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1.3 La mobilisation familiale dans l’aide aux personnes âgées dépendantes en Europe

1.3.2 Trois enjeux en termes de politiques publiques, trois focus statistiques

tistiques

La suite de notre ré‡exion s’organise autour de trois questions qui visent à appréhender l’aide informelle aux personnes âgées dépendantes du point de vue du décideur public :

(i) Faut-il construire une politique publique de prise en charge de la dépendance basée sur un scenario de diminution de la mobilisation familiale ?

(ii) Une politique publique visant à accroitre l’activité professionnelle des seniors est-elle com- patible avec une politique publique de maintien à domicile des personnes âgées dépendantes ?

(iii) Les solidarités publiques destinées aux personnes âgées dépendantes évincent-t-elles les solidarités familiales ?

La première question posée renvoie à l’avenir de l’aide informelle. La question est importante car elle conditionne le débat sur la place à donner aux solidarités publiques dans la prise en charge de la dépendance. Les solidarités familiales sont souvent décrites comme étant en voie d’e¤ritement9.

De ce point de vue, les économistes mettent généralement l’accent sur l’inadéquation entre les évolutions attendues de la « demande » et de l’« o¤re » d’aide informelle10.

D’un côté, le vieillissement de la population engendrerait une augmentation du besoin de prise en charge et donc une augmentation de la « demande » d’aide informelle et professionnelle. De l’autre, un certain nombre d’évolutions sociodémographiques auraient pour conséquence une dimi- nution de l’« o¤re » d’aide informelle. Di¤érents arguments sont avancés. Certains renvoient aux

9Il convient de noter que cette perception des solidarités familiales n’est pas nouvelle (cf. section 1.1 du présent

chapitre).

évolutions des con…gurations familiales telles que la diminution du nombre moyen d’enfants par femmes ou la fragilisation des couples (Eurostat, 2009). D’autres arguments renvoient à l’évolu- tion des caractéristiques socio-économiques des aidants potentiels comme la participation accrue des femmes au marché du travail (Dwyer et al., 1991) ou la plus grande mobilité géographique des enfants vis-à-vis de leurs parents (Bolin et al., 2008). Le consensus existant sur la diminution programmée de l’aide informelle repose nous semble-t-il sur une hypothèse implicite forte d’in- dépendance des comportements d’aide au sein de la famille. Sous cette hypothèse, tout facteur venant diminuer l’aide de certains membres de la famille conduit mécaniquement à une diminution de l’aide familiale dans son ensemble : le déclin du nombre d’enfants par femme ou la fragilisation des couples diminueraient le nombre d’aidants potentiels et donc l’aide familiale globale, tandis que les femmes, plus souvent actives occupées, ou les enfants, plus souvent éloignés géographique- ment de leurs parents, réduiraient leur implication individuelle dans la prise en charge, diminuant ici aussi l’aide familiale dans son ensemble. Cette hypothèse facilite l’étude de la formation des con…gurations d’aide au sein de la famille puisqu’elles peuvent alors être comprises comme une simple juxtaposition de comportements individuels indépendants. Elle apparait cependant peu réaliste. On peut par exemple imaginer que la moindre implication des uns puisse être compen- sée par une implication accrue des autres si bien que l’évolution de la prise en charge familiale dans son ensemble ne pourrait être déduite des évolutions attendues au niveau individuel que nous venons de présenter. Au regard de l’évolution de l’aide informelle, la question de l’articula- tion des comportements d’aide au sein de la famille apparait dès lors comme une question clé. La section 1.4 du présent chapitre est consacrée à l’étude de cette question. Elle introduit l’analyse micro-économétrique des interactions au sein des fratries proposée au chapitre 2.

La seconde question structurant notre travail met en relation l’aide informelle avec l’exercice d’une activité professionnelle. Cette question concerne en premier lieu la population des travailleurs (ou en âge de travailler) les plus âgés, que nous quali…erons par la suite de population des seniors. Parmi les individus en âge de travailler, ce sont en e¤et ceux qui sont le plus fréquemment confrontés à la dépendance d’un parent âgé et donc le plus à même à devoir articuler les décisions d’o¤re de travail et d’o¤re d’aide informelle.

Au regard de leur âge, ils apparaissent comme doublement concernés par les politiques publiques visant à répondre au vieillissement de la population. Ils sont tout d’abord en première ligne pour «

mettre en pratique » une politique publique privilégiant le soutien à domicile des personnes âgées dépendantes, solution qui n’est envisageable qu’avec le soutien de la famille. En e¤et, après 50 ans, la prise en charge d’un parent dépendant se fait dans la majorité des cas sans l’aide du deuxième parent, la situation où les deux parents sont encore en vie étant minoritaire11. Parallèlement, cette population est incitée à quitter le marché du travail le plus tard possible a…n de limiter la pression qu’exerce le vieillissement de la population sur les comptes publics. Du point de vue des seniors, ces deux politiques publiques apparaissent di¢ cilement conciliables et posent naturellement la question, au niveau individuel, de l’articulation entre deux activités a priori concurrentes : l’exercice d’une activité professionnelle et l’aide apportée à un parent âgé dépendant. Si tel est le cas, cela mettrait en lumière les limites et l’opposition entre une politique d’accroissement de l’activité des séniors et une politique de maintien à domicile des personnes âgées dépendantes. La question de l’articulation entre activité d’aidant et activité professionnelle correspond à notre deuxième objet d’étude. Nous menons pour cela une analyse micro-économétrique de l’arbitrage individuel entre temps de travail et temps d’aide (chapitre 2). Préalablement, la section 1.5 du présent chapitre propose une analyse descriptive du rôle des seniors dans la prise en charge d’un parent âgé dépendant et la manière dont ils articulent cette activité avec l’exercice d’une activité professionnelle. Cette question renvoie par ailleurs à celle du coût privé et social de l’aide informelle. Suite à la prise en charge d’un parent âgé dépendant, le renoncement, partiel ou total, au marché du travail remettrait en cause l’apparente gratuité pour les …nances publiques de l’aide informelle. Les coûts sociaux de l’aide informelle induits par la diminution de l’activité professionnelle devraient alors rentrer en ligne de compte dans l’élaboration d’un système de protection sociale articulant solidarités privées et solidarités publiques.

Les interactions entre solidarités publiques et solidarités privées dans le cas de la prise en charge des personnes âgées dépendantes constituent justement notre dernier objet d’étude. Au regard de cette question, une attention particulière est portée par les économistes à l’e¤et d’éviction potentiel (crowding out e¤ect) des solidarités privées par les solidarités publiques. Cet e¤et d’éviction est traditionnellement mis en évidence à travers le modèle d’altruisme12, rendu célèbre par Barro

11A 50 ans, environ 20% des européens ont leur deux parents en vie. Ils ne sont plus que 1% dans ce cas à 60 ans

(cf. graphique 5 page 45).

12L’altruisme est dans le modèle très di¤érent d’un amour désintéressé d’autrui. Au sens microéconomique,

l’altruisme correspond au fait que l’utilité d’un individu, disons un parent, apparait comme un argument de l’utilité d’un autre, disons son enfant. La décision de prise en charge d’un enfant altruiste reste dès lors basée sur la maximisation de sa propre utilité. Tout se passe comme si l’enfant altruiste consommait l’utilité de son parent

(1974) et Becker (1974). Ce modèle implique une propriété dite de « neutralité redistributive » selon laquelle une modi…cation exogène de la distribution des revenus entre individus liés par des liens d’altruisme serait neutralisée par des transferts intra-familiaux compensatoires13 (Laferrère

et Wol¤, 2006 ; Masson, 2009).

De manière plus précise, dans le cas de la prise en charge des personnes âgées dépendantes, cet e¤et d’éviction impliquerait que toute politique publique visant à augmenter le recours à l’aide professionnelle, par exemple par des subventions partielles ou totales des coûts induits par l’aide professionnelle, se traduirait par une diminution de l’aide de la famille, impactant alors négativement l’e¢ cacité d’une politique publique visant à accroitre la prise en charge globale des personnes âgées dépendantes14. L’existence d’un tel e¤et d’éviction suppose en fait une parfaite

substituabilité entre les transferts publics et les transferts privés. Cette hypothèse est raisonnable lorsqu’il s’agit de transferts …nanciers : un euro sous forme d’aide publique est équivalent pour le béné…ciaire à un euro donné par un membre de la famille. Il nous semble en revanche qu’elle l’est nettement moins lorsqu’il s’agit de transferts sous forme de services, dès lors qu’une heure d’aide professionnelle n’est pas strictement équivalente à une heure d’aide informelle. De ce point de vue, les aides professionnelles et familiales sembleraient plus proches de substituts imparfaits. Les intervenants professionnels pouvent d’une part apporter une aide dans des activités di¤érentes de celles dans lesquelles intervient la famille et d’autre part être caractérisés, pour un type d’aide donné, par des productivités di¤érentes de celles des aidants informels. En cas de substitution imparfaite, l’e¤et d’éviction pourrait alors être relativement modeste. Il pourrait même être nul si le recours à l’aide professionnelle ne se faisait qu’une fois épuisée les ressources d’aide informelle15

(Chappell et Blandford, 1991). La question de l’articulation entre l’aide professionnelle, …nancée en partie par l’allocation personnalisée d’autonomie en France, et l’aide familiale est donc centrale au regard de l’existence d’un e¤et d’éviction. Dans cette optique, la section 1.7 présente une description statistique du recours à l’aide professionnelle à partir des données HSM. Le chapitre 4

(Laferrère et Wol¤, 2006).

13"This neutrality property is the basic of Ricardian equivalence : in a world where families are linked by positive

monetary transfers, government monetary redistribution between them is neutralized by family action”(Laferrère et Wol¤, 2006, p.897).

14Il convient de noter que certaines politiques publiques peuvent délibérément vouloir s’appuyer sur un tel e¤et

d’éviction si l’objectif du décideur public est de "soulager" les aidants informels.

15On pourrait même aller jusqu’à supposer une complémentarité entre les deux types d’aide dans les situations

d’arbitrage entre maintien à domicile ou mise en institution, si le maintien à domicile n’est possible qu’avec l’aide conjuguée de professionnels et de membres de la famille.

vise quant à lui à directement étudier l’e¤et du recours à l’APA sur l’aide familiale.