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Chapitre I – Pressions et impacts sur les rivières en milieu (péri-) urbain

I.1. c Eléments majeurs et traces

Les processus d’altération comme la dissolution des roches contrôlent en premier lieu, les concentrations dissoutes en éléments majeurs (Ca, Mg, Na, K, Cl, S, …) et traces (As, Cd, Cu, Cr, Ni, Pb, Zn, …). Par définition, les éléments majeurs représentent plus de 0,1% de la composition de la croûte terrestre (Baize, 1997). Par exemple, les ions Ca2+ et Mg2+ proviennent principalement des carbonates et les ions Na+ et K+ sont plutôt issus des feldspaths et micas. La dissolution des roches suit un ensemble complexe de transformations physique, chimique et

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biologique plus ou moins lentes. Elle est notamment contrôlée par des réactions d’oxydo- réduction (e.g. l’oxydation du soufre pyritique en sulfate) et acido-basiques (e.g. dissolution de la calcite en milieu acide). La composition chimique des rivières dépend donc des types de roches et de sédiments fluviatiles ainsi que des apports spécifiques à la rivière. Le Tableau 1 permet de comparer la composition d’une eau de rivière moyenne mondiale, d’une eau de rivière moyenne se déversant en Atlantique, d’un grand fleuve français (La Seine), de deux rivières du Nord de la France (La Selle et La Deûle) et de notre site d’étude (La Marque). On remarque que les concentrations en sels minéraux les plus élevées sont celles relatives aux rivières du Nord de la France. Cela est dû à un contexte régional (notamment une alimentation de nombreux cours d’eau par la nappe de la craie), avec le lessivage de roches calcaires qui conduit les eaux à avoir une dureté élevée (> 200 mg CaCO3 L-1 ;AEAP, 2010).

Les éléments traces métalliques (ETM) sont présents naturellement dans les roches en quantité inférieure au g kg-1 (Baize, 1997). Chaque roche possède son propre contenu métallifère, conférant à chaque région un fond géochimique qui lui est propre. Ce dernier peut être estimé dans les sols ou les sédiments grâce à des carottages profonds, afin de remonter aux concentrations naturellement présentes avant les apports anthropiques. Cependant, cette notion de bruit de fond géochimique est à prendre avec précaution. Selon Martin et Meybeck (1979) et Audry (2003), les ETM présents naturellement dans les sédiments et les cours d’eau sont majoritairement issus de l’érosion des roches sédimentaires (80%) et dans une moindre mesure des roches primaires (20%). Pour cette étude et compte tenu du re-profilage et de la contamination passée du cours d’eau, le bruit de fond géochimique locale a été tiré du référentiel pédo-géochimique du Nord-Pas de Calais, réalisé par Sterckeman et al. (2006). La zone d’étude située sur des dépôts sablo-argileux et des calcaires crayeux (Sterckeman et al., 2002) peut être représentée par les horizons profonds des dépôts de type Loess de la région Hauts-de-France (Tableau 2 ; Sterckeman et al., 2006). Pour la fraction dissoute, il n’existe pas réellement de teneurs de référence pour les ETM, car ceux-ci sont généralement très réactifs et leurs concentrations peuvent donc varier fortement en fonction de leur environnement. Néanmoins, il est possible de proposer, par exemple, des valeurs moyennes de concentrations à l’échelle mondiale pour les comparer à notre site d’étude (Tableau 3).

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Tableau 1. Composition chimique d’eaux de rivières et fleuves. (*) substrat rocheux définis dans les notices géologiques de Le Cateau (Delattre et al., 1967) pour La Selle et Lille-Halluin pour La Marque (Sangnier et al., 1968). Les données historiques de l’Agence de l’Eau Artois-Picardie (AEAP) en moyenne sur La Selle (2007-2012, Nombre de valeurs : 37) et à Forest-sur-Marque (2007-2012, Nombre de valeurs : 12) sont issues d’analyses sur eau non filtrée. Les données issues de la thèse sont faites sur eau filtrée à 0,45 µm. Abréviation : ND = Non Déterminé.

Paramètres Moyenne mondiale

(Stumm and Morgan, 1996)

Eau de rivière moyenne se déversant en Atlantique (Martin et Whitfield, 1983) La Seine (Roy et al., 1999) La Selle (données historiques AEAP) La Deûle (Prygiel, 2013) La Marque

(données thèse / données historiques AEAP) pH 6,5-8,5 ND 7,8-8,1 7,9 7,6-8,6 6,7-7,8 / ND Ca2+ (mg L-1) 16 10,5 96 133 110 134 / 149 Mg2+ (mg L-1) 3,9 2,5 5,1 6,1 6,9 11 / 12 Na+ (mg L-1) 6,9 4,2 9,2 15 28 30 / 42 K+ (mg L-1) ND 1,4 ND 2,8 4,7 9,9 / 9,7 Cl- (mg L-1) 7,1 5,7 18 32 50 52 / ND SO42- (mg L-1) 9,6 ND 29 38 53 96 / 112

Nature des terrains

sédimentaires ND ND

calcaires, argiles, craies

craies, sables,

argiles* calcaires, craies

craies, argiles, sables, marnes*

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Tableau 2. Concentrations moyennes dans les horizons profonds de sols de type Loess dans la région des Hauts-de-France (anciennement Nord-Pas de Calais) (Sterckeman et al., 2006).

Moyenne Al g kg-1 Cu mg kg-1 Zn mg kg-1 Pb mg kg-1 Cd mg kg-1 Cr mg kg-1 Ni mg kg-1 As mg kg-1 Horizons profonds 48 13 52 17 0,12 63 27 10

Tableau 3. Concentrations dissoutes en éléments traces métalliques d’une rivière moyenne mondiale, de la Seine, de la Deûle, de La Selle et de La Marque. Les données historiques de La Marque sont issues de la station de Wasquehal du réseau de surveillance de l’AEAP, localisée à l’aval de notre site d’étude [2007- 2012, sur eau filtrée] et les données de La Selle sont une moyenne des trois stations de l’AEAP. Le nombre de mesures pour La Selle et La Marque sont notées entre parenthèses.

Concentration dissoute µg L-1 Eau de rivière moyenne (A) La Seine

La Deûle (D) La Selle (E) La Marque (E)

(B) (C) As ND ND 0,75 ND 1,2 (13) 1,8 (14) Cd 0,05 0,17 0,031 0,40 0,14 (25) 0,13 (46) Cr 1,0 ND ND 1,6 1,02 (13) 1,0 (18) Cu 1,5 1,04 2,23 2,6 0,73 (13) 0,92 (13) Ni 0,5 ND ND 7,4 1,7 (25) 4,3 (27) Pb 0,1 0,87 0,35 14 0,65 (25) 0,67 (35) Zn ND 5,6 ND 26 5,03 (13) 14 (14)

Références : (A) : Martin et Whitfield (1983) ; Martin et Meybeck (1979) ; (B): Ouddane et al. (1992); moyennes sur les stations où la salinité relevée est comprise entre 0,31 et 0,86 et sur des prélèvements réalisés en 1987 ; (C) Elbaz-Poulichet et al. (2006) ; (D) Prygiel (2013) ; (E) données historiques AEAP.

Dans la colonne d’eau, les ETM peuvent se retrouver sous différentes phases (Buffle et Van Leeuwen, 1992) : dissoutes (< 0,02 µm), colloïdales (0,02 à 0,45 µm) et particulaires (> 0,45 µm). Par convention et de façon arbitraire, la phase dissoute au sens large est définie comme celle étant inférieure à 0,45 µm.Depuis quelques années, une filtration à 0,2 µm est également réalisée afin de s’affranchir de la présence de bactéries (Blanc et al., 1999 ; Elbaz-Poulichet et al., 1999). Les ETM sont en constante interaction avec ces différentes phases qui vont conditionner leur mobilité, leur toxicité et leur entrée éventuelle dans la chaîne trophique. La spéciation des ETM est contrôlée par différents facteurs tels que le pH (Quantin, 2001), le potentiel rédox [Eh ; Ramade (1998)], la conductivité, la granulométrie des MES, l’activité biologique et les

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interactions avec les sédiments de surface. En outre, la réactivité des ETM dépend de différentes réactions chimiques telles la sorption, la complexation et la précipitation/dissolution (Du Laing et al., 2009). Les principales phases porteuses des métaux sont les oxy-hydroxydes de fer et de manganèse, les carbonates, les phosphates, les aluminosilicates, la matière organique et les sulfures. Il existe différentes échelles d’affinité en fonction de ces phases porteuses comme celle des phases sulfurées, [e.g. Hg > Cu > Pb > Cd > Zn > Ni > Fe > Mn ; (Di Toro et al., 1990)] ; celle de l’affinité pour la matière organique représentée par la série d’Irving-Williams (Mantoura et al., 1978). D’autre part, Zn, Pb, Cd et Cu peuvent être fortement liés aux carbonates (Quantin, 2001) et en général les ETM présentent une forte affinité pour les argiles (Farrah et al., 1980). Selon le coefficient de distribution Kd, on distingue les éléments faiblement liés aux matières en

suspension (Na, As), de ceux qui y sont fortement fixés (Al, Pb, Fe). La spéciation et la réactivité des ETM influencent par conséquent leur mobilité.

Les espèces dissoutes sont celles qui sont les plus potentiellement biodisponibles pour les organismes (Garnier, 2004), c’est-à-dire « la fraction […] qui est disponible pour être accumulée par les organismes » (Gourlay, 2004 ; Rand et al., 1995). En conséquence, il y a un intérêt à savoir quels éléments ont une utilité pour les organismes et quels sont ceux qui peuvent être toxiques. Les éléments traces métalliques ont été classifiés par Mason et Jenkins (1995) comme : (i) essentiels pour les organismes même à fortes concentrations (Na, K, Ca, Mg) ; (ii) indispensables à faibles doses (As, Cr, Co, Cu, Fe, Mn, Mo, Ni, Se, Si, Sn, V, Zn) ; et (iii) toxiques, même à faibles concentrations sans qu’on leur connaisse une quelconque utilité pour le métabolisme des organismes quelle que soit leur concentration (Hg, Ag, Cd, Pb). Malgré leurs effets néfastes sur les organismes, ils peuvent être absorbés et accumulés dans les organismes tout au long de la chaine trophique (e.g. bioamplification du mercure).

Comme de nombreux métaux ont une affinité importante pour la phase particulaire, les sédiments constituent alors un compartiment dans lequel ils s’accumulent, en particulier si ceux-ci sont riches en matière organique (Paul et Meyer, 2001), en sulfures (Superville, 2014 ; Rickard et Morse, 2005) ou en oxydes (Sigg et al., 2014). Cependant selon les conditions environnementales, une partie peut-être relarguée vers la colonne d’eau lors de remise en suspension des sédiments de surface ou de diffusion moléculaire liée à des gradients de concentrations à l’interface eau-sédiment. En effet, dans les rivières où les sédiments sont

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contaminés, les remises en suspension périodiques peuvent être accompagnées par une augmentation des concentrations dissoutes en ETM dans les cours d’eau (Superville, 2014). A noter enfin que les ETM sont davantage présents dans des sédiments fins car la surface spécifique des particules y ait plus grande (Paul et Meyer, 2001 ; Wilber et Hunter, 1979).

Les variations de valeurs du pH vont influencer des réactions secondaires comme les processus de sorption des cations métalliques (e.g. Cu2+, Mn2+, Zn2+) et des anions (e.g. HPO42-, SO42-) sur

des phases minérales, organiques (Gammons et al., 2015), mais aussi sur des bactéries et des algues (Fein et al., 2001). Par exemple, la surface des oxy-hydroxydes de fer va être davantage protonée lorsque les valeurs de la température de l’eau et du pH sont faibles favorisant ainsi l’adsorption des espèces anioniques et la désorption des cations métalliques. De nombreuses réactions de dissolution/précipitation sont également dépendantes du pH. Pour les cations métalliques, la précipitation d’hydroxydes et de carbonates sera favorisée en journée avec l’augmentation des valeurs du pH (Superville, 2014 ; Cicerone et al., 1999). Pour des métaux sensibles aux conditions redox, les teneurs en oxygène et la luminosité sont deux paramètres clés de certaines transformations. Par exemple, la photo-réduction du Fe3+ en Fe2+ dépend de l’irradiance [e.g. McKnight et al. (1988)] (Eqn 1) alors que la dissolution réductive des oxy- hydroxydes de Fe et Mn pendant la nuit est due à un changement des conditions redox à travers le biofilm, appauvri en oxygène (e.g. Parker et al., 2007).

Fe(OH)2++ hν → Fe2++ OH Eqn. 1

Des variations saisonnières des ETM ont été reportées dans la littérature. En effet des concentrations plus élevées en métaux traces (Zn, Fe, Mn, Cu, Cr, Sr, Cd, Ni, Pb) ont été relevées par Salem et al. (2014) en été par rapport à l’automne, dans les eaux de surface. Les auteurs ont attribué ces variations aux lessivages estivaux. Elbaz-Poulichet et al. (2006) ont également relevé des teneurs en métaux (Mn, Cu, Cd et Pb) plus importantes en été dans La Seine, en lien avec une diminution de l’oxygénation des eaux. Les auteurs ont attribués cette augmentation à un changement des conditions redox et donc à un relargage des ETM du sédiment vers la colonne d’eau. Selon la même étude, l’arsenic semble avoir un comportement proche des phosphates et son augmentation estivale est expliquée par la minéralisation de la matière organique. Au contraire, ce métalloïde est plutôt consommé au printemps lors de la croissance du phytoplancton. La variabilité saisonnière des ETM dans les eaux de surface est également expliquée par des

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apports de la nappe souterraine vers le cours d’eau en période d’étiage (Sherrel et Ross, 1999). Cependant, ce cycle peut être perturbé par l’activité biologique lors de la période estivale (Sherrel et Ross, 1999).

Finalement, l’ensemble de ces processus peuvent se produire simultanément, provoquant des synergies ou des antagonismes. Il est donc difficile de déconvoluer le signal observé et d’identifier individuellement la part des processus mis en jeu (Gammons et al., 2015). Dans certaines masses d’eau, les facteurs physiques (e.g. débit, pluviométrie) et les apports anthropiques sont susceptibles de perturber significativement ces cycles journaliers en rendant le signal difficilement exploitable.