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6   La légitime défense comme excluant la participation aux hostilités ?

6.2   Enjeux spécifiques

De toute évidence, les actes accomplis par des enfants participant indirectement aux hostilités doivent aussi pouvoir être couverts par la légitime défense lorsqu’ils en remplissent les conditions. Procéder autrement reviendrait à priver un enfant de la possibilité qu’un acte de violence qu’il aurait commis soit justifié par la légitime défense, réduisant ainsi injustement ses possibilités de défense face à une attaque illicite. Si la majorité des activités décrites au point 4.2.3 sortent manifestement du champ de la légitime défense, d’autres doivent être examinées avec minutie, la frontière entre légitime défense et participation aux hostilités étant alors très mince.

6.2.1 La question des groupes de « défense »

Un acte défensif accompli par un individu dans le cadre d’un conflit armé est donc susceptible d’être couvert par la légitime défense mais est-ce-que les individus peuvent s’associer entre eux à des fins de légitime défense ? La Commission d’experts en charge de la situation en Ex-Yougoslavie et le Tribunal pénal international pour l’Ex-Ex-Yougoslavie (ci-après TPIY) y ont répondu par l’affirmative145. Néanmoins, le risque est grand que les belligérants soient tentés d’instrumentaliser la notion de légitime défense afin de contourner leurs obligations en matière de recrutement et de participation des enfants aux hostilités en constituant des groupes de prétendue défense146.

140 CAMERON/CHETAIL, pp. 91, 94, 96-97 et 101-102.

141 CICR, « Direct participation », Background Paper (2004), p. 32. Le CICR précise que pour déterminer l’existence ou non d’un lien de belligérance il faut regarder le but objectif de l’acte et non l’intention subjective de l’auteur ; CICR, Guide interprétatif, pp. 61-62.

142 CAMERON/CHETAIL, pp. 104, 435 et 469.

143 CG III, art. 4 (2) et (6)

144 CAMERON/CHETAIL, pp. 451-452.

145 Rapport final de la Commission d’experts en charge de la situation en Ex-Yougoslavie (27 mai 1994), UN Doc. S/1994/674, § 78 ; TPIY, Tadic, Chambre de première instance, jugement (7 mai 1997), IT-94-1-T, § 640 ; TPIY, Blaskic, Chambre de première instance, jugement (3 mars 2000), IT-95-14-T, § 407.

146 Child Soldiers, Global Report (2008), pp. 15-18.

C’est pourquoi il faut s’assurer en premier lieu que les enfants ne soient pas en réalité recrutés au sein d’un groupe armé.

La CPI considère que « les crimes de conscription et d’enrôlement sont commis dès lors qu’un enfant de moins de 15 ans est incorporé dans une force ou un groupe armé ou qu’il en rejoint les rangs, sous la contrainte ou non »147. Plus précisément, pour les groupes armés, l’enrôlement n’est pas limité à un processus formel et comprend tout comportement consistant à accepter l’enfant comme membre de ce groupe (y compris le faire participer dans les opérations militaires)148. La conscription, qui est aussi définie par le TSSL comme l’enlèvement et le recrutement forcé des enfants dans le but de les faire participer activement aux hostilités149, couvre tant le fait d’enlever un enfant afin qu’il remplisse une fonction spécifique au sein du groupe que celui de lui imposer un entrainement militaire contre son gré150.

Il n’existe pas en droit international général de définition des groupes armés organisés151. Selon le DIH, dans les CANI, un groupe armé organisé appartenant à une partie non-étatique au conflit comprend à la fois les forces armées dissidentes et les autres groupes armés organisés placés sous la conduite d’un commandement responsable et ayant un degré suffisant d’organisation militaire pour conduire les hostilités au nom d’une partie au conflit et, dans les CAI mais aussi les CANI, les groupes armés organisés placés sous un commandement responsable de la conduite de ses subordonnés devant un Etat partie au conflit sont considérés comme faisant partie des forces armées de cet Etat (en pratique, on exige que le groupe conduise les hostilités au nom et avec l’accord de l’Etat)152. Cette définition est reprise en substance par la Chambre de première instance du TSSL dans l’affaire ARFC qui estime que les forces ou groupes armés doivent être placés sous un commandement responsable et avoir un degré suffisant d’organisation pour conduire des opérations militaires concertées et imposer une discipline au sein du groupe153. La même année, la Chambre de première instance de ce même tribunal considère dans l’affaire CDF qu’il faut adopter la définition donnée par la Chambre d’appel du TPIY dans l’affaire Tadic, à savoir un groupe organisé et structuré hiérarchiquement154. Le DIDH et la CPI ont adopté une approche plus souple : le DIDH définit les groupes armés comme simplement distincts des forces armées d’un Etat155 et

147 CPI, Lubanga, Chambre de première instance, jugement (14 mars 2012), ICC-01/04-01/06, § 618.

148 TSSL, CDF, Chambre d’appel, jugement (28 mai 2008), SCSL-04-14-A, § 144 ; TSSL, RUF, Chambre de première instance, jugement (2 mars 2009), SCSL-04-15-T, § 185 ; TSSL, Taylor, Chambre de première instance, jugement (18 mai 2012), SCSL-03-01-T, § 442.

149 TSSL, Taylor, Chambre de première instance, jugement (18 mai 2012), SCSL-03-01-T, §§ 441, 1378, 1390, 1409, 1424 et 1445.

150 TSSL, RUF, Chambre de première instance, jugement (2 mars 2009), SCSL-04-15-T, §§ 1695 et 1708.

151 PEDRAZZI, p. 68.

152 CG I-IV, art. 3 ; PA I, art. 43 (1) ; PA II, art. 1 (1) ; CICR, Guide interprétatif, pp. 25, 32-34 ; SANDOZ/SWINARSKI/ZIMMERMANN, § 4462. L’art. 1 (1) PA II pose l’exigence supplémentaire du contrôle territorial.

153 TSSL, ARFC, Chambre de première instance, jugement (20 juin 2007), SCSL-04-16-T, § 738.

154 TSSL, CDF, Chambre de première instance, jugement (2 aout 2007), SCSL-04-14-T, § 194 ; TPIY, Tadic, Chambre d’appel, arrêt (15 juillet 1999), IT-94-1-A, § 120.

155 PF-CDE, art. 4 (1) ; Principes du Cap et meilleures pratiques (1997) tels que révisés par les Principes de Paris (2007), définition 2.3.

la CPI a pour seule exigence que le groupe armé présente un degré d’organisation suffisant pour lui permettre de mener un conflit armé prolongé156.

L’interdiction du recrutement, au regard de la formulation choisie par la CPI et le TSSL et de son objectif qui est de protéger les enfants contre les effets des hostilités, couvre logiquement les cas de figure où l’incorporation de l’enfant ne présenterait pas un caractère durable ou lorsque les enfants incorporés n’exerceraient pas une fonction de combat. Une approche basée sur le Guide interprétatif du CICR peut néanmoins être envisagée. En vertu du Guide interprétatif du CICR, alors que l’appartenance individuelle aux forces armées régulières est définie par le droit interne (CAI et CANI), pour les groupes armés organisés il faut examiner si cet individu exerce en son sein une fonction de combat continue (ce concept est développé dans le contexte des CANI mais le CICR considère qu’il convient d’utiliser les mêmes critères fonctionnels pour déterminer l’appartenance d’un individu à des forces armées irrégulières dans un CAI)157. Pour ce faire, le CICR nous indique qu’il faut examiner si la fonction assumée de façon continue par une personne correspond à celle qui est collectivement exercée par le groupe – à savoir la conduite des hostilités au nom d’une partie non-étatique au conflit – et donc si la personne assume, pour le groupe, une fonction continue impliquant sa participation directe aux hostilités158. Le CICR estime que la fonction de combat continue exige une incorporation durable, et que, par conséquent, les personnes qui assument des fonctions d’appui – qui soutiennent ou accompagnent de manière continue un groupe armé organisé sans participer directement aux hostilités – conservent le statut de personne civile et ne sont donc pas considérées comme des membres de ce groupe159. Si l’on s’en tient à cette approche, un enfant incorporé dans un groupe armé organisé qui y exercerait uniquement des fonctions d’appui sans participer directement aux hostilités ou encore qui n’y serait pas incorporé durablement ne pourrait être considéré comme ayant été enrôlé par ce groupe (l’enrôlement étant compris comme tout processus consistant à accepter un enfant comme membre du groupe), il pourrait tout au plus être considéré comme recruté de force s’il a été enlevé afin qu’il remplisse une fonction spécifique au sein du groupe armé. Le résultat d’une telle approche est peu souhaitable au regard de l’objectif de protection de l’enfant mais il faut tout de même lui concéder qu’elle présente l’avantage d’uniformiser la notion d’appartenance telle qu’entendue par le Guide interprétatif du CICR aux fins du principe de distinction et celle d’incorporation au sens de l’interdiction du recrutement.

Il faut ensuite regarder que les activités des enfants ne constituent pas une forme de participation aux hostilités. À la question de savoir si la constitution d’unités comprenant une

156 Statut de la CPI, art. 8 (2) (f) ; CPI, Lubanga, Chambre préliminaire, confirmation des charges (29 janvier 2007), 01/04-01/06, § 234 ; CPI, Lubanga, Chambre de première instance, jugement (14 mars 2012), ICC-01/04-01/06, § 536. Voir point 6.3.1.

157 CICR, Guide interprétatif, pp. 26-28 et 33-37. Selon le CICR, l’appartenance d’un individu aux forces armées régulières s’exprime généralement à travers une incorporation formelle dans des unités permanentes identifiables par leurs uniformes, leurs insignes et leur équipement. Pour les forces armées dissidentes, dans la mesure et aussi longtemps qu’elles ont gardé les mêmes structures que les forces armées de l’Etat auxquelles elles appartenaient, l’appartenance individuelle se détermine selon ces mêmes structures.

158 CICR, Guide interprétatif, p. 35.

159 CICR, Guide interprétatif, pp. 36-37.

majorité d’enfants de moins 15 ans au sein du groupe armé suffit aux fins de l’interdiction de la participation des enfants aux hostilités, la CPI répondra affirmativement en 2012160 puis reviendra sur sa décision en 2014, estimant que les enfants doivent participer à des activités militaires du camp en rapport avec les hostilités (citant les parades militaires et la garde du camps et de la prison)161. Plus largement, au regard de la multiplicité des raisons pouvant expliquer cette présence, le seul fait que des enfants soient présents dans les camps du groupe ou de la force armés n’entraine pas la violation de cette interdiction162.

Par conséquent, que des forces ou des groupes armés forment des enfants à la légitime défense (y compris dans l’enceinte des camps militaires) est envisageable163 mais ils devront s’entourer d’un certain nombre de précautions en s’assurant notamment que la formation ne consiste pas en un entrainement militaire164, que les enfants ne participent pas aux patrouilles armées du groupe165, qu’ils ne gardent pas des postes de contrôle166 ou encore qu’ils ne portent pas leur uniforme ou leur sigle167, ce afin d’éviter toute confusion et de ne pas sortir du champ de la légitime défense. Il apparait aussi nécessaire que cette formation comprenne une introduction au régime de la légitime défense de façon à éviter tout excès de légitime défense alors susceptible d’exposer les enfants aux attaques directes. Finalement les forces d’auto-défense ne doivent pas être sous le contrôle du groupe ou des forces armés168, sous peine d’être considérées comme appartenant à ces derniers.

6.2.2 Les gardes et escortes

Comme nous l’avons, en DIH, une attaque illicite ne donne pas nécessairement lieu à la légitime défense. Si les actes de défense contre des attaques illicites en raison de leur objectif (cible) sont a priori couvertes par la légitime défense, ce n’est pas le cas pour toutes les attaques contraires au DIH : en particulier un individu ne peut ni défendre un combattant ou un objectif militaire ni même interférer dans les attaques visant des objectifs militaires ou des combattants (au sens large) alors que celles-ci sont illicites dans certains de leurs aspects, sous

160 CPI, Lubanga, Chambre de première instance, jugement (14 mars 2012), ICC-01/04-01/06, §§ 877 et 915.

161 CPI, Katanga, Chambre de première instance, jugement (7 mars 2014), ICC-01/04-01/07, §§ 1071-1073 ; CPI, Lubanga, Chambre d’appel, jugement (1er décembre 2014), ICC-01/04-01/06 A 5, § 338.

162 CPI, Katanga, Chambre de première instance, jugement (7 mars 2014), ICC-01/04-01/07, § 1077 ; SIVAKUMARAN, p. 318.

163 TSSL, Norman, Chambre d’appel, décision relative à la compétence (31 mai 2004), SCSL-2004-14-AR72(E), DO Robertson, § 46.

164 TSSL, Taylor, Chambre de première instance, jugement (18 mai 2012), SCSL-03-01-T, §§ 1422, 1424, 1434, 1438, 1449 et 1581. Le TSSL considère que l’entrainement militaire inclut l’apprentissage d’activités telles que préparer des embuscades, éviter les tirs, attaquer des localités, combattre et tuer, brûler des maisons, manipuler les armes (y compris à balles réelles) et monter la garde ; TSSL, Taylor, Chambre de première instance, jugement (18 mai 2012), SCSL-03-01-T, §§ 1370, 1374, 1388, 1396, 1406, 1413, 1415, 1422, 1430, 1433, 1448, 1453 et 1599 ; TSSL, Taylor, Chambre d’appel, jugement (26 septembre 2013), SCSL-03-01-A, § 269.

165 TSSL, RUF, Chambre de première instance, jugement (2 mars 2009), SCSL-04-15-T, §§ 1717-1718 ; TSSL, Taylor, Chambre de première instance, jugement (18 mai 2012), SCSL-03-01-T, §§ 1578-1579 et 1581 ; SIVAKUMARAN, p. 317.

166 Rapport du Secrétaire général, « Le sort des enfants en temps de conflit armé » (15 mai 2014), UN Doc.

A/68/878-S/2014/339, § 186.

167 TSSL, Taylor, Chambre de première instance, jugement (18 mai 2012), SCSL-03-01-T, §§ 1407, 1409, 1544, 1548, 1577 et 1581.

168 CPI, Lubanga, Chambre de première instance, jugement (14 mars 2012), ICC-01/04-01/06, §§ 897 et 906-907.

peine de participer directement aux hostilités169 (voir point 6.1.2). De plus, la légitime défense ne couvre pas les actes de défense contre l’arrestation de personnes ou la saisie de biens170. En pratique, la légitime défense voit le jour essentiellement dans le cadre d’attaques qui seraient illicites en raison de leur objectif – dont la cible est un bien ou une personne immunisés contre les attaques directes – et qui viseraient à blesser, tuer ou détruire (partiellement ou totalement) et non à capturer la personne ou le bien en question. Dans les autres cas de figure, l’enfant est susceptible d’être considéré comme participant directement aux hostilités171 et de ne plus pouvoir prétendre à la légitime défense pour sa propre défense puisqu’il serait désormais licite de l’attaquer (voir point 4.1).

Dans le contexte d’un conflit armé, la défense d’autrui, puisque reconnue universellement, ne pose pas de problèmes particuliers par rapport à la défense de soi172, si ce n’est que le risque d’erreur est plus grand que lorsque l’on se défend (voir point 5.2). Concrètement, l’évaluation consistera à déterminer si la personne visée par l’attaque est protégée ou non contre les attaques directes173 et si l’attaque dont elle est la cible vise à la blesser ou à la tuer ou, au contraire, à l’arrêter. Un cas critique est celui des « combattants » qui ne se distinguent pas de la population civile174 : de l’extérieur un individu procédant de la sorte a l’apparence d’un civil et, s’il ne participe pas directement aux hostilités et que l’on ne dispose pas d’informations à son sujet, on pourrait être amené à penser qu’il est protégé contre les attaques directes, or, à moins qu’il soit hors de combat, il constitue une cible légitime aussi longtemps qu’il exerce une fonction de combat continue au sein du groupe (membre d’un groupe armé) ou qu’il n’a pas quitté le service actif pour retourner à la vie civile (membre des forces armées régulières)175 (voir point 4.1). Dès lors, l’enfant qui prend sa défense en pensant agir en situation de légitime défense sera en réalité considéré comme participant directement aux hostilités. D’autre part, dans le feu de l’action, il n’est pas toujours évident de déterminer si l’attaque vise à capturer ou à blesser/tuer un individu. Ces difficultés se font d’autant plus pesantes pour un enfant, ce dernier n’est pas doté des mêmes capacités cognitives qu’un adulte. De surcroit, au même titre que tout civil, il ne disposera pas des renseignements que pourrait posséder un membre des forces armées ou d’un groupe armé (intégré dans une chaine de commandement), à moins qu’il soit recruté par ces derniers.

La défense de biens est plus complexe à approcher. Premièrement, la majorité des biens sont susceptibles de changer de nature (civile ou militaire) selon leur utilisation176. Dès lors, le plus 27, 30, 31, 33, 34 et 47, pp. 3-10, 27-33, 107-117, 120-124, 139-147, 151-159 et 219-227.

174 PA I, art. 44 (3) ; HENCKAERTS/DOSWALD-BECK, Vol. I, règle 106, pp. 509-515. S’il possédait le statut de les biens qui ne sont pas des objectifs militaires sont des biens civils. Les objectifs militaires sont définis comme les biens qui, par leur nature, leur emplacement, leur utilisation ou leur destination apportent une contribution

souvent, savoir si un bien constitue un bien civil ou un objectif militaire dépendra des circonstances de l’espèce et, qui plus est, sera susceptible de changer à tout instant. En pratique, une telle évaluation nécessite souvent la possession de renseignements militaires et une analyse plus ou moins complexe or les enfants n’ont pas nécessairement les facultés cognitives suffisantes et/ou, lorsqu’ils ne sont pas recrutés et donc pas intégrés dans une chaine de commandement, les informations nécessaires pour ce faire, les risques d’erreur s’en retrouvant démultipliés. D’autre part, certains biens sont protégés à titre spécial et les modalités réglant leur perte de protection contre les attaques directes sont susceptibles de varier d’un cas à l’autre177. Dans ces circonstances, déterminer si un bien est ou non immunisé contre les attaques dans un cas donné nécessite une connaissance des règles du DIH qui fait a priori défaut à l’enfant (tout du moins non recruté). Sans compter que les conditions précises encadrant la légitime défense dans un cas donné sont fixées par le droit pénal de l’Etat territorial or les régimes concernant la défense de la propriété varient fortement d’un Etat à l’autre (voir point 5.2).

6.3 Conséquences pour les destinataires des obligations

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