• Aucun résultat trouvé

CHAPITRE 2. ETUDE BIBLIOGRAPHIQUE

2.3. MICROBIOLOGIE DES ENVIRONNEMENTS DE SUBSURFACE

2.3.1. Ecologie microbienne des formations géologiques profondes

De nombreuses études microbiologiques d’échantillons en provenance d’aquifères ont révélé

que ces environnements contiennent systématiquement des cellules microbiennes, confirmant ainsi

la présence de vie dans des environnements supposés abiotiques il y a encore peu de temps.

Une étude réalisée en Suède en milieu granitique sur des échantillons d'eaux souterraines

prélevés à 800 m de profondeur indique une concentration bactérienne proche de 105 cellules par

mL. Elle fait état de la présence potentielle de 103 à 106 cellules supplémentaires qui pourraient être

attachées aux surfaces rocheuses en contact avec ces eaux [Pedersen et Ekendahl, 1990]. Dans la

même zone géographique, au niveau du laboratoire de recherche souterrain d'Aspö (Suède), des

cellules eucaryotes ont pu être mises en évidence ultérieurement [Ekendahl et al., 2003] dans le

même type d'échantillon. Plusieurs levures de petite taille (3 µm de longueur) et champignons

apparentés au genre Cryptococcus et à l’espèce Rhodotorula minuta ont pu être détectés à hauteur

de 0,01 à 1 cellule par mL d'eau souterraine. Cinq souches ont été caractérisées du point de vue

physiologique. Les gammes de pH (4 à 10), de salinité (0 à 70 g de NaCl par litre d'eau) et de

température (4 à 30°C) supportées par ces organismes suggèrent une réelle capacité de croissance

dans cet environnement.

De même, des observations en microscopie électronique à balayage ont permis de visualiser

la présence de cellules bactériennes de différentes formes et différentes tailles (coques, bâtonnets,

incurvées, avec appendices…) dans un aquifère localisé dans les fractures d'un massif granitique du

Canada, où ont été détectées des bactéries anaérobies hétérotrophes, fixatrices d'azote,

dénitrifiantes, réductrices de sulfate ou précipitant le fer, mais pas de méthanogènes ni

d'oxydatrices du fer [Jain et al., 1997].

Dans les aquifères, il a été remarqué que la texture du sédiment influence fortement la

concentration microbiologique. Les encaissants argileux contiennent en général les plus faibles

concentrations microbiennes ainsi que la plus faible diversité microbiologique [Chapelle, 1993]. Ceci

pourrait être dû à un phénomène de sorption forte et irréversible de la matière organique dans les

feuillets d'argile. Cette matière organique pourrait ainsi être protégée de la biodégradation par des

microorganismes [Gallori et al., 1994].

En outre, les investigations microbiologiques dans des échantillons d'eaux souterraines en

milieux sédimentaires et granitiques ont mis en évidence la présence de bactéries de très petite

taille affiliées aux β-Protéobactéries, capables de traverser des filtres dont le diamètre des pores est

inférieur à 0,1 µm [Miyoshi et al., 2005]. La longueur des cellules bactériennes connues se situe

classiquement aux alentours de 1 µm. Ces résultats montrent que les aquifères, environnements

carencés en nutriments mais à potentiel élevé de circulation d'eau, sont rarement stériles et que les

microorganismes sont capables d'adapter leur morphologie aux contraintes spatiales de

l'environnement dans lequel ils évoluent, relativisant ainsi l'impact des faibles porosités sur la

probabilité de détecter des cellules microbiennes en environnement sédimentaire compact.

Dans le cas de séquestration bactérienne en milieux cloisonnés à faible potentiel de

circulation et à teneur en eau réduite, on s'attend à observer des fréquences de division cellulaire

très faibles, de l'ordre de 1 division tous les 10 ou 100 ans. Ceci relativise les effets géochimiques de

telles populations, notamment sur les phénomènes de migration de substances toxiques dans la

géosphère [Fredrickson et Onstott, 1996]. En milieu géologique, la plupart des bactéries sont

susceptibles de se trouver en surface de fractures où des biofilms peuvent se former pour atteindre

des densités de 104 bactéries par mm2.

La caractérisation microbiologique d'échantillons d'eau prélevés dans des forages réalisés

dans le laboratoire souterrain d'Aspö en Suède a permis de détecter les microorganismes

majoritairement présents dans cet environnement. L'eau prélevée résultait d'un afflux lent en

provenance de la formation géologique pendant lequel les forages ont été protégés des apports

extérieurs de microorganismes. Cette étude a révélé la présence de bactéries apparentées au genre

Desulfovibrio et aux espèces Acinetobacter junii, Pseudomonas flavescens, Thiomicrospira

denitrificans, Eubacterium limosum, Bacillus megaterium, Beijerinkia indica, Desulfomicrobium

baculatum, et Desulfovibrio longreachii. Les pourcentages d'identité de séquence d'ADN obtenus

suite aux comparaisons avec les bases de données étaient compris entre 91,4 et 98,6% pour ces

bactéries, indiquant une divergence de toutes ces séquences par rapport aux séquences répertoriées

dans les banques au moment de l'étude, et permettant de conclure que ces bactéries étaient très

probablement autochtones [Pedersen et al., 1996].

Une étude similaire a été menée sur des échantillons de sédiments argileux âgés de 35

millions d'années en provenance du laboratoire souterrain de Mol en Belgique. Pour la première fois

elle décrivait une procédure aseptisée de forage, d'échantillonnage et de conditionnement. Au cours

de ces travaux, la mesure de consommation de [14C]-glucose a conduit à la mise en évidence d'une

activité bactérienne qui décroît tout au long de la carotte d'argile considérée en fonction de la

distance avec la paroi de la galerie. Une diminution de la concentration en bactéries cultivables a

également été observée avec l'augmentation de distance entre échantillon analysé et paroi (Figure

8). Tous les échantillons analysés ont cependant permis la détection d'ADN bactérien. Bien qu'une

contamination partielle de certains échantillons ait pu survenir (d'après la détection d'espèces

affiliées aux genres Streptococcus et Staphylococcus), cette étude a permis la détection de bactéries

jugées autochtones apparentées aux genres Azoarcus, Rhodocyclus, Acinetobacter, Pseudomonas,

Pseudoalteromonas, Desulfotomaculum, Carnobacterium et Propionibacterium [Boivin-Jahns et al.,

1996].

Dans ce type d'étude, la représentativité des résultats peut être difficile à obtenir. En effet,

si une espèce microbienne est présente en très faible concentration dans l'environnement étudié,

elle ne sera pas détectable dans tous les échantillons.

Toutes ces études s'accordent généralement à conclure à la présence de faibles

concentrations de microorganismes, souvent inférieures aux limites de détection par extraction

directe d'ADN ou d'ARN, dans les formations géologiques compactes argileuses ou granitiques, en

l'absence de fractures naturelles (granites) ou induites (EDZ dans les granites ou les argilites

indurées). Elles soulignent que la carence nutritive et le manque d'espace, d’énergie et d'eau

disponible constituent a priori les principaux facteurs limitant le développement bactérien dans ces

environnements. On parle alors davantage de survie bactérienne, ou de maintien de cellules viables

sous forme quiescente par des phénomènes tels que la dormance ou la sporulation. Toutefois, une

étude récente indique que certaines bactéries lithotrophes isolées dans la formation granitique

d'Aspö sont susceptibles d’adopter un comportement métabolique dynamique dans de tels

environnements. Ces bactéries sont capables de développer des structures externes filamenteuses se

propageant à travers des réseaux poreux, et concentrent des espèces chimiques impliquées dans la

minéralisation, ce qui pourrait accélérer significativement la formation de particules argileuses

[Tuck et al. 2006].

A B

Figure 8. Viabilité et activité bactériennes dans l’argile de Mol en fonction de la profondeur de

prélèvement par rapport à la paroi de la galerie. (A), Dénombrement des unités formant colonies

(ufc) observées sur milieux de culture correspondant aux bactéries viables cultivables présentes

dans les échantillons. A partir de 80 cm environ, une diminution brutale de la concentration

bactérienne est observée. (B), Assimilation de [14C]-glucose par les microorganismes présents dans

les échantillons d’argile, qui présente un profil similaire à celui obtenu en (A). D'après Boivin-Jahns

et al., 1996.