• Aucun résultat trouvé

Partie I. État de l’art

Chapitre 3 : Les essais d’auto-échauffement

3.1 Emergence et intérêt des essais d’auto-échauffement

L’étude des indicateurs d’endommagement en fatigue a mis en évidence un lien entre la température et la tenue en fatigue de l’éprouvette. Ainsi, les mesures de température ou d’énergie cumulée enregistrée par émission acoustique peuvent être employées comme indicateur d’endommagement (Naderi et al., 2012). Elles sont reliées à l’énergie dissipée et leur augmentation à l’accumulation d’endommagement dans le matériau. Depuis plusieurs années, différentes équipes de recherches s’intéressent à ce lien et ont mis au point des essais s’intéressant aux mesures de température à différents niveaux de charge, pour effectuer un suivi de l’endommagement en fonction du chargement appliqué : ce sont les essais d’auto- échauffement.

3.1.1 Historique des essais d’auto-échauffement

Lors d’un essai de fatigue, le matériau (métallique ou composite) s’échauffe rapidement en début d’essai avant d’atteindre une température quasi-stabilisée, qui représente la majeure partie de la durée de vie du matériau, comme vérifiée par (Dattoma and Giancane, 2013; Ferreira et al., 1999; Malpot, 2017; Naderi and Khonsari, 2013). Les premiers travaux s’intéressant à l’élévation de température d’un matériau soumis à un chargement de fatigue sont publiés dans les années 1920 (Strohmeyer, 1914) (Figure I-18, « le commencement »). Par la suite, il faut attendre les années 1980, et l’avènement de l’imagerie infrarouge, pour que de nouvelles études voient le jour sur le sujet (Figure I-18, « la traversée du désert » suivie « du renouveau »).

Ainsi, (Galtier et al., 2002; Krapez et al., 1999; La Rosa and Risitano, 2000; Luong, 1995) ont repris la méthodologie suggérée par (Moore and Kommers, 1921; Welter, 1937). Le but recherché de ces études est alors de déterminer rapidement et empiriquement la limite de fatigue du matériau, à partir du changement de comportement thermique observé. Puis, à partir des années 2000 (Figure I-18, « la modélisation »), une modélisation des essais d’auto- échauffement dans le cas des aciers est développée par (Calloch et al., 2010; Doudard, 2004; Maquin, 2009; Munier, 2012; Poncelet, 2007). Cette modélisation relie auto-échauffement et endommagement en fatigue en se basant sur l’énergie dissipée par l’apparition de micro plasticité, et tient compte de la dispersion en fatigue. Depuis, quelques études se sont intéressées à l’auto-échauffement des élastomères (Masquelier et al., 2013; Saux, 2010) et des matériaux composites (Westphal 2014; Bai 2016; Jégou 2012), et semblent montrer que la méthodologie est prometteuse également pour ces matériaux.

Figure I-18 : Historique sur le développement des essais d’auto-échauffement (Jégou, 2012; Munier, 2012)

3.1.2 Principe d’un essai d’auto-échauffement

Le principe de ces essais consiste à appliquer un chargement cyclique à une éprouvette de fatigue et d’en mesurer l’échauffement dans sa zone utile. Le chargement est de type sinusoïdal, la fréquence de sollicitation et le rapport de charge sont constants pour être représentatif d’un essai de fatigue.

Figure I-19 : Principe des essais d'auto-échauffement, ici sur un acier dual-phase (Doudard, 2004)

Les essais d’auto-échauffement comprennent généralement une dizaine de blocs de chargement cyclique, répartis autour de la limite de fatigue estimée, afin de détecter le changement de pente thermique (Figure I-19 (a)). Il apparaît qu’à chaque bloc, ou chaque palier, le matériau s’auto-échauffe jusqu’à atteindre un échauffement stabilisé, appelé 𝜃𝐹 ou 𝜃̅

(Figure I-19 (b)). Le tracé de l’évolution de cet échauffement stabilisé en fonction de la contrainte maximale rencontrée à chaque palier permet d’identifier deux régimes de comportement thermique distincts : un domaine de faible échauffement, quasi-constant d’un palier à l’autre, puis une zone où l’échauffement s’accélère de palier en palier, ce qui témoigne d’une progression de l’endommagement (Figure I-19 (c)). La finalité consiste à

comparer la contrainte seuil marquant le début de l’accélération de l’échauffement de l’éprouvette à la limite de fatigue estimée à partir d’essais de fatigue conventionnels (Figure I-19 (d)).

Le protocole expérimental peut varier selon le type de sollicitations et leur durée, le moyen d’acquisition (ponctuel ou global) et la méthode d’analyse. Ainsi, le chargement peut être appliqué à contrainte moyenne apparente constante, seule l’amplitude du chargement augmentant d’un palier à l’autre (Figure I-20). La limitation principale est alors le passage en compression du matériau, qui peut être non souhaité en cas de fatigue traction-traction. Il faut alors fixer une contrainte moyenne apparente élevée pour pouvoir échelonner une dizaine de blocs d’amplitude croissante avant de passer en compression, ce qui peut entraîner des endommagements durant la phase de traction monotone du premier palier, soit en tout début d’essai. Une alternative consiste à incrémenter la contrainte moyenne d’un palier à l’autre, comme présentée Figure I-21. Il est alors possible de démarrer à une contrainte moyenne peu élevée, et donc d’éviter d’endommager le matériau dès la première montée. A l’inverse, deux paramètres varient cette fois-ci d’un palier à l’autre : l’amplitude et la contrainte moyenne apparente. Le facteur limitant est le risque de rupture de l’éprouvette sur les derniers paliers. Dans les deux cas, un temps de pause à charge nulle peut être observé entre les paliers de chargement, afin de ramener l’éprouvette à l’équilibre thermique (sa température moyenne en surface est alors proche de la température ambiante).

Figure I-20 : Essai d'auto-échauffement à R constant et contrainte moyenne apparente constante, le facteur limitant est le passage en compression de l’éprouvette.

(Westphal, 2014)

Figure I-21 : Essai d'auto-échauffement à R constant et contrainte moyenne apparente croissante, le facteur limitant est la rupture de l’éprouvette. (Westphal, 2014)

Le suivi thermique peut s’effectuer à l’aide soit de thermocouples disposés au centre de la zone utile, réalisant ainsi une mesure multi ponctuelle de l’échauffement, soit d’une caméra infrarouge permettant d’avoir une cartographie globale du champ de température sur l’ensemble de l’éprouvette. Dans les deux cas, les variations de la température des mors sont également suivies afin de tenir compte du gradient thermique extérieur. L’auto-échauffement effectif 𝜃 du matériau est alors décrit par (I-5) :

𝜃(𝑡) = 𝑇(𝑡) − 𝑇(0) − (𝑇ℎ(𝑡) + 𝑇2 𝑏(𝑡)−𝑇ℎ(0) + 𝑇𝑏(0)

2 ) (I-5)

 𝑇(𝑡) la température moyenne du matériau à l’instant 𝑡  𝑇ℎ(𝑡) la température du mors du haut à l’instant 𝑡

3.1.3 Modélisation de l’équivalence entre les essais de fatigue et les essais d’auto-échauffement

Le lien entre la valeur de contrainte seuil des essais d’auto-échauffement et la limite de fatigue estimée à partir de courbes de Wöhler a été modélisé dans le cas des aciers (Doudard, 2004; Munier, 2012; Poncelet, 2007). L’hypothèse de départ du modèle est que l’élévation de température est causée par l’énergie dissipée due aux déformations microplastiques et que ces déformations microplastiques sont l’initiation des microfissures conduisant à la rupture. Les deux régimes thermiques linéaires d’un essai d’auto-échauffement sont alors modélisés par une approche probabiliste à deux échelles, à partir de deux mécanismes d’écrouissage : un premier écrouissage, associé à la matrice, provoque l’apparition d’un mécanisme de micro plasticité de faible amplitude, soit de faible échauffement. Le premier régime d’auto- échauffement est ainsi décrit. Puis un deuxième écrouissage, activé aléatoirement en fonction de l’amplitude de chargement, est modélisé, issu d’une population d’inclusions au comportement élasto-plastique réparties de façon hétérogène dans les aciers. Cette modélisation décrit le deuxième régime d’auto-échauffement. Ainsi, le modèle est capable de décrire l’ensemble d’une courbe d’auto-échauffement, et la prévision du comportement en fatigue est fondée sur le régime secondaire d’auto-échauffement. De plus, l’hypothèse du maillon le plus faible sur la population d’inclusions permet de prévoir la dispersion en fatigue. Enfin, l’utilisation d’un critère de ruine énergétique (l’énergie dissipée critique est supposée constante) conduit à reconstruire la courbe de Wöhler pour une probabilité de rupture donnée.

En conclusion, les essais d’auto-échauffement présentent plusieurs avantages. En premier lieu, en comparaison aux essais de fatigue, de tels essais nécessitent un temps réduit pour obtenir la courbe d’auto-échauffement finale. En effet, chaque palier ne nécessitant que quelques milliers de cycles, une journée suffit à obtenir la courbe d’auto-échauffement, contre plusieurs mois pour une courbe de Wöhler entière. Ces essais nécessitent également un coût moindre en matériau, puisque la même éprouvette est utilisée pour réaliser l’ensemble des paliers, contrairement aux essais de fatigue qui mènent chaque éprouvette à rupture pour construire la courbe de Wöhler. Il est alors possible de réaliser une courbe d’échauffement, avec plusieurs éprouvettes pour représenter la dispersion matériau, en l’espace de quelques jours, et ainsi d’obtenir une bonne estimation de la limite de fatigue pour des coûts et des temps réduits. Cependant, la modélisation validant l’équivalence entre les essais de fatigue et les essais d’auto-échauffement, basée sur la micro plasticité du matériau, n’a été testée et validée que sur le cas d’acier : l’analyse du lien entre fatigue et auto-échauffement dans le cas d’autres matériaux est moins immédiate, et encore grandement empirique.