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Chapitre I : Historique de la recherche et état des connaissances sur Sahlbergella singularis

4. Etat des connaissances sur le miride du cacaoyer Sahlbergella singularis

4.8. Ecologie

Le cacaoyer a été introduit en Afrique de l’ouest à la fin du 19ème siècle et les mirides Bryocorinae se sont adaptés à cette plante hôte au fur et à mesure de son expansion dans cette région (Entwislte, 1972). Sahlbergella singularis est une espèce oligophage de la zone forestière d’Afrique de l’ouest et d’Afrique centrale, qui se nourrit principalement aux dépens de plantes ligneuses arbustives ou arborées de l’ordre des Malvales et plus précisément des familles des Sterculiaceae, Malvaceae, Tiliaceae et Bombacaceae. Selon la classification phylogénétique des angiospermes ou classification APG (Angiosperm Phylogeny Group) (Contributeurs à Wikipédia, 2008), ces différentes familles occupent aujourd’hui le rang de sous-familles au sein de la famille des Malvaceae (Hinsley, 2008). Le tableau 1.4 fournit la liste des plantes hôtes alternatives de S. singularis proposée par Entwistle (1972), dont la nomenclature a été revue selon la classification APG (Hinsley, 2008). En 1996, au Ghana, des larves et des adultes de S. singularis sont découverts sur des fruits de Desplatsia dewevrei (De Wild & Th. Dur.) (Padi et al, 1996). Ce petit arbre de la zone forestière d’Afrique tropicale, de la Guinée à l’Ouganda, était autrefois classé parmi les Tiliaceae, mais selon la classification phylogénétique actuelle, il appartiendrait à la famille des Malvaceae, plus précisément à la sous-famille des Grewioideae (Hinsley, 2008). Au Cameroun, la présence de D. dewevrei a été signalée, mais S. singularis n’a pas été observé sur les fruits de cet arbre dans la nature. Une expérimentation de laboratoire a confirmé que S. singularis s’alimente au détriment des fruits de cette espèce (Babin et al., 2003). Toutefois, la capacité de S. singularis à se reproduire sur D. dewevrei est à confirmer.

Le genre Cola regroupe des espèces très proches, dont l’aire de répartition est similaire à celle de S. singularis et les colatiers sont parfois considérés comme les plantes hôtes d’origine de cette espèce (Piart, 1977b). Les espèces cultivées de colatiers, principalement

C. nitida et C. acuminata, sont très régulièrement associées aux cacaoyères et certains

auteurs supposent que cette association aurait pu contribuer à l’introduction et à la dispersion des mirides dans l’ensemble des zones de culture du cacaoyer en Afrique (Piart, 1977b). Toutefois, cette hypothèse est mise en doute par le fait que certaines cacaoyères fortement infestées par S. singularis hébergent des colatiers sains (Entwistle, 1972). En outre, dans certaines régions de la République centrafricaine, les cacaoyères sont peu

attaquées mais comportent des colatiers fortement infestés par S. singularis (Boulard, 1967). Ces observations portent à croire que plusieurs biotypes du ravageur existent, adaptés à des plantes hôtes différentes.

Tableau 1.4 : Liste des plantes hôtes alternatives de Sahlbergella singularis d’après Entwistle (1972) et Padi et al (1996) (nomenclature mise à jour selon la classification phylogénétique) (Hinsley, 2008).

Famille Sous-famille Nom scientifique Localité

Malvaceae Brownlowioideae Berrya ammonilla Roxb. Sierra Leone Ghana

Bombacoideae Bombax buonopozense P.Beauv. République du Congo

Ceiba pentandra (L.) Gaertn. Ghana Cameroun

République du Congo Sterculioideae Cola acuminata (P. Beauv.) Schott & Endl. Nigeria

Ghana

Cola diversifolia De Wild. & T.Durand République du Congo

Cola gigantea A. Chev. var. glabrescens Ghana Cola lateritia K. Schum. var. maclaudi Ghana Cola millenii K. Schum Côte d’Ivoire

Ghana Nigeria

Cola nitida (Vent.) Schott. & Endl. Nigeria

Sterculia foetida L. Ghana

Sterculia rhinopetala K. Schum. Ghana

Malvoideae Gossypium sp. Ghana

Dombeyoideae Nesogordonia papaverifera (A. Chev.)

Capuron Ghana

Byttnerioideae Theobroma bicolor Bonpl. Ghana

Theobroma microcarpum Mart. Ghana

Theobroma speciosum Willd. ex Spreng. Ghana Grewioideae Desplatsia dewevrei De Wild & Th. Dur. Ghana

4.8.2. Milieu de vie dans la cacaoyère

4.8.2.1. A l’échelle de l’arbre

Les mirides du cacaoyer sont des insectes photophobes (Madge, 1968), de mœurs crépusculaires et nocturnes (Entwistle, 1972). Dans la nature, pendant la journée, les larves et les adultes de S. singularis se réfugient fréquemment dans les zones de contact entre les cabosses et l’écorce du tronc et des branches du cacaoyer. Ils choisissent également les zones de jonction entre les branches et les anfractuosités de l’écorce. Ces sites seraient choisis dans le but d’échapper aux rayons directs du soleil, aux conditions de température et d’humidité relative extrêmes, ainsi qu’aux prédateurs (Entwistle, 1972 ; Youdeowei,

1977). Une heure environ avant la tombée de la nuit (Paterson in Entwistle, 1972), les insectes quittent ces lieux de repos pour se rendre sur les sites d’alimentation et de ponte : cabosses et pousses orthotropes (gourmands) sur le tronc et les branches, et rameaux verts aux extrémités des branches, où ils seraient actifs jusqu’à l’aube. Les larves de mirides sont assez lentes et relativement peu mobiles et, généralement, elles passent l’ensemble de leur développement sur un même cacaoyer (Youdeowei, 1977).

4.8.2.2. A l’échelle de la plantation

Les populations de S. singularis sont fortement agrégées au sein des plantations (Williams, 1953a ; Youdeowei, 1965 ; Lotodé, 1969 ; Youdeowei, 1971a ; Nwana et Youdeowei, 1978 ; Babin et al., 2006b). Ce fait a été plusieurs fois démontré par l’application de la loi de Taylor (1961). Les indices d’agrégation obtenus par les différents auteurs sont similaires quelles que soient les conditions expérimentales, les valeurs oscillant entre 1,65 et 1,77. Ces résultats suivent les attendus de la loi de Taylor qui stipule que l’indice d’agrégation est constant et caractéristique pour une espèce donnée.

Ainsi, dans les plantations, la plupart des cacaoyers sont indemnes de mirides alors qu’une minorité de cacaoyers hébergent la totalité de la population, à des densités allant de quelques individus à quelques dizaines d’individus par cacaoyer. L’explication de ce phénomène reste purement hypothétique. Williams (1953a) estime que dans une plantation homogène, la distribution spatiale de la population est initialement déterminée par le comportement de ponte des femelles, qui dispersent leurs oeufs de manière aléatoire et par groupes de taille variable. Certains cacaoyers, particulièrement propices au développement des larves, présentent des dégâts plus importants, qui conduisent à la dégradation de la frondaison et à la formation de pousses orthotropes (ou gourmands). Ces dernières sont des sites d’oviposition et d’alimentation recherchés par les mirides. Ainsi, la population s’installe de manière durable sur ces cacaoyers devenus particulièrement attractifs du fait des attaques de mirides elles-mêmes. Ces attaques conduisent en quelques mois à la formation de « poches à mirides », telles que décrites dans le § 4.6.

Les cacaoyères sont rarement des milieux homogènes et, lors de la ponte, les femelles semblent porter leur choix sur des cacaoyers rendus particulièrement attractifs par l’action de certains facteurs environnementaux. Dans les parcelles ombragées, les « poches à mirides » se forment généralement dans les « trous de lumière », où la canopée

(1971a) a étudié pendant un peu plus d’une année la formation des « poches à mirides » au sein d’une parcelle cultivée sans ombrage. Il a démontré que les cacaoyers localisés dans les zones où l’intensité lumineuse mesurée sous la frondaison des cacaoyers était la plus forte étaient les plus attaqués par S. singularis. En accord avec Williams (1953a), l’auteur suggère que les zones où la canopée des cacaoyers est interrompue attirent les femelles au moment de la ponte et constituent les sites d’origine des « poches à mirides ».

La lumière serait donc un facteur environnemental favorisant les attaques de mirides. Etant donné le caractère photophobe des mirides du cacaoyer, les mécanismes impliqués dans ce phénomène semblent complexes et ils n’ont pas encore été déterminés de manière indiscutable. Youdeowei (1971a) émet l’hypothèse que le phototropisme des adultes femelles serait inversé pendant la phase de ponte. L’apparition des « poches à mirides » pourrait être également liée à la croissance végétative du cacaoyer qui serait, dans les zones ensoleillées, favorable au développement des mirides.

Parmi les autres facteurs agro écologiques ayant un rôle potentiel sur la distribution spatiale des mirides nous pouvons citer les ennemis naturels. Nous aborderons cette thématique au § 4.10.

4.8.2.3. A l’échelle du paysage

Il existe relativement peu d’information sur la distribution spatiale des mirides à l’échelle du paysage. Au Ghana, Williams (1953b) observe que certaines plantations isolées des principales zones de production cacaoyère présentent elles aussi des dégâts importants de mirides. Lavabre (1960) constate qu’au Cameroun, les cacaoyères situées en savane sont nettement plus infestées par S. singularis que les plantations de la zone forestière. Ce phénomène pourrait être lié au fait qu’en savane les cacaoyères sont généralement cultivées sous un ombrage moins dense qu’en forêt, où les grands arbres sont généralement laissés sur pied au moment de l’installation de la plantation. Quoiqu’il en soit ce domaine de recherche reste vierge, malgré l’intérêt certain qu’il présente pour la lutte contre les mirides.

4.8.3. Capacités de dispersion

Les larves de S. singularis sont peu mobiles et le potentiel de dispersion de cette espèce est entièrement déterminé par les capacités de vol des adultes. Ces dernières ont été étudiées au Ghana et au Nigeria, suivant différentes méthodes. Youdeowei (1972) utilise une

méthode statique en observant le vol d’adultes de S. singularis et D. theobroma fixés à l’extrémité d’une épingle. Leston (1973a) observe le vol libre des deux espèces dans leur milieu naturel et au laboratoire. Enfin, King (1973b) utilise une méthode de mesure actographique, basée sur l’enregistrement acoustique des mouvements d’adultes de mirides dans une cage métallique. Ces auteurs démontrent que les mirides adultes peuvent voler 24 heures après la mue imaginale, mais que le premier long vol ne survient qu’au bout de 3 à 5 jours. Leston (1973a) observe que le vol peut être déclenché par l’arrivée d’un prédateur et que, dans ce cas, le vol est court et en zig-zag ou en spirale. Youdeowei (1972) distingue deux types de vol chez S. singularis : le vol trivial et le vol de dispersion. Le vol trivial ne dure que quelques secondes et l’auteur suggère qu’il a pour but principal la recherche de nourriture ou du partenaire sexuel au sein de l’habitat de l’insecte. Quant au vol de dispersion, il peut durer plus de 30 minutes et permet aux mirides de coloniser de nouveaux habitats. Grâce à sa méthode statique, Youdeowei (1972) observe que les femelles de S. singularis sont capables de voler plus d’une heure sans interruption et les mâles plus d’une heure et demie. Leston (1973a) estime que la distance moyenne parcourue par les adultes de D. theobroma est de 1,1 Km pour les femelles et 2,3 Km pour les mâles, à la vitesse moyenne de 3,4 m/seconde.

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