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Ecritures en compte et protection de l'acquéreur de bonne foi

Après avoir soumis les transferts de titres au principe de causalité, le projet WVG règle les modalités de l'acte de disposition. Sous le titre

«Buchung als Verfügung», les deux premiers alinéas de l'art. 22 énoncent la règle centrale qui met l'analyse juridique en harmonie avec la réalité opéra-tionnelle: les droits sur les titres sont transférés par des écritures en compte de titres effectuées par le ou les dépositaire(s) impliqué(s) dans ce transfert, l'acquisition étant parfaite lorsque l'écriture nécessaire est portée, sans condi-tion, au compte de l'acquéreur.

Cette norme essentielle64

La règle qui nous intéressera ici figure aux art. 22 al. 2, 2e phrase, et 23 WVG. Lorsqu'une écriture s'avère défectueuse (fehlerhaft), l'acquéreur dis-pose contre son dépositaire d'une prétention tendant au remplacement (Realersatz) des titres qui lui ont été crédités à tort. Dans certains cas, cette prétention en nature est remplacée par une compensation en espèces (Wertersatz). Cette responsabilité du dépositaire est stricte, indépendante de toute faute

est complétée par une série de règles acces-soires. L'art. 24 précise les formalités nécessaires à la constitution de sûretés suivant qu'il s'agit de créer un gage ou de transférer la propriété au preneur de sûretés. L'art. 25 statue un droit de rétention sans inscription en faveur du dépositaire.

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64 Cf. notamment le Position Paper d'UNIDROIT d'août 2003 (n.

. La faute éventuelle l'étend aux dommages-intérêts supplémen-taires. Le dépositaire ne peut se libérer de toute responsabilité qu'en prouvant que l'acquisition repose sur une cause juridique nulle (renvoi au principe de

30), p. 19, qui identifie la nécessité de reconnaître la validité des crédits et des débits en comptes de titres fondés sur des instructions adres-sées par un titulaire de compte à son intermédiaire financier. «Clearly, there are powerful arguments of market efficiency that support the desirability of such a rule; in the opinion of the Study Group, however, such as rule is also desirable on systemic grounds…»

65 Le commentaire (N 6 ad art. 23) établit une analogie avant la garantie du vendeur. La faute du dépositaire étend cette responsabilité aux dommages-intérêts supplémentaires, art. 23 al. 3 WVG.

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causalité), une preuve qui lui est difficile puisque la transaction entre aliéna-teur et acquéreur est, pour le dépositaire, une res inter alios acta.

La question des écritures défectueuses s'inscrit dans celle, plus large, des actes de disposition défectueux. La principale contrainte d'un système de dépôt centralisé des titres – quelle que soit la forme de ceux-ci – tient à la nécessité de maintenir l'intégrité des émissions. Les procédures de transfert, qui comprennent notamment des écritures provisoires, conditionnelles («sauf bonne fin»)66, ou simplement erronées, ne doivent pas «créer» au profit des investisseurs un nombre de droits dépassant celui que l'émetteur a émis. Une réconciliation permanente des comptes à tous les échelons de la pyramide est nécessaire67. Réciproquement, les investisseurs doivent être protégés contre le risque opérationnel, voire les fraudes68, qui peuvent intervenir tout au long de la chaîne d'intermédiation. Le commentaire du projet WVG parle à juste titre d'une protection de la confiance de l'investisseur69

De toutes les questions qui doivent être réglées dans un système d'inter-médiation, il s'agit probablement de la plus délicate

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En matière de titres immobilisés ou dématérialisés, trois de ces quatre éléments sont absents ou ne peuvent pas être vérifiés par l'acquéreur: le titre matériel n'existe pas nécessairement; lorsqu'il existe, sa possession par un dépositaire central n'entraîne aucune présomption quant à sa titularité; son énoncé n'est pas vérifiable, mais les conditions d'émission (prospectus) font foi. Néanmoins, un régime de protection de l'acquéreur de bonne foi est nécessaire. En particulier, dans la plupart des transactions ordinaires,

l'ac-. Pour s'en convaincre, il suffit de penser aux grands problèmes que plusieurs siècles de pratique ont dû résoudre en matière de papiers-valeurs. À quelles conditions l'acquéreur est-il protégé alors que l'aliénateur n'avait pas le pouvoir de disposer des titres remis (acquisition de bonne foi)? À quelles conditions l'acquéreur peut-il se fier aux inscriptions du titre (purge des exceptions)? L'acquéreur est-peut-il protégé lorsque le titre est un faux ou a été falsifié? En droit des papiers-valeurs, les règles nuancées qui répondent à ces questions et à d'autres sont fondées sur quatre éléments: l'existence d'un titre matériel, son énoncé, sa possession (cas échéant légitimée par un endossement) et la bonne foi de l'acquéreur.

66 Cf. supra § 3 (f).

67 Ce que, curieusement, l'art. 16 WVG ne prévoit que pour les droits-valeurs. Mais la matière relève davantage du droit de la surveillance prudentielle que du droit privé.

68 Cf. spécialement l'art. 22 al. 3 WVG.

69 Cf. N 4 ad art. 22 WVG: «Demgegenüber verlangt die Praktikabilität des Systems nach einem Vertrausenschutz in dem Sinne, als die 'letzte Buchung' beim Erwerber für diesen gewissermassen verbindlich ist.»

70 Cf. surtout F. NIZARD, Les titres négociables, Paris: Revue Banque et Economica, 2003, p. 253-293;

comp. D.EINSELE, Wertpapierrecht als Schuldrecht, Tubingue: Mohr, 1995, p. 97-114

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quéreur ne peut pas vérifier que les titres ont été valablement acquis par et crédités à l'aliénateur. Dans les transactions boursières, l'acquéreur ignore jusqu'à l'identité de l'aliénateur. Les art. 22 al. 2, 2e phrase, et 23 WVG créent une protection de l'acquéreur en cas d'irrégularités dans la chaîne d'écritures menant à l'inscription des titres au crédit de son compte, indépen-damment de toute exigence de bonne foi. Mais ils ne règlent pas les défauts relatifs à la titularité ou au pouvoir de disposer de l'aliénateur.

En l'absence de dispositions spéciales dans la WVG, la question reste vraisemblablement régie par les règles générales de la propriété mobilière et des papiers-valeurs (s'agissant de titres matériels immobilisés) et par celles relatives à la cession de créances (droits-valeurs). Les premières sont cepen-dant inadéquates puisque l'acquéreur ne peut se fonder ni sur la possession de l'aliénateur ni sur l'énoncé du titre. Les secondes sont fondamentalement insuffisantes, puisque les créances ne disposent pas d'un régime de publicité protégeant les tiers, ce qui a précisément amené à l'invention des papiers-valeurs. En tout état, une différence de régime entre titres immobilisés et titres dématérialisés en matière d'acquisition de bonne foi est profondément insatisfaisantes dès lors que les uns et les autres circulent dans le même sys-tème d'intermédiation, selon les mêmes règles, et sans que l'investisseur se préoccupe de la forme dans laquelle ils ont été émis.

L'absence d'un régime explicite de protection de l'acquéreur de bonne foi en cas d'acquisition défectueuse est l'une des lacunes les plus problématiques du projet WVG.

§ 5 Titres intermédiés: une nouvelle forme de pro-priété

Les lignes qui précèdent ont montré les limites les plus marquantes d'une approche législative fondée sur le maintien de deux corps de règles différents pour les titres immobilisés (papiers-valeurs et propriété mobilière) et pour les titres dématérialisés (considérés comme des créances), complétés par quelques dispositions (WVG) visant à les faire circuler au sein du même système d'intermédiation. C'est ce constat qui décida le groupe de travail institué par le Département fédéral des finances à rédiger un projet de loi sur les titres intermédiés (Bucheffektengesetz) fondé sur une approche fonda-mentalement différente plutôt que de combler quelques lacunes et corriger certains choix du projet transmis par l'Association suisse des banquiers.

Cette différence d'approche se marque déjà dans le premier but énoncé à son art. 1er. Là où la WVG vise à mettre les droits-valeurs sur pied d'égalité 703

avec les papiers-valeurs, la LTI crée «des bases juridiques uniformes pour la conservation des papiers-valeurs et des droits-valeurs par les intermédiaires financiers ainsi que pour leur transfert.» Ce postulat législatif s'inscrit dans deux objectifs plus vastes: «garanti[r] les droits de propriété des investis-seurs et contribue[r] à l'efficience du règlement des opérations sur titres ainsi qu'à la stabilité du système financier.» La référence à la garantie de la pro-priété et la mention de l'art. 26 de la Constitution fédérale dans le préambule du projet signalent en outre l'intention des concepteurs du projet de consa-crer une forme de propriété, opposable à tous (erga omnes), protégée par la Constitution dans les limites de la loi. Cette affirmation donne la clé de lec-ture de l'ensemble du projet.

Comme on l'a fait pour le précédent projet, la présentation du projet LTI se limite ici aux principes et aux règles qui permettent d'en comprendre et d'en juger l'approche et la méthode.

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