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Chapitre I : Historique de la recherche et état des connaissances sur Sahlbergella singularis

4. Etat des connaissances sur le miride du cacaoyer Sahlbergella singularis

4.6. Comportement d’alimentation et dégâts sur le cacaoyer

Sahlbergella singularis est, comme tous les hémiptères, un insecte de type piqueur-suceur.

Ces insectes s’alimentent en aspirant divers liquides nutritifs comme le sang ou la sève après avoir perforé les téguments animaux ou végétaux. Leurs pièces buccales se présentent sous la forme d’un rostre (figure 1.7). Celui-ci comprend toutes les pièces buccales de l’insecte primitif, à l’exception des palpes qui ont disparu. Toutefois, ces pièces buccales ont profondément évolué pour s’adapter au mode d’alimentation de l’insecte. Ainsi, le labium s’est creusé en une gouttière qui forme un étui avec le labre. Cet étui renferme les mandibules et les maxilles qui se sont considérablement allongées et

effilées pour donner les stylets. Les stylets maxillaires sont étroitement accolés et sont creusés sur toute leur longueur de canaux : le canal alimentaire, le plus important, est en position antérieure, le canal salivaire est en position postérieure (Lavabre, 1970 ; Delvare et Aberlenc, 1989). Au moment de la prise de nourriture, les mirides insèrent leurs stylets dans les tissus végétaux et injectent une salive toxique par le canal salivaire. Chez les Bryocorinae, la salive est injectée en grande quantité et ne subit aucune gélification (Carayon, 1977). Elle contient des enzymes histolytiques, probablement des estérases, qui lysent les cellules des tissus environnant le point de piqûre (Williams, 1953a). Le lysat cellulaire est ensuite aspiré par le canal alimentaire.

Figure 1.7 : Représentation schématique de Sahlbergella singularis en cours d’alimentation et coupe transversale du rostre des hémiptères (d’après Delvare et Aberlenc, 1989). Cnal, canal alimentaire, Cnsl, canal salivaire, Lbm, labium, Lbr, labre, Rst, rostre, Stymb, stylet mandibulaire, Stymx, stylet maxillaire.

Dans la nature, S. singularis semble s’attaquer de préférence aux cacaoyers adultes (Cotterell, 1926). Toutefois, au laboratoire, Posnette (1943) a montré que cette espèce s’alimentait indifféremment de branchettes provenant de jeunes cacaoyers et de branchettes provenant de cacaoyers matures. Les adultes et les larves de S. singularis trouveraient donc sur les cacaoyers plus âgés un environnement plus adapté à leur mode de vie, notamment de nombreux refuges dans les anfractuosités de l’écorce, qui leur permettraient de fuir la lumière et d’échapper à leurs prédateurs. Quoiqu’il en soit, S. singularis s’alimente en

Rst Cnsl Lbm Lbr Cnal Stym Stym

piquant les fruits du cacaoyer à différents stades de développement (chérelles et cabosses), les pousses aoûtées ou semi-aoûtées à l’extrémité des branches et les pousses orthotropes, encore appelées gourmands, qui apparaissent à la base du tronc ou sur les branches du cacaoyer.

D’un point de vue évolutif, il est probable que S. singularis ait été dans les premiers temps de son adaptation au cacaoyer, un insecte piqueur de cabosses exclusivement. C’est en effet le cas de la majorité des mirides Bryocorinae du cacaoyer dans le monde (Entwistle, 1972). D’autre part, plusieurs travaux ont montré que les cabosses sont mieux adaptées aux besoins alimentaires de S. singularis (Houillier, 1964 ; Piart, 1977b). La compétition pour les cabosses, ou leur disparition au moment de la récolte, auraient donc contraint S.

singularis à s’adapter aux branchettes et gourmands de cacaoyer pour l’alimentation et la

ponte (Piart, 1977b).

Du fait de l’abondance et de la toxicité de la salive injectée, les piqûres alimentaires des Bryocorinae entraînent la formation de lésions de type stigmonose, beaucoup plus importantes que celles provoquées par la majorité des Miridae (Carayon, 1977). Peu de temps après la piqûre apparaît une zone gorgée d’eau, de forme et de taille variables en fonction de l’organe attaqué et du stade de développement de l’insecte. En quelques minutes, cette zone se creuse du fait de l’affaissement des tissus sous-jacents et devient brune puis noire (Williams, 1953a). Après 3 semaines environ, la dépression se dessèche et commence à se fissurer (Crowdy, 1943).

Sur les cabosses, la zone de piqûre prend alors la forme d’un bouchon noir de tissus morts, nettement différentiables des tissus sains alentour (Williams, 1953a). En cas de piqures multiples, ces zones peuvent se rejoindre pour former des crevasses dans le cortex des fruits (figure 1.8A). Il est rare que ces zones de tissus morts recouvrent plus de la moitié de la surface du cortex. En effet, les larves et les adultes de S. singularis sont lucifuges et préfèrent s’alimenter sur la partie de la cabosse qui repose sur l’écorce du tronc du cacaoyer. Les dégâts sont donc généralement limités à cette zone. Ainsi, pour les cabosses adultes, ces dégâts sont généralement superficiels et n’entraînent pas directement de pertes de fèves significatives. Toutefois, des cas de pourriture des cabosses du fait d’infections fongiques, facilitées par la présence de crevasses dans le cortex, ont été rapportés (Entwistle, 1972). Quant aux dégâts occasionnés aux chérelles, ils peuvent entraîner des

déformations importantes des fruits en cours de croissance (figure 1.8A), voir le dessèchement du fruit si le pédoncule est atteint (Williams, 1953a).

Figure 1.8 : Dégâts de Sahlbergella singularis sur le cacaoyer. A : piqûres sur une jeune cabosse avec formation de crevasses dans le cortex et déformation du fruit (le fruit a été retourné, les points de piqûres se trouvant au point de contact entre la cabosse et le tronc), B : chancre sur un rameau semi-aoûté, C : chancres sur l’écorce d’une branche, D : dessèchement des feuilles après piqûres des jeunes rameaux, E : « die-back » dû à une infection par un champignon parasite (des gourmands sont visibles au pied des arbres). Toutefois, la plus grande part des pertes de production dues aux mirides en Afrique est due aux attaques sur les rameaux et les branches. Les dégâts occasionnés prennent différents

aspects et sont d’impact variable. Crowdy (1947) décrit en détail l’action de la salive sur les tissus de tiges de semenceaux âgés d’un à deux ans. Peu de temps après la piqûre, il constate un affaissement du parenchyme médullaire de la région corticale. La lésion peut atteindre les rayons médullaires du xylème mais le phloème et le cambium adjacent sont généralement peu touchés. Peu de temps après l’attaque, un cambium secondaire apparaît et élimine les tissus morts de la région corticale tout en remplaçant le cambium primaire atteint par la lésion. Après 12 jours environ, le cambium primaire est rétabli et fonctionne normalement.

Crowdy décrit ici la réaction de cicatrisation de tissus lignifiés, mais lorsque les mirides s’attaquent aux rameaux verts, les lésions entraînent généralement la destruction des vaisseaux conducteurs et une rupture brutale et définitive de l’alimentation en sève de la partie terminale des branches, qui se dessèche (Williams, 1953a). Les jeunes feuilles brunissent mais restent accrochées plusieurs semaines aux branches, donnant au cacaoyer un aspect caractéristique (figure 1.8D). Dans les plantations fortement infestées, ce type de dégâts peut être observé sur de grandes superficies. Ces dégâts apparaissent généralement après la récolte, pendant la période de croissance végétative des cacaoyers, au moment où les larves qui s’alimentaient sur les cabosses sont contraintes de se déplacer à l’extrémité des branches pour s’alimenter aux dépens des jeunes pousses. Ces dégâts, qui peuvent être amplifiés par la saison sèche, sont spectaculaires mais ils n’ont qu’un impact à court terme sur la production car les cacaoyers compensent généralement les pertes de feuillage sans difficulté.

En revanche, certaines zones des plantations, appelées « poches à mirides », présentent des cacaoyers particulièrement endommagés par les attaques répétées de mirides. L’écorce de ces arbres est recouverte de chancres et la couronne comporte de nombreuses branches dénudées, ce qui a valu à ceux-ci le surnom de « tête de cerf » (stagheaded tree) (Williams, 1953a). Ces poches à mirides concernent généralement quelques dizaines d’arbres, qui sont particulièrement improductifs et portent de nombreux gourmands. Ces derniers sont attractifs pour les mirides qui s’y alimentent et y pondent, de telle sorte que ces « poches à mirides » s’installent de manière durable et finissent généralement par entraîner la mort des arbres. Il semblerait que leur apparition soit en grande partie liée à des facteurs environnementaux (voir § 4.8.2.2).

D’après Crowdy (1947), les lésions dues aux piqûres alimentaires des mirides sont, dans la nature, régulièrement infectées par un champignon parasite : Calonectria rigidiuscula (Berk. & Br.) Sacc.. L’auteur montre que, sur des rameaux lignifiés prélevés dans la nature, les lésions infectées par ce champignon sont nettement plus profondes que celles non infectées, atteignant largement le xylème et le phloème. En quelques semaines, les lésions infectées évoluent en chancre sur les branches. Crowdy démontre ainsi le rôle de C.

rigidiuscula dans la formation des chancres, qui s’accumulent sur les branches et le tronc

des arbres et les fragilisent (figure 1.8C). En outre, la croissance du champignon s’effectue à l’intérieur du xylème et du cambium de la plante entraînant des perturbations dans la circulation de la sève. Cela se traduit par la mort de branches entières, de la totalité de la couronne, voire de l’arbre entier (figure 1.8E). Cette maladie, qui se propage de la partie terminale des branches vers le tronc, est couramment dénommée « die-back ». Des gourmands apparaissent généralement sur les parties saines des branches et du tronc (base). La sensibilité des cacaoyers au « die-back » pourrait être amplifiée par une sécheresse intense, pendant l’harmattan notamment (Crowdy, 1947).

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