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CHAPITRE 2 CONCILIER LA PRODUCTION FORESTIÈRE ET LA

2.2 La conservation de la faune dans un paysage dominé par des plantations

2.2.2 Enjeux à l'échelle du peuplement

À l'échelle du peuplement, la structure de la plantation influence sa capacité à fournir un habitat favorable aux espèces animales indigènes (Lindenmayer et Hobbs, 2004). Les plantations se présentent le long d'un continuum allant de monocultures d'espèces exotiques avec une structure très simplifiée jusqu'à des peuplements hétérogènes d'espèces indigènes (Hartley, 2002). Or, Hartley (2002) argumente que chaque progrès le long de ce gradient peut être bénéfique pour le biote local et que ces améliorations sont souvent réalisées en modifiant des méthodes de gestion qui n'amenuiseront pas obligatoirement les rendements financiers. Il spécifie que l'augmentation de la diversité structurelle du peuplement est d'autant plus importante lorsque les plantations occupent une forte proportion du paysage, ce qui est le cas de la CC du centre-sud du Chili. Trois enjeux principaux sont généralement considérés pour faire varier les conditions structurelles d'un site planté: (1) type et diversité

des espèces plantées; (2) composition du sous-bois durant la rotation; et (3) rétention d'éléments critiques lors de la récolte et la préparation du site (Brockerhoff et al. 2008).

Si la logique chronologique des étapes de la production forestière est respectée, le premier enjeu à considérer est la sélection des espèces plantées sur un site. Une relation assez directe existe entre la diversité d'essences plantées et la variété d'espèces locales qu'un peuplement pourra soutenir (Norton, 1998; Hartley, 2002). Cet avantage réside dans la capacité des peuplements mixtes à fournir un spectre d'habitats distincts (Spellerberg et Sayer, 1996) et à constituer un habitat plus stable (plus résistant et résilient aux perturbations) pour les espèces résidentes (Brockerhoff et al. 2008). À l'inverse, une monoculture est pratiquement homogène, donc moins apte à maintenir une grande biodiversité (Brockerhoff et al. 2008) et plus susceptible à être largement affectée par une perturbation telle une épidémie d'insectes ravageurs (Lugo, 1997). En comparaison avec les essences exotiques, les plantations d'arbres indigènes sont souvent préférables pour préserver la faune locale, car des espèces peuvent être dépendantes des ressources (e.g. fruits, feuillage, cavités) et des microhabitats que ces essences fournissent (Hartley, 2002). Les peuplements d'espèces exotiques peuvent, quant à eux, créer un environnement très différent des conditions existantes en forêt naturelle et ainsi favoriser les espèces exotiques au détriment d'espèces indigènes moins compétitives (Becerra et Simonetti, 2013). Outre le type d'espèces plantées, d'autres facteurs influencent la disponibilité d'habitat qu'un site de plantation peut offrir pour la faune indigène (Lindenmayer et Hobbs, 2004). Les paragraphes suivant discutent de deux de ces facteurs.

Le second enjeu à prendre en compte est la composition du sous-bois durant toutes les étapes de croissance de la plantation. Ce facteur détermine l'hétérogénéité verticale de la plantation au fur et à mesure que celle-ci croît (Hartley, 2002), une relation qui expliquerait, en Australie, pourquoi l'âge du peuplement est souvent corrélé avec la diversité faunique que celui-ci abrite (Lindenmayer et Hobbs, 2004). Or, cette corrélation n'est pas toujours applicable, car un peuplement plus âgé n'arbore pas nécessairement toutes les espèces qu'un jeune peuplement peut supporter et ce, à cause des différentes niches

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écologiques requises par les différentes espèces (Lindenmayer et Hobbs, 2004). Malgré cela, la diversité d'habitats sur un site planté est liée à la complexité et le niveau de développement de la communauté végétale du sous-bois qui, elle, peut être stimulée par des éclaircies plus importantes et plus hâtives (Hartley, 2002). Le développement de la végétation du sous-bois peut aussi être encouragé dès la préparation du site à être planté (Carnus et al. 2006). Même pour des monocultures, la variabilité spatiale peut être accrue par une préparation moins uniforme du site et par des variations dans l'espacement entre les arbres plantés (Carnus et al. 2006). Enfin, comme mentionné au chapitre précédent, l'allongement du temps de rotation est idéal pour permettre à la communauté d'atteindre un optimum écologique (Hartley, 2002), et ainsi favoriser un maximum d'espèces fauniques au cours du cycle de la plantation (Lindenmayer et Hobbs, 2004). En Nouvelle-Zélande, les peuplements de P. radiata plus âgés (27 ans) maintiennent une plus grande diversité d'espèces végétales indigènes en comparaison avec les plantations de début (5 ans) et de milieu (16 ans) de rotation (Brockerhoff et al. 2003). Bien que le temps de rotation écologiquement idéal soit généralement plus long que la durée de rotation qui maximise les bénéfices économiques (Hartley, 2002; Norton, 1998), un compromis peut être fait à l'échelle du paysage où 15-20% des peuplements peuvent être soumis à de longues rotations alors que le reste des sites plantés sont récoltés plus hâtivement afin de compenser pour les pertes de profits associées aux longues rotations (Peterken et al. 1992).

Le troisième enjeu est lié au maintient des composantes clés de l'écosystème au moment de la récolte et de la préparation du site. Cette approche, interprétée par Hunter (2005) comme un mésofiltre qui complémente les stratégies du filtre brut et du filtre fin, consiste en la rétention d'éléments critiques tels que de gros arbres vivants ou morts, des souches au sol, des résidus de coupe d'éclaircie ou d'élagage, et des andains (Hartley, 2002; Lindenmayer et Hobbs, 2004). Hunter (2005) ajoute à cette liste des structures hydrologiques telles que des mares, des sources et des ruisseaux, ainsi que des processus naturels tels que les feux et les inondations. Cette stratégie est bénéfique pour la biodiversité indigène, d'une part, parce qu'elle favorise la variabilité spatiale et, d'autre part, car elle permet de retenir des éléments dont plusieurs espèces locales sont complètement ou partiellement dépendantes au cours de

leur cycle de vie (Hartley, 2002). Elle favorise particulièrement les organismes tels que les invertébrés, souvent négligés par le filtre fin (Hunter, 2005). Par exemple, en Australie, la rétention des andains dans les sites de plantation peut être avantageux autant pour les oiseaux, les micromammifères et les invertébrés (Lindenmayer et Hobbs, 2004).

Au final, peu importe l'échelle ou l'enjeu considéré, les mesures les plus efficaces pour mitiger les impacts néfastes des plantations forestières sur la biodiversité indigènes sont toutes associées à des méthodes de gestion et d'aménagement qui favorisent l'hétérogénéité spatiale (Hartley, 2002; Brockerhoff et al. 2008). L'homogénéisation des paysages et des peuplements forestiers est donc la principale barrière à la conservation des espèces indigènes dans une région fortement touchée par la foresterie industrielle.

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