• Aucun résultat trouvé

2.1 Syndrome douloureux régional complexe (SDRC)

2.1.1 Historique de l’appellation

2.1.6.3 Modifications du système nerveux central

2.1.6.3.1 Changements structuraux

Étude 1 - La première étude ayant pour but d’étudier la morphométrie de la matière grise et l’anisotropie de la substance blanche a été menée par Geha et al. (2008) auprès de 26 patients atteints du SDRC appariés à 28 sujets sains. Faisant usage de la morphométrie, une méthode permettant une comparaison voxel à voxel de la concentration locale des tissus cérébraux, l’étude a permis de démontrer la présence d’une atrophie de la densité de matière grise dans l’insula, le cortex préfrontal ventromédian et le noyau accumbens de l’hémisphère droit chez les patients atteints du SDRC. Les études d’imagerie du cerveau, conformément à la littérature antérieure voulant que l’insula participe au traitement de la douleur viscérale (Craig, 2002; Saper, 2002), mettent en évidence le rôle de l’insula droit dans une variété de fonctions autonomes (Critchley, 2005). À l’aide de la tomographie par émission de positron (TEP) et de l’IRM structurelle, des études menées auprès de trois patients présentant des symptômes autonomiques en périphérie en lien avec une dysautonomie pure, une maladie dégénérative du système nerveux autonome, ont relevé la présence d’une réduction de l’activité cérébrale (Critchley, Mathias, & Dolan, 2001) et une atrophie de densité de la matière grise (Critchley et al., 2003) au niveau de l’insula droite. Les résultats obtenus dans l’étude de Geha et al. (2008) corroborent ces résultats antérieurs et suggèrent que les symptômes autonomiques présents dans le SDRC pourraient être expliqués, en partie, par l’atrophie de densité de la matière grise au niveau de l’insula droite. En ce qui a trait à l’atrophie de la densité de matière grise dans le cortex préfrontal ventromédian, elle est positivement corrélée à la durée et à l’intensité de la douleur liée au SDRC. En utilisant l’imagerie de tenseur de diffusion et la tractographie, ils ont également noté une relation perturbée de l’anisotropie de la matière blanche, c’est-à-dire une réorganisation dans la connectivité des fibres blanches, présente dans les fibres commissurales et les fibres d’association en lien avec l’insula et cortex préfrontal ventromédian. Les corrélations entre l’atrophie de la

matière grise et la durée ainsi que l’intensité de la douleur présupposent que cette modification soit une conséquence de la maladie. Toutefois, Geha et al. (2008) soulèvent que la relation de cause à effet entre les changements structuraux et l’apparition du SDRC demande davantage d’exploration.

Étude 2 - Pour remédier à une limite de l’étude de Geha et al. (2008) liée à l’hétérogénéité de la population à l’étude, une seconde étude employant l’IRM structurelle, qui elle aussi ayant pour objectif de caractériser les anomalies de la substance grise, a été menée auprès d’une population atteinte du SDRC, mais plus homogène (Barad, Ueno, Younger, Chatterjee, & Mackey, 2014). Quinze femmes, droitières, atteintes d’un SDRC au MS droit (âge moyen de 44 ans [20 - 68], durée de la maladie de 2 à 206 mois), appariées à un groupe témoin en bonne santé (âge moyen de 44,1 ans [20 - 68]), ont pris part à l’étude. Les données analysées démontrent une diminution de la densité de matière grise au niveau de la partie postérieure du cortex cingulaire moyen, du cortex cingulaire antérieur prégénual bilatéral, du cortex orbitofrontal gauche et de l’insula postérieur gauche; trois régions du système limbique classique (cortex cingulaire et cortex orbitofrontal). Les auteurs suggèrent que ces anomalies volumétriques du système limbique engendrent un dysfonctionnement du traitement de l’information nociceptive au niveau de la dimension émotionnelle dans le SDRC. Également, cette étude soulève deux résultats originaux par rapport aux tendances générales observées en douleur chronique, soit une augmentation, et non une atrophie, de la matière grise au niveau de putamen dorsal bilatéral et de l’hypothalamus (Barad et al., 2014). Le putamen est connu pour être impliqué dans le traitement de la douleur (Brooks, Zambreanu, Godinez, Craig, & Tracey, 2005) et comporte une représentation somatotopique de la douleur corporelle (Bingel, Gläscher, Weiller, & Büchel, 2004). Compte tenu de la connectivité anatomique entre le putamen postérieur et le cortex M1 (Nakano, Kayahara, Tsutsumi, & Ushiro, 2000), il est possible que la réorganisation fonctionnelle du cortex M1 présente dans le SDRC (Maihöfner, Handwerker, Neundörfer, & Birklein, 2004) soit responsable de la réorganisation structurelle observée au niveau du putamen. Quant à l’hypothalamus, la fonction altérée de cette région pourrait conduire à des symptômes

autonomes du SDRC et traite anormalement des stimuli chez les personnes atteintes du SDRC (Lebel et al., 2008). Autre fait intéressant, l’atrophie de la densité de la matière grise au niveau du cortex préfrontal dorsolatéral (CPFDL) est associée à la fois à une augmentation de la durée et de l’intensité de la douleur. Les auteurs font mention qu’il est possible que la diminution de la densité de matière grise soit associée à une entrée nociceptive anormale soutenue au cerveau, plutôt qu’être spécifique au SDRC puisque cette même région est impliquée dans d’autres conditions de douleur (Apkarian et al., 2004). En fait, la différence de volume de cette région s’est avérée ne pas être significative entre les patients atteints du SDRC et les témoins appariés laissant supposer que ces anomalies ne sont pas la norme dans la pathophysiologie du SDRC. Ces anomalies se voudraient plutôt être des adaptations face à l’augmentation des influx nociceptifs au cerveau, le cortex CPFDL étant une région reconnue pour l’intégration des stimuli nociceptifs. Ou encore, elles résulteraient d’une vulnérabilité préexistante à ressentir avec plus d’intensité une expérience de douleur.

Étude 3 - Plus récemment, une troisième étude sur le sujet, cette fois-ci dirigée par Pleger et al. (2014), menée auprès de 20 patients atteints du SDRC de type I (11 femmes, âge moyen de 41,8 ± 9,8 ans) a permis à l’aide de l’IRM structurelle de constater une augmentation de la densité de matière grise dans le cortex M1 controlatéral au membre affecté par le SDRC. La densité de matière grise dans le cortex M1 ne se rapporte toutefois pas à des caractéristiques cliniques, telles l’intensité de la douleur ou la durée du SDRC. Néanmoins, les résultats ont révélé une corrélation négative entre l’augmentation de la densité de matière grise dans le cortex M1 et la densité de matière blanche dans la capsule interne ipsilatérale, connue pour contenir des projections descendantes du cortex M1 au tronc cérébral. Cette constatation pourrait s’avérer être un mécanisme compensatoire propre au SDRC. Selon les auteurs, l’observation la plus significative de l’étude a été l’augmentation de la matière grise dans le CPFDL; celui-ci étant identifié comme une structure essentielle impliquée dans les réseaux générant plusieurs états émotifs et est toujours activé avec l’hypothalamus et la substance grise périaquéducale, structures reliées à la

modulation de la douleur émotionnelle (Kober et al., 2008). Fait notable, contrairement aux conclusions de Geha et al. (2008), les résultats ne soutiennent pas une diminution de la densité de matière grise dans le cortex préfrontal ventromédian, mais bien une augmentation dans le CPFDL. Ces résultats, opposés aux précédents, peuvent être expliqués par les caractéristiques différentes des deux cohortes; la présente étude ayant recruté uniquement des patients atteints d’un SDRC de type I avec une durée moyenne de la maladie trois fois moins longue (cinq ans comparativement à 14 ans). Toutefois, aucune relation entre les caractéristiques cliniques, telles que l’intensité de la douleur et la densité de la matière grise dans le CPFDL, n’est significative. Les auteurs rapportent qu’il n’est pas possible de spéculer que la douleur présente dans le SDRC soit liée à des modifications structurelles dans le CPFDL. Les résultats observés en lien avec une augmentation de la densité de la matière grise dans le CPFDL et le cortex M1 ne ressemblent pas aux constatations antérieures faites pour d’autres syndromes de douleur chronique (Apkarian et al., 2004; Draganski et al., 2006; Kuchinad et al., 2007; Schmidt-Wilcke et al., 2005, 2006), celles-ci étant plutôt caractérisées par une diminution et non une augmentation de la densité de la matière grise.

En somme, plusieurs changements au plan structurel s’enclenchent en présence du SDRC et il semble y avoir des contradictions quant à l’augmentation ou à la diminution de la densité de la matière grise pour expliquer ce phénomène. Les articles clés, précédemment présentés, ont permis d’identifier quelques changements structuraux corticaux propres aux patients atteints de SDRC permettant ainsi de mieux caractériser le SDRC des autres syndromes de douleur chronique (Barad et al., 2014). Sur la base de ces études, l’augmentation et la diminution de la densité de matière grise peuvent refléter à la fois des conditions préalables neurobiologiques à la sensibilisation centrale dans le SDRC et une réorganisation corticale en réponse aux afférences douloureuses de type neurogène (Barad et al., 2014).

La section suivante traitera des changements fonctionnels qui réfèrent à la modification de l’activité du cerveau, soit la modification de l’efficacité des circuits

neuronaux, au niveau du cortex somatosensoriel et moteur, mis en évidence dans les écrits les plus probants en présence du SDRC.