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Le groupe de travail ainsi constitué s’est donc réuni environ une fois par mois afin d’élaborer dans un premier temps le guide d’entretien (voir annexe 2) puis d’effectuer un travail de bibliographie afin d’apporter une culture en sciences sociales autour du sujet de la prévention, du rapport au corps et de la santé (voir annexe 3) parallèlement à la réalisation des entretiens auprès des généralistes choisis.

Les médecins ont été choisis par les enquêteurs, en s’assurant que les praticiens contactés ne se consacraient pas exclusivement à un Mode d’Exercice Particulier (MEP) comme l’acupuncture, l’homéopathie, l’ostéopathie, etc… Nous avons choisi également de ne pas interviewer les remplaçants. Les médecins ont dans un premier temps été contactés par téléphone puis, s’ils acceptaient de participer à l’enquête et qu’ils ne présentaient pas de critères « d’exclusion », un rendez-vous était convenu pour réaliser l’entretien en « face à face » que ce soit dans leur cabinet ou dans le lieu de leur choix : restaurant, café, bureau, domicile…

Les médecins rencontrés n’ont pas été rémunérés et l’intégralité des entretiens a été enregistrée avec leur accord. Notre corpus en compte 100 et la durée de ces entretiens varie de 45 min à 3h15. Le travail suivant a consisté à retranscrire par écrit les interviews et en réalisant au fur et à mesure un fichage sommaire par médecin interrogé : sexe, âge, ancienneté d’installation, secteur d’exercice, sujets de prévention abordés ainsi que quelques lignes sur le ressenti de l’enquêteur à propos de cet entretien. Un membre du groupe a été désigné pour centraliser l’anonymisation sous forme de prénom attribué arbitrairement afin de ne pas réaliser de doublons.

Personnellement, j’ai débuté par les généralistes dont le cabinet se situait près de celui de mon praticien en stage de niveau 1, en utilisant son nom car elle me les avait recommandés comme faisant partie de l’Amicale à laquelle elle adhère. Je cherchais des généralistes, pour un premier contact, qui soient déjà impliqués dans la formation des internes. Elle m’a donc donné quatre noms. C’est en utilisant ses relations professionnelles confraternelles que je me suis lancée dans la série des contacts téléphoniques. Sur ces quatre premiers contacts, le premier a accepté d’emblée, en me proposant le samedi matin suivant soit quarante-huit

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heures plus tard, avant ses consultations, nécessitant donc pour lui de venir une heure plus tôt que prévu. Cependant, les trois autres n’ont bien sûr pas été aussi faciles que ce premier qui fut presque le plus simple de toute la série. Le deuxième m’a appris qu’il était en train de chercher un remplaçant « longue durée » de façon urgente car il venait d’apprendre qu’il était malade et qu’il n’avait pas beaucoup de temps à consacrer à quoi que ce soit d’autre… Enfin, les deux autres ont accepté : le troisième appel a abouti à un entretien mais la quatrième a repoussé deux rendez-vous après en avoir oublié un autre… Au total, j’ai pu faire 10 entretiens.

Les autres généralistes, je les ai contactés par argument de proximité avec l’hôpital dans lequel j’étais en stage en utilisant ce statut : « Bonjour je suis interne à l’hôpital X… ». Cette phrase d’accroche me permettait au moins de capter leur attention pendant quelques secondes voire de passer les filtres des secrétaires. La plupart se sont ainsi montrés attentifs le temps que je leur expose le motif de mon appel, deux d’entre eux se sont même d’emblée montrés très enthousiastes. Je me suis forcée à solliciter à plusieurs reprises deux de ces généralistes qui n’avaient pas l’air au téléphone très enclins à m’accorder de leur temps de façon à obtenir un panel d’entretiens plus variés.

Obtenir les derniers entretiens de ma série s’est révélé bien plus complexe. Je n’avais plus le statut d’interne de l’hôpital le plus proche du cabinet ni le sésame du nom de la consœur de la rue voisine. Plusieurs ne m’ont pas laissée terminer ma première phrase, l’un d’entre eux m’a coupée au milieu de ma phrase d’introduction « Je ne suis pas intéressé, je vais raccrocher ». La réponse qui m’a le plus frappée est venue d’une femme, qui m’a laissée me présenter en m’expliquant la bouche pleine qu’elle était en train de manger et qu’elle n’allait pas s’arrêter pour autant et enfin après un blanc de quelques secondes, m’a demandé, visiblement énervée, comme si c’était l’information capitale que je ne lui avais pas transmise mais que j’aurais dû : « Oui… Et c’est payé combien ? ». Quand je lui ai répondu que ce n’était pas indemnisé, elle a aussitôt mis fin à la conversation après un très cynique «Au revoir, à bientôt ».

Parmi les médecins que j’ai pu interviewer, la plupart étaient très intéressés par l’enquête et ont montré une réelle volonté à partager leur expérience. Certains m’ont invité à déjeuner pour que le cadre soit le plus agréable possible, d’autres l’ont manifesté en détournant leur ligne téléphonique afin que nous ne soyons pas dérangés et enfin certains n’ont pas hésité à m’accorder plus d’une heure de leur temps de travail pour être disponibles à répondre. La plupart d’entre eux m’ont demandé de leur communiquer mon travail de thèse abouti et j’ai

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remarqué qu’il s’agissait plutôt des plus âgés qui formulaient cette demande… La diversité des lieux où je me suis rendue pour les entretiens m’a permis de découvrir plusieurs aspects de la médecine générale que je ne connaissais pas : l’isolement du praticien qui est le seul de sa petite commune de la grande banlieue, quasiment rurale, le travail collectif des médecins installés en groupe dans les grandes villes. Seule une d’entre eux a semblé déprimée par son travail, acculée par les formalités, désespérée presque par la réticence et la non observance qu’elle attribue à ses patients.

Il m’a semblé, après cinq ou six entretiens réalisés, que je me trouvais face à des praticiens qui étaient de plus en plus disposés à partager leur expérience avec un confrère plutôt que de transmettre leur expérience à une étudiante. Avec du recul, je pense qu’il s’agissait surtout d’une évolution de mon attitude : le fait de connaître le guide d’entretien presque par cœur, d’avoir acquis un peu d’expérience dans cet exercice que je n’avais jamais pratiqué ont contribué à m’apporter plus de prestance lors de ces interviews. Par ailleurs, j’avais au début très peur de les déranger, j’étais gênée de leur demander de leur temps. Après quelques interviews, j’ai réussi à occulter cet aspect de la rencontre afin de ne plus la considérer que comme une aide supplémentaire à la compréhension et un enrichissement de notre corpus de données. La chute progressive de ces barrières a certainement contribué à des échanges plus nourris, plus fluides et au final à des entretiens plus riches. Le cercle est ensuite vertueux : plus les rendez-vous sont intéressants plus on a envie de creuser les réponses et plus le médecin se sent dans une conversation avec un fil conducteur plutôt que dans un interrogatoire ce qui l’aide à se sentir à l’aise et à partager son expérience avec un interlocuteur qui s’intéresse à sa pratique.

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