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Chapitre I : Cadre contextuel, cadre théorique et conceptuel et revue de la littérature

3. Revue de la littérature

3.2 Le Québec

3.2.2 Enjeux et problématiques locales

Les spécificités régionales

Vatz Laaroussi & Steinbach (2010) révèlent que « les spécificités régionales tant sur le plan de la population reçue que de l’organisation scolaire font cependant que ce modèle montréalais n’est pas appliqué de manière homogène dans les régions du Québec » (p. 46). Ainsi, en région, les classes d’accueil ne sont ouvertes que lorsque le nombre d’élèves immigrants allophones est suffisant et prévisible, alors que le reste du temps, des mesures différenciées sont mises en place selon l’arrivée des vagues migratoires.

Il est donc légitime de se questionner sur la flexibilité et la capacité d’intégration de ce système parallèle hybride, plus ouvert, par rapport au système montréalais des classes d’accueil fermées.

Vatz Laaroussi & Steinbach (2010) ont cherché à contraster ces deux systèmes en identifiant les constantes et les spécificités :

• De façon constante, dans les classes d’accueil, le premier obstacle à l’intégration identifié par les élèves relève de l’apprentissage de la langue. Selon eux, le français qu’ils apprennent n’est pas authentique, car ils n’ont que très peu d’opportunités d’interagir et de pratiquer la langue avec des élèves francophones. Ils ont ainsi l’impression qu’ils ne parleront vraiment français que lorsqu’ils seront intégrés en classe régulière.

L’importance de la maîtrise de la langue française avant de participer à l’école et à la société est tellement ancrée dans les discours publics au Québec que ces élèves prennent pour acquis la nécessité de la maîtrise de la langue française avant de commencer l’intégration sociale et scolaire. Comme le démontre Allen dans une étude antérieure à Montréal, la maîtrise du français est vue comme un pré-requis à la participation à l’école au lieu de faire partie du processus d’intégration (Allen, 2006). (Vatz Laaroussi &

Steinbach, 2010, p. 47)

• L’une des spécificités régionales relève de l’existence d’une certaine d’homogénéité linguistique et culturelle. En effet, du fait des politiques de régionalisation de l’immigration, on accueille en région des vagues de réfugiés provenant successivement de certaines régions du monde (Vatz Laaroussi & Steinbach, 2010). En somme, les classes d’accueil, mais également les classes régulières dans lesquelles sont intégrés les migrants, sont peu exposées à la diversité culturelle et linguistique. Les structures régionales ne favorisent donc pas les interactions et l’exposition à l’altérité et font perdurer un fort découpage entre le

« eux » et le « nous », ainsi qu’une perception de la différence qui renforce les stéréotypes et les préjugés.

• Selon une enquête menée auprès d’étudiants universitaires en éducation et service social en contexte régional, ces derniers ne montrent que peu de connaissance et d’intérêt pour les politiques locales et scolaires au sujet de la diversité et de l’intégration. Vatz Laaroussi &

Steinbach (2010) expliquent cela par le fait que ces étudiants perçoivent les régions comme plutôt homogènes, ou encore « coupées en deux », les élèves migrants étant généralement concentrés en classe d’accueil. Les auteurs relèvent également le fait que les universités des régions ne proposent que peu ou pas de cours sur les questions interculturelles de manière transversale ou dans le curriculum formel des programmes d’éducation et de travail social.

• Finalement, en contexte régional, Vatz Laaroussi & Steinbach (2010) ont également identifié de nouveaux modèles de collaboration familles immigrantes-écoles, favorisés par un contexte de proximité. Les auteurs ont ainsi identifié des stratégies de collaboration fusionnelle, des stratégies de collaboration au travers d’un expert, ou encore des modèles de collaboration en quête de visibilité et de représentativité (liés aux communautés immigrantes, ethniques ou religieuses) (Vatz Laaroussi & Steinbach, 2010).

Les grandes tendances identifiées par Vatz Laaroussi & Steinbach (2010) sont donc, au niveau régional, un manque d’exposition et d’intérêt pour la diversité et l’interculturel, avec toutefois une potentielle diversification des opportunités de collaboration famille-école et des mesures scolaires et sociales (encore insuffisantes) visant l’intégration. Ces dernières ne pourront toutefois être de réels avantages « que si elles sont saisies par les institutions au sein de politiques et de programmes scolaires dont la pérennité et le financement sont assurés » (Vatz Laaroussi & Steinbach, 2010, p. 53).

Au niveau des grandes métropoles, les politiques scolaires ne prennent pas nécessairement en compte les particularités régionales ; « on peut dès lors identifier la nécessité de politiques, programmes et stratégies de différenciation entre Montréal et les régions mais aussi au sein des écoles et des classes et selon les diverses stratégies de collaborations possibles » (Vatz Laaroussi & Steinbach, 2010, p. 53).

Les relations parents immigrants-écoles à Montréal

Une étude réalisée par Benoit, Rousseau, Ngirumpatse & Lacroix (2008) a été menée dans la région de Montréal, afin de mettre en évidence les tensions et les points de convergence dans les relations entre les familles immigrantes et l’école.

Les auteurs soulignent l’impact que le vécu pré-migratoire et migratoire24, mais également les difficultés rencontrées dans la société d’accueil25, peuvent avoir sur l’apprentissage, l’adaptation sociale et le développement des jeunes migrants. « Par ailleurs, l’identité sociale (Rumbaut, 1994), le sentiment d’appartenance (Pratt, 2002), la cohésion familiale ou des significations collectives associées à la migration (Fuligni, 1997 ; Vatz Laaroussi, 2001) pourraient avoir une influence positive et faciliter leur adaptation » (Benoit, Rousseau, Ngirumpatse & Lacroix, 2008, p. 314).

L’identification de ces facteurs de vulnérabilité est donc primordiale pour l’ajustement de l’enseignement, et elle passe par la communication entre les représentants de l’école et les familles. Cette communication et la formation de liens entre les parents et l’école peuvent toutefois être complexes ; absence d’interprète, analphabétisme des parents, attentes des professeurs et des parents, conflits de valeurs, conception d’un développement normal, stigmatisation des enfants immigrés, tensions sociales et politiques (Benoit, Rousseau, Ngirumpatse & Lacroix, 2008). De plus, « l’enjeu du bilinguisme et du biculturalisme, particulièrement présent dans l’espace montréalais, constitue un défi pour l’adaptation des familles immigrantes : en plus d’être confrontées à un système de valeurs souvent très différent du leur, elles doivent trouver leur place et de nouveaux référents identitaires à l’intérieur d’une société elle-même divisée » (Benoit, Rousseau, Ngirumpatse & Lacroix, 2008, p.315).

24 Traumatismes, séparations, pertes.

25 « Conditions économiques précaires, isolement, connaissance limitée de la langue du pays d’accueil, problèmes légaux associés au statut (Fazel et Stein, 2002; Montgomery, Rousseau et Shermarke, 2001), expériences de discrimination et d’exclusion (Guarnaccia et Lopez, 1998; Lustig, Kia-Keating et Knight Grant, 2004) » (Benoit, Rousseau, Ngirumpatse &

Lacroix, 2008, p.314)

Au cours de leur étude, Benoit, Rousseau, Ngirumpatse & Lacroix (2008) ont réalisé des groupes de discussion, séparément avec les parents et les enseignants. Ils ont ainsi pu mettre en évidence certaines zones de tensions au sein de la relation famille-école, malgré la vision bienveillante et relativement positive que les enseignants et les parents partagent au sujet de l’école et du contexte multiethnique :

• La langue de communication, rendant la communication problématique pour les parents comme pour les enseignants ;

• La discipline et le respect, l’école étant jugée trop laxiste par les parents ;

• Le besoin d’affirmer les différences tout en partageant des référents identitaires communs.

D’une part, les parents souhaiteraient ainsi que la différence des valeurs soit davantage respectée au sein de la culture dominante imposée, tout en « manifest[a]nt le désir d’en savoir davantage sur le pays d’accueil et sont à la recherche d’un sentiment d’appartenance » (Benoit, Rousseau, Ngirumpatse & Lacroix, 2008, pp. 323-324). D’autre part, les enseignants relèvent une différence de valeurs pouvant être source de tensions, principalement au niveau de la conception de l’école, de l’enseignement et de la discipline, mais ils voudraient toutefois en savoir davantage sur la culture des parents en laissant une place à la différence ;

• Des difficultés « associées au contexte de l’immigration, au statut de groupe minoritaire, au statut économique et à l’exclusion raciale » (Benoit, Rousseau, Ngirumpatse & Lacroix, 2008, p. 324).

Ainsi, « bien qu’ils souhaitent que leur système de valeurs soit pris en considération, [les parents] valorisent aussi l’importance de développer de nouveaux référents identitaires ainsi qu’un sentiment d’appartenance vis-à-vis du pays d’accueil » (Benoit, Rousseau, Ngirumpatse

& Lacroix, 2008, p.326). Selon les auteurs, des réflexions mériteraient d’être menées au sujet des zones de tension mises en évidence, afin de permettre de renégocier la situation.

Il serait ainsi nécessaire de maintenir le dialogue et de créer des espaces de rencontres, afin de donner le pouvoir aux parents d’exprimer leurs besoins et de devenir plus actifs et intégrés au système scolaire, et dans une plus large mesure, contribuer à atténuer les tensions intercommunautaires (Benoit, Rousseau, Ngirumpatse & Lacroix, 2008).

L’Éveil aux Langues

Les grandes métropoles québécoise et canadiennes sont, comme nous l’avons relevé précédemment, (majoritairement) plurilingues. Cette diversité linguistique « peu[t] devenir [un instrument] de promotion sociale, mais aussi susciter la discrimination, alimentée par les représentations négatives véhiculées sur les langues et les locuteurs de ces langues » (Dagenais, Armand, Walsh & Maraillet, 2007, p. 198). Ainsi, dans les écoles, une certaine hiérarchisation des langues peut compliquer les rapports entre les élèves d’origines différentes, et « poser un défi aux intervenants scolaires qui visent à développer une compréhension interculturelle et une appréciation de la diversité culturelle et linguistique » » (Dagenais, Armand, Walsh &

Maraillet, 2007, p. 198).

Comme nous l’avons mentionné précédemment, des politiques éducatives ont été développées selon un modèle d’éducation interculturelle. Toutefois, les recherches montrent « que les langues autres que les langues scolaires ne sont que rarement reconnues à l’école. D’ailleurs, tant au Québec qu’en Colombie-Britannique, la diversité linguistique n’a encore que peu constitué, jusqu’ici, l’objet d’interventions systématisées dans le domaine de l’éducation » (Dagenais, Armand, Walsh & Maraillet, 2007, p. 199). En utilisant la langue et le répertoire restreint de la majorité dominante privilégiée, l’école favorise donc encore et toujours les élèves de ce public par ses pratiques reproductives. Les élèves dont les connaissances ne sont pas reconnues sont de ce fait marginalisés et plus sujets à l’échec scolaire (Dagenais, Armand, Walsh & Maraillet, 2007, p. 201 ; Dagenais, 2008).

En se basant sur ces considérations, Dagenais, Armand, Walsh & Maraillet (2007) ont adapté l’approche pédagogique Language Awareness (développée par Hawkins (1984)) visant à favoriser le développement :« (a) de représentations et d’attitudes positives d’ouverture à la diversité linguistique et culturelle ; (b) de capacités métalinguistiques facilitant le passage des langues maternelles aux langues secondes ; (c) des savoirs relatifs aux langues (incluant le statut des langues) » (Dagenais, Armand, Walsh & Maraillet, 2007, p. 199). Dans le cadre d’une étude de cas, elles l’ont implantée dans des écoles primaires de Montréal et de Vancouver26 (respectivement en classes francophones et en classes d’immersion française).

26 « Une réadaptation de cette approche pour des classes francophones, implantée en Europe dans le cadre des projets Evlang (Candelier, 2003) et Eole (Perregaux, DeGoumoens, Jeannot et De Pietro, 2003), est maintenant connue sous le nom Éveil aux langues. Elle vise essentiellement à permettre aux élèves d’explorer systématiquement la diversité linguistique dans des activités pédagogiques axées sur la collaboration pour les préparer à vivre dans des sociétés plurilingues. […] L’Éveil aux langues s’est maintenant répandu dans divers pays au-delà des frontières de l’Europe où cette approche est adaptée selon les langues de la société et les orientations du contexte scolaire local » (Dagenais, Armand, Walsh & Maraillet, 2007, p. 199).

Selon les observations des auteurs, l’approche pédagogique implantée a permis de favoriser l’acquisition de nouvelles connaissances par la collaboration entre les pairs, mais également la collaboration entre les élèves et l’adulte, qui adopte un rôle facilitateur en favorisant les contributions des élèves pour faire avancer leur compréhension de façon graduelle. En somme, cela a permis aux enseignants « d’engager les élèves dans des discussions poussées sur la diversité linguistique, mais elle a également facilité l’émergence d’une communauté d’apprenants ayant recours à un répertoire linguistique collectif plus large que les seules langues scolaires » (Dagenais, Armand, Walsh & Maraillet, 2007, p.200).

Puisque « la réalité plurilingue des centres urbains comme Montréal et Vancouver exige le développement de pratiques pédagogiques permettant aux jeunes de collaborer pour faciliter des rapprochements et pour prendre conscience de la diversité linguistique de leurs communautés et du monde plus large » (Dagenais, Armand, Walsh & Maraillet, 2007, pp.213-214) des approches pédagogiques visant à valoriser la diversité linguistique et culturelle des élèves, comme celle de l’Éveil aux langues, semblent être tout à fait appropriées (Dagenais, 2008).

Dans cette première partie de la revue de la littérature, les différentes problématiques soulevées au Québec, telles qu’un manque de prise en compte des spécificités des contextes régionaux pour l’adaptation des dispositifs, des difficultés de communication entre les parents et l’école résultant de l’absence de structures et de dispositifs adéquats, et une faible prise en compte de la diversité linguistique, témoignent avant tout de politiques et de dispositifs éducatifs inadaptés à la réalité éducative locale. Bien que certaines pistes d’action soient dégagées, nous pouvons toutefois observer une certaine incohérence entre la volonté politique québécoise de favoriser l’intégration et le vivre ensemble et les pratiques scolaires effectives, qui ne bénéficient pas de ressources effectives suffisantes.