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3. Présentation des résultats

3.2 Les récits alternatifs des opposant·e·s

3.2.3 Faire entendre la voix de la population

Des chanteurs guyanais se font fait les portes voix de la population guyanaise à travers des chansons engagées. Les militant·e·s ont aussi voulu faire porter la voix de la population en allant in- terviewer la société guyanaise.

Le chant comme expression de la protestation

Deux chansons sont emblématiques de l’opposition à la MDO. La première, Snipa contre la Montagne d’or, a été mise en ligne le 2 mars 2018 lors du débat public, la seconde, de Teko Makan Non, à la montagne d’or, a été mise en ligne le 21 septembre 2018, peu après la publication du compte rendu du débat public par la CNDP. Ces deux chansons ont eu un écho assez important en Guyane. En mai 2020, la première bénéficie de 16 000 vues sur Youtube et 463 partages sur Face-

book, la seconde de plus de 11 000 vues sur Youtube et plus de 10 000 sur Facebook. Les deux chanteurs ont pour point commun d’être tous les deux Guyanais et de faire de la musique urbaine qui mélange les styles dancehall, raggae et hip hop. Ils s’adressent avant tout aux jeunes qui ha- bitent la Guyane et écoutent ce type de musique.

Les deux chanteurs s’inscrivent explicitement dans la continuité du mouvement social de 2017. En effet, ils utilisent dans leurs chansons deux expressions qui ont été scandées par les mani- festant·e·s en 2017. Snipa utilise l’expression « bloublous » qui veut dire mensonges en créole guyanais et Teko Makan « Nou bon kessa ! » autre expression créole que l’on peut traduire par « ça suffit ! » ou «Y’en a assez ! » Snipa reprend même une image forte du mouvement social de 2017 (illustration 23) : l’adresse des 500 frères à la population depuis le balcon de la préfecture de Guyane après la signature des accords avec les représentant·e·s du gouvernement et les élu·e·s lo- caux. En 2017, il s’agissait alors d’exprimer la lassitude et l’agacement de la population en dénon- çant les mensonges et l’inaction de l’État et des politiques face à la situation sociale et économique de la Guyane qui aurait 30 ans de retard sur sa métropole et les autres collectivités d’Outre-mer. Dans le cas du projet MDO, les menteurs sont peu ou prou les mêmes : les politiques locaux mais aussi les promoteurs du projet. Cette thématique du mensonge est très présente dans les deux chan- sons.

« Mais ces hommes sont des menteurs » (Snipa, Contre la Montagne d’or, 02/03/2018)

Ce propos est illustré par l’image de l’interview d’E. Macron en 2015 (illustration 24) lors- qu’il était ministre de l’économie. Il défend le projet MDO, « bon pour l’économie et bon pour la Guyane ». Par cet effet de complémentarité entre image et son, Snipa désigne explicitement les menteurs : les hommes politiques qui soutiennent le projet, le président de la République étant le premier.

Snipa dénonce aussi l’inaction des politiques locaux.

Tellement de choses à faire pour le peyi mais c’est ça qui vous intéresse ! / Réglez d’abord le problème de l’orpaillage illégal. / Des millions confisqués pas un centime pour la Guyane ! / Mouché Serville, mandé fait comme zot ont fait comme zi z‘avez pas entendé. (Snipa, ibidem, 02/03/2018)

Il insinue que les élu·e·s sont intéressé·e·s par gagner de l’argent et sont dans leur ensemble corrompus par la CMO. Il dénonce aussi la très faible action politique et judiciaire face à l’or- paillage illégal et la spoliation des richesses de la région. En effet, l’or exploité illégalement, quand Illustration 23: Snipa, Non à la montagne d'or

(00:01:17)

Illustration 24: SNIPA, Non à la montagne d'or (00:01:41)

il est trouvé, est confisqué, transformé en lingot d’or puis envoyé à la banque de France. Ceci est vécu par les autonomistes comme une spoliation des richesses guyanaises. Pour eux, cet or devrait être investi en Guyane. En interpellant directement le député Gabriel Servile, Snipa rappelle que ce dernier refuse de se prononcer franchement dans les débats sur l’orpaillage et celui de la MDO en particulier. En effet, le député ne s’est prononcé publiquement opposé au projet MDO que le 13 juin 2018 à l’Assemblée Nationale à l’occasion d’une question au ministre de la transition énergétique, Nicolas Hulot.

Ces deux chansons sont construites comme deux tribunes d’opposition au projet MDO, deux contre-discours face aux arguments de la CMO, dans le but de dénoncer les fausses promesses de la compagnie.

Ils te disent qu’il y aura du travail pour les jeunes guyanais / Ils te disent qu’ils vont replanter tous les arbres de la forêt (Snipa, ibid., 02/03/2018)

de l’économie à la spiritualité, de la culture à la préservation de l’environnement, ce projet est simplement destructeur (Teko Makan, « Non à la montagne d’or », 16/09/2018)

La promesse de travail pour les jeunes guyanais et le soucis environnemental de l’entreprise sont deux des principaux arguments de l’entreprises. La dénonciation par les deux chanteurs résume la pensée de l’ensemble des acteur/trice·s opposé·e·s au projet pour qui la mine ne créera pas de l’emploi et aura des conséquences environnementales gravissimes. Pour Teko Makan, au-delà des aspects économiques et environnementaux, la destruction de la faune et de la flore provoquée par le projet va forcément détruire les cultures et spiritualités guyanaises amérindiennes. Le projet est donc une attaque à ce qui constitue les identités guyanaises, particulièrement celles des Peuples Pre- miers (cf. 3.3).

Tous les deux se veulent des portes paroles de la population guyanaise. Snipa se présente dans un décor naturel de forêt et se fait défenseur de la nature et du peuple guyanais (cf. 3.3.3). Teko Makan, se présente en guerrier et opposant autochtone au projet. Snipa commence sa chanson dans un mélange de français et de créole guyanais ainsi :

Mo veni pour parlé pour la jeunesse mais aussi pour ses grands mounians. Mo veni pour parler pour les guyanais. Ke tout sa qu’arrété la Guyane.(SNIPA, Contre la Montagne d’or, 02/03/2018)

Il se présente donc comme le porte voix de l’ensemble de la population guyanaise dans son ensemble ; des jeunes aux personnes âgées (« grands mounians »). Il illustre son clip de portraits de figures locales opposées au projet membres du collectif ODQ : la JAG, les 500 frères, les membres d’ODQ comme M. Dubouillé ou N. Stephenson... Teko Makan incorpore lui aussi des figures de l’opposition dans son clip ; particulièrement les militant·e·s autochtones Amérindiens comme C. Y. Pierre, porte parole de la JAG, Julien Pierre chef coutumier du village Pierre, farouchement opposé au projet ou Alexis Tiouka juriste et militant autochtone de longue date. Il incorpore aussi dans son clip des images des différentes manifestations qui ont eu lieu à Cayenne et Saint Laurent du Maroni. Pour les deux chanteurs, il y a une volonté de se montrer comme la voix de la population guyanaise dans son ensemble, ou du moins d’une partie de ses composantes, opposée au projet. Ils entonnent dans leurs refrains le même message : « Non, non, non, non, non à la montagne d’or » qui sonne à la fois comme une incantation et un cri de guerre. Le message « Non à la Montagne d’Or » a été

l’un des slogans les plus emblématique des opposant·e·s au projet. Il a été le symbole d’un refus po- pulaire et farouche face à la CMO.

La parole de la population contre celle des experts

Les opposant·e·s au projet ont aussi donné la parole aux habitant·e·s de la Guyane. Masuwa- na Aluikawaï est le compte Facebook d’un·e vidéaste ou d’un collectif de vidéaste, que nous suppo- sons proche de la JAG28. Une série de six reportages lors de la période du débat sur le sujet Mon- tagne d’or a été réalisé et mis en ligne sur le compte. L’objectif affiché est de faire parler la popula- tion guyanaise. Les interviews ont lieu dans le village Amérindien de Terre-Rouge à Saint Laurent du Maroni, à Kourou, à Cayenne et à Macouria. Ce sont des personnes de tout âge et de toute ori- gine qui sont interviewées. La vidéo conservée pour le corpus est l’interview de sept jeunes lycéens de Macouria en juin 2018. Le WWF a réalisé début juillet une vidéo afin de mettre en avant un son- dage commandé à l’IFOP qui affirme que 7 Guyanais·e·s. sur 10 sont opposé·e·s au projet minier. Dans la vidéo, 14 personnes s’expriment. Elles sont de tout âge et de toutes origines socio-eth- niques. Elles sont toutes identifiées avec leur nom, leur commune et leur métier ou action militante. Ces vidéos ont cependant bénéficié d’une audience assez faible, un peu plus de 600 vues chacunes recensées sur Youtube et Facebook.

La promesse du genre de ces vidéos est celle d’une voix populaire et authentique où la pa- role du vidéaste est effacée autant que faire se peut. Les introductions et conclusions de ces vidéos sont assez similaires. Un texte sur un fond noir uni. Les vidéos de Masuwana Aluikawaï com- mencent toutes avec le même plan introductif « Projet méga-miniers en Guyane. Qu’en pensent les habitants ? » (illustration 25) et conclusif « Les citoyens donnent leur avis. Et ça compte ! ». (illus- tration 26) La vidéo du WWF a pour plan introductif « Des Guyanais expriment leur opposition au projet Montagne d’Or » (illustration 27) et pour plan de conclusion « ENSEMBLE, AGISSONS ! » (illustration 28) « #STOPMONTAGNEDOR » écrit en blanc sur un fond noir.

28 Malgré nos tentatives de prise de contact, nous n’avons pas eu de réponse.

Illustration 25: Masuwana Aluikawa Introduction de la vidéo (00:04:26)

Illustration 26: Masuwana Aluikawa, Introduction de la vidéo (00:00:12)

Ces vidéos sont construites de manière à ne donner la parole qu’exclusivement à la popula- tion. Elles cherchent à recueillir une parole populaire et authentique. Les termes techniques ne sont pas utilisés où alors à la marge. Le vocabulaire est plutôt familier, hésitant avec parfois des fautes de français. Ce ne sont pas des professionnels de la communication ou de la politique qui s’ex- priment mais des gens du commun.

Je pense que c’est une grosse douille (deuxième témoignage, Masuwana Aluikawaï La population guyanaise donne son avis, Macouria,2018, 10/06/2018)

Tain... parce que c’est chiant à la fin. C’est tout. (quatrième témoignage, ibid., 10/06/2018)

Le déchet quand il sera fini, 12 ans, c’est pas moi qui va le voir, c’est mes fils qui vont voir ça ! C’est mes enf... petits enfants encore ! Donc ils vont souffrir ! (Julien Pierre, Montagne d’or 7 guyanais opposés au projet, 03/07/2018)

Les opposant·e·s s’inscrivent dans une stratégie de l’authenticité face à la communication professionnelle et technique de la CMO. La population ne ment pas. Elle exprime ses doutes face au réel impact de la mine sur le développement économique.

Toutes les multinationales qui se sont installées dans les pays où elles exploitent n’ont pas développées les pays qui ont, les pays et les régions qui ont été exploitées. Donc, je ne vois pas pourquoi la Guyane échapperait à la règle. (Gérard Bons, Montagne d’or 7 guyanais opposés au projet, 03/07/2018)

Ils sont juste là pour faire l’argent. Beaucoup d’argent et ne pas en distribuer pour la Guyane. (Premier témoignage, La population guyanaise donne son avis, Macouria,2018, 10/06/2018)

Elle exprime ses craintes face au projet minier et ses risques environnementaux, en particu- lier liés au cyanure et ses conséquences sur la population.

Les risques principaux c’est ben le déversement d’un seul coup de quantité monstrueuse de cyanure dans la nature. (F. Sublet, Montagne d’or 7 guyanais opposés au projet, 03/07/2018)

Une nouvelle opportunité de détruire la planète. (troisième témoignage, La population guyanaise donne son avis, Macouria,2018, 10/06/2018)

Certain·e·s reprennent les arguments d’alternatives économiques des militant·e·s. Illustration 27: Introduction vidéo Montagne d'Or

Créer des hôtels, des hôpitaux pour mieux avooiir, pour la Guyane puisse mieux développer, voilà et tout. (sixième témoignage, La population guyanaise donne son avis, Macouria,2018, 10/06/2018)

D’autres mettent en doute la sincérité économique du projet.

Ils utilisent l’argument de ça va créer plus d’emploi, c’est juste un argument. Je sais que quand ils disent ça c’est que ça va pas vraiment créer plus d’emploi. (troisième témoignage, La population guyanaise donne son avis, Macouria,2018, 10/06/2018)

Moi je pense que mega-mine c’est une sorte de douille contre la Guyane, » (deuxième témoignage, La population guyanaise donne son avis, Macouria,2018, 10/06/2018)

En somme, la population reprend les différents arguments énoncés depuis des mois par les militant·e·s opposé·e·s au projet MDO. Ces vidéos sont faites pour montrer que les Guyanais·e·s soutiennent les militant·e·s, qu’ils sont eux aussi opposés au projet. Mais la vidéo du WWF met aussi en scène plusieurs figures de l’opposition au projet MDO. Mickaël Mancé a été l’un des lea- der du mouvement social de 2017 avant de s’en détacher. Alexis Tiouka est un militant de longue date de la cause des Peuples Premiers. Nora Stephenson est une militante aguerrie et l’une des porte parole du collectif ODQ. Laurent Kelle est le président du WWF en Guyane et Yvane Goua est l’une des porte parole du collectif des 500 frères. Derrière le recueil d’une parole citoyenne se cache aussi une parole militante forte.

Les opposant·e·s ont donc développé leur argumentation à travers les RSN. Ils y ont déve- loppé une contre-expertise face à la CMO et ses alliés. Ils ont repris les codes de l’internet et notam- ment la culture du meme. Ils se sont engagés dans un soucis d’authenticité en donnant la parole à la population. Le débat sur la montagne d’or a fait émerger dans la continuité des mouvements de 2017 des affirmations identitaires propres à la société guyanaise : l’affirmation d’une identité au- tochtone Amérindienne et la construction d’une société multi ou pluri-ethnique.

3.3 L’affirmation d’une identité autochtone amérindienne et la