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Les enjeux culturels/interculturels :

Les analyses que nous avons esquissées précédemment nous ont montré que l'image, support pédagogique, se prête à des exploitations polyvalentes, compatibles avec le développement des compétences visées dans le nouveau programme de 1ère année moyenne. Force est de remarquer, cependant, que son exploitation reste prisonnière des pratiques langagières. Contrairement à la conception que l'on se fait actuellement de l'enseignement/apprentissage d'une langue étrangère, on se soucie beaucoup plus, dans nos écoles, de faire parler et écrire les élèves que de leur transmettre conjointement une culture. Ainsi, certains professeurs font de l'objectif communicatif l'alpha et l'oméga de leur cours au dépend de l'objectif culturel. Pourtant, les affinités entre langue et culture ne sont plus à démontrer notamment que la langue est envisagée actuellement en termes binaires, regroupant un axiome et une culture. Nous pensons plus particulièrement à Jean Pierre Cuq & Isabelle Gruca (2003: 80) qui définissent la langue en ces

termes «un objet d’enseignement et d’apprentissage composé d’un idiome et d’une

culture ». Cette définition, aujourd’hui unanime, n'est pas sans rappeler les propos

de C. Beacco qui avançait que «tout enseignement/apprentissage des langues est

ainsi mis en relation avec d'autres comportements, d'autres croyances, mythes et habitudes, d'autres paysages, d'autres mémoires» (idem.), propos procédant à leur

tour de la conception humboldtienne qui considère la langue comme un réceptacle culturel qui contient en son sein non seulement notre expérience des choses mais aussi notre vision du monde car «en parlant une langue, je me réfère à un univers

particulier, celui dicté par cette langue; ma compréhension des choses se situe nécessairement dans cet univers» (Zaoui, 1993: 27).

La question qui demeure pourtant posée est celle relative à la réactivation de la culture cible dans l'espace classe. Une première tentative de réponse nous parvient de Balboni (in Aouadi44), pour qui l'utilisation des représentations et des images du pays de la langue cible, pour la décoration des classes de langue, permet un rapprochement entre l'élève et la culture cible. Ainsi, les référents culturels étrangers présents dans l'image intègrent le patrimoine de la classe et ceux-ci deviennent par conséquent, dans cette optique, un morceau du pays dont on étudie la langue, encastré dans le pays de l’apprenant. Symboliquement, le fait pour un élève de «laisser la salle de classe habituelle pour

se rendre à celle de langue étrangère est une métaphore de l'ouverture sur l'autre». Le recours à l'image permet, selon lui, de fournir à l’élève un « bain

visuel » (Martin, ibid.90) en vue de réduire la distance psychologique entre l’apprenant, la langue et la culture cible et atteindre par conséquent le dépaysement nécessaire pour recréer un peu du pays cible. On connaît de ce point de vue la pertinence des propos d'Edward Saïd (in Darras)45qui viennent appuyer les propos de Balboni et qui nous rappelle que «Nous vivons dans un monde qui

n'est pas seulement fait de marchandises, mais aussi de représentations, et les représentations -leur production, leur histoire et leur interprétation- sont la matière première de la culture» et l’on peut dire que l’image, avec toutes ses

qualités analogiques, a la faculté de rendre présent, en classe de langue, un ailleurs absent, offrant à l’apprenant, faute d’expérience authentique, puisque n’ayant pas eu l’occasion de visiter le pays étranger dont il étudie la langue, l’occasion de faire une expérience vicariale des lieux, de l’autre et de l’usage symbolique qu’il fait des objets.

L’image, outil à forte coloration culturelle, peut être considérée comme source d’information sur le monde, c'est-à-dire reflet d'une culture et d'une identité étrangère. Et même si l’on s’accorde à ce que l'image fixe ne permet de

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Aouadi, Saddek : Interculturalité dans l’enseignement/apprentissage des langues étrangères, in Le Quotidien d’Oran du 04 décembre 2002.

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présenter que des bribes de culture, nous pensons que cela correspond mieux au niveau de ces apprenants débutants pour qui l'enseignement du type culturel doit être simplifié autant que faire se peut. Cette simplification permettrait de leur couler la culture cible en douceur et par doses successives. Il s'agit en fait de leur présenter, dans l'espace classe, les images des grandes villes, des monuments et sites touristiques de renom, non seulement à des fins décoratives, mais pour créer des effets de proximité ainsi que pour stimuler leur motivation. Cette culture fragmentaire que le professeur fait entrer en classe constituerait, dans un premier temps, une sorte d'interface qui donne à voir un ailleurs absent et fournirait un décor dans lequel la langue enseignée est mise en scène, et permettrait, à travers sa fonction épistémique, de satisfaire l'appétit de ces intelligences en herbe par l'explicitation des indices culturels. Songeons donc à cette infinité d'occasions d'appréhender l'autre dans son milieu ambiant: expliciter son identité, l'imaginaire collectif qui lie les membres de la communauté dont on apprend la langue, sa singularité aussi qui se traduit dans les usages symboliques et sociaux des objets. Barthes nous en donne l'exemple, dans l'analyse de l'affiche Panzani (Joly, 1994: 133):

- Les couleurs, rouge, vert, jaune ne sont pas sans lui rappeler le drapeau Italien (usage symbolique des couleurs).

- Ces mêmes couleurs lui rappellent les façades des maisons dans les différentes villes Italiennes (usage social).

Ce qui nous semble aussi intéressant du point de vue interculturel, c’est de cultiver le concept de modèle pour appréhender l’autre dans sa diversité. Marie-Claude Vettraino-Soulard (1993: 67-68) pense, de ce point de vue, que le modèle présent dans une image peut jouer le rôle de marqueurs temporels et spatiaux. Si l'image joue le rôle de marqueur temporel, c'est parce qu'elle fonctionne autant en diachronie qu'en synchronie. En diachronie, elle permet de «dater» le modèle et de délimiter le temps historique de la prise de vue. C'est ainsi qu' «Une coupe de cheveux, un style de vêtement renvoient à une période bien

déterminée identifiable, grâce à la connaissance de la mode de la décennie»

(idem.).

Sur le plan synchronique, elle permet d'identifier le moment de la prise de vue (pendant le jour ou durant la nuit, la saison, etc.) puisque «l'unité de

temps «vécue» sur l'image se déduit à partir d'indices présents dans l'illustration: couleurs des paysages pour les saisons, soleil de midi, brume matinale .. pour le moment de la journée» (ibid.).

L'image fonctionne aussi en qualité de marqueur spatial lorsqu'elle offre des indices permettant de fixer spatialement la scène. C'est ainsi qu'«une

sexuelle à laquelle il appartient le lieu où se déroule l'action. Outre la dénotation de leur nationalité, ils induisent un nombre plus ou moins variable de connotations attachées aux stéréotypes dont bénéficie ou souffre le pays de référence» (ibid.).

Ce sont ces marques temporelles et sociales qu'il faut amener l’élève à questionner, en classe et ce sont ces indices qui permettent d’appréhender l’ambiant socioculturel en synergie, qui anime de l'intérieur la société dont on étudie la langue pour mieux percevoir la différence de l’autre, notamment à travers son ethos, c'est-à-dire sa manière d’être, de penser, de s'exprimer autrement que par l'aspect verbal du langage. C’est à travers l’usage symbolique des objets et des choses (emblèmes nationaux, signification sociale des couleurs, etc.) que l’élève devient plus sensible à l'altérité et aux mécanismes communicatifs, ce qui l’amènerait à «mettre au point des stratégies de réponse, donc à se situer dans les

interactions en langue étrangère et à maîtriser tous les phénomènes liés à cette pratique. Cela amènerait le professeur à traiter le problème épineux des stéréotypes », comme disait Bérard (ibid.58).

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