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Pour mon enfant

Dans le document L'ENFANT SOUFFRANT DE TROUBLES DE (Page 130-134)

LE CAS PARTICULIER DES ENFANTS ADOPTÉS

3. Pour mon enfant

Lettre écrite pour un adolescent adopté, afin de l'aider à essayer de mettre des mots ce qu'il peut vivre

Je pense que tu deviens assez mature pour comprendre certaines choses, et il s'agit ici de choses qui te concernent au plus haut point.

Je voudrais t'expliquer des choses que je viens de comprendre plus profondément, même si certaines ne m'étaient pas inconnues depuis longtemps. Je pense que tu dois aussi les connaître de l'intérieur, les vivre, mais peut-être sans mettre de mots sur tout cela.

Je te conseille de rester seul pour lire cette lettre que tu trouveras peut-être difficile à lire.

Ensuite nous en parlerons quand tu veux.

Quand une maman attend un bébé, il se forme entre elle et son bébé, pendant les 40 semaines que dure sa grossesse, un lien très fort et très complexe, qui est à la fois biologique, physique, mais aussi psychique, émotionnel et même spirituel et mystique. Le bébé se prépare à rencontrer sa maman et la maman se prépare à rencontrer son bébé. Quand le bébé naît, il

"reconnaît" sa maman et la maman reconnaît et accueille son bébé. La maman sent à chaque instant les besoins de son bébé, ce qu'il ressent, s'il a faim, s'il a froid, s'il a envie de câlins…

A chaque instant elle sait comment s'occuper de lui, comment combler ses besoins. Personne ne le lui a appris, elle le sent parce qu'elle vit avec son bébé depuis déjà 40 semaines. Le bébé sait qu'elle est sa maman, celle qui l'a porté pendant tout ce temps, celle qui lui est destinée, et petit à petit, au fil des jours, se forme entre eux un lien indestructible.

Parfois il arrive que la maman ne puisse pas s'occuper de son bébé pour diverses raisons (elle est malade, elle est morte, elle a trop de soucis et de problèmes ailleurs, elle ne peut pas ou elle ne veut pas s'occuper de son bébé). Alors le bébé est confié à d'autres personnes, qu'il ne connaît pas. Ces personnes vont s'occuper du bébé le mieux qu'elles peuvent, le changer, lui donner le biberon, le câliner comme une maman le ferait. Mais ce n'est pas la maman du bébé. Et le bébé sait tout de suite la différence. Il sait que sa maman n'est plus là, et il comprend vite qu'elle ne reviendra pas. Alors il est profondément malheureux. Parfois il essaie de s'attacher à la personne qui s'occupe de lui, se disant qu'elle va le comprendre comme le comprenait sa maman quand il était dans son ventre. Mais ce n'est pas vrai. Ce n'est pas la même chose. Et la souffrance dans son cœur est immense. Il n'y a plus de place pour autre chose que cette souffrance.

Alors le bébé comprend un certain nombre de choses. Tout d'abord que les adultes, sa maman et les autres, ne sont pas fiables. Qu'ils ne font pas toujours ce qu'on attend d'eux. Qu'ils peuvent abandonner un bébé. Qu'il ne faut pas, qu'il ne faut plus jamais leur faire confiance.

Que si il s'attache à eux, si il les aime, si il se laisse aimer, cela se terminera toujours aussi mal. Et qu'il va rester là, tout seul, avec sa souffrance d'être abandonné. Donc il ne faut plus aimer et se laisser aimer, il faut qu'il se méfie particulièrement de ceux qui veulent l'aimer.

Il comprend aussi qu'il est tout seul pour s'occuper de lui. Qu'il est le seul à qui il puisse faire confiance. Qu'il faut qu'il contrôle tout ce qui se passe autour de lui, qu'il maîtrise ce qui lui arrive, parce que personne ne le fera à sa place. Qu'il faut qu'il surveille tout, qu'il soit au

courant de tout, et en même temps qu'il ne doit rien laisser savoir de lui, qu'on ne doit pas savoir ce qu'il pense, ce qu'il aime, ce qu'il ressent…

Et le bébé grandit avec ces sentiments confus qui deviennent plus clairs au fur et à mesure qu'il grandit. Et ces sentiments vont dicter ses comportements.

Il arrive que le bébé soit confié en adoption à des parents qui voudraient avoir un enfant parce qu'ils ne savent pas en avoir par eux-mêmes ou parce qu'ils veulent ouvrir leur famille à un enfant qui est sans famille. Ces parents sont pleins d'amour en réserve et attendent le bébé ou l'enfant à qui ils vont le donner. Quand le bébé arrive, ils sont parfois maladroits, ils attendaient cet enfant depuis si longtemps, ils ont tellement d'amour à lui donner, tellement de choses à partager. Ils ne voient pas que le bébé est malheureux, qu'il a été abandonné et qu'il est profondément triste d'être tout seul. Ils ne voient pas non plus que le bébé ne veut pas de leur amour, parce que ce n'est pas celui de sa mère de naissance. De toutes façons, c'est un petit bébé. Comment peut-il dire ce genre de choses? Comment peut-il savoir ce qui est bon pour lui?

Et le bébé grandit, devient un petit enfant, puis un enfant plus grand. Et au fond de lui, il y a une profonde tristesse pour ce qui lui arrive, il est terriblement malheureux parce que sa mère de naissance l'a abandonné. Il essaie de comprendre. Et souvent il arrive à la conclusion que sa mère l'a abandonné parce qu'il ne valait pas la peine qu'elle l'aime et qu'elle s'occupe de lui. Ce doit être parce qu'il est méchant qu'elle l'a laissé. Et donc, si sa mère de naissance a trouvé qu'il était méchant, il doit se comporter comme un méchant enfant parce que sa mère en a décidé ainsi, et il doit donner raison à sa mère.

Parfois il lui arrive de penser que sa mère l'a laissé parce qu'elle a été obligée ou qu'on l'a volé à sa mère de naissance, et que sa mère de naissance cherche après lui tous les jours, essaie de le retrouver. Alors il pense que toutes les femmes qu'il croise dans la rue ou ailleurs sont peut-être sa mère de naissance en train de le chercher. Il pense que sa mère l'aime très fort et que quand ils se retrouveront, ce sera le paradis. Alors il pense que ça ne sert à rien de s'entendre avec ces parents adoptifs qui ne font que passer, qui sont là "en attendant".

Parfois la tristesse du petit enfant est cachée par une immense colère contre sa mère de naissance qui l'a abandonné et qui n'avait pas le droit de faire cela. Alors il est très en colère contre elle et contre tout ce qui lui fait penser à elle, en particulier contre sa mère adoptive et même contre tous les adultes de son entourage.

Parfois aussi l'enfant a très peur que cette horrible tristesse, cette terrible souffrance, cette immense colère ne reviennent si à nouveau il se retrouvait tout seul. Alors il a très peur d'être de nouveau abandonné par ceux qui l'entourent, par sa famille adoptive par exemple. Devant cette immense peur, il y a deux attitudes possibles: soyons l'enfant le plus parfait possible pour ne pas être rejeté une nouvelle fois. Certains enfants vont refuser de dire ce qu'ils aiment, de faire ce qu'ils préfèrent, pour se conformer au mieux à ce qu'ils pensent que leurs parents adoptifs aimeraient qu'ils fassent, qu'ils soient… Une autre façon de réagir est de se dire: vais-je encore être rejeté? Testons les adultes! Provoquons la rupture tout de suite plutôt que d'attendre que cela arrive; ce sera moins douloureux si cela se passe comme je l'ai provoqué. Et ces enfants-là se conduisent de la façon la plus difficile possible, pour voir si leurs parents adoptifs ne vont pas finir par les rejeter, tout comme leur mère de naissance les a rejetés quand ils étaient bébés. En faisant cela, ils pensent contrôler leur souffrance, mais aussi donner raison à leur mère de naissance de les avoir abandonnés.

En grandissant, ces enfants sont de plus en plus malheureux parce qu'ils commencent à mieux comprendre ce qui leur est arrivé. En apprenant à lire, à écrire, à réfléchir, à analyser une situation, ils comprennent de plus en plus que ce qui leur est arrivé et ce qui leur arrive tous les jours est terrible, injuste, et ils se révoltent contre ce qui leur arrive. L'enfant, l'adolescent a beau savoir avec son intelligence que son adoption est quelque chose de positif, que cela lui a évité de se retrouver seul, dans des conditions de vie très malheureuses. Il a beau savoir avec son intelligence pourquoi sa mère de naissance l'a abandonné. Il a beau reconnaître avec son intelligence que son adoption lui a permis d'avoir une autre vie, plus confortable, lui a permis de faire des études, l'a tiré de la rue, de la misère… C'est son intelligence qui sait cela, pas son cœur. Dans son cœur, il est toujours le petit enfant malheureux que sa mère de naissance vient de quitter pour toujours.

Certains enfants refoulent leur révolte et se replient sur eux-mêmes, ne parlent pas de ce qu'ils ressentent, essaient même de ne rien ressentir pour ne pas sentir la douleur et la colère qui sont en eux. Alors ils vivent un peu dans leur coin, ils semblent ne pas avoir de sentiments, être indifférents à ce qui se passe autour d'eux. Ils laissent leurs parents adoptifs faire ce qu'ils pensent bien faire et ils ne réagissent pas.

Certains enfants sont dominés par la peur d'être de nouveau abandonnés et se collent à leurs parents adoptifs, semblent ne rien pouvoir faire par eux-mêmes. Ils ont tout le temps besoin d'être rassurés.

Certains enfants sont en colère et en révolte contre ce qui leur arrive, et essaient de maîtriser la situation en agissant de telle façon que, pensent-ils, ils décident de ce qui arrive. Souvent ils essaient, de différentes façons, d'amener leurs parents adoptifs à se séparer d'eux. Ils voudraient que leurs parents adoptifs les rejettent, les mettent à la porte, comme cela, pensent-ils, ils pourront décider tout seuls de leur vie. Comme cela aussi, ils se prouveront à eux-mêmes que leur mère de naissance avait raison de les abandonner. Qu'ils ne valent rien puisque personne ne les aime, puisque tout le monde les rejette.

Mais souvent en grandissant, en devenant adulte, l'enfant comprend petit à petit la différence entre ce qui est dans son cœur et dans son intelligence. Il comprend qu'en continuant à se comporter comme il le faisait étant enfant, il continue à se comporter comme le petit bébé qui pleure sa maman qui est partie. Il comprend aussi que cette attitude ne lui permet pas d'avoir une vie heureuse et qu'elle rejaillit sur son entourage, plus seulement sur ses parents adoptifs et sur sa famille adoptive, mais aussi sur ses relations avec ses copains, sur ses relations professionnelles, sur ses relations amoureuses… et que partout il transporte le même schéma de comportement.

Souvent il ne comprend pas que ce qu'il dit, ce qu'il fait, ce qu'il ne dit pas, ce qu'il ne fait pas… a une influence, a un impact sur ceux qui l'entourent. C'est normal, il n'a pas pu avoir d'influence sur sa mère de naissance. Il a eu beau pleurer, crier, rager… elle n'est pas revenue. Et il a décidé depuis que les autres n'auraient plus d'influence sur lui.

En devenant adulte, l'enfant abandonné et adopté peut commencer à comprendre qu'il devrait faire la différence entre son moi adulte et son moi enfant, qu'il ne peut plus laisser un petit bébé malheureux contrôler toute sa vie, qu'il est temps que son moi adulte, capable de réflexion et de décisions, dirige sa vie.

Et tout en se souvenant qu'il y a au fond de lui une grande souffrance et un grand vide qui le rendent à jamais différent des autres, il commence à comprendre que malgré ce que le bébé en lui pensait, il a un impact sur les autres. En regardant les réactions des autres, en leur demandant ce qu'ils ressentent, il comprend petit à petit qu'il compte lui aussi, que ce qu'il dit ou ce qu'il fait peut faire plaisir ou faire de la peine à ceux qui l'entourent.

Petit à petit il commence à faire la différence entre ce qu'il croyait, ce qu'il croit encore et la réalité.

Ce qu'il croit, c'est que sa mère l'a abandonné parce qu'il ne valait rien ou que sa mère va revenir le chercher et qu'en l'attendant, il ne faut rien faire ou que ses parents adoptifs l'ont volé et qu'il faut utiliser son énergie à lutter contre eux ou qu'on risque de l'abandonner de nouveau s'il n'est pas parfait et s'il ne se comporte pas comme il pense qu'on l'attend de lui.

La réalité, c'est qu'il est devenu un adulte avec beaucoup de potentialités intellectuelles, sportives, affectives, spirituelles…, un adulte avec un passé douloureux mais capable d'aller de l'avant et de vivre en harmonie avec d'autres adultes, un adulte capable de s'entendre avec les autres, capable de travailler et de participer à la construction du monde, un adulte capable d'avoir une relation amoureuse et de fonder un foyer.

Et quand il a fait la différence entre ses croyances et la réalité, il peut commencer à décider que c'est maintenant l'adulte en lui qui va diriger sa vie et plus le bébé malheureux qui pleure et qui rage.

Voilà ce que je voulais t'expliquer, je l'ai compris depuis peu de temps, et toi qui deviens adulte tout doucement, je pense que tu peux le comprendre.

Je t'attends pour en parler quand tu le souhaites.

Maman

(tout parent qui le souhaite est autorisé à recopier – avec ou sans modification – cette lettre et à la donner à lire à son adolescent s'il pense que cela peut l'aider)

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