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Chapitre VI : Conclusions et perspectives

B. Enseignements sur la lutte biologique par conservation en verger

1) Les conclusions inapplicables des études en système de culture céréalière

La lutte biologique par conservation a principalement été étudiée dans des systèmes de culture céréalière (Letourneau et al., 2009). Or le fonctionnement de ces agro-écosystèmes, hébergeant des réseaux trophiques simples est radicalement différent de celui de notre modèle d’étude, le verger de pommier. En effet, il s’agit d’un milieu pérenne qui présente plusieurs strates de végétation, la strate herbacée pluri-spécifiques et la strate arborée mono-spécifique composée de pommiers. Cette culture se caractérise aussi par un temps de production avant récolte très long car d’au moins 6 mois entre la floraison et la récolte. Les ravageurs de ces cultures doivent donc être régulés au sein d’un réseau complexe d’espèces associées au verger et sur plusieurs saisons. Au cours de ma thèse, j’ai donc pu remarquer que certaines problématiques typiques des agro- écosystèmes céréaliers revêtaient une moindre importance dans un agroécosystème arboricole du fait de la complexité de ses réseaux trophiques. Par exemple, la question du coût/bénéfice à favoriser les proies alternatives pour augmenter l’efficacité de la régulation par les prédateurs généralistes est importante en système céréalier. En effet, les proies alternatives permettent de maintenir les populations de prédateurs polyphages en l’absence de ravageurs (e.g. Agusti et al., 2003). Cependant, alors que le ravageur peut être la principale ressource alimentaire du prédateur, favoriser ces proies alternatives peut perturber considérablement son potentiel de régulation (e.g. Prasad and Snyder, 2006). En revanche, il semble inutile d’étudier le coût à favoriser les proies alternatives en termes de régulation de ravageurs en verger. Du fait de sa structure complexe et pérenne, le verger est forcément riche en proies alternatives et donc il n’est pas envisageable de considérer que le ravageur constitue une part substantielle du régime alimentaire des prédateurs. En effet, comme le suggère la relativement faible consommation de ravageurs, ceux-ci sont « dilués » au sein de l’ensemble des autres proies consommables. Ainsi l’intérêt de favoriser les proies alternatives grâce à des aménagements particuliers sera donc atténué par la complexité du réseau trophique déjà présent

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en verger. De même le modèle d’une régulation du ravageur attribuée à un seul prédateur particulièrement efficace et dominant la communauté apparait mieux adapté au modèle céréalier qui ne porte pas une grande diversité de prédateurs. En revanche, le verger présente des communautés riches en prédateurs et donc il semble peu probable qu’un prédateur par effet de sélection (selection

effect) domine la communauté. Pour conclure, puisqu’il présente des réseaux trophiques complexes,

le verger impose une approche globale, multi-proies et multi-prédateurs, plutôt qu’une approche ciblée, une proie et un prédateur, souvent utilisée en milieu céréalier.

2) Indications sur les aménagements fonctionnels en verger

Les aménagements fonctionnels peuvent concerner la strate herbacée, la strate arborée et les structures agro-environnementales entourant les parcelles. Dans le chapitre V, nous avons vu que l’impact des aménagements du verger étaient différents selon les taxa étudiés. Certains taxa semblaient plutôt sensibles à la gestion de l’habitat intra-verger (arthropodes du sol) et d’autres plutôt sensibles à la présence d’habitat semi-naturels à proximité du verger (araignées de la frondaison). J’ai d’ailleurs soulevé en conclusion de ce chapitre, les rôles multiples et parfois contradictoires, de corridors ou de barrières selon les taxons, que la haie pouvait avoir. Il s’agit d’un élément important du verger car à l’instar de la bande enherbée qui constitue l’habitat semi-naturel pour les prédateurs du sol à proximité des champs de céréales, la haie constitue l’habitat semi-naturel pour les prédateurs de la frondaison à proximité du verger.

Les aménagements que l’on a étudiés sont fonctionnels en cela qu’ils permettent d’augmenter la disponibilité en habitats favorables, en ressources alimentaires et d’offrir une protection physique au vent dominant.

Augmentation de la disponibilité en habitats favorables

L’intérêt des nichoirs à oiseaux et des gîtes à chauves-souris est en cours d’évaluation mais ceux qui ont été colonisés par des mésanges (resp. des chauves-souris) l’ont été dès la première année. Cela suggère donc que la zone d’étude est limitée en habitats favorables (cavités) pour ces prédateurs. Il reste néanmoins à comprendre pourquoi certains gîtes n’ont jamais été colonisés par les chauves-souris.

La complexité de la strate herbacée (hauteur et richesse spécifique) semble augmenter la disponibilité des sites favorables pour tisser des toiles en nappe des Lyniphiidae et en microhabitat favorables aux Lycosidae. En revanche, cette gestion extensive du couvert herbacée si elle

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correspond à une fermeture du milieu serait défavorable aux carabes. Il semble donc difficile de favoriser à la fois les abondances des araignées du sol et celle des carabes.

Les bandes-piège constituent un refuge en hiver pour les araignées de la frondaison qui habituellement trouvent refuge sous l’écorce des arbres. Or comme les variétés conçues pour les vergers en mur fruitier ont une écorce plus lisse que les variétés traditionnelles (Hagley and Allen, 1988), la disponibilité en refuges hivernaux naturels peut être limitée. Il serait donc intéressant d’étudier l’impact sur les abondances d’araignées de la frondaison de la mise en place de refuges artificiels par exemple sous forme de bandes cartonnées alvéolées.

Augmentation de la disponibilité en ressources alimentaires

La gestion extensive de la strate herbacée laisse la possibilité à la végétation de fleurir ; les fleurs offrent des ressources en pollen et nectar favorables aux prédateurs directement ou indirectement en attirant des proies alternatives qui s’en nourrissent. Comme discuté dans le chapitre V, ce pourrait être une raison expliquant la plus forte abondance de Lycosidae. Par ailleurs, il a été montré que ces ressources en pollen et nectar favorisaient les prédateurs consommateurs de pucerons des pommiers de manière directe pour les syrphes adultes ou indirecte pour certaines araignées de la frondaison consommant des proies ainsi attirées (Wyss, 1995 ; Wyss et al., 1995 ; Wyss, 1996)

Augmentation de la protection physique au vent dominant

Les abondances de Linyphiidae étaient plus fortes lorsque les haies étaient plus hautes, suggérant leur rôle de protection physique contre le vent dominant. Cette effet des haies a aussi été reporté chez les arthropodes de la frondaison (Debras et al., 2008).

3) Implications dans la lutte intégrée contre les ravageurs étudiés

D’une manière générale, la mise en place des aménagements favorables aux prédateurs sont compatibles avec les autres méthodes de lutte intégrée tels que la confusion sexuelle et les passages pour traitements insecticides ciblés.

Il est d’ailleurs intéressant de noter que des évolutions de pratiques culturales en verger de pommiers sont favorables à la lutte biologique par conservation. Premièrement, les systèmes d’arrosage par inondation très consommateurs en eau devraient être remplacés par des systèmes d’arrosage par aspersion. Il est probable que cela profite aux arthropodes du sol qui sont noyés par les inondations, surtout si le couvert herbacé est coupé court. Deuxièmement, les variétés sélectionnées pour la production en mur fruitier présentent des écorces plus lisses qu’auparavant. Comme discuté dans le paragraphe précédent, cela diminue la disponibilité en refuge pour les

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arthropodes de la frondaison notamment pour les araignées mais aussi pour les larves diapausantes de carpocapse de la pomme et de tordeuse orientale. En conséquence, ces larves auront tendance à chercher un site de diapause au sol et seront donc plus vulnérables à la prédation par les arthropodes du sol.

Par ailleurs, l’utilisation des filets alt’carpo dans la lutte contre le carpocapse offre des résultats prometteurs de protection contre ce ravageur. Cependant, il serait nécessaire d’évaluer les conséquences de la pose de ces filets sur les communautés de ravageurs et de prédateurs. D’une part ces filets peuvent modifier le microclimat sous la canopée des arbres et donc le développement des ravageurs et des prédateurs. D’autre part, ils peuvent entraver les mouvements des prédateurs dans le verger et avec les structures agro-environnementales environnantes. Sur les arthropodes prédateurs, des études sont actuellement en cours.