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CHAPITRE 1 : L’AEROSOL DE COMBUSTION EN AFRIQUE

1.4. Emissions des aérosols de combustion

Le terme « émission » représente dans cette thèse les quantités de particules rejetées dans l’atmosphère par les différentes sources. La nature et la quantité des composés émis, ainsi que leur répartition géographique sont inhomogènes, puisque les émissions dépendent de plusieurs paramètres tels que le type de végétation, les combustibles utilisés, le niveau de développement des pays, la densité de population. En Afrique, on retrouve trois grands types de sources de l’aérosol de combustion :

• les feux de biomasse : feux de végétation (forêt, savane,…) liées aux pratiques culturelles, à l’élevage, à l’agriculture et à la déforestation.

• les biofuels : combustion de bois, charbon de bois, résidus agricoles, déchets animaux,… dans les secteurs d’activités domestiques et industrielles.

• les combustibles fossiles : sources d’énergies fossiles (essence, diesel,…) dans les secteurs du trafic, des industries et du domestique.

Ces émissions sont en constante augmentation pour les feux de biomasse, les biofuels et les combustibles fossiles, du fait de pratiques humaines elles-mêmes en constante augmentation, et du fait de l’accroissement démographique. Les émissions qui en découlent sont anthropiques pour la grande majorité. Aussi, dans notre travail de recherche, nous nous focaliserons sur les émissions anthropiques, bien que les émissions biogéniques sont à prendre aussi en compte pour le carbone organique (ce n’est pas l’objet de cette thèse).

1.4.1. Feux de biomasse

Depuis les années 1990, on a pu vérifier en Afrique l’importance des émissions liées à la combustion de biomasse. A titre d’exemple, on estime que sur 750 millions d’hectares de végétation brûlés chaque année, près de la moitié le sont en Afrique, contre 12 à 13 millions aux moyennes et hautes latitudes de l’hémisphère Nord (Calabri and Cisela, 1992). Liousse et al. (1996) ont montré que les combustions anthropiques de biomasse génèrent environ 46% des émissions de carbone suie et 55% des émissions de carbone organique primaire à l’échelle du globe. Les feux de biomasse en Afrique tirent leur origine de pratiques culturelles et d’activités liées au défrichement pour l’utilisation permanente de terres pour l’agriculture, l’élevage et l’élimination des résidus agricoles. Dans la plupart des inventaires globaux et

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régionaux (Hao and Liu, 1994 ; GEIA ; EDGAR ; Liousse et al., 1996 ; Cooke and Wilson, 1996 ; Liousse et al., 2010 ; Mieville et al., 2010), la construction des inventaires de feux de biomasse est basée sur une approche « bottom-up », selon la formulation générale (Cachier et al., 1991) :

E(X) = M * EF(X)

avec E, les émissions en g, M, la quantité de biomasse brûlée en kg et EF, le facteur d’émission correspondant à l’aérosol X (e.g. BC et/ou OC) (en g/kgdm) dont on calcule les émissions.

De nombreuses incertitudes subsistent encore sur le calcul de telles émissions (Liousse et al., 2010 ; Mieville et al., 2010). Ainsi, le tableau 1.2 fournit le total des émissions de carbone suie (BC) et de carbone organique primaire (OCp) par les feux de biomasse à l’échelle du globe en 2000, sur la base de cinq inventaires.

Tableau 1.2. : Emissions de carbone suie (BC) et de carbone organique primaire (OCp) par les feux de biomasse à l’échelle globale et en Afrique (valeurs en gras dans les parenthèses) en 2000.

BC (en Tg/an) OCp (en Tg/an) Ratio BC/OCp

Bond et al. (2004) 3,3 (1,47) 25,01 (10,50) 0,13 (0,14)

AMMABB (Liousse et al., 2010) 3,6 (2,3) 27,2 (16,8) 0,13 (0,14)

Ito and Penner (2005) 5,4 34,6* 0,16

Generoso et al. (2003) 3,4 22,3* 0,15

Van der Werf et al. (2006) 2,3 18,5 0,12

* Ces valeurs ont été recalculées avec la relation OM = OCp * 1,3 (Liousse et al., 1996)

Les rapports BC/OCp sont sensiblement égaux, en dépit des différences entre les totaux d’émissions entre les cinq inventaires. Des études d’intercomparaisons entre plusieurs inventaires ont eu lieu ces 3 dernières années (Granier et al., 2010 ; Stroppiana et al., 2010), les différences pouvant être dues aux incertitudes sur la quantité de biomasse brûlée (M) et sur les facteurs d’émissions associés à chaque couvert végétal qui brûle. Pour les facteurs d’émissions, de nombreuses études expérimentales fournissent des valeurs de facteurs d’émissions selon le type de végétation brûlée (Michel et al., 2005 ; Liousse et al., 2004 ; Andreae and Merlet, 2001).

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La quantité de biomasse, pour sa part, est calculée en tenant compte de la surface brûlée (A), de la densité de biomasse (B), de la fraction de biomasse au-dessus de la surface du sol (α) et de l’efficacité de brûlage (β), selon la relation :

M = A * B * α * β

Pour le paramètre A, on évaluait dans les années 1990 entre 75% et 80% de la savane africaine qui brûlait chaque année, avec une incertitude d’un facteur 2 à 3 (Cooke and Wilson, 1996 ; Liousse et al., 1996 ; Hao and Liu, 1994). Puis, l’estimation de ce paramètre a été qualitativement améliorée par l’utilisation de données satellitales, précisément à l’aide de cartes de pixels de feux issues des données des radiomètres ATSR (ESA) et AVHRR (Advanced Very High Resolution Radiometer) (Cooke et al., 1996). Ceci a permis une prise en compte améliorée de la temporalité des feux de biomasse. Dans un second temps, des cartes de surfaces brûlées par type d’écosystèmes ont permis une amélioration quantitative. Ces cartes proviennent de données de NOAA-AVHRR, SPOT-VEGETATION, d’ATSR, GLOBSCAR, L3JRC, GBA2000 ou de MODIS à l’échelle globale (Michel et al., 2005 ; Liouse et al., 2004 ; Tansey et al., 2004 ; Grégoire et al., 2002 ; Barbosa et al., 1999 ; Cahoon et al., 1992).

Pour le paramètre B (densité de biomasse), l’inhomogénéité des couverts végétaux est également source d’incertitudes. Généralement, on a recours à des cartes de classes de végétation et à leurs paramètres associés (densité de biomasse, efficacité de brûlage,…), comme par exemple les cartes UMD (Hansen et al., 2000) et GLC2000 (Bartholomé and Belward, 2005) dotées respectivement de 11 et 18 classes de végétation. Il existe une autre approche (Van der Werf et al., 2006) qui utilise un modèle de végétation dynamique pour tenir compte de la modification de la couverture végétale à haute résolution, mais également de l’impact des feux et des changements climatiques. Enfin, une nouvelle approche, encore en cours de développement, permet de réduire les incertitudes sur la détermination des quantités de biomasse brûlée à partir des données satellitales de FRP (Fire Radiative Power). Cette dernière fournit une information sur l’activité des grands feux visibles par satellite et est directement corrélée à la quantité de biomasse brûlée (Roberts et al., 2005 ; Wooster et al., 2005). Cette approche présente un grand intérêt dans la mesure où elle s’affranchit du type de végétation et donc de la densité de biomasse (paramètre B). Cependant, cette technique n’est pas encore totalement satisfaisante, car des différences persistent entre facteurs de conversion, à l’origine de résultats très différents sur les émissions. Notons que pour l’Afrique, il a été montré par différents études de modélisation que l’inventaire AMMABB développé à partir

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des données L3JRC et de la carte de végétation GLC pour les années 2000-2006 (Liousse et al., 2010) donnait des résultats plus satisfaisants que d’autres inventaires existants (Tummon et al., 2010 ; Barret et al., 2010 ; Jason et al., 2010).

1.4.2. Combustibles fossiles et biofuels

Les émissions de carbone suie et de carbone organique primaire par combustion de combustibles fossiles et de biofuels sont disponibles dans des inventaires aux échelles globales et régionales, mais ce n’est pas le cas de l’Afrique où seuls les inventaires globaux existent. Dans l’un de ces inventaires (Junker and Liousse, 2008), à l’échelle de l’Afrique en 2000, les émissions de carbone suie étaient évaluées à 2,3 Tg pour les feux de biomasse (cf. tableau 1.2) contre 0,44 Tg pour les biofuels et 0,20 Tg pour les combustibles fossiles (cf. tableau 1.3) avec comme principales activités émettrices le trafic routier, les industries, les centrales thermiques et les combustions domestiques. Jusqu’à présent pour les combustibles fossiles et des biofuels, on s’intéresse essentiellement aux combustions domestiques et aux biofuels par le biais de la fabrication de charbon de bois (Brocard, 1996). Ces émissions sont calculées selon une approche « bottom-up » basée sur les données de consommations en combustibles fossiles/biofuels et des facteurs d’émissions correspondant. A l’échelle globale, les quantités de combustibles fossiles consommées sont recensées classiquement par deux organismes internationaux : l’ONU et l’IEA. Les facteurs d’émissions de carbone suie et de carbone organique sont très variables et dépendent de la technologie utilisée (véhicules à 2 ou 4 roues par exemple), du combustible (diesel, bois, …), du secteur d’activité (trafic, industries, …) et de la qualité de maintenance des installations (Junker and Liousse, 2008, Bond et al., 2004) et donc, du pays ou de la région considéré(e). Ainsi, deux approches dans la construction des inventaires d’émissions relatifs au carbone suie et au carbone organique ont été développées à l’échelle mondiale. Il s’agit de l’inventaire de Bond et al. (2004) et celui de Junker and Liousse (2008). Le tableau 1.3 présente les émissions de carbone suie et de carbone organique primaire par les combustibles fossiles, selon ces deux inventaires globaux pour l’année 2000, à l’échelle du globe et pour l’Afrique.

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Tableau 1.3 : Emissions de carbone suie et de carbone organique primaire par combustion de combustibles fossiles et de biofuels à l’échelle du globe et en Afrique (données en gras dans les parenthèses) en 2000.

BC (en Tg/an) OCp (en Tg/an) Ratio BC/OCp

Bond et al. (2004) 4,6 (0,48) 8,86 (1,49) 0,52 (0,32)

Junker and Liousse (2008) 4,8 (0,64) 6,3 (1,08) 0,76 (0,59)

Contrairement aux émissions des feux de biomasse, les ratios BC/OCp varient d’un inventaire à un autre avec de fortes valeurs dans Junker and liousse (2008). Ceci montre que l’aérosol dans l’inventaire de Junker and Liousse (2008) est plus absorbant que celui dans Bond et al. (2004). Par ailleurs, concernant le carbone suie, on note des différences d’un facteur 1,3 entre émissions dans les inventaires de Bond et al (2004) et Junker and Liousse (2008) pour l’Afrique, tandis qu’à l’échelle globale, les émissions sont sensiblement les mêmes. Par contre, pour le carbone organique primaire, les différences entre émissions sont du même ordre que celles du carbone suie à l’échelle régionale (Afrique), plus importantes à l’échelle globale selon ces deux inventaires. Ceci montre que les différences d’émissions à l’échelle régionale peuvent se compenser à l’échelle globale, ce qui traduit encore la nécessité de construire des inventaires régionaux et notamment un inventaire régional (Afrique) pour tenir compte au mieux de toutes les spécificités s’y rapportant.

Globalement, les différences observées proviennent essentiellement des facteurs d’émissions et de la méthodologie de construction des deux types d’inventaires. En effet, dans l’inventaire de Junker and Liousse (2008), les émissions sont calculées en tenant compte des combustibles fossiles (e.g. diesel) et des biofuels (e.g. charbon, bois), pour trois secteurs d’activités (trafic, industrie, domestique) et pour trois niveaux de développement des pays (pays développés, semi développés et en voie de développement). Ce dernier est considéré comme un proxy du niveau de technologie du pays considéré pour le choix des facteurs d’émissions, ce qui nous donne un total de 9 facteurs d’émissions pour chaque combustible. Par contre, dans l’inventaire de Bond et al. (2004), les émissions sont calculées en tenant compte des combustibles fossiles et des biofuels, des secteurs d’activités (trafic, industrie, centrale thermique et domestique), lesquels dépendent eux-mêmes des technologies de combustion et des normes. On dénombre ainsi 22 couples combustibles/technologie dans le secteur industriel, 24 dans le secteur domestique et 13 dans le secteur du trafic routier. Bond et al. (2004) ont estimé des facteurs d’émission pour chaque couple, soit un total de 59 facteurs d’émissions pour chaque type d’aérosol considéré. Il est à souligner qu’en Afrique et au vu des manques de données, on rencontre des difficultés pour choisir les 9 facteurs d’émissions

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dans l’inventaire de Junker and Liousse (2008). Ce problème est évidemment accru dans l’inventaire de Bond et al. (2004) où la détermination des multiples facteurs d’émissions pose un réel problème d’obtention de données sur le continent africain. Par ailleurs, l’inventaire de Bond et al. (2004) ne tient pas compte de la durée de vie des technologies et de la qualité de leur maintenance, car il s’appuie essentiellement sur les facteurs d’émissions en pays industrialisés (pays développés). En outre, il y a un secteur « centrale thermique » différent du secteur industrie dans l’inventaire de Bond et al. (2004), ce qui n’est pas le cas dans Junker and Liousse (2008) avec des facteurs d’émissions très différents dans ces deux secteurs. De fait, les différences de pratiques entre régions du monde peuvent conduire à des émissions très différentes pour une même source.