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2. LE CONTEXTE GÉNÉRAL DES PÊCHERIES THONIÈRES

2.2 Les enjeux politiques

Le secteur de la pêche est soumis aux décisions de gestions prises par des élus. La politique de court terme telle qu’on la connait aujourd’hui mène à des non-sens environnementaux lorsqu’elle est motivée par une réélection prochaine. Les pressions venant de la population ainsi que des lobbies sont fortes et viennent souvent mettre un frein aux changements nécessaires à une gestion adéquate des pêcheries. 2.2.1 Les décisions politiques

Alors que la gestion des pêches est définie comme celle d’une ressource biologique, elle a des incidences sociales et économiques. Elle aura des impacts sur les industries de la transformation qui utilisent les produits de la pêche thonière ainsi que sur les communautés côtières où vivent les pêcheurs et leurs familles. Les décisions en matière de gestion des pêches peuvent se répercuter sur la répartition du revenu et de la richesse, sur le nombre et le type d’emploi, sur l’attribution des droits d’usage ainsi que sur la composition et la cohésion des groupes concernés (FAO, 2004). La gestion des pêches peut également

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avoir un impact sur les questions de politiques générales que sont la sécurité alimentaire, les gains nets en devise, les coûts et les subventions (FAO, 2003). Les collectivités côtières constituées des pêcheurs et de leurs familles dépendent des revenus de la pêche tant sur les plans social qu’économique. Les gouvernements peuvent donc avoir l’impression d’être obligés, d’un point de vue politique, d’accroître les quotas de prises même lorsque les stocks semblent menacés (Bureau du vérificateur général, 2011). La réticente et l’incapacité d’adopter des mesures aux conséquences sociales immédiates graves sont en partie responsables de la surexploitation des ressources (Cochrane, 2005). Le mode de prise de décisions politiques actuel pousse les gouvernements à se concentrer sur le court terme uniquement (Cartillier, 2010). On s’attend souvent à ce que la politique de la pêche traite de questions telles que l’emploi ou le développement régional, alors que ces objectifs peuvent nuire aux stocks de poissons et ne pas s’avérer bénéfiques à long terme. La décision politique de réduire la capacité des pêcheries est un choix très difficile politiquement, puisqu’à court terme, les coûts sociaux d’une telle décision seront très visibles et donc impopulaires auprès de l’électorat (Cochrane, 2005; Love, 2010). Une approche qui tolère un déclin de la ressource dû à une mortalité par pêche excessive et prolongée rencontrera, en revanche, beaucoup moins d’opposants directs (Cochrane, 2005). Les scientifiques ayant attiré l’attention sur l’incertitude de leur évaluation des stocks mondiaux, les gestionnaires des pêches ont généralement utilisé cet argument pour excuser la poursuite de la surpêche (Nixon, 1997).

Sur le long terme, les conséquences d’une inaction au niveau de la gestion sont beaucoup plus graves sur les plans écologique, social et économique (Cochrane, 2005). Une mauvaise gestion des pêches s’avère une menace pour la sécurité sociale et la prospérité économique future de plusieurs pays, en particulier des États insulaires en développement (Pêches et Océans Canada, 2009). En effet, l’épuisement des stocks mènera invariablement à des pertes d’emplois massives qui auraient pu être évitées grâce à une gestion adéquate. Les ressources halieutiques ne sont susceptibles de procurer des bénéfices sociaux et économiques à long terme que si elles sont gérées convenablement et durablement (FAO, 2003).

2.2.2 Les pressions sociales

Divers groupes d’intérêts font souvent pression sur les gouvernements ou les organismes internationaux pour que les niveaux de pêche autorisés soient maintenus aux limites supérieures suggérées pas les scientifiques (Nixon, 1997). Parmi les groupes d’intérêt influant sur le secteur de la pêche, plusieurs doivent être mentionnés. Les personnes employées pour pêcher le poisson, ceux lui faisant subir les transformations nécessaires à sa vente, ceux qui le commercialisent et ceux qui en tirent leur subsistance.

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On peut également inclure les consommateurs ainsi que les groupes de pression ou les lobbies industriels (FAO, 2003; Garric, 2010; Rfi, 2014). En plus d’avoir des répercussions sur les politiques de gestion nationales des États, des pressions sociales importantes ont souvent conduit les États ayant un fort secteur des pêches à demander plusieurs dérogations, exceptions et mesures spécifiques sur la scène internationale (Cartillier, 2010).

Il est souvent difficile pour les politiciens de résister aux pressions sociales défendant l’emploi et visant à donner des perspectives d’avenir à ceux ayant un intérêt dans les pêcheries (Cochrane, 2005). Lorsqu’il existe un surplus de capacité dans une pêcherie, l’illusion d’un travail disponible tend à rallier les communautés contre les gestionnaires qui tentent, selon eux, de leur enlever leur emploi. Ces situations adviennent même dans un contexte où le niveau de vie des pêcheurs risque de souffrir de l’épuisement des ressources halieutiques (FAO, 2005). En effet, l’attachement profond à leur métier les incite souvent à en continuer l’exercice même lorsqu’il n’est plus économiquement rentable (FAO, 2003). Le problème peut s’avérer encore plus aigu quand les possibilités de rencontrer un autre travail sont restreintes (Cochrane, 2005).

Les pressions sociales et politiques sont combinées aux grandes fluctuations des stocks de poisson dues aux cycles naturels. Quand les populations de poisson sont en hausses, l’industrie prend de l’ampleur pour profiter des bénéfices qui y sont associés. L’augmentation de l’effort de pêche a alors pour conséquence de faire diminuer les stocks (Nixon, 1997). Lorsque les pêches ne sont plus productives, les intervenants des pêcheries ont tendance à accroître les pressions sur le pouvoir politique afin de garder leur emploi. Il arrive alors souvent qu’une aide financière soit demandée par l’industrie afin de survivre aux périodes difficiles, ce qui lui permettra de protéger les immobilisations ainsi que les emplois. L’industrie de la pêche peut de cette façon grandir jusqu’au dépassement du rendement soutenu de la ressource (Nixon, 1997).

Dans ces circonstances, l’adoption des mesures nécessaires à une gestion durable des ressources halieutiques et en particulier du thon demeure extrêmement difficile. Même une fois que de telles mesures sont mises en œuvre, on doit s’assurer qu’elles soient poursuivies sur le long terme. Il peut y avoir des pressions importantes pour revenir à des niveaux de pêche comme dans le passé, et encore plus si des groupes d’intérêt ont conservé assez de pouvoir et de cohésion pour être en mesure d’influencer les décisions politiques (Love, 2010).

38 2.2.3 Les lobbies de la pêche industrielle

Les lobbies de la pêche pèsent lourd dans le choix d’adopter ou non des mesures de gestion efficaces. Au niveau national, les lobbies multiplient les actions pour empêcher le débat et faire passer les pratiques de pêche comme durables. Ils influencent également la répartition des droits de pêche en leur faveur (Labat et autres, 2010). Les négociations, lorsqu’elles arrivent au niveau international, sont également beaucoup influencées par le lobbying. Les lobbies de certains pays, notamment le Japon, auraient tout fait pour exclure le thon rouge de la CITES notamment (Garric, 2010). Du lobbying serait également régulièrement effectué devant la CICTA, entre autres pour que les pêches de thons rouges ne soient pas suspendues, malgré les recommandations scientifiques (Greenpeace, 2006).

Selon Frédéric Briand, de la Commission Internationale pour l’Exploration Scientifique de la Méditerranée, le lobby de la pêche industriel serait en partie responsable de la défaite des mesures de protection concrètes au niveau international. Les lobbies mettraient principalement de la pression sur les pays d’Amérique du Sud et utiliseraient l’argument selon lequel les prédateurs comme le thon font diminuer les stocks des autres espèces (Speer, 2012). Selon Patrick Van Klaveren, ambassadeur de Monaco à la CITES, les délégations négocient dans les couloirs, lors d’entrevues, des réunions bilatérales ou de dîners. Les lobbies des pêcheries commerciales ont comme technique de rallier les pays hésitants. Ils ont plusieurs personnes sur le terrain et sont présents en permanence. Ceux-ci vont voir une à une les délégations en essayant de les convaincre et en nourrissant leurs inquiétudes (Garric, 2010).