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2.2 Traitements multidisciplinaires

2.2.3 Réadaptation fonctionnelle

2.2.3.2 Stimulation transcrânienne par courant direct (tDCS)

2.2.3.2.3 Efficacité de la tDCS avec l’illusion visuelle de la marche

C’est en 2010 que la première étude ayant pour objectif d’évaluer l’efficacité synergique de la tDCS combinée à une autre modalité de traitement, l’illusion visuelle de la marche, a été menée (Soler et al., 2010). L’illusion visuelle de la marche, ayant un effet de modulation de l’excitabilité corticale tout comme la tDCS, permet un soulagement de la douleur neurogène à la suite de séances répétées (Harris, 1999; Moseley & Arntz, 2007; Ramachandran & Rogers-Ramachandran, 1996). Via un ECR à double insu, 39 patients (neuf femmes, âge moyen 45 ans [21-66]) atteints de

douleurs neurogènes post-lésion de la moelle épinière ont été randomisés pour prendre part à l’une des quatre conditions expérimentales: 1) tDCS avec l’illusion visuelle de la marche (n=10); 2) tDCS + illusion visuelle de contrôle (n=10); 3) tDCS placebo + illusion visuelle de la marche (n=9); ou 4) tDCS placebo + illusion visuelle de contrôle (n=10). Chaque patient a reçu 10 traitements de tDCS anodique répartis sur deux semaines consécutives (2 mA x 20 minutes, cortex M1, 5 jours/semaine, du lundi au vendredi). Pour la stimulation placebo, les électrodes étaient placées dans les mêmes positions sauf que le stimulateur était désactivé après 30 secondes de stimulation. Après cinq minutes de tDCS ou tDCS placebo, une vidéo était diffusée sur un écran pour la durée restante du traitement de la tDCS. La condition d’illusion visuelle de la marche consistait à diffuser des images de jambes en mouvement sur un tapis roulant créant l’illusion au patient de marcher réellement. Un soutien sonore de pas de marche, correspondant au rythme de marche des jambes sur la vidéo, ajoutait au réalisme de la perception de marche pour le patient. La condition visuelle contrôle consistait quant à elle à diffuser une vidéo d’illustrations de visages ou de paysages.

Le choix des instruments de mesure a été basé selon les recommandations de l’Initiative Methods, Measurement, and Pain Assessment in Clinical Trials (IMMPACT) pour mesurer l’effet de l’intervention sur la douleur. La variable d’intérêt principale, le pourcentage de changement moyen de l’intensité de la douleur, a été mesurée à l’aide d’une échelle numérique (« 0 » absence de douleur à « 10 » douleur intolérable). Comme variables secondaires, les symptômes de la douleur neurogène (douleur continue, douleur paroxystique) étaient évalués à l’aide du questionnaire Neuropathic Pain Symptom Inventory (Bouhassira et al., 2004), l’impact de la douleur sur la fonction physique globale à l’aide de la mesure d’interférence du BPI (Cleeland & Ryan, 1994), l’anxiété avec une échelle numérique (« 0 » aucune anxiété à « 10 » la pire anxiété), ainsi que l’impression globale de changement perçu par le patient évalué à l’aide de l’échelle PGIC (Farrar et al., 2001). Les données étaient collectées avant le début des traitements, après les deux semaines de traitement (jour 14), dix jours après la fin des traitements (jour 24), deux mois après la fin des traitements (jour 38), et 12 semaines après la fin des traitements. Le même chercheur, qui était à l’insu du

traitement, a effectué toutes les évaluations cliniques. Un second chercheur, qui a appliqué les traitements, est demeuré à l’insu des conclusions quant aux évaluations cliniques.

Après le dernier jour du traitement (jour 14), le pourcentage de réduction moyen de l’intensité de la douleur était de 29,7 ± 4,7 % pour le groupe tDCS + illusion visuelle de la marche (groupe 1), une réduction significative comparativement au groupe tDCS placebo + illusion visuelle de la marche (groupe 3) (11,0 ± 14,0 %; p = 0,008) et le groupe tDCS placebo + illusion visuelle de contrôle (groupe 4) (6,0 ± 4,0 %; p = 0,004). Au premier suivi (jour 24), la réduction de la douleur était significativement plus élevée pour le groupe 1 comparativement aux trois autres groupes: groupe 2 (p = 0,05), groupe 3 (p = 0,008) et groupe 4 (p = 0,009). Lors du deuxième suivi (jour 38), il n’y avait aucune différence significative entre les groupes (p > 0,4), mais après 12 semaines suivant la fin des traitements, le pourcentage d’amélioration a été de nouveau significativement différent entre les quatre groupes (p = 0,047). Spécifiquement, les patients du groupe 1 ont démontré une plus grande amélioration de l’intensité de leur douleur comparativement au groupe 2 (p = 0,052) et aux groupes 3 et 4 (p = 0,053). Lorsque les auteurs ont considéré la taille de l’effet du traitement, soit une amélioration de 30 % (Dworkin et al., 2005, 2008; Farrar et al., 2001), seulement 30 % des patients dans le groupe 1 et le groupe 2 ont atteint ce niveau d’amélioration de la douleur neurogène. Cependant, dans le groupe 2, deux patients ont connu une aggravation notable de leur douleur durant l’étude tandis que quatre autres patients dans le groupe 1 (37 %) ont eu une amélioration de leur douleur de 20 à 30 %.

En ce qui a trait aux différents symptômes de la douleur neurogène, le pourcentage de variation de la douleur continue était non significatif entre les quatre groupes de traitement, et ce pour tous les temps de mesure (p > 0,06). Après le dernier jour de traitement, le pourcentage de changement de la douleur paroxystique quant à lui était significativement plus élevé dans le groupe tDCS + illusion visuelle de la marche (groupe 1) comparativement au groupe tDCS placebo + illusion visuelle de contrôle (p

= 0,048), mais non par rapport à la tDCS + illusion contrôle (p = 0,75) ou à la tDCS placebo + illusion visuelle de la marche (p = 0,28). Cette même comparaison était toujours significative lors du premier suivi après la fin des traitements (p = 0,008), mais n’a pas perduré par la suite.

Les résultats obtenus au BPI font état d’un changement significatif à la fin du traitement quant à l’impact de la douleur sur les humeurs, la marche, le travail, les relations avec l’entourage et le sommeil (p = 0,04), ainsi que lors des suivis pour le groupe 1 (idem excluant les humeurs) (p < 0,05). Lors du deuxième suivi, seulement la composante reliée au travail était toujours significative (p < 0,05). Aucune des composantes ne s’est avérée être significative à 12 semaines post-intervention pour aucun des groupes. L’anxiété quant à elle a diminué de façon significative que pour le groupe 1 après le dernier jour de traitement (p < 0,019). Cette amélioration a perduré lors des deux premiers suivis pour le groupe 1 (p < 0,04). Finalement, tous les patients ont rapporté la perception d’un soulagement de la douleur après le dernier jour de traitement sur le PGIC. Cinq patients dans le groupe 1 (50 %), trois dans le groupe 2 (30 %), un dans le groupe 3 (11 %) ont rapporté une douleur nettement améliorée (« beaucoup amélioré » ou « considérablement amélioré »), alors que seulement deux patients du groupe 4 (20 %) ont évalué leur douleur comme s’étant « un peu amélioré ». Des effets indésirables ont été rapportés durant les sessions actives de tDCS, soit des maux de tête légers (principalement au cours de la première session) et de la fatigue. À la fin des séances, aucun des patients n’a pu confirmer à quel groupe de traitement il avait été assigné (tDCS active ou placebo), appuyant ainsi l’efficacité du placebo utilisé.

Cette étude est la première à mettre en évidence l’effet synergique antalgique de la tDCS à une autre modalité de neuroréadaptation, l’illusion visuelle de la marche. Le devis scientifique robuste comportant quatre conditions expérimentales, la condition placebo efficace, la qualité psychométrique des outils de mesures utilisés et la qualité du suivi dans le temps sont des éléments tendant à attribuer les différences observées à l’intervention et non à des facteurs potentiels d’interférence. Cependant,

l’échantillon par groupe étant restreint, cela a pu mener à une interprétation erronée des résultats. Les auteurs n’ont pas fait mention de leur stratégie pour déterminer la taille d’échantillon optimale et ne font ni mention du calcul de la puissance statistique a posteriori. La population à l’étude étant homogène, la généralisation des résultats est limitée qu’aux patients atteints de douleurs neurogènes post-lésion de la moelle épinière. Il n’en demeure pas moins que cette étude rigoureuse et novatrice, à un niveau conceptuel, met en évidence des avantages potentiels de la combinaison de stratégie de neuroréadaptation combinée à la tDCS afin d’optimiser et de prolonger les résultats cliniques.

En somme, les écrits empiriques détaillés mettent en évidence le fait que les effets analgésiques engendrés par la tDCS anodique seule (diminution moyenne de l’intensité de la douleur après traitement entre 30 et 63 % comparativement à une condition placebo) soient plus efficaces et durables lorsqu’elle est appliquée au niveau du cortex M1, à raison de 2 mA X 20 minutes, et ce, durant cinq à 10 jours pour les personnes atteintes de douleurs neurogènes. De plus, la tDCS combinée à d’autres modalités de neuroréadaptation présenterait un potentiel thérapeutique également supérieur à une condition placebo (diminution moyenne de l’intensité de la douleur après traitement de 29,7 % pour le groupe expérimental et -11,0 % pour le groupe tDCS placebo), permettant ainsi d’optimiser l’efficacité clinique des traitements conventionnels uniques.