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12. De la variabilité décennale à interannuelle des écosystèmes en Méditerranée nord-

12.3. Ecosystèmes et mélange vertical à l’échelle interannuelle

12.3. Ecosystèmes et mélange vertical à l’échelle interannuelle

L’impact des forçages hydrodynamiques sur la variabilité interannuelle des écosystèmes planctoniques est à présent considéré à l’échelle du domaine EHP. Pour ce faire, nous analysons la relation statistique entre les séries d’indices globaux du mélange vertical annuel (VED et MLD75, Fig. 10.4 & 10.5) et les séries de stocks et flux biogéochimiques en moyenne annuelle sur le domaine EHP de 1976 à 2005 (Fig. 12.1 à 12.6). Les coefficients de corrélation de Pearson et leur significativité sont présentés dans le tableau 1 (Pearson, 1896).

12.3. Ecosystèmes et mélange vertical à l’échelle interannuelle Correlation Biogeochemistry vs. Convection VED Significativité MLD75 Significativité Picophytoplankton-C - 0.38 95% - 0.48 99% Nanophytoplankton-C - 0.56 99% - 0.49 99% Microphytoplankton-C + 0.50 99% + 0.45 99% Total Phytoplankton-C - 0.04 nulle - 0.06 nulle Bacteria-C - 0.69 99% - 0.88 99% Nanozooplankton-C - 0.64 99% - 0.72 99% Microzooplankton-C - 0.40 95% - 0.64 99% Mesozooplankton-C - 0.65 99% - 0.83 99% Total Zooplankton-C - 0.53 99% - 0.74 99% Small Particulate Organic Carbon (SPOC) - 0.61 99% - 0.74 99% Large Particulate Organic Carbon (LPOC) + 0.52 99% + 0.54 99% Total Particulate Organic Carbon (POC) - 0.61 99% - 0.74 99% Dissolved Organic Carbon (DOC) - 0.36 95% - 0.37 95% Nitrate + 0.77 99% + 0.82 99% Ammonium - 0.12 nulle - 0.42 98% Phosphate + 0.78 99% + 0.79 99% Silicate + 0.57 99% + 0.59 99% Production Primaire Brute annuelle - 0.15 nulle - 0.17 nulle Export of Particulate Organic Carbon + 0.82 99% + 0.92 99% Export of Dissolved Organic Carbon + 0.78 99% + 0.91 99%

Tableau 1. Coefficients de corrélation entre d’une part les moyennes annuelles de paramètres biogéochimiques du modèle sur le domaine EHP (couche 0-100 m), d’autre part les indices de convection hivernale et de mélange vertical annuel (VED et MLD75).

Significativité des corrélations : 99% = significative / >90% et <99% = peu significative / <90% = nulle

12.3. Ecosystèmes et mélange vertical à l’échelle interannuelle De manière générale, les corrélations calculées sont légèrement plus élevées avec l’indice MLD75 qu’avec VED. Cela met donc en évidence l’importance des évènements de mélange ponctuel résultant de coups de vent transitoires, à travers les forçages mécaniques et les apports modérés de nutriments qu’ils engendrent, par opposition à la convection profonde hivernale (voir § 12.2). Seules les biomasses de nano- et microphytoplancton sont davantage corrélées à l’indice VED qu’à MLD75, ce qui suggèrerait au contraire un impact prépondérant de la convection hivernale sur ces organismes en moyenne annuelle (voir ci-dessous).

En accord avec leur variabilité décennale, les contenus en nitrate, phosphate et silicate sont trouvés significativement corrélés à VED et MLD75 (Tab. 1). Au contraire, les contenus en ammonium ne sont pas corrélés à VED. Alors que les contenus en nitrate, phosphate et silicate en surface à la fin de l’hiver sont en grande partie pilotés par l’intensité des apports de fond, les contenus en ammonium sont plus majoritairement contrôlés par l’activité d’excrétion du zooplancton et de la boucle bactérienne, dont les biomasses sont anti-corrélées aux indices de mélange vertical (voir ci-dessous).Cependant, il existe une anti-corrélation peu significative entre l’ammonium et MLD75. Par conséquent, il semble que la production d’ammonium soit également contrôlée de manière plus directe par les mélanges de faible intensité pouvant intervenir au fil de la saison estivale, qui reste la période privilégiée de production de l’ammonium dans la couche de surface.

D’une manière générale, l’ensemble des variables liées à la boucle microbienne telles que les bactéries et les protistes prédateurs montre une anti-corrélation significative avec MLD75 en moyenne annuelle. Ce résultat démontre que même les mélanges modérés qui peuvent intervenir en période stratifiée viennent perturber de manière importante l’activité de la boucle microbienne.

Sur l’ensemble du domaine, les biomasses de pico- et nanophytoplancton sont significativement anti-corrélées à VED et MLD75. Au contraire, le microphytoplancton apparaît positivement corrélé au mélange vertical (corrélation significative) ce qui est en accord avec l’écologie de ce type de phytoplancton (Sarthou et al., 2005). Par ailleurs, les biomasses des nano- et microphytoplancton dominent l’écosystème phytoplanctonique en biomasse (resp. ~47% et ~41%, Fig. 12.9A), tandis que celle du picophytoplancton est d’un ordre de grandeur inférieur (~12%, Fig. 12.9A). Ces

12.3. Ecosystèmes et mélange vertical à l’échelle interannuelle résultats sont relativement en bon accord avec les mesures de Marty et Chiavérini (2010) qui montrent une distribution également stable d’une année à une autre et se répartissant comme suit : 18% pour le pico-, 45% pour le nano- et 37% pour le microphytoplancton. Bien que la contribution du picophytoplancton soit sous-estimée dans le modèle, la distribution des classes de taille supérieure et la domination du nanophytoplancton en moyenne annuelle sont correctement représentées. Ainsi dominée par les groupes nano- et microphytoplancton, la biomasse phytoplanctonique totale n’est pas corrélée aux indices VED et MLD75, ce qui souligne des réponses totalement différentes des groupes fonctionnels de phytoplancton aux forçages hydrodynamiques (Fig. 12.9B).

Figure 12.9. Contribution de chaque classe de taille phytoplanctonique à la biomasse chlorophyllienne totale (A - %) et moyennes annuelles standardisées de la biomasse phytoplanctonique en carbone (B - unité standard), sur le domaine EHP dans la couche de surface (0-100 m) de 1976 à 2005. Picophytoplancton (rouge), nanophytoplancton (bleu), microphytoplancton (vert) et biomasse totale (noir).

Une corrélation significativement négative est trouvée entre les biomasses de nano- et microphytoplancton (Tab. 2). Les biomasses de ces deux groupes seraient donc en opposition de phase à l’échelle interannuelle. D’après le tableau 1, ces deux

12.3. Ecosystèmes et mélange vertical à l’échelle interannuelle groupes présentent des corrélations plus élevées à l’indice VED qu’à MLD75 ce qui pourrait indiquer que la convection profonde hivernale pilote davantage cette dynamique entre les deux groupes que les mélanges de plus faibles intensités. Ces deux groupes contribuant de façon majoritaire à la biomasse totale chlorophyllienne, la structure des communautés phytoplanctoniques pourrait être en grande partie déterminée par l’intensité des forçages atmosphériques en hiver.

Correlation within plankton ecosystems

Picophytoplankton-C vs. Total Phytoplankton-C + 0.69 Nanophytoplankton-C vs. Total Phytoplankton-C + 0.49 Microphytoplankton-C vs. Total Phytoplankton-C + 0.58 Picophytoplankton-C vs. Nanophytoplankton-C + 0.63 Picophytoplankton-C vs. Microphytoplankton-C + 0.02 Nanophytoplankton-C vs. Microphytoplankton-C - 0.42

Nanozooplankton-C vs. Total Zooplankton-C + 0.89 Microzooplankton-C vs. Total Zooplankton-C + 0.97 Mesozooplankton-C vs. Total Zooplankton-C + 0.94 Nanozooplankton-C vs. Microzooplankton-C + 0.76 Nanozooplankton-C vs. Mesozooplankton-C + 0.89 Microzooplankton-C vs. Mesozooplankton-C + 0.84

Tableau 2. Coefficients de corrélation entre les différentes classes de taille phytoplanctoniques et zooplanctoniques. Significativité à 95% = 0.30 // Significativité à 99% = 0.35.

Une corrélation significative entre les biomasses de pico- et nanophytoplancton (Tab. 2) indique une dynamique écologique similaire pour ces deux groupes et en particulier vis-à-vis du mélange vertical pour lequel ils montrent une réponse identique (Tab. 1). Pourtant, à la différence du nanophytoplancton, le picophytoplancton ne montre aucune corrélation significative avec le microphytoplancton, ce qui suggère des dynamiques écologiques distinctes mais pas opposées entre ces deux derniers groupes. Le picophytoplancton est adapté aux environnements oligotrophes et généralement favorisé en situation de forte stratification (Marty et al., 2002). Au

12.3. Ecosystèmes et mélange vertical à l’échelle interannuelle contraire, les fortes concentrations en nutriments et l’éclairement fluctuant qui caractérisent les situations convectives sont les conditions idéales de développement du microphytoplancton (Kiorboe, 1993 ; Sarthou et al., 2005). Par conséquent, l’émergence de tel ou tel groupe phytoplanctonique à un instant donné va dépendre en grande partie de la disponibilité en nutriments, et donc indirectement du mélange vertical pour les zones du large en tout cas. Selon son intensité, la convection profonde hivernale contrôlerait ainsi au premier ordre la prédominance du nanophytoplancton ou du microphytoplancton à l’échelle annuelle, alors que la biomasse picophytoplanctonique resterait assez indépendante de ce processus. Elle occuperait en effet de manière dominante la zone euphotique une fois celle-ci appauvrie en sels nutritifs, et ce, quelle que soit l’intensité du mélange hivernal.

La structure des assemblages phytoplanctoniques apparaît donc finalement assez variable à l’échelle interannuelle. La structure des assemblages zooplanctoniques l’est aussi (Fig. 12.5) mais les corrélations entre les biomasses zooplanctoniques sont beaucoup plus fortes et toutes positives (Tab. 2). La structure de la communauté des groupes de zooplancton apparaît comme ayant une dynamique beaucoup plus homogène et univoque vis-à-vis d’une perturbation du milieu, ici la ressource en proies. Une observation approfondie de la figure 12.5 montre par ailleurs que la variabilité interannuelle des biomasses tend à diminuer lorsque la taille du prédateur augmente (du nano- vers le mésozooplancton). Cette différence de dynamique entre les assemblages zooplanctoniques et phytoplanctoniques est imputable à la fois à la quantité de ressources disponibles mais aussi à la diversité disponible. La quantité de proies disponibles va bien entendu induire les variations observées sur les différents stocks de zooplanctons modélisés (Fig. 12.5) mais ces variations s’atténuent avec la taille du prédateur car la diversité des proies augmente avec la taille du prédateur. Le cas d’un prédateur consommant un prédateur plus petit ayant un spectre de prédation important (e.g. mésozooplancton vs. microzooplancton) joue également un rôle stabilisateur. Ces dynamiques sont totalement en accord avec les travaux théoriques d’écologie sur les relations prédateurs-proies qui montrent que le généralisme confère une capacité d’adaptation importante et donc un avantage écologique par rapport à la spécialisation (revue de Gentleman et al., 2003). Les ressources nutritives des groupes phytoplanctoniques ainsi que les facteurs environnementaux auxquels ils sont soumis (lumière, température…) sont beaucoup plus fluctuants à la fois spatialement et

12.3. Ecosystèmes et mélange vertical à l’échelle interannuelle temporellement. La diversité des ressources nutritives est aussi plus limitée. Ces variations haute fréquence et cette faible diversité expliqueraient la variabilité importante de la structure des communautés phytoplanctoniques d’une année à l’autre.

En conclusion, il n’existerait pas de relation à l’échelle interannuelle entre la biomasse phytoplanctonique totale et les indices de convection hivernal et de mélange vertical (Tab. 1). Cependant, la structure même de l’écosystème phytoplanctonique serait contrôlée, au moins en partie, par le mélange vertical. En particulier, la variabilité interannuelle de la convection profonde hivernale serait à l’origine d’une bascule entre les biomasses de nano- et microphytoplancton en moyenne annuelle. D’autre part, le mélange aurait un impact négatif sur les biomasses d’organismes hétérotrophes et le recyclage de la matière organique dans la couche de surface à l’échelle interannuelle.

On peut donc supposer que les variabilités spatiale et temporelle des écosystèmes planctoniques soient directement (pour les autotrophes) ou indirectement (pour les hétérotrophes) guidées par le mélange vertical. Afin de mieux comprendre l’origine de leur variabilité interannuelle, nous pouvons dans une première approche restreindre le point de vue à une étude comparative du cycle saisonnier de deux années contrastées, respectivement « peu convective » et « convective ». De plus, une distinction est possible entre mélange vertical et convection profonde hivernale, en particulier concernant la bascule entre nano- et microphytoplancton. A ce titre, il pourra aussi être intéressant de distinguer leurs impacts respectifs.