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Enjeux économiques

Dans le document Éducation et numérique, Défis et enjeux (Page 83-87)

Gilles Braun [Braun-2006] analysait en 2006 dans un très bon article de synthèse sur les enjeux économiques des EdTechs que « nous sommes donc dans un des rares domaines où se rejoignent enjeux éducatifs, économiques et industriels. L’école est non seulement un marché potentiel mais aussi le creuset où les pratiques culturelles se construisent. Les débats sur l’exception“pédagogique” dans la diffusion des contenus numérisés ou la place que doivent occuper les logiciels libres y sont particulièrement animés. Ils sont l’expression de la recherche d’un modèle économique qui soit compatible avec la volonté d’une diffusion la plus large du savoir et le droit des auteurs à protéger leur œuvre. Dans le débat sur la marchandisation et la mondialisation de l’éducation, les technologies de l’information et de la communication tiennent donc une place stratégique. »

Depuis 2006, le marché de l’éducation a effectivement explosé et on peut citer le récent rapport McKinsey92 : « Pendant des décennies, les gens ont discuté

de la façon de révolutionner l’éducation avec la technologie, que ce soit des matériels pédagogiques de “gamification” ou de l’élargissement de l’accès aux connaissances par le biais de cours en ligne ouverts et massifs (MOOC). Les sociétés d’investissement d’EdTechXGlobal et d’Ibis ont estimé que les écoles ont consacré près de 160 milliards de dollars aux technologies du numérique pour l’éducation, ou EdTechs, en 2016, et que les dépenses prévues augmenteront de 17 % par an jusqu’en 202093. L’investissement privé dans les technologies éducatives, largement

défini comme l’utilisation d’ordinateurs ou d’autres technologies pour améliorer l’enseignement, a augmenté de 32 % par an de 2011 à 2015, atteignant 4,5 milliards de dollars dans le monde ». Une étude récente du cabinet CB Insights, indique que le cumul des levées de fonds dans les EdTechs dans le monde a franchi la barre des 10 milliards de dollars en 2017 et que le marché explose en Chine avec l’arrivée de nombreuses licornes et une estimation à 30 milliards de dollars de fonds pour la EdTech chinoise d’ici 202094. En comparaison, il y a eu en 2018 en France, 220 M€

de levée de fonds ce qui correspond approximativement à la troisième levée de fonds (en 2018) de la start-up chinoise DaDa (255M$).

Par ailleurs, la France consacre plus de 150 milliards d’euros par an à son système éducatif (source MENJ95) sans compter le marché français de la formation 92. « Artificial Intelligence : The Next Digital Frontier », Mckinsey Global Institute, Juin 2017.

93. Rapport mondial de l’industrie mondiale d’EdTech 2016 : une carte pour l’avenir de l’éducation,

EdTechXGlobal et Ibis Capital.

94. https://www.frenchweb.fr/decode-le-chinois-dada-une-licorne-de-lEdTech-a-la-conquete- du-monde/344388

95. https://www.education.gouv.fr/sites/default/files/imported_files/document/depp-ni-2019-19-38- donnees_1190476.xls

professionnelle qui représentait environ 24 milliards d’euros par an en 201596. Malgré de

nombreux efforts, ce système reste mal classé dans les études internationales comme nous l’avons mentionné au chapitre 3.2. Cette année, 80 000 élèves décrocheurs quitteront le système scolaire sans véritable formation leur permettant d’entrer sereinement dans le monde du travail et la vie d’adulte, et beaucoup plus encore se retrouveront dans des situations d’échec scolaire ou en grande difficulté.

Le décrochage coûte également cher à la collectivité. Selon la Cour des comptes, il mobilise à lui seul 35% des financements publics en faveur des jeunes de 16 à 25 ans. Selon le Boston Consulting Group, chacun de ces individus « surcoûtera » en moyenne durant sa vie d’adulte un total de 230 000 euros (précarité et chômage pour un grand nombre, RSA pour certains et une probabilité plus forte d’avoir affaire au système judiciaire pour d’autres, etc.) Ce surcoût lié à l’échec scolaire représenterait donc une dette de près de 20 milliards d’euros par an !

Les principales causes de l’échec scolaire sont connues : • 45 % des élèves ont du mal à suivre le rythme de la classe ;

• 26 % des élèves ne maîtrisent pas certaines notions fondamentales ce qui bloque l’acquisition de connaissances nouvelles.

Or la diversité des supports d’apprentissages mixant l’image, le son, la vidéo et l’animation renforce l’ancrage des apprentissages, facilite la mémorisation et l’acquisition de connaissances et de compétences. À cela s’ajoute la démultiplication de l’efficacité de l’enseignant grâce aux outils de suivi fin des élèves et de personnalisation des apprentissages.

L’AFINEF97 exhorte les décideurs à mettre en place des moyens significatifs pour

développer des ressources et des solutions numériques éducatives de nouvelle génération. En effet, elle estime que la France ne consacre chaque année que de 10 à 15 millions d’euros aux ressources numériques éducatives pour ses 12 millions d’élèves (à comparer aux 300 millions d’euros de l’édition scolaire et aux 40 millions d’euros de la photocopie scolaire)98. Force est de constater que l’acte d’achat de

ressources numériques reste très peu répandu et limité dans la plupart des cas à des procédures d’achats groupés et de marchés publics. En conséquence, il est difficile de parler de marché des ressources numériques, et par voie de conséquence, de financement des investissements des entreprises des EdTechs, donc d’envisager leurs perspectives de développement économique en France. Pour mémoire, les plus grandes entreprises EdTech françaises réalisent un chiffre d’affaires annuel très rarement supérieur à la dizaine de millions d’euros.

96. https://dares.travail-emploi.gouv.fr/IMG/pdf/jaune2018_formation_professionnelle.pdf

97. https://www.afinef.net/

Comme nous l’avons déjà mentionné dans l’introduction, la France possède aussi un tissu associatif autour des EdTechs qui se structure et dispose de nombreuses entreprises et startups innovantes, dynamiques et performantes. Ces sociétés ont un fort potentiel à l’international99. Mais les conditions d’achat public de contenus

éducatifs (c.-à-d. de logiciel ou de données) sont très compliquées dans le cadre de l’éducation nationale ou de l’enseignement supérieur. Ce qui est moins vrai pour le matériel et qui a comme conséquence l’achat massif de tablettes qui in fine sont très peu utilisées (voir le rapport de la Cour des comptes).

Il y a donc deux enjeux. Le premier est lié à la simplification de rémunération de l’utilisation effective de logiciels éducatifs par les enseignants, voire coconstruits avec les enseignants selon un mécanisme simple et efficace, certainement à bâtir autour de solutions associant plateforme d’offre et de jetons d’usage. Le second enjeu déjà évoqué à la section 5.1 porte sur les données. Il faut « inventer » un modèle vertueux qui arrive à ce que la création de valeur liée aux données d’éducation soit un moyen d’assurer le développement économique de la portabilité des données, dans le respect de la confidentialité et du RGPD. Enfin, l’exploitation des données d’éducation à l’échelle de la Nation doit être l’occasion de créer des biens communs100.

Cela implique de comprendre comment concrètement les financer, probablement par de l’argent public ou des fondations101 pour que la situation soit tenable

financièrement pour les personnes investissant du temps de travail, en les adossant à des biens marchands102 ou à des services rémunérés. On peut aussi penser à du

crowd-sourcing.103 Il faut être conscient que cela impose principalement d’une part

que les personnes créant ou finançant de telles ressources renoncent à l’idée de percevoir une « rente » sur le bien produit quand c’est un bien non rival104, et d’autre

part qu’il y ait un vrai mécanisme d’évaluation de cette production au fil de sa création105. Dans le monde des ressources éducatives numériques, l’enjeu majeur 99. On peut citer la levée de fonds (50 millions d’euros) en 2018 d’OpenClassrooms mais qu’il faut relativiser,

Coursera ayant levé l’équivalent en 2012 et Yuanfudao, entreprise chinoise créée en mars 2012 ayant levé, en

mars 2020, 1 milliard de dollars.

100. … Au sens précis de biens numériques partagés sous licence Creative Commons pour créer une richesse librement réutilisable partageable https://fr.wikipedia.org/wiki/Communs#Communs_de_la_connaissance, contrairement à d’autres acceptionsdu terme, comme discuté ici https://scinfolex.com/2020/04/12/leurs- communs-numeriques-ne-sont-toujours-pas-les-notres

101. Dans le domaine logiciel, la fondation Mozilla – p. ex., – est un exemple de succès mondial de création de biens communs.

102. p. ex. : un bien numérique librement réutilisable et qui correspond à un manuel papier qui s’achète à un prix inférieur au coût d’impression sur imprimante, comme ce fut le cas avec le manuel ISN de Dowek&al chez

Eyrolles, qui par le truchement de ce modèle économique a complètement dominé le marché, les enseignants

disposant de la meilleure configuration pour préparer leurs cours :

https://wiki.inria.fr/wikis/sciencinfolycee/images/a/a7/Informatique_et_Sciences_du_Num%C3%A9rique_-_ Sp%C3%A9cialit%C3%A9_ISN_en_Terminale_S._version_Python.pdf

103. C’est-à-dire une source de contributions mineures d’une foule de personnes, l’exemple planétaire d’un tel succès est évidemment Wikipédia.

104. https://fr.wikipedia.org/wiki/Rivalit%C3%A9_(%C3%A9conomie)#Application_aux_biens_immat%C3%A9riels

est de comprendre comment les mécanismes de création de manuels scolaires se transposent, probablement de manière qualitativement différente106 à la création

de ressources numériques.

Les solutions ne sont pas forcément faciles à mettre en œuvre car elles doi- vent répondre à des enjeux systémiques très imbriqués avec de fortes tensions sur l’accompagnement au change- ment et la demande des parents (surtout pour l’Éducation nationale). Cependant, les investis sements sur un numérique « souverain » comme support au développement d’une offre éducative doivent être mis en regard de la question macroéconomique sur le coût complet de formation ou d’absence de formation (coût de l’échec scolaire évoqué ci-dessus) pour la société, mais il faut aussi aborder la question de l’efficience des solutions en regard du budget que la France consacre chaque année à son dispositif éducatif qui, malgré les nombreux efforts accomplis, reste mal classé dans les études internationales (§ section 3.2).

106. Voir p. ex., une étude sur ce sujet https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-01346646/document

« Dans le monde des ressources éducatives numériques, l’enjeu majeur est de comprendre comment les mécanismes de création de manuels scolaires se transposent, probablement de manière qualitativement différente à la création de ressources numériques. »

Enjeux de la formation au numérique

Dans le document Éducation et numérique, Défis et enjeux (Page 83-87)