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Chapitre I : Cadre contextuel, cadre théorique et conceptuel et revue de la littérature

3. Revue de la littérature

3.6 La Suisse

3.6.2 Enjeux et problématiques locales (Genève)

Les structures de l’enseignement primaire disponibles à Genève

En Suisse, les cantons sont souverains concernant l’école obligatoire50 et il est donc nécessaire de les observer indépendamment.

A Genève, il existe des structures d’accueil au sein des écoles, réparties en fonction du nombre d’élèves nouvellement arrivés ; il peut par exemple s’agir d’enseignants itinérants pour les écoles où ces élèves sont moins nombreux. « Avec la mise en place de ces structures d’accueil – à ne pas confondre avec des classes d’accueil –, les élèves continuent d’être inscrits dans une classe ordinaire dont ils suivent le programme, aménagé par l’enseignant51 » (Perregaux, Changkakoti, Hutter & Gremion, 2008, p. 99). Selon leurs besoins, ils peuvent ainsi fréquenter à mi-temps ces structures visant à favoriser leur intégration et leur développement tout en les familiarisant avec l’école et le quartier.

Malheureusement, « ces structures [semblent avoir] montré leurs limites à cause du manque de formation particulière des enseignants et du mélange entre structures d’accueil pour des élèves nouvellement arrivés et structures d’aide pour des élèves en difficulté (Dall’aglio & Gabbaï, 2000) ». (Perregaux, Changkakoti, Hutter & Gremion, 2008, p. 99).

Au niveau linguistique, les pratiques scolaires sont paradoxales. D’une part, les élèves allophones peuvent, dès la deuxième année du primaire, avoir accès à des cours de langue et culture d’origine. Ces cours se limitent cependant au cadre extrascolaire, et ce « malgré les théories actuelles concernant le contact des langues et l’influence réciproque des apprentissages

50 Ils doivent malgré tout tenir compte des recommandations de la Conférence suisse des Chefs de Département de l’Instruction Publique (CDIP) visant une harmonisation des systèmes éducatifs (Perregaux, Changkakoti, Hutter & Gremion, 2008, p. 97).

51Les enseignants en charge de ces structures ont participé à une formation continue, principalement au sujet de l’enseignement du français à des élèves allophones « sans pour autant prévoir des cours plus intensifs de Français Langue Étrangère (FLE) » (Perregaux, Changkakoti, Hutter & Gremion, 2008, p. 99).

(Moore, 2006) » (Perregaux, Changkakoti, Hutter & Gremion, 2008, p. 100). D’autre part, des cours de sensibilisation au plurilinguisme destinés à tous les élèves ont été instaurés dans certaines écoles, en complément à la période hebdomadaire officiellement prévue pour l’enseignement EOLE52 (Perregaux, Changkakoti, Hutter & Gremion, 2008).

Comme le relèvent Perregaux, Changkakoti, Hutter & Gremion (2008), les recherches en sociolinguistique ont identifié :

a) la nécessité de reconnaître les langues premières des élèves et leur statut aussi bien dans le primaire que dans le secondaire ; b) l’intérêt de développer l’ouverture et la curiosité des élèves pour les langues premières et d’autres langues (activités EOLE et sensibilisation dans l’école à plusieurs langues très présentes à Genève) ; c) le rapport instauré entre langue première et langue scolaire dans le curriculum des classes d’accueil. (Perregaux, Changkakoti, Hutter & Gremion, 2008, p. 101)

Toutefois, à Genève, les mesures concrètement mises en œuvre pour l’intégration des élèves immigrants semblent être des demi-mesures, puisque les conditions nécessaires ne sont pas mises en œuvre pour que ces dernières répondent pleinement aux visées identifiées par la recherche en sociolinguistique ; « un obstacle indéfinissable semble retenir l’institution qui connaît pourtant les défauts de ses structures : faut-il chercher du côté des non-dits comme, par exemple, le manque de pouvoir de ces familles dans la cité ? » (Perregaux, Changkakoti, Hutter

& Gremion, 2008, p. 101).

La diversification des rôles professionnels

Une enquête53 a été menée par Sanchez-Mazas, Changkakoti & Mottet (2018) dans des établissements primaires genevois54 accueillant un public très hétérogène, dont des élèves requérants d’asile. A partir des observations et des témoignages des bénévoles et des différents

52 Éducation et d’Ouverture aux Langues à l’École.

53 En lien avec une recherche-action plus vaste

54L’un d’entre eux se trouve dans le réseau d’enseignement prioritaire ; « il dispose dès lors des ressources additionnelles octroyées aux écoles qui y sont incluses, selon les indicateurs socio-économiques qualifiant les populations concernées (présence d’un éducateur, dispositifs pédagogiques spécifiques, etc. » (Sanchez-Mazas, Changkakoti & Mottet, 2018, p. 228).

acteurs éducatifs et institutionnels concernés par les problématiques des enfants réfugiés ou requérants d’asile, les auteures ont exploré « l’évolution des pratiques professionnelles, entre incertitude et créativité, au contact de cette population spécifique, l’émergence de nouveaux métiers et les incidences identitaires liées à la reconfiguration de l’intervention sur le terrain de la scolarisation des élèves demandeurs d’asile » (Sanchez-Mazas, Changkakoti & Mottet, 2018, p. 229). Elles ont ainsi pu mettre en évidence une polyvalence et une diversification des rôles professionnels, comme par exemple ;

- La formation d’un tandem d’enseignantes titulaires de classe d’accueil, qui se coordonnent selon un fonctionnement souple (les élèves passent de l’une des classes à l’autre selon leurs besoins), et qui font également le lien avec le foyer dans lequel sont scolarisés certains des élèves. Elles réalisent ainsi un travail touchant à l’enseignement, mais aussi au social et à l’animation (Sanchez-Mazas, Changkakoti & Mottet, 2018, p.

231).

- Un civiliste qui, au vu du manque de ressources institutionnelles, occupe un poste

« bricolé » et sans professionnalisation. Il effectue des tâches de soutien scolaire, d’éducateur et de traducteur.

- Un éducateur migration qui a un cahier des charges adapté de celui des éducateurs, mais toutefois très flou car il n’est pas encore disponible trois ans après la création du poste.

Les enseignantes, qui ne sont pas précisément informées de son mandat, sont frustrées par le fait qu’il effectue des tâches trop variées.

- Un enseignant de classe de scolarisation ayant une expérience d’éducateur, et dont le but est de préparer les élèves pas ou peu scolarisés à entrer dans la culture scolaire avant leur passage en enseignement régulier. Son poste est peu institué dans l’enseignement genevois, car chaque école fonctionne à sa manière.

- Une accompagnatrice scolaire, dont la description du poste est également très vague, mais qui se définit autour du contact avec les familles et leur lien avec l’école et qui est marquée par des prises d’initiatives individuelles et des tensions entre la nécessité d’un suivi des familles et une durée officielle du suivi limitée à trois ans.

- Des bénévoles et tuteurs associatifs, intervenant pour pallier le manque de solutions et de moyens institutionnels. Ils peuvent intervenir pour un appui éducatif ou social, pour l’aide aux devoirs ou pour assurer une médiation avec les juristes, les associations, les services de santé, les autorités de l’asile, mais aussi avec l’école (Sanchez-Mazas, Changkakoti & Mottet, 2018, p. 243).

Au travers de leur étude, Sanchez-Mazas, Changkakoti & Mottet (2018) ont ainsi mis lumière

« aussi bien les défaillances du système de prise en charge de ces élèves, que les ressources et les dispositifs qui ont pu être mis en place » (Sanchez-Mazas, Changkakoti & Mottet, 2018, p.

243). Ces derniers restent cependant spécifiques à chaque établissement scolaire, en fonction de la politique d’accueil scolaire adoptée « pour un public qui par définition n’est pas autorisé à résider et ne peut donc faire l’objet d’une telle démarche » (Sanchez-Mazas, Changkakoti &

Mottet, 2018, p. 244).

Les stratégies familiales

Contrairement aux croyances répandues parmi les enseignants selon lesquelles le manque de participation des parents migrants en contexte scolaire (réunions, convocations, …) témoignerait de leur tendance démissionnaire ou de leur incompétence, « des recherches plus récentes soulignent les compétences et la flexibilité dont les parents font preuve et clament la nécessité d’une prise en considération de leurs savoirs (Vatz Laaroussi, 1994 ; Nicolet et Kuscic, 1997) » (Gremion & Hutter, 2008, p. 130). Lanfranchi (2008) ajoute que « plusieurs études indiquent que la collaboration entre enseignants et parents revêt une fonction modératrice essentielle pour la réussite scolaire des enfants de migrants, en servant de pont entre les représentations familiales de la réalité et les exigences de l’école » (p. 85).

Cependant, malgré ces résultats, les professionnels ne tiennent toujours que peu ou pas compte des capacités adaptatives des familles migrantes.

Au travers d’une recherche menée à Genève, Gremion & Hutter (2008) ont pu mettre en évidence des stratégies familiales55 liées à la scolarisation des enfants de familles immigrées et visant l’intégration de leurs enfants dans l’une des principales institutions de la société d’accueil qu’est l’école. Ces stratégies peuvent être sujettes à une interprétation erronée ou à une non prise en compte de la part des enseignants ; « par ces stratégies, les parents s’efforcent de faciliter [le] passage [de leur enfant], réel ou symbolique, d’un soi là-bas à un soi ici et leur insertion quotidienne dans le pays d’accueil » (Gremion & Hutter, 2008, p.131).

55Les auteurs s’appuient sur le concept de stratégie élaboré par Vatz Laaroussi (1994) en contexte migratoire ou défavorisé : « ‘ces stratégies (...) sont le montage spécifique effectué par les individus et les groupes entre leurs expériences, leurs attitudes et représentations et les pratiques d’ajustement aux environnements mises en œuvre au jour le jour’ (p. 76) » (Vatz Laaroussi citée par Gremion & Hutter, 2008, p.131)

Les stratégies identifiées par les auteures sont les suivantes ;

- L’ajustement des projets, avec une remise en question ou un renoncement, au moins temporaire, du projet de retour au pays, ceci dans le but de ne pas perturber l’intégration scolaire de leurs enfants.

- Le développement d’une identité plurielle dynamique et évolutive et l’aménagement des valeurs éducatives, avec une adaptation de leurs valeurs éducatives et de leurs pratiques initiales en tentant de concilier les deux systèmes.

- La mouvance des pratiques langagières qui va de l’imposition de l’emploi exclusif de la langue parentale à la maison à sa mise de côté au profit de la langue de la société d’accueil.

- La définition de la scolarité comme une opportunité à saisir et comme une priorité, pour lesquels les parents encouragent leurs enfants en attendant également d’eux qu’ils fournissent les efforts nécessaires à leur réussite.

- L’ajustement par rapport aux attentes scolaires, au cours duquel les parents vont tenter de répondre aux mieux aux attentes scolaires à travers leur rôle de parents d’élève, soit en s’impliquant malgré les difficultés qu’ils rencontrent eux-mêmes, soit en adoptant un comportement non interventionniste afin de ne pas interférer dans l’apprentissage de leur enfant avec des méthodes qu’ils jugent dépassées. « Cette stratégie peut facilement être considérée comme un désinvestissement parental, car à première vue rien ne permet de l’en différencier » (Gremion & Hutter, 2008, p.131).

Les stratégies observées par les auteures témoignent de la grande capacité de distanciation dont font preuve les parents au sujet de leur culture d’origine, constituant un dynamisme éducatif parental évident (Gremion & Hutter, 2008, p.131). La prise en compte et la valorisation de ce dernier par le monde scolaire permettrait une meilleure collaboration entre l’école et les familles

« dans une optique de réciprocité et de reconnaissance mutuelle […]. Il s’agit davantage de mettre en place un partenariat dans une optique expert-expert entre l’école et les familles […]

plutôt que d’intervenir auprès de celles-ci dans une perspective d’emprise » (Gremion & Hutter, 2008, p.144).

A Genève, nous semblons ainsi être face à des obstacles dans l’intégration des réfugiés. Ces derniers touchent aussi bien le système que les structures, les enseignants, les élèves ou leurs

familles. Cependant, des pistes d’action ont été dégagées par les chercheurs, et mériteraient d’être explorées.

Conclusion

Au travers de cette revue de la littérature, nous avons constaté, dans les pays occidentaux dits

« riches » étudiés, une certaine convergence, tant s’agissant des orientations éducatives mises en place, que dans les problèmes récurrents auxquels ils sont confrontés.

Dans leur majorité, les pays occidentaux confrontés à l’arrivée de réfugiés et de requérants d’asile sur leur territoire mettent en œuvre des politiques d’immigration restrictives afin de limiter le nombre de nouveaux arrivants, ce qui a également pour conséquence de détériorer les conditions de vie des personnes déjà présentes dans ces pays. Cependant, en ayant adopté la Convention des Nations Unies relatives aux Droits de l’Enfant (1989), ces pays s’engagent dans un même temps à donner accès à leur système éducatif aux enfants de ces familles, sans pour autant conceptualiser ou préciser les modalités de cet accès. Nous avons pu mettre en lumière une certaine ambiguïté entre ces deux orientations, qui bien que ne s’excluant pas mutuellement, semblent complexifier la tâche des autorités compétentes dans leur élaboration des politiques éducatives.

En s’intéressant de plus près à chacun des pays (ou région) traités, nous avons également pu identifier plusieurs problèmes locaux plus ou moins récurrents ; obstacles à la communication parents-école, manque de prise en compte et de valorisation de la diversité linguistique, restrictions dans la mise en œuvre du droit à l’éducation, manque de ressources, … .

Ce panorama, bien que non-exhaustif, permet de déceler, à sa source, une problématique sous-jacente, commune à chacun des pays (ou région) abordés, et facteur d’inégalités scolaires ; à savoir le manque de coordination et d’adaptation entre les politiques éducatives nationales très générales visant l’accès à la scolarisation des élèves réfugiés et requérants d’asile et leur mise en œuvre locale spécifique. Cette problématique sous-jacente découle vraisemblablement de l’absence de conceptualisation relative à l’insertion scolaire de ces élèves ; s’agit-il de favoriser leur assimilation par l’inclusion scolaire ? Ou est-il question de les intégrer ? Ou encore de les séparer de l’enseignement régulier ? Sans cette conceptualisation et sans l’adoption explicite d’une stratégie d’acculturation, il est évident qu’une cohérence entre les différents niveaux semble difficilement atteignable.

Il est maintenant temps de s’intéresser à la mise en place de notre propre problématique en contexte genevois, ainsi qu’à la méthodologie que nous allons employer à la lumière de la revue de la littérature et du cadre théorique.

Chapitre II : Problématique, questions de recherche