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Introduction générale

Une émulsion est une dispersion métastable constituée de deux phases non miscibles et d’un agent amphiphile. Au niveau microscopique, une émulsion est constituée de gouttelettes d’un des deux liquides, nommé phase dispersée, en suspension dans l’autre qui représente la phase continue. Afin de limiter tout phénomène de démixtion induit par la non miscibilité des phases, il est nécessaire d’abaisser l’énergie interfaciale du milieu par ajout d’entités tensioactives.

Dans la nature, ces agents amphiphiles sont souvent des protéines dont la configuration structurale permet la stabilisation de milieux complexes. La caséine présente dans le lait ou la lécithine de l’œuf en sont des exemples non exhaustifs. Dans l’industrie, on trouve aujourd’hui de nombreux tensioactifs de synthèse qui sont utilisés dans divers domaines tels que l’agroalimentare (vinaigrettes), la cosmétique (crèmes), la pharmacie (pommades), le bâtiment (mastics). Ces molécules tensioactives complexes sont généralement des substances nocives pour l’environnement. Dans le contexte général où les solvants organiques ainsi que les tensioactifs de synthèse sont éliminés progressivement des formulations, l’utilisation d’agents tensioactifs particulaires est un atout certain.

Au début du siècle dernier, Pickering [33] et Ramsden [34] ont démontré qu’il était possible de stabiliser des émulsions à l’aide de particules minérales, ces dernières se plaçant à la surface des gouttelettes. Cependant, la réalisation d’études systématiques portant sur la stabilisation d’émulsions par des particules solides, appelées communément émulsions de Pickering, n’est que très récente. Le développement des techniques de caractérisation des structures à l’échelle nanométrique ainsi que l’optimisation de leurs procédés de synthèse ont généré un engouement très important pour l’utilisation de nanoparticules en tant qu’agents de stabilisation de milieux complexes tels que les émulsions.

Les émulsions peuvent être considérées comme des milieux finement divisés ou la surface développée est très importante. Dans ce type de systèmes, les effets de surface sont des éléments essentiels dans la compréhension des phénomènes qui peuvent intervenir lors de leur préparation.

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Les molécules de tensioactifs sont constituées d’une tête hydrophile et d’une queue

hydrophobe dont l’énergie d’adsorption E sur une interface est de l’ordre de l’énergie

thermique soit : E | kT. Dans ces conditions, la stabilité de l’émulsion est régie par un équilibre entre les phénomènes d’adsorption et de désorption de ces molécules à l’interface entre les deux milieux. En revanche, les travaux effectués par Binks et al. soulignent que les phénomènes de désorption d’entités particulaires d’une surface analogue nécessiteraient des énergies un millier de fois supérieures. [35] Dans ces conditions, l’adsorption de particules à la surface de gouttelettes d’huile peut être considérée comme un phénomène irréversible.

Ainsi, l’apport d’énergie permet non seulement de générer une grande surface de contact entre les deux phases non miscibles, mais également l’ancrage des particules à l’interface. L’énergie à apporter afin de former une émulsion stable dépend de divers paramètres principalement liés à la nature de la particule tels que son état de surface (fonctionnalisation), sa dimension, ainsi que les propriétés de la phase continue (pH, force ionique, viscosité). [36]

Phénomène de coalescence limitée

La coalescence limitée est un phénomène qui se produit lorsque la quantité d’interface déployée par l’ensemble des gouttes est supérieure à la surface susceptible d’être protégée par les particules. Ainsi, dès les premiers instants de la formation de l’émulsion, le système présente une distribution en taille relativement étendue. Les plus petites gouttes vont alors coalescer par mûrissement d’Ostwald au profit des plus grandes.

Ce phénomène engendre une diminution de la surface développée et par conséquent une augmentation de la stabilisation induite par la formation d’une couche plus ou moins compacte de particules. Ce processus s’interrompt lorsque la densité de particules adsorbées devient suffisante pour stabiliser l’intégralité du film développé conduisant à une émulsion de distribution en taille étroite. [37] Notons que la formation d’une monocouche dense de particules à l’interface eau-huile correspond à un assemblage hexagonal compact de ces dernières. (Figure 21)

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Figure 21 : Représentation schématique du phénomène de coalescence limitée apparaissant lors de la formation d’émulsions de Pickering. Les particules adoptent un arrangement hexagonal compact à la surface des gouttes.

Le fractionnement des gouttes et par conséquent l’apport d’énergie doit être suffisamment important de façon à promouvoir le processus de coalescence limitée. Dans le cas contraire, les gouttes seront saturées dès leur formation conduisant à une émulsion dont la distribution granulométrique ne dépendra que des conditions de fragmentation, soit l’homogénéité du cisaillement ainsi que les viscosités respectives des phases constitutives du milieu complexe. [38]

Lors de la formation d’une émulsion de Pickering, la barrière s’opposant à la coalescence des gouttes est constituée par la couche de particules colloïdales irréversiblement ancrées à leur surface. Ainsi, la quantité de particules nécessaire à la réalisation d’une telle émulsion peut être obtenue par un calcul simple basé sur l’hypothèse que l’aire de couverture

générée par les particules de silice AP en supposant un empilement hexagonal

bidimensionnel compact doit être équivalente à la surface organique créée SH lors de la

fragmentation des gouttes :

P H A S Soit : Couv P h H S M S N . .

NH est le nombre de gouttes formées après stabilisation du milieu, Sh (cm2) est la surface développée par une goutte de phase huileuse, MP (g) est la masse de silice introduite et SCouv (cm2.g-1) la surface spécifique de couverture des particules de silice.

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La surface d’une goutte d’huile peut être exprimée par l’équation suivante : 2

. h

h D

S S

Dh est le diamètre d’une goutte d’huile.

La masse d’huile introduite MH (g) est donnée par la relation :

h H H

H N v

M .U .

Où UH (g.cm-3) est la masse volumique de l’huile et vh (cm3) le volume d’une

gouttelette de diamètre Dh. Ainsi, la masse de silice nécessaire à la stabilisation d’une

émulsion de diamètre moyen Dh doit satisfaire l’équation suivante :

P H H Couv P H H h M M S A M D ˜ ˜ . 6 . . 6 1 U U

Par conséquent, la formation d’une monocouche particulaire compacte issue d’un processus de coalescence limitée se traduit par une évolution linéaire de l’inverse du diamètre des gouttes en fonction de la masse de particules injectées au sein du milieu.

Emulsions à base d’huile cristallisable

La stabilisation d’émulsions où la phase dispersée est une huile cristallisable telle que la paraffine est délicate à obtenir. En effet, elles sont fabriquées à une température supérieure à celle de fusion de l’huile et lors du refroidissement, cette dernière cristallise sous forme de gouttes anisotropes qui présentent en surface des exubérances de plusieurs dizaines de nanomètres. Ainsi, lorsque deux gouttes entrent en contact, ces aspérités peuvent induire un phénomène de coalescence. Cette instabilité, appelée « edge piercing », conduit à la déstructuration rapide de l’émulsion lors de la recristallisation de l’huile.

L’utilisation de particules colloïdales permet de limiter ce phénomène. En effet, ces dernières forment en surface une couche dont l’épaisseur est supérieure à la taille des aspérités, limitant ainsi de façon drastique le percement des gouttes. Les émulsions d’huile cristallisable stabilisées par des particules sont ainsi plus stables dans le temps (jusqu’à quelques jours contre quelques heures avec des tensioactifs moléculaires). [36] Par ailleurs, la présence de particules modifie les phénomènes de cristallisation de la phase dispersée. Alors que la paraffine cristallise sous forme de plaquettes hexagonales en présence de tensioactifs, [39] les objets stabilisés par des particules minérales sont quasi-sphériques comme l’illustre la

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