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Effets des thérapies chantées de l’aphasie

Chapitre 5 Discussion générale

5.3 Comment le chant peut-il être bénéfique dans la réadaptation de l’aphasie ?

5.3.2 Effets des thérapies chantées de l’aphasie

Nous avons montré dans le deuxième chapitre que l’efficacité de la MIT originale sur l’amélioration généralisée du langage dans l’aphasie de Broca est soutenue par des études de cas uniques et multiples impliquant 31 participants avec aphasie chronique (Bonakdarpour et al., 2003; Naeser & Helm-Estabrooks, 1985; Schlaug et al., 2008, 2009; Sparks et al., 1974). Dans le troisième chapitre, nous apportons une confirmation des effets de la MIT sur l’amélioration du langage dans le discours naturel de trois participants supplémentaires. De plus, depuis la publication de notre analyse critique des écrits sur la MIT (Chapitre 2), l’efficacité de ce programme a été démontrée dans un essai clinique avec 27 participants aphasiques au stade subaigu post-AVC (van der Meulen et al., 2014). Les résultats d’un autre essai clinique sont également attendus avec une trentaine de participants au stade chronique post-AVC (Schlaug & Norton, 2011b). Dans notre expérience des milieux cliniques publics et privés en France et au Québec nous n’avons jamais vu d’orthophoniste appliquer le programme de la MIT comme tel. Sa technique de facilitation chantée est utilisée de temps à autres en soins aigus post-AVC pour tenter de « débloquer » la parole de patients mutiques. Étant donné les preuves d’efficacité accumulées, la MIT pourrait être une option plus souvent envisagée pour les patients avec aphasie de Broca, au stade subaigu comme chronique pour améliorer l’expression dans leur discours naturel.

Les variantes palliatives de la MIT ont quant à elles démontré qu’elle peuvent être utilisées avec succès pour aider des patients ayant une aphasie non fluente à apprendre par cœur quelques mots et phrases qu’ils pourraient utiliser dans leur vie quotidienne (Baker, 2000; Goldfarb & Bader, 1979; Hough, 2010; Springer et al., 1993; Stahl et al., 2013; Wilson et al., 2006). Par contre, ces études n’ont pas établi que les progrès sur ce matériel verbal se généralisent à des stimuli non travaillés. Dans certaines études, ces versions palliatives ont été utilisées parce que la MIT originale n’avait pas donné de résultats satisfaisants chez les participants (Baker, 2000; Hough, 2010). Dans l’étude présentée au Chapitre 3, nous avons utilisé une version proche de la MIT originale, mais que nous avons qualifiée de mixte, parce qu’elle comportait à la fois des phrases variées (comme dans la MIT originale) pour éviter que les participants ne les mémorisent et quelques phrases travaillées de façon répétitive à chaque séance (comme dans les MIT palliatives). Avec cette thérapie, les participants ont non seulement progressé dans la production des phrases travaillées mais se sont aussi améliorés sur des mesures de généralisation dans des phrases non travaillées et dans leur discours naturel. Nous avons suggéré que ce principe de mixité pourrait être appliqué en clinique pour décider avec le patient si la MIT originale ou une variante palliative serait finalement mieux appropriée pour lui. Enfin, nous n’excluons pas que la version mixte puisse également convenir comme telle à certains patients puisqu’elle leur permettrait d’accéder à un répertoire de phrases préparées à l’avance en plus de favoriser la généralisation des progrès au discours naturel.

La Thérapie Mélodique et Rythmée (TMR, Van Eeckhout & Bhatt, 1984) est une troisième variante de la MIT. Dans cette version française de la MIT, l’orthophoniste apprend au patient à utiliser la technique chantée ouvertement lorsqu’il en ressent le besoin pour débloquer son expression. Cette option nous paraît également intéressante mais aucune étude prospective n’a encore examiné de façon rigoureuse l’efficacité de cette variante de la MIT. Toutefois, dans une étude d’imagerie cérébrale, une équipe de recherche a pu recruter près d’une dizaine de participants aphasiques qui s’étaient améliorés sur des tests de langage standard après la TMR (Belin et al., 1996).

Si la MIT et ses variantes sont les plus étudiées des thérapies chantées pour la réadaptation de l’aphasie, le chant est également présent dans d’autres approches thérapeutiques de l’aphasie (Hurkmans, de Bruijn, Boonstra, et al., 2012). Celles-ci nécessitent l’intervention d’un musicothérapeute, seul ou en thérapie conjointe avec un orthophoniste (de Bruijn et al., 2005; Jungblut & Aldridge, 2004; Kim & Tomaino, 2008). Tel que mentionné dans l’introduction générale de cette thèse, ces approches devront être éprouvées pour leur efficacité. Dans la mesure où elles utilisent une variété d’éléments musicaux bien plus riche que la forme de chant rudimentaire de la MIT, l’un des effets potentiel de ces thérapies, que nous n’avons pas retrouvé dans la MIT (Chapitre 3), pourrait être l’amélioration de l’humeur des participants.

Pour finir, mentionnons que jusqu’à présent le chant a surtout été étudié dans des thérapies avec des participants ayant une aphasie d’origine vasculaire, de type non fluent (Hurkmans, de Bruijn, Boonstra, et al., 2012). Une des variations palliatives de la MIT a donné des résultats encourageants avec deux patients aphasiques non fluents victimes d’un traumatisme crânien sévère (Baker, 2000). Il n’y a, a priori, pas de raison pour laquelle le chant ne puisse pas être utilisé avec succès dans les aphasies causées par différents types de lésion, si les habiletés musicales y sont suffisamment préservées. Par exemple, les deux participants de Baker ont pu mémoriser de véritables chansons personnalisées pour se construire un vocabulaire expressif de base. Les bénéfices du chant dans les syndromes aphasiques autres que celui de Broca restent cependant relativement incertains. En effet, la MIT ne s’est pas révélée efficace pour les aphasies fluentes, ni pour les aphasies non fluentes où la répétition est préservée (AAN, 1994). Toutefois, le chant ralentit la parole (Racette et al., 2006) et plusieurs études ont montré que le ralentissement du débit de la parole dans du matériel verbal présenté auditivement à des personnes aphasiques permet d’améliorer leur compréhension de ces stimuli (Albert & Bear, 1974; Gardner, Albert, & Weintraub, 1975; Lasky, Weidner, & Johnson, 1976). Ainsi, le chant pourrait peut-être servir à la réadaptation de certains troubles de la compréhension dans l’aphasie. Les modalités de son utilisation en ce sens restent cependant à être élaborées.

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