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1. Boucle : Deltachamx-car [30 janvier – 6 fév rier 2015, Haute-Savoie] Dans le cadre et la ligne du programme DELTATOTAL, cadre variable83 et « ligne chercheuse »,

pour le premier workshop 2015, nous prenons la route en camping-car, au cœur de l’hiver, pour une boucle en montagne d’Annecy à Chamonix (voir Fig. 6).

On parle de boucle quand un parcours se finit (et peut reprendre) là où il a commencé, dont l’arrivée est validée quand le point de départ est franchi à nouveau. Cette notion de boucle nous situe entre sport, La grande Boucle, celle du Tour de France cycliste, et audio-visuel quand il s’agit d’un montage en circuit fermé84. Deux définitions qui semblent complémentaires à l’endroit

du cycle, ce qui peut sans doute expliquer le succès de la formule télévisuelle de l’épreuve : que serait le Tour de France sans la télévision ?85 Si nous nous permettons cette mention médiatico-

sportive, c’est que la boucle à suivre à travers les montagnes et leurs stations emprunte et croise en partie cet univers de l’épreuve par étape, cet esprit de caravane.

À la différence de l’idée implicite de la boucle, notamment audio-visuelle, celle dont il va être question n’est pas produite pour reprendre après une première : elle sera unique.

FIGURE : boucle TERRAIN : neigeux LIEU : Haute-Savoie

PARTICIPANT : étudiants, enseignants, artistes, chercheurs (9) CONTEXTE : workshop inter-écoles d’art & partenariat institutionnel FORME : circulation et exposition

83 Henri Lefebvre, Vers le cybernanthrope, Éditions Denoël, 1967-1971, p. 70 : « (…) de tous côtés “on” s’efforce

de systématiser pratiquement, de déterminer des cadres sociaux extensibles mais invariables en tant que cadres ». À partir de ce problème d’un cadre qui s’étendrait sans varier qu’il nous a paru important de tenter artistiquement de ne pas reproduire cette limite et de travailler à la variation de nos cadres, avec ou sans extension, selon les cas et les situations qu’il nous revient de traiter.

84 BOUCLE, http://www.cnrtl.fr/definition/boucle

85 À propos des enjeux des écrans dans le sport voir Patrice Blouin, Faire le tour, voir les jeux, Ed. Lanceur, 2010.

< Fig. 6

29 Ce dispositif, « Ensemble d'éléments agencés en vue d'un but précis »86, articulant

participants (artistes, enseignants et étudiants en art de différentes écoles et options87),

locomotion (véhicule collectif comme lieu de vie et de production) et étape de monstration de production (aussi bien institutionnelle – musée ; qu’hors institution – parkings de stations de ski, par exemple), ouvre plusieurs rapports à l’art, du lieu de sa production à son exposition. Ce dispositif a connu une période de production dont les étapes et réajustements successifs ont particulièrement engagé sa forme « définitive ». Nous allons rapidement présenter quelques repères et notions pour approcher contextuellement les expériences.

a) Première période : éléments de montage et mise en place de l’expérience Agents : espace, personne, événement

Pour monter une expérience de ce type, c’est à dire aux entrées multiples et variées telles que présentées au-dessus, beaucoup de paramètres, d’éléments et d’événements entrent en jeu en activant des possibilités ou des difficultés : nous pouvons nommer agents ces entités. Qu’ils soient événement, « fait auquel aboutit une situation », « qui s’insère dans la durée »88, ou

personne, mais nécessairement élément actif : déclenchant ou modifiant la situation et les ressorts de la production d’une opération. Un agent est « Ce ou celui qui exerce une action »89. Une

personne agissante engagera une situation ou un événement, une situation ou un événement actif sera relié à des personnes et aussi bien agir sur elle. L’anthropologie de l’art, par exemple, est une théorie de l’art qui considère les objets comme des personnes90. Pour Alfred Gell, « On peut

attribuer une agentivité à ceux (ou aux objets) dont on pense qu’ils initient des séries causales d’un certain type à savoir des événements (…). Un agent est la cause de la production d’événements physiques dans son entourage ; certains événements se produisent suite à l’exercice d’une agentivité ; ils ne sont pas nécessairement ceux que l’agent avait l’“intention” de voir se produire. »91

Cette expérience du programme DELTA TOTAL en Haute-Savoie engage plusieurs types

d’agent - parfois plusieurs agents du même type ; parfois un même agent traverse plusieurs types. Ces agents peuvent volontairement et consciemment agir vers ou pour un objectif, parfois

86 DISPOSITIF, http://www.cnrtl.fr/definition/dispositif 87 Art, design graphique, création littéraire.

88EVENEMENT, http://www.cnrtl.fr/definition/%C3%A9v%C3%A9nement 89 AGENT, http://www.cnrtl.fr/definition/agent

90 Voire les choses entre elles plutôt que la relation avec les institutions, qui serait davantage le champ de la

sociologie. Alfred Gell, L’art et ses agents – Une théorie anthropologique,Les presses du réel, 2009, p. 11.

91 Alfred Gell, L’art et ses agents – Une théorie anthropologique,Les presses du réel, 2009, p. 20.

< Fig. 7

30 ils interviennent sans forcément comprendre l’importance qu’ils prendront ou pourraient prendre dans une opération. Ils sont aussi volontaires et conscients ou « innocents » qu’ils sont toujours pris dans une dynamique qui relie personne et environnement par des situations, dans laquelle la décision ou l’intention des personnes est toujours dépendante de cette composition et influencée par elle. Les événements et les personnes sont liés dans les types d’agent proposés, nous l’avons vu, les personnes déclenchant les événements ou agissant en fonction des événements (les actions des personnes étant parfois déclenchées par les événements). Un événement, telle que définit plus haut, engage les circonstances, les situations, les occasions et les conditions. Nous aurons l’occasion de revenir sur ces notions.

Espace

Ce rapport événement/personne qui se concrétise notamment dans l’espace, comme un support de l’action, « construit » des types d’espace : des lieux dans lesquels, selon la définition de Michel de Certeau, une action se produit. « [E]st un lieu l’ordre selon lequel des éléments sont distribués dans les rapports de coexistence » et dans lequel chaque élément est « situé en un endroit propre » : un lieu « implique une indication de stabilité » quand chez Jakob von Uexküll, biologiste et philosophe, le lieu « représente le plus petit contenant spatial où le sujet ne différencie plus rien »92. Pour de Certeau, « il y a espace dès qu’on prend en considération des

vecteurs de direction, des quantités de vitesse et la variable du temps », « L’espace est un croisement de mobiles »93, « un lieu pratiqué ». Cette activation d’un lieu vers l’espace, le fait

qu’un espace soit la mise en mouvement d’un lieu, sa déstabilisation, renvoie possiblement à une différence de temps. Un lieu serait le passé de l’espace, l’espace le présent d’un lieu. Cette version temporalisée du terrain résonne avec l’observation de Mary B. Campbell (rapportée par B. Westphal dans Le monde plausible) à propos d’Égérie : « il n’y a pas de “lieux”, il y a juste des “lieux” où », des lieux « où il s’est passé quelque chose » ajoute Bertrand Westphal94. Les lieux

seraient ceux de l’histoire, l’espace, celui de l’action. Les lieux portent des noms, les espaces, du mouvement. Certains lieux ne sont plus que des noms, à l’exemple de Babylone, comme le rappelle Bertrand Westphal.

De l’aménagement de l’espace, aux fusées qu’on y envoie, en passant par les soins qu’on prodigue aux espaces verts, Patricia Limido-Heulot, dans son livre Les arts et l’expérience de

92 Jakob von Uexküll, Mondes animaux et monde humain suivi de La théorie de la signification, Denoël, 1965, p. 36. 93 Michel de Certeau, L’invention du quotidien, 1. Arts de faire, Gallimard, 1990, p. 172, 173.

94 Bertrand Westphal, Le monde plausible – espace, lieu, carte, Minuit, 2011, p. 48.

31 l’espace, introduit une approche de l’espace. Du latin spatium, signifiant « champ de course, arène, étendue, durée », terme utilisé principalement pour « mesurer la durée d’une action » il s’étend au trajet, une promenade mais également d’un combat qui peut « s’évaluer en spatium parcouru » (spatiari pour l’action du spatiator, individu qui se promène, flâneur)95. Si l’espace

s’exprime en temps et réciproquement, le temps en quantité d’espace parcouru, l’espace paraît annulé dans sa spécificité96. Paul Zumthor dans La mesure du monde97 indique qu’au moyen-âge

spatium est bien moins utilisé que locus (lieu). Il n’existe pas à cette époque un mot, ni un usage, ni une idée de l’espace tel qu’on l’entend aujourd’hui : la perception de l’espace n’est pas, pour l’auteur, une donnée naturelle, mais résulte d’une histoire et d’une évolution culturelle.

Si pour Descartes, l’espace désigne « l’étendue, ou le milieu dans lesquels ont lieu les phénomènes observés », Giordano Bruno est le premier penseur à concevoir l’espace comme un continuum à trois dimensions, exempt de valeur de croyance98. Alors que l’espace était, pendant

l’antiquité, assimilé au lieu (topos/locus) et désignait essentiellement la place occupée par le corps, c’est à partir de l’influence des recherches des peintres et architectes du Quattrocento que s’ouvre une approche de l’espace qui va contribuer à la conception moderne, « de l’univers clos de l’Antiquité à l’espace infini de la Modernité » (Alexandre Koyré)99.

Kant conçoit l’espace comme une forme a priori de la sensibilité, « une sorte de dimension intrinsèque de l’esprit humain qui fait que nous percevons toutes choses dans l’espace et dans le temps. (…) [C]ondition nécessaire a priori de l’expérience, ce qui rend possible l’expérience des choses mais qui n’est pas soi-même objet d’expérience. »100 L’espace est comme un « toujours-

déjà là » qui permet, qui fait support à la perception ou à l’expérience. Pour Kant, « La perception externe n’est pas une faculté mais une forme de l’esprit, en tant qu’elle suppose l’espace. (…). C’est l’esprit qui fournit l’espace ; c’est donc l’esprit qui constitue le monde externe »101. L’espace

perd alors de sa réalité pour devenir, tel que Leibniz le conçoit, une idéalité qui renvoie à « un système de pures relations, à l’ensemble du mouvement des places possibles qu’une chose peut occuper. »102

95Ibid., p. 64.

96 Patricia Limido-Heulot, Les arts et l’expérience de l’espace, Apogée, 2015, pp. 7, 8. À partir des recherches

actuelles sur l’espace, notamment celles de Carlo Rovelli et des boucles quantiques, une spéculation d’une disparition du temps serait concevable.

97 Paul Zumthor, La mesure du monde - Représentation de l'espace au Moyen Âge, Seuil, 2014. 98 Patricia Limido-Heulot, Les arts et l’expérience de l’espace, Apogée, 2015, p. 9.

99Ibid., p. 11. 100Ibid., p. 13.

101 Gilbert Simondon, Cours sur la perception, PUF, 2013, p. 66.

102 Patricia Limido-Heulot, Les arts et l’expérience de l’espace, Apogée, 2015, p. 14.

32 À partir de ces tensions entre réalité et idéalité de la notion, Patricia Limido-Heulot

propose « d’envisager l’espace relativement aux types d’expérience que l’on peut en faire (…) [interroger] les possibilités concrètes de le vivre. »103 Ce rapport vécu que nous entretenons à

l’espace rejoint l’approche de Michel de Certeau d’un lieu pratiqué, et si c’est la vie, la pratique, l’expérience qui définissent l’espace, alors, comme le préconise Patricia Limido-Heulot, il faut que l’on comprenne ce que l’on désigne par « expérience ». Expérience « naturelle » ou commune de l’espace, expérience scientifique ou savante et expérience artistique ou sensible de l’espace. Une expérience est toujours à double effet : du côté de l’objet (ce que l’expérience nous donne à connaître) ou du côté du sujet (ce que l’expérience nous donne à sentir et à comprendre)104.

D’autres distinctions entre positions expérimentales divisent les perceptions, selon les descriptions lagrangienne et eulérienne : « Pratiquement, on peut dire qu’en description lagrangienne, on suit le domaine dans son mouvement, alors qu’en description eulérienne, on observe l’évolution du système en un point géométrique fixe pour l’observateur »105. Chez

Bergson nous pouvons également trouver une double approche de l’observation dynamique : « il y a deux manières de se représenter [un] personnage ; l’une extérieure, relative, par voie de composition, l’autre intérieure, absolue »106, « connaître absolument, c’est connaître la chose

même ; la connaître relativement, c’est la connaître par un signe. »107 Pour le mouvement,

Bergson reprend une distinction similaire : « Il y a deux manières de l’envisager ; (…) du dehors ou du dedans ; (…) du dehors le mouvement est un déplacement, (…) série de places occupées par le mobile dans l’espace ; envisagé du dehors, le mouvement c’est donc une trajectoire qui se parcourt par la juxtaposition de points à des points »108. Bergson remarque que « nous nous

installons dans l’immobile pour guetter le mouvant au passage, au lieu de nous replacer dans le mouvant pour traverser avec lui les positions immobiles. »109 Et si du dedans nous avons du

mouvement « une impression indivisible »110, toujours d’après Bergson, « nous ne pouvons pas

arriver à représenter le mouvement d’une autre manière, de l’intérieur »111 que celle d’une

« succession de déplacements dans l’espace »112. Ce double effet d’une expérience de l’espace ou

103Ibid., p. 14. 104Ibid., p. 16.

105 Michel Maya, « Cours de Mécanique des Milieux Continus », Arts et Métiers ParisTech Centre d'Enseignement et de

Recherche de CLUNY, année scolaire 2014-2015, p. 10.

106 Bergson, Histoire de l’idée de temps– Cours au Collège de France 1902-1903,PUF, 2016, p. 27. 107Ibid., p. 28. 108Ibid., p. 42. 109Ibid., p. 241. 110Ibid., p. 42. 111Ibid., p. 44. 112Ibid., p. 43.

33 des mouvements, plutôt vécue ou davantage perçue, est celui d’une parallaxe (évoquée plus tôt). Tourner autour d’une chose ou rentrer en elle, selon les deux manières de connaître une chose113. Nous insistons sur ces distinctions comme éclairages et instruments des observations

qui suivront.

Pour Patricia Limido-Heulot, l’expérience artistique permet de sortir de cette binarité objet/sujet par une expérience privilégiée de l’espace, qui s’oppose à l’expérience commune et à l’expérience scientifique. Pour Baldine Saint Girons, la source de ce qu’elle nomme « l’audace de Kant » est cette opération d’un jugement de goût qui se produit à partir du plaisir ou du déplaisir provoqué, qui permet « d’établir un divorce entre jugement esthétique et jugement de

connaissance », l’esthétique contre la logique114. Nous nous pencherons plus loin sur ce que

l’esthétique transmet d’une « pensée qui ne pense pas » ou « pense au-delà du pensable », avec Rancière (L’inconscient esthétique) et sur la manière dont Nelson Goodman (Langages de l’art) réhabilite l’émotion à l’endroit du cognitif.

Nous voyons que l’espace, à travers l’histoire de sa conception, ne perd jamais, tout en se complexifiant, l’approche dynamique d’un mouvement qui le traverse, d’une expérience dans sa durée, celle que le terme spatium envisageait déjà : à la fois une surface et l’action qui s’y déroule. Nous retrouvons chez Emanuele Coccia cette relation entre espace et expérience, l’espace comme l’expérience « où toute chose s’expose à être traversée par toute autre chose et s’efforce de traverser le monde »115 jusqu’à « ne plus pouvoir faire l’expérience d’être dans un

lieu sans retrouver ce lieu en soi-même et devenir donc le lieu de notre lieu »116. Capacité

amphibie à relier les milieux, que nous avions retenu chez l’auteur à propos de topologie, mais ici entre soi comme milieu et le milieu autour, porosité, perméabilité mais également transformation, métamorphose : phénomène topologique ultime entre une organisme et son espace. L’espace entre les choses, conception médiévale de l’espace selon Paul Zumthor, « ce qui est entre : un vide à remplir »117, écart qui se retourne sur lui-même pour se réduire totalement au moment du

passage de l’un à l’autre, de l’un dans l’autre des éléments qui se trouvaient à distance. D’autres distinctions ont cours en terme d’espace selon les domaines et les disciplines d’observation. Chez Jakob von Uexküll dans Monde animaux et monde humain118, l’espace vécu se compose de l’espace actif, tactile ou visuel, et pour chez Henri Lefebvre l’espace peut être conçu,

113 Bergson, La pensée et le mouvant [1934], Flammarion, 2014, p. 210. 114 Baldine Saint Girons, L’acte esthétique, Klincksieck, 2008, p. 112. 115 Emanuele Coccia, La vie des plantes, Rivages, 2016, p. 92. 116Ibid., p. 94.

117 Bertrand Westphal, Le monde plausible – espace, lieu, carte, Minuit, 2011, p. 64. 118 Jakob von Uexküll, Monde animaux et monde humain, Denoël, 1965.

ANN EX E E > Ré cit et e ns eig ne m en t

34 perçu ou vécu, bien qu’ils ne soient jamais séparables mais se rejoignent, qu’on puisse « passer de l’un à l’autre sans se perdre »119, et que « les rapports entre ces trois moments (…) ne sont

jamais ni simples ni stables »120. L’espace vécu est pour von Uexküll celui qui est lié aux

caractères perceptifs à partir desquels « tout sujet tisse ses relations (…) pour faire un réseau qui porte son existence. »121 Il est actif lorsqu’il est celui du « jeu de nos mouvements », l’espace

de notre orientation, selon un système connu de coordonnées qui sert de bases à toutes les déterminations spatiales : l’espace actif pour von Uexküll est celui que nous maîtrisons les yeux fermés, le pas peut être un élément premier de cet espace, comme « grandeur de

mouvement »122. L’espace tactile n’a pas pour élément premier une « grandeur de mouvement »

mais une « donnée immobile » comme le lieu. Ce lieu est celui du toucher en tant qu’il définit des zones plus ou moins sensibles selon les régions du corps considérées. L’espace visuel est celui qui résulte de la correspondance d’un signe local à un élément optique.123

Chez Lefebvre nous avons un espace conçu lorsqu’il y a « représentation de l’espace », perçu lorsque l’espace est pratiqué et vécu, comme espace de représentation124.

Dernière distinction, avant de renoncer à l’exhaustivité des théories spatiales, celle que Deleuze et Guattari ont emprunté à Aloïs Riegl (L'industrie d'art romaine tardive), pour la développer en clôture de Mille plateaux, entre l’espace optique et l’espace haptique. Celui de la vue et celui du toucher (ce qui rencontre une distinction spatiale de von Uexküll), ou encore, le strié et le lisse, l’espace avec repère, dans lequel la vision peut trouver des points pour se situer et se diriger et ainsi contrôler l’espace, et celui dans lequel rien n’est indiqué, si ce n’est le matériau, sable du désert, eau des océans, dans lequel seul le toucher peut nous orienter, aucune distance n’étant perceptible à partir de l’homogénéité environnante. Ces deux types d’espace n’étant jamais complétement distincts et parfois entrelacés, « Même la ville la plus striée dégorge des espaces lisses ».125

Dans les expériences que nous allons traverser nous pourrons tenter de distinguer lieu et espace à partir du stable et du mouvant. Le lieu comme celui d’une histoire, point nommé, pouvant faire repère, objectif, visée, support de stabilité. L’espace comme support d’une

traversée, d’une action possible, d’un élan. L’espace comme surface qui mène au lieu ; lieu, point

119 Henri Lefebvre, La production de l’espace, Anthropos, 2000, p. 51. 120Ibid., p. 56.

121 Jakob von Uexküll, Monde animaux et monde humain, Denoël, 1965, p. 29. 122Ibid., p. 33.

123Ibid., p. 35.

124 Henri Lefebvre, La production de l’espace, Anthropos, 2000, p. 50. 125 Gilles Deleuze, Félix Guattari, Mille plateaux, Minuit, 1980, p. 624.

35 qui limite l’espace comme trajectoire, cheminement. L’espace comme horizontalité, ce qui se déroule, ce par quoi et vers quoi on va, sans connaître à l’avance sa limite ; le lieu comme cadre vertical qui vient rompre, limiter le déroulement en nommant, identifiant, en distinguant. L’étendue que l’espace ouvre sur un plan horizontal est le support du parcours. Cette traversée est rythmée par des plans verticaux comme direction (sens) possible, moment de décision à propos d’un angle choisi pour continuer la traversée.

Un espace peut devenir un lieu, par exemple s’il a été très emprunté et supporte plus d’histoires, de récits que de mouvement (à ce moment l’espace est le passé du lieu, le passage vers le lieu et le lieu, le devenir de l’espace). Un lieu peut devenir un espace lorsqu’il perd son identité pour revenir dans le domaine de « l’expérience anonyme ». Il y aura lieu ou espace, selon la vision qu’on se fait d’une zone, d’un territoire mais surtout selon l’usage qu’on en fait. Le lieu est physiquement statique alors qu’il déroule des récits, l’espace invite au déroulement

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