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Les théories de distribution des espèces prédisent un taux d’extinction plus fort, des populations de

taille réduite et une diversité spécifique plus faible dans les taches d’habitat de petite taille, de faible

qualité, et isolées des autres sources de populations (Figure 6).

Ces prédictions ont été vérifiées sur de nombreux taxons : la perte d’habitat au niveau du

paysage et au niveau de la tache (diminution de taille) impacte négativement la diversité spécifique

des plantes (Cousins et al. 2007; Krauss et al. 2010), des papillons (Krauss et al. 2003; Summerville et

Crist 2001), des coléoptères (Nichols et al. 2007), des oiseaux (Askins et al. 1987; Lynch et Whigham

1984) et des amphibiens (Vallan 2000). Cet effet peut être décalé dans le temps et la différence entre

le niveau de population actuel et celui qui tendrait asymptotiquement vers zéro dans un paysage

invariant est appelée « dette d’extinction » (Bommarco et al. 2014; Kuussaari et al. 2009; Tilman et

al. 1994).

La réponse de la richesse spécifique à la fragmentation du paysage et à l’isolement des

taches est moins consensuelle et en général de moindre amplitude que celui de la perte d’habitat

(Fahrig 2003). En effet, selon les études, la fragmentation per se peut avoir un effet positif (Gavish et

al. 2012; Tscharntke et al. 2002), neutre (Horváth et al. 2009; Krauss et al. 2003) ou négatif (Bailey et

al. 2010; Olff et Ritchie 2002) sur la diversité spécifique ; l’effet négatif n’étant parfois détecté

qu’en-dessous d’un certain seuil (Fahrig 1997) ou à des valeurs intermédiaires de quantité d’habitat (Villard

et Metzger 2014; With et Pavuk 2011).

Si les résultats théoriques et empiriques soulignent des effets généralement négatifs de la

perte et la fragmentation des habitats sur la biodiversité au niveau des communautés, la

fragmentation peut également ralentir la propagation d’espèces invasives, d’agents pathogènes, de

parasites et de maladies, potentiellement délétères pour la diversité des communautés (Alofs et

Fowler 2010; Rudnick et al. 2012; Simon et al. 2014). Des habitats isolés peuvent aussi permettre à

des espèces faiblement compétitrices de se maintenir en l’absence d’espèces plus compétitrices.

b- Diminution de la diversité génétique et réduction des flux de gènes

Des taches plus petites ont une capacité d’accueil réduite et supportent par conséquent des

populations de plus petites tailles (Templeton et al. 1990; Waits et Epps 2015). Cette réduction de la

taille des populations s’accompagne d’une moins grande diversité génétique par la perte d’allèles

rares (Frankham 1996; Ortego et al. 2008), accentuée par les effets de la dérive génétique, de la

consanguinité

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et de l’accumulation d’allèles délétères.

Parallèlement, l’isolement des taches d’habitat entraîne des échanges de migrants moins

importants entre taches et donc des flux de gènes plus faibles (Keyghobadi 2007; Rico et al. 2014;

Templeton et al. 1990; Waits et Epps 2015) : les populations tendent à se différencier génétiquement

(Keyghobadi 2007; Templeton et al. 1990). L’isolement des populations de leurs voisines limite le

phénomène de sauvetage génétique (« genetic rescue ») : l’arrivée de nouveaux migrants au bagage

génétique différent qui augmente la croissance et la probabilité de survie de la population.

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La consanguinité résulte de la reproduction entre individus apparentés et se traduit par l’expression de

mutations défavorables qui affectent la survie ou la fécondité des individus.

Introduction

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Perte d’habitat

Qualité de la

matrice

Isolement

Effet

bordure

Taille des

taches

Forme des

taches

Disponibilité

des ressources

Mortalité

lors de la

dispersion

Microclimat et

structure de la

végétation

ESPECE A

Natalité

Immigration

Mortalité

Emigration

ESPECE B

Natalité

Immigration

Mortalité

Emigration

Interactions

interspécifiques

Changement

population

Changement

population

Perte de la diversité

génétique et spécifique

Une population qui a une faible diversité génétique est théoriquement composée d’individus

de une valeur sélective

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réduite (Hughes et Stachowicz 2004; Reed et Frankham 2003) ; cela a été

démontré chez les papillons (Vandewoestijne et al. 2008). Dans les cas extrêmes, les effets négatifs

de la perte et la fragmentation des habitats sur la génétique des populations peuvent se traduire par

un « vortex d’extinction

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» (Gilpin et Soulé 1986) et une altération des potentialités évolutives.

En diminuant les flux de gènes et en augmentant la dérive génétique, la fragmentation des habitats

impacte négativement sur la diversité génétique des populations (Figure 6) (Keyghobadi 2007;

Rudnick et al. 2012; Young et al. 1996).

Figure 6 : Effets de la destruction des

habitats sur la diversité spécifique et

génétique. Figure inspirée de Didham

et al. (2012) et Kupfer et al. (2006).

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Valeur sélective ou fitness : capacité d'un individu d'un certain génotype à se reproduire relativement à ses

congénères de génotypes différents.

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Vortex d’extinction : rétroactions positives (renforcement mutuel entre différents processus) entre effets

génétiques et démographiques qui interviennent dans les populations de petites tailles et qui les conduisent à

l’extinction.

Introduction

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c- Variabilité des réponses individuelles et spécifiques

Entre organismes d’une même espèce, la variabilité des traits

13F

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individuels se traduit par des

réponses comportementales et adaptatives variées. La sélection de l’habitat par un individu est

influencée par sa tolérance physiologique aux conditions abiotiques, ses performances compétitives

et ses expérience passées (Davis et Stamps 2004). Le sexe des individus peut aussi influer sur la

sélection de l’habitat et la dispersion (Petit et al. 2001). Chez les papillons par exemple, les mâles

recherchent activement les femelles pour se reproduire alors que la dispersion des femelles est

dirigée par l’évitement du harcèlement des mâles et la recherche de sites de ponte adéquats

(Hovestadt et Nieminen 2012). La flexibilité comportementale peut également induire une dispersion

contexte-dépendante, mise en évidence pour certains papillons (Delattre et al. 2013a; Mennechez et

al. 2004; Öckinger et van Dyck 2012; Turlure et al. 2011). Dans les paysages fragmentés, où les

ressources sont séparées dans l’espace, la mobilité peut être accrue ou au contraire limitée selon une

balance coûts-bénéfices qui varie en fonction de l'échelle spatiale à laquelle la fragmentation

intervient (Baguette et van Dyck 2007), de la distribution des ressources, et du taux de dispersion des

espèces considérées (Bonte et al. 2012; Merckx et van Dyck 2006; Merckx et al. 2003). La sélection

génétique qui s’exerce sur la dispersion peut faire évoluer rapidement les mouvements en réponse

aux modifications du paysage, et aussi bien réduire comme exacerber les effets de la fragmentation

sur les populations (Schtickzelle et al. 2006).

Des études ont montré que les espèces ne réagissent pas de la même façon aux facteurs

paysagers et que des réponses contradictoires peuvent aussi être observées pour des espèces

inféodées à un même habitat (Haila 2002). En effet, l'impact de la fragmentation sur les espèces varie

selon leurs traits biologiques (Ewers et Didham 2006) et leurs capacités sensorielles. Les principaux

traits impliqués dans la sensibilité à la fragmentation sont : la taille corporelle, la mobilité, le degré de

spécialisation et le niveau trophique (Barbaro et van Halder 2009; Hamback et al. 2007; Tischendorf

et al. 2003) ; avec une vulnérabilité accrue pour les organismes de grande taille, spécialistes, de

niveau trophique élevé ou possédant des capacités intermédiaires de mouvement au regard de la

distribution spatiale de leur ressources (Ewers et Didham 2006; Tscharntke et al. 2012).

Pour étudier l’impact du paysage sur la diversité des communautés, il peut donc être pertinent de

partitionner les communautés en fonction des traits des espèces. C’est la stratégie que j’adopte en

séparant les espèces selon leur capacité de dispersion et leur degré de spécialisation à l’habitat. La

variabilité des traits individuels impliqués dans la propension à disperser n’est pas abordée.

d- Des effets qui dépendent de l’échelle spatiale et temporelle

Si à court terme, la perte et la fragmentation des habitats provoquent généralement une diminution

de la diversité intra-spécifique et peuvent menacer la viabilité des populations; sur le long terme,

l’isolement de populations viables favorise leur adaptation à des conditions écologiques locales et

peut aboutir à l’émergence de nouvelles espèces (Bush 1975). Selon l’échelle de temps considérée, la

fragmentation du paysage peut donc avoir un effet positif sur la diversité génétique globale

(Tscharntke et al. 2012).

De même, selon l’échelle spatiale étudiée, l’effet de la fragmentation des habitats sur la

diversité inter-spécifique varie. Lorsqu’un habitat continu est divisé en plusieurs taches distinctes, les

conditions environnementales des taches ont tendance à évoluer différemment de par

Introduction

13

l’hétérogénéité de la matrice et la stochasticité de l’environnement ; la composition des

communautés supportées par ces taches va donc diverger (Tscharntke et al. 2012). Si la diversité

alpha

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décroit généralement dans les taches créées, la diversité bêta

15F

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tend à augmenter

(Tscharntke et al. 2012). Ces considérations ont alimenté dans les années 80 le débat « SLOSS »

(« single large or several small ») en biologie de la conservation : est-il plus efficace de conserver une

seule large tache ou plusieurs petites (Diamond 1975) ? Au niveau global, certaines études ont

montré que la fragmentation pouvait augmenter la diversité gamma

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(Tscharntke et al. 2002).

Il est donc nécessaire de bien définir les échelles spatiales et temporelles considérées pour étudier

l’influence du paysage sur la biodiversité. Dans cette thèse, je cherche à comprendre comment la

connectivité du paysage modèle la distribution spatiale de la diversité génétique et de la diversité

spécifique locale (diversité alpha), le pas de temps observé correspond aux évènements

contemporains.