pro-blèmes différents. D’abord, elles sont coûteuses dans la mesure où elles condamnent la Banque centrale à voir une part croissante de son actif ré-munéré à un taux inférieur à ce qu’elle obtiendrait dans l’économie(23). Plus généralement, l’accumulation de réserves de change dans un pays pauvre stérilise de l’épargne qui pourrait être mobilisée pour des usages productifs.

Ensuite, les interventions de change sont diffi ciles à stériliser entièrement à grande échelle. La partie non stérilisée peut alors déboucher sur une infl ation interne génératrice d’appréciation réelle ainsi que sur des bulles de prix d’actif et de crédit. Enfi n, les interventions offi cielles ne sont pas toujours effi caces pour empêcher une appréciation de la monnaie, notamment en l’absence de restrictions aux mouvements de capitaux privés (voir le cas du Japon en 2003).

La réaction par le taux d’intérêt pose les mêmes problèmes que les inter-ventions de change non stérilisées (infl ation, fragilisation fi nancière). Une baisse de taux d’intérêt peut aussi échouer à endiguer un affl ux de capitaux spéculatifs, si les investisseurs anticipent une forte appréciation de la mon-naie. À titre d’exemple, il faudrait abaisser le taux d’intérêt de 20 points de pourcentage par rapport au taux étranger pour compenser une anticipation d’appréciation de la monnaie de 5 % à trois mois(24).

Enfi n, l’appréciation du taux de change, qui résulte des forces de marché, a plusieurs avantages. D’abord, elle renchérit les actifs nationaux pour les investisseurs étrangers et, par là même, freine l’ardeur de ces derniers : à partir d’un certain niveau d’appréciation, la spéculation de type carry trade devient risquée car la monnaie de destination des fl ux peut se déprécier.

Ensuite, l’appréciation nominale abaisse le prix des importations, ce qui atténue la pression interne sur les prix. Enfi n, elle est stabilisante pour les pays d’origine des capitaux, dont la monnaie se déprécie. Cependant l’ap-préciation du taux de change pose deux problèmes essentiels. Le premier est que, si l’affl ux de capitaux est temporaire, alors la variation du change

(23) Ce coût d’opportunité devient un vrai coût lorsque la Banque centrale émet des bons de stérilisation en contrepartie de ses interventions.

(24) En effet, une dépréciation de 5 % en trois mois correspond à une dépréciation de 20 % en rythme annuel.

l’est aussi. La volatilité du taux de change qui en résulte n’est pas facile à couvrir sur des marchés émergents peu liquides et elle brouille les signaux de prix des producteurs locaux. Par ailleurs, dans la mesure où les marchés n’ont pas forcément une vision correcte des rendements (cf. la période ayant précédé la crise asiatique de 1997-1998), les fl uctuations du taux de change ne sont pas forcément conformes aux fondamentaux de l’économie (en particulier à la productivité). Le second problème de l’ajustement par le taux de change est qu’il peut facilement être excessif ou trop rapide. Dans ce cas, l’économie nationale n’a pas le temps de s’adapter aux nouveaux rapports de prix et le potentiel de production est réduit. Pour toutes ces rai-sons, on peut penser que la réponse par le taux de change est la meilleure qui soit pour répondre aux fl ux de capitaux durables et que ses inconvénients sont limités dans les pays disposant de marchés des capitaux développés, mais que d’autres instruments peuvent être légitimes lorsque les entrées de capitaux sont manifestement spéculatives, lorsque les agents intérieurs ne disposent pas d’instruments de couverture, et/ou lorsque l’appréciation de la monnaie est trop brutale.

La diffi culté est alors de défi nir les conditions d’utilisation de ces instru-ments d’ajustement alternatifs. Les contrôles de capitaux peuvent en effet servir d’autres fi nalités que la stabilité macroéconomique. Ils peuvent être utilisés pour maintenir un taux de change artifi ciellement déprécié, pour des raisons mercantilistes, ou pour protéger de la concurrence étrangère un secteur fi nancier ineffi cace. Il est donc souhaitable de pouvoir apprécier le caractère éventuellement non coopératif des politiques nationales. Ce jugement ne peut être réalisé que par une institution multilatérale ayant une capacité technique reconnue. La première condition serait donc que la compétence du FMI soit étendue au compte fi nancier (et non plus seu-lement aux paiements courants)(25). Cela implique ensuite de défi nir des critères. Les nombreux travaux ayant cherché à établir des normes de taux de change ou de réserves offi cielles conduisent à des résultats divergents peu propices à asseoir un accord international. En revanche, il est facile de mesurer la vitesse d’accumulation des réserves et la vitesse d’appréciation du change, afi n de déterminer dans quel cas un pays fait démesurément porter l’ajustement sur les réserves. Le graphique 6 fournit une illustration pour 2010, année durant laquelle certains pays, notamment la Chine, ont résisté vigoureusement à l’appréciation de leurs monnaies par l’accumu-lation de réserves de change. À l’inverse, le Brésil a connu une appréciation de 39 % en termes effectifs réels entre janvier 2009 et mars 2011, malgré une accumulation raisonnable de réserves. Dans ce cas, une accumulation plus rapide de réserves ou la mise en place de contrôles temporaires aux entrées de capitaux peuvent se justifi er.

(25) La limitation de la compétence du FMI date de la négociation des accords de Bretton Woods, qui reconnaissaient à chaque pays le droit de maintenir des mesures permanentes de contrôle des fl ux de capitaux. Elle n’est plus justifi ée et s’avère même contre-productive dans un monde où la libéralisation des mouvements de capitaux s’est étendue.

Au total, la réaction aux entrées de capitaux devrait être envisagée de manière lexicographique : d’abord l’appréciation du change nominal ; si l’appréciation est trop brutale, une accumulation « raisonnable » de réserves ; enfi n, si les interventions ne suffi sent pas, des contrôles ponctuels aux mouvements de capitaux. À chaque étape devraient être envisagées des politiques macro-prudentielles d’accompagnement, comme évoqué plus haut. La mise en œuvre de tels principes et sa cohérence inter nationale seraient surveillées par le FMI, le cas échéant en coopération avec les ins-tances de coordination régionale.