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Chapitre 1 : Synthèse bibliographique & Objectifs de thèse

2. Relation de cause à effet entre contaminants et organismes : différents niveaux de complexités

2.3. Mélange complexe : contamination représentative du milieu

2.3.2. Effets des rejets de station d’épuration sur les invertébrés marins

Les STEP ont été démontrées comme la voie d’entrée principale de nombreux contaminants, tels que les PP, dans les milieux aquatiques y compris les écosystèmes marins. Les effluents de STEP constituent ainsi des mélanges complexes représentatifs de la contamination susceptible d’être rencontrée dans le milieu récepteur (ex. colonne d’eau, sédiment). La pertinence environnementale de ces échantillions en font un objet d’étude intéressant afin de déterminer les effets d’une telle exposition sur les organismes aquatiques, et notamment pour les espèces sessiles qui enregistrent les effets de la contamination à un site donné (ex. à l’embouchure d’un exutoire de STEP). Pour étudier les effets de rejets de STEP, deux cas d’expostion sont rencontrés dans la littérature : (i) les expositions in situ, où des organismes sont prélevés soit directement soit après encagement sur le site contaminé et, (ii) les expositions en conditions contrôlées de laboratoire. De telles études ont principalement été menées sur des organismes d’eaux douces, au détriment des organismes marins dont les

48 connaissances sont peu renseignées. Chez les organismes d’eaux douces, les rejets de STEP entrainent des perturbations endocriniennes, impactent le système reproductif et le système immunitaire, réduisent la croissance et la survie des organismes, induisent un stress oxydant ainsi que des effets neurotoxiques (Bouchard et al., 2009; Gagné et al., 2007, 2004; Gillis et al., 2014; Nobles and Zhang, 2015). Ces effets mesurés à l’échelle (sub)cellulaire ou individuelle peuvent avoir de graves conséquences sur les populations et les communautés, comme cela a été observé dans une rivière par l’absence de moules vivantes, sur 7 km en aval d’un effluent de STEP municipale (Gillis et al., 2017). La dangerosité de ces rejets étant démontrée sur les organismes d’eaux douces, de tels risques sont susceptibles de menacer les organismes marins.

En conditions contrôlées de laboratoire, peu d’études ont été menées chez des invertébrés marins. Certaines d’entre elles ont mesuré des effets non significatifs d’effluents de STEP, comme par exemple une absence d’augmentation de la sévérité de l’imposex (i.e. bioindicateur d’une perturbation endocrinienne) chez le gastéropode Nucella lapillus exposé 3 mois à deux concentrations différentes d’un effluent de STEP (12,5 % et 50 %), malgré la détection des perturbateurs endocriniens bisphénol A, octylphénol, nonylphénol et 17-β-estradiol (Santos et al., 2008). Toutefois, un effet perturbateur endocrinien a été mesuré chez N. lapillus après exposition à deux concentrations environnementales pertinentes (0,25 et 1 %) d’un effluent de STEP, où la présence des contaminants précédemment cités a été confirmée (Castro et al., 2007). Les résultats ont montré une augmentation dose-dépendante du pourcentage de femelles matures par rapport au groupe contrôle (+21 % à 0,25 % et +36 % à 1 %), ainsi qu’une induction des niveaux d’expression des récepteurs estrogènes. Par ailleurs, chez la moule M. galloprovincialis, l’étude de la stabilité membranaire lysosomale des hémocytes ainsi que de la peroxydation lipidique de ces cellules n’a révélé aucune altération après exposition à un effluent de STEP à des concentrations environnementales pertinentes (2,5 à 10 %), tandis que cette stabilité membranaire devient significativement impactée à des concentrations plus élevées, comprises entre 10 et 60 % (Harbi et al., 2017). Des données existent également sur les effets d’un effluent de STEP d’une industrie pharmaceutique (antibiotique) se déversant dans le milieu marin (Zouiten et al., 2016). La moule M. galloprovincialis, prise comme organisme d’étude, présente des dommages histologiques avec l’apparition de difformité au niveau des branchies, accompagnée d’une dégénérérescence des cellules épithéliales après 24 h d’exposition au rejet industriel à des concentrations comprises entre 30 et 70 %. Dans cette même étude, le test des comètes a également révélé des dommages à l’ADN significatifs d’une manière dose-dépendante. Après avoir traité ce rejet industriel avec la bactérie Bacillus atrophaeus, les auteurs ont mesuré une dégradation des antibiotiques suivie de la disparition des effets histologiques et génotoxiques. Ces auteurs ont ainsi pu établir un lien de causalité entre ces effets et la présence d’antibiotiques. Partout dans le monde, les

49 eaux usées ne sont pas systématiquement traitées en STEP avant d’être rejetées dans le milieu. Moles & Hale (2003) ont ainsi étudié les effets d’un rejet non traité et d’un rejet traité, échantillonnés sur deux sites différents en Alaska. L’étude a révélé une baisse significative de la tolérance des moules Mytilus trossulus à une exposition aérienne après exposition aux deux rejets, tandis que chez les moules exposées au rejet non traité, une diminution de la production de byssus a en plus été observée, filament indispensable pour se fixer à un substrat et pour leur survie. Toujours en conditions contrôlées de laboratoire, une autre étude s’est plutôt intéressée aux effets de sédiments contaminés à proximité d’un rejet de STEP, sur la palourde marine Ruditapes philippinarum (Maranho et al., 2015). Après 14 jours d’exposition, la mesure de paramètres biochimiques indique un impact sur la reproduction de ces organismes suite à l’altération du processus énergétique, inflammatoire et neuroendocrinien, ainsi que par l’induction en continu de la gamétogénèse et un retard du relargage des gamètes. L’altération de certains de ces paramètres biochimiques a pu être statistiquement corrélée avec la présence de métaux, de PP ainsi qu’un surfactant.

D’autres études ont procédé à l’encagement de bivalves sur des sites contaminés afin d’investiguer les effets des rejets d’eaux usées traitées ou non avant relargage dans le milieu marin. Dans ces conditions réelles, la variation spatio-temporelle de la contamination ainsi que la présence de nombreux facteurs environnementaux rendent l’étude de la relation de cause à effet plus difficile. Pour faire face à ces difficultées, la mesure de biomarqueurs d’exposition au sein d’un organisme permet d’alerter sur la biodisponibilité de certaines classes de contaminants qui interagiraient avec l’organisme et donc susceptible d’expliquer les effets observés sur celui-ci. Applicant cette stratégie, de los Ríos et al. (2013) ont mesuré des biomarqueurs d’exposition et d’effets chez la moule M. galloprovincialis encagée sur différents sites contaminés soit par des effluents de STEP soit par des rejets non traités dans la péninsule Ibérique. Les biomarqueurs d’exposition sélectionnés sont spécifiques (i) d’une contamination métallique telle que par la détection autométallographique de métaux accumulés dans les lysosomes et par la mesure des niveaux de transcription du gène métallothionéine 20 (MT20), (ii) d’une contamination de xénobiotiques organiques à travers la mesure de l’activité de l’enzyme acyl-Co A comme indicateur de la prolifération des peroxisomes, et (iii) d’une contamination en perturbateurs endocriniens qui se traduit par l’induction de la transcription du gène relatif à la vitellogénine. La réponse positive de chacun de ces biomarqueurs a révélé la présence de métaux, de contaminants organiques et de perturbateurs endocriniens dans les deux types de sites contaminés par des rejets traités ou non. Les biomarqueurs d’effets ont quant à eux révélé un stress général chez ces organismes, notamment par l’altération de la stabilité membranaire des lysosomes, bien que cela ne soit imputable à une classe de contaminants en particulier. D’autres stratégies, pour la mise en relation de cause à effet, privilégient l’installation d’échantillonneurs passifs (ex. POCIS) sur

50 le même site que les organismes encagés, afin d’enregister la contamination locale sur toute la durée d’exposition, ou encore l’analyse directe de contaminants présents dans les tissus de ces organismes. Dans le golfe de Finlande, Turja et al. (2015) ont étudié les effets d’un rejet de STEP à travers la mesure d’une batterie de biomarqueurs après transplantation des moules M. trossulus pendant 31 jours à 800, 1000 et 4000 m de l’émissaire en mer. L’étude des effets est en plus complétée par la caractérisation de l’exposition à chaque site, grâce à l’échantillonnage passif des PP par les POCIS ainsi que la quantification d’ETM, d’HAP, de PCB et de pesticides organochlorés bioaccumulés dans les tissus de moules. Turja et al. (2015) ont ainsi observé un stress oxydant (induction des enzymes CAT, SOD, GSH et GR) chez les organismes transplantés à 800 et 1000 m, accompagné de dommages à l’ADN et d’une altération de la stabilité membranaire lysosomale plus marquée à 1000 m. Ces deux sites sont associés aux plus fortes concentrations en PCB et HAP détectées dans les tissus ainsi qu’aux concentrations en PP les plus élevées enregistrées par les POCIS, susceptibles d’avoir causés ces effets. A plus long terme, la capacité des moules à survivre face à cette exposition est mise en doute selon cette étude.

Les données disponibles pour comprendre l’impact de la contamination via les rejets de STEP sur les organismes marins, et plus particulièrement les invertébrés, restent encore insuffisantes malgré leurs risques écotoxicologiques démontrés à travers ces différentes études. Cela peut s’expliquer par la difficulté à mettre en évidence les liens de causalité entre les contaminants présents dans le milieu et les effets générés sur les organismes vivants dans ce milieu. De plus, un compromis dans le choix des biomarqueurs et endpoints (i.e. points finaux d’évaluation) à étudier est inévitable (moyens limités), empêchant une vision intégrative de l’ensemble des effets générés à chaque exposition.