• Aucun résultat trouvé

Les effets du développement institutionnel sur le développement financier

Depuis les travaux pionniers de Williamson (1985), North (1990) et, plus récemment, Acemoglu,

Johnson et Robinson (2005), les institutions ont été identifiées comme un facteur fondamental de la

croissance économique à long terme. Elles sont considérées comme les règles juridiques et sociales

qui régissent les systèmes économiques et, en raison de cette nature intrinsèque, elles incarnent la

structure des incitations dans les sociétés. En conséquence, la théorie institutionnelle du

développement vise à comprendre comment des règles et des normes différentes récompensent la

création de marchés et d'autres activités favorisant la croissance (Fernandez et Tamayo, 2017).

Les bonnes institutions sont essentielles. North (1990) définit les institutions comme les « règles du

jeu dans une société, ou, plus formellement, des contraintes humaines qui façonnent l'intervention

humaine » (North, 1990, p.3). Parmi les institutions qui sont les plus importantes pour la croissance

économique, il y a celles qui permettent à un pays de distribuer les ressources économiques et

financières à ses usages les plus productifs. Ces institutions créent et maintiennent des droits de

propriété solides, un système juridique efficace et un système financier sain et efficient. A ce propos,

le développement financier est défini par Levine (1997) comme le processus par lequel les systèmes

financiers améliorent -ou finissent par surmonter- les frictions du marché comme les coûts

d'information et les coûts d'application afin de faciliter les échanges commerciaux, la mobilisation

de l'épargne et la diversification et la gestion des risques. Par ailleurs, il demeure évident que les

imperfections des marchés financiers sont propres aux systèmes financiers basés sur les banques et

ceux qui sont basés sur les marchés financiers. Ainsi, une des solutions qui peuvent découler de

l’existence de solides institutions est la création de bureaux de crédit et des agences de notation. Ces

institutions représentent des solutions créées pour traiter le même problème, à savoir l’asymétrie

d’information. Ces arrangements sont généralement utilisés dans différents contextes : les premiers

sont principalement utilisés par les banques et autres établissements d'octroi de crédit, tandis que les

24 Ben Ali et Krammer (2016): “The Role of Institutions in Economic Development”, in Ben Ali, Sami (eds): “Economic Development in the Middle East and North Africa: Challenges and Prospects”, Palgrave Macmillan, New York, p. 14.

55

services des agences de notation sont utilisés par les investisseurs potentiels dans les titres de

créance.

Cependant, le développement de bonnes institutions qui favorisent le développement financier n'est

pas facile : il faut du temps pour que les institutions évoluent et s'adaptent aux circonstances locales.

En outre, les intérêts acquis dans les pays en développement s'opposent souvent aux réformes

nécessaires parce qu’il y a une crainte que de telles réformes affaibliront leur pouvoir ou

permettront à d'autres personnes de réduire leurs rentes ou profits. Une des réponses apportées par

la littérature, comme nous le verrons au dernier chapitre de cette présente thèse, fut la globalisation

et l’abolition des frontières économiques et financières entre les pays (Rajan et Zingales, 2003a ;

Mishkin, 2009).

Nous examinerons dans ce qui suit les éléments essentiels à l’édification d’une infrastructure

institutionnelle capable d’assurer un système financier efficace (Mishkin, 2009 ; Fernandez et

Tamayo, 2015). De nombreuses recherches sur ce sujet sont en cours et il n'y a pas de consensus sur

le mélange exact des caractéristiques institutionnelles qui favorise le développement économique et

financier (La porta et al, 1998 ; Rajan et Zingales, 2000 ; Acemoglu et al, 2001 ; Glaeser et Shleifer,

2002 et Durlauf et Fafchamps, 2004).

1. Protection des droits de propriété

Des droits de propriété solides encouragent les investissements productifs car ils ne seront pas

entrepris si les fruits de l'investissement sont susceptibles d'être confisqués par le gouvernement ou

autre. Dans ce contexte, les institutions, principalement sous la forme de règles juridiques ont un

important rôle à jouer, à savoir :

* Spécifier les droits de propriété et protéger les parties en désavantage, et ;

* Appliquer les conditions contractuelles précédemment convenues.

Le rôle de ces deux types d'institutions dans la structuration des systèmes financiers fut l'objet de la

théorie de « la loi et la finance » de La Porta et al (1998). Cette théorie estime que, dans les pays où

les systèmes juridiques respectent les droits de propriété privés, appuient les arrangements

contractuels privés et protègent les droits juridiques des investisseurs, les marchés financiers se

développent rapidement et peuvent soutenir efficacement l’activité réelle.

Une première étape pour la compréhension des mécanismes par lesquels les institutions influencent

le développement de la finance est la tentative d'Acemoglu et Johnson (2005) de séparer, dans la

mesure du possible, les contributions relatives de (1) et (2) ci-dessus. En particulier, ils soulignent

les solutions de rechange dont les agents disposent si l'une ou l’autre de ces dispositions

56

institutionnelles arrive à échouer. Les auteurs affirment que l’exécution inappropriée des contrats

prend principalement la forme de coûts d'exécution résultant d'un trop grand "formalisme juridique".

En tant que tel, une mauvaise exécution peut être comptabilisée dans les contrats (par exemple,

exiger des rendements ex ante plus élevés), mais peut-être à des coûts d'écoute considérables.

D'autre part, lorsque les institutions ne protègent pas les minorités contre des élites puissantes, les

options sont plus limitées car ces échecs sont intimement liés à la répartition du pouvoir dans la

société.

2. Le système juridique

Un système juridique qui applique des contrats rapidement et équitablement soutiendrait

l’établissement de solides droits de propriété et de développement financier. Par exemple, les

prêteurs prévoient des clauses restrictives dans les contrats de prêt afin d'éviter que les emprunteurs

ne prennent trop de risques, mais ces engagements ne sont valables que s'ils peuvent être appliqués

légalement. Un système juridique inefficace dans lequel les contrats de prêt ne peuvent être

appliqués empêchera les prêts productifs d'avoir lieu. Si la création d’entreprise ou l'obtention d'un

titre légal de propriété est trop coûteuse, les plus démunis n'auront jamais accès au système

juridique et seront exclus des prêts qui pourraient les aider à démarrer des petites entreprises et à

échapper à leurs conditions. A titre d’exemple, la mise en place d'une entreprise simple aux

États-Unis nécessite généralement de remplir un formulaire et de payer des frais de licence. En revanche,

De Soto (2000) constate que l'enregistrement légal d'un petit atelier de vêtement au Pérou

nécessitait 289 jours ; À 6 heures par jour, le coût était d'environ 1200 $, soit environ trente fois le

salaire minimum mensuel. L’accès aux droits de propriété s’il n’est pas généralisé et s’il est le juste

apanage des très riches, tel que souligné par De Soto (2000), constitue un sérieux obstacle au

développement financier.

3. La corruption

La lutte contre la corruption est essentielle pour renforcer les droits de propriété et le système

juridique. Lorsque les fonctionnaires corrompus exigent des pots-de-vin, ils réduisent les incitations

pour les entrepreneurs à faire des investissements. La capacité de soudoyer les juges affaiblit

l'application des contrats qui permettent au système économique et financier de fonctionner

convenablement (Mishkin, 2009). En outre, une corruption élevée est de nature à rendre difficile le

rôle que jouent les autorités de contrôle et de supervision financière. Becker et Stigler (1974) ainsi

que Haber et al. (2003) considèrent que les agences étatiques de régulation peuvent être sujettes à

57

des pressions de nature politique, de sorte qu’elles ne peuvent plus guider les activités bancaires

dans le seul souci du bien-être collectif. Sous ces conditions, un fort pouvoir de supervision serait

une source de corruption et déviera à sa fonction principale, en ne favorisant pas le développement

du secteur financier

25

. Dans ces conditions, ce qui était censé être « une main aidante » (helping

hand) devient une « main empoigneuse » (grabbing hand) qui agit dans le seul intérêt de quelques

politiciens qui bénéficient de la régulation bancaire pour servir leurs propres intérêts.

4. Qualité de l’information financière

Une information financière de qualité est essentielle pour le bon fonctionnement des marchés

financiers. Si les prêteurs ne peuvent pas avoir accès à ce qui se passe dans une entreprise, ils ne

seront pas en mesure de limiter les risques de crédit ou de superviser l'entreprise afin de s'assurer

qu'elle ne prend pas trop de risques aux dépends du prêteur. Pour rendre les informations fiables et

précises plus accessibles, les normes comptables doivent être suffisamment élevées pour que les

prêteurs potentiels puissent avoir un sens de ce qui se trouve dans les comptes financiers et

comptables d'une entreprise. Les règles qui exigent que les entreprises divulguent des informations

doivent être appliquées pour permettre aux investisseurs potentiels de prendre des décisions

judicieuses quant à savoir si l'entreprise mérite d'obtenir leurs fonds (Mishkin, 2009).

5. Les institutions informelles ou capital social

Le terme « capital social », qui relève initialement de la sociologie, se rapporte aux avantages

acquis par les individus à travers leur adhésion à des associations ou à des communautés (Bourdieu,

1985) ou bien au niveau des relations humaines et de leur capacité à progresser au sein de la société

(Coleman, 1990).

La relation entre capital social et développement financier a fait l’objet de plusieurs études. D’une

part, les travaux de Guiso et al. (2004) montrent qu’un niveau élevé de confiance dans l’économie a

un effet propulseur sur le développement financier et la croissance économique. En analysant l’effet

de la confiance sur l’approfondissement financier dans les régions du nord et du sud de l’Italie,

l’étude de Guiso et al (2004) révèle que dans les régions, où la confiance entre agents économiques

est élevée, les individus ont facilement accès aux crédits, les taux d’investissement sont élevés, et le

recours au marché financier informel est faible (Bodjongo et Julio, 2012). D’autre part, Gambetta

(1988) et Coleman (1990) concluent que le capital social est un déterminant de la performance des

25

Barth et al (2002): « Bank Regulation and Supervision: What Works Best? », NBER Working Paper Series, N°9323, p. 8.

58

institutions de la société. L’originalité de cette approche est que le capital social est perçu comme

un élément qui influence l’environnement institutionnel. Une vérification empirique a été procurée

par Putnam (1993) qui a étudié le rôle du capital social en tant que déterminant des performances

des gouvernements régionaux italiens. Finalement, La Porta et al. (1998) établissent que la

confiance des citoyens est importante pour la performance des institutions et des entreprises. Ainsi,

le niveau de confiance pourrait être considéré comme un déterminant significatif du développement

ou de la détresse bancaire et pourrait même expliquer les différences entre les systèmes financiers et

les performances économiques des pays.

Nous présenterons dans ce qui suit une analyse économétrique de l’effet de l’ouverture financière,

du développement institutionnel ainsi que de leur action conjointe sur le développement financier

pour un échantillon de pays de la région MOAN pour la période allant de 1985 à 2014. Le but de

l’étude est de vérifier si une ouverture financière externe, qui se caractérise par une libéralisation du

compte financier, est bénéfique au développement financier et si l’état de l’environnement

institutionnel conditionne cette relation entre ouverture financière et développement financier.

V. Analyse économétrique des conditions de réalisation du développement