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L ES B EAUX Q UARTIERS DE L OUIS A RAGON

Regardez, il pousse comme cela près de nous, sans que nous nous en rendions compte, une jeunesse entièrement différente

de ce que nous avons été. L. Aragon, Les Beaux Quartiers272

Lignes de fuite

Les Beaux Quartiers, qui succèdent aux Cloches de Bâle, premier tome du cycle

romanesque du « monde réel », suivent les deux trames opposées des destins de deux frères : l’aîné, Edmond Barbentane, étudie la médecine à Paris, mais se fait peu à peu tourner la tête par une courtisane qui lui ouvre les portes de son univers luxueux; le cadet, Armand, après une enfance très pieuse, se découvre un penchant pour le théâtre et se révolte contre son éducation bourgeoise et conservatrice. La fugue de l’adolescent vers la capitale française constitue le point tournant d’un roman dont l’un des thèmes principaux est la fuite : la mère Barbentane fuit son mari dans une excessive piété; lui-même s’applique à fuir son épouse par son double emploi de maire et de médecin, de même que par ses escapades parisiennes; le carabin fuit ses livres dans les bras de Carlotta et dans l’adrénaline des tables de poker; l’aspirant comédien fuit sa famille et ses concitoyens, qui ne peuvent voir en lui autre chose qu’un futur prêtre, dans le jeu et dans le rêve. Ainsi, à la suite d’une violente altercation avec ses parents, Armand décide de quitter sa petite ville natale du Midi pour rejoindre Paris. Là, il assiste inopinément à la manifestation socialiste contre la Loi des Trois Ans. Au sein de la foule pacifiste, il se sent pour la première fois de sa courte vie si bien semblable aux autres qu’il aspire à s’intégrer à la communauté qu’ils forment.

Alors que les première et troisième parties se terminent pareillement par des réunions publiques, cette scène de rassemblement, intitulée « Paris », survient à la fin de la deuxième partie du roman. Ces trois épisodes ont une fonction structurale claire : « [Le] rôle [de ces scènes

272 Louis Aragon, Les Beaux Quartiers, dans Œuvres romanesques complètes, vol. 2, édition publiée sous la

direction de Daniel Bougnoux avec la collaboration de Raphaël Lafhail-Molino, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 2000 [1936], p. 393. Désormais, les références à cette œuvre seront placées entre parenthèses dans le corps du texte. Les italiques sont de l’auteur, sauf lorsque le contraire est indiqué.

collectives] est souligné par la situation stratégique qu’elles occupent dans [le déroulement du roman] : se trouvant en particulier à la fin de chacune des trois parties de l’œuvre, elles montrent comment les destins individuels sont étroitement liés aux destins collectifs273. » Comme dans les

autres romans considérés dans cette étude, la séquence centrale où l’adolescent est plongé dans la foule parisienne présente une synthèse des représentations socioculturelles déployées dans le récit entier. De même, tout comme il en ira pour la manifestation dans La Conspiration et pour l’attroupement dans Le Sursis, la mise en texte de la célébration antimilitariste des Beaux

Quartiers entraîne d’importantes modifications et décisions scripturales, lesquelles ont pour effet

de distinguer les trois chapitres qui la racontent. La complexité et la densité des moyens qui y sont à l’œuvre mettent en lumière les traits principaux de la poétique développée par Aragon au sein de ce deuxième tome de son roman-fleuve. Le réalisme historique s’y colore de touches lyriques, jusque là laissées à l’écart du projet du « monde réel », sinon dans les passages où la narration fait montre d’enthousiasme partisan. Il s’ouvre davantage aux foisonnements de l’imaginaire, ce qui conduit habituellement l’histoire littéraire à établir un pont entre cette nouvelle manière d’écrire et les textes de la période surréaliste.

Survalorisations linguistiques et stylistiques

La « puissance incantatoire274 » des mots

Ce mélange de registres, particulièrement diversifié dans le livre de 1936, s’observe pourtant dans l’œuvre entière d’Aragon : « [...] le style aragonien est un sismographe qui enregistre chaque variation, chaque secousse d’une parole ou d’une pensée qui se déroule par saccades, heurts et soubresauts. Essentiellement dialogique, au sens bakhtinien du terme, le texte du roman aragonien représente l’hétérogénéité constitutive de tout discours275. » Il partage ainsi avec La Conspiration de Nizan (cf. infra) un héritage baroque, ce « lyrisme de la démesure » identifié par Nathalie Piégay-Gros. Si elle ne se limite pas à cette fonction, la frénésie rhétorique mime dans le deuxième volume du cycle du Monde réel l’attention aux mots que les hébélogues

273 Raphaël Lafhail-Molino, Paysages urbains dans Les Beaux Quartiers d’Aragon. Pour une théorie de la

description dans le roman, Bern, P. Lang, coll. « Publications universitaires européennes », 1997, p. 456.

274 « Il y a des mots qui possèdent pendant un temps variable une puissance incantatoire. » (L. Aragon,

« Introduction à 1930 », La Révolution surréaliste, n° 12 (15 décembre 1929), p. 57.

attribuent aux jeunes gens276. Le narrateur des Beaux Quartiers souligne en effet que ses personnages adolescents sont tous épris de la parole – de la leur avant tout. Tandis que son camarade Pierre soliloque sur la poésie symboliste, Armand disserte en esprit sur l’idéalisme kantien : « Après quoi, il s’enferma pour de bon aux cabinets, histoire d’être vraiment seul. / C’est là qu’il se prit à méditer sur Kant, avec une violence lyrique dont il s’étonna. » (248) La formulation narquoise tourne en ridicule cette passion virulente pour le philosophe de Königsberg en situant les réflexions conduites à son sujet dans les toilettes. La phrase insiste même sur ce détail indélicat au moyen du déictique précédé du démonstratif « c’est là ». Les lycéens mis en texte par Nizan souffrent aussi de kantisme aigu : ils préfèrent s’enivrer de concepts qui exercent sur eux une fascination fétichiste plutôt que de regarder la réalité en face.

Dans le cas du protagoniste aragonien, il ne s’agit cependant pas d’un simple trait de caractère temporairement dominant dans la personnalité encore émergente de l’adolescent. La plupart des personnages des Beaux Quartiers sont à la fois bavards et ratiocineurs, chacun à sa manière. Le maire Barbentane, baratineur professionnel, lui aussi féru d’un romantisme philosophique dont il croit pouvoir dériver une pratique sans faille, affirme à son fils Edmond qu’il se base sur les idées de Kant pour mener sa carrière médicale (315). Plus encore, tous les membres du personnel romanesque accordent une importance excessive aux mots. C’est à ce point qu’ils en ressentent vivement la force perlocutoire, laquelle les atteint physiquement dans nombre de scènes déterminantes pour le cours du récit. S’il est dit d’Edmond qu’« il frissonna du mot » après que Mme Beurdeley lui a glissé ces paroles : « J’ai tout quitté pour toi. C’est fait, comprends-tu? Si tu me chasses, il ne me reste qu’à me tuer... » (348), ce n’est pas parce qu’il craint que sa vieille maîtresse se donne la mort, mais en raison de l’idée meurtrière que le verbe fatidique par elle prononcé implante dans son esprit tourmenté. Ce sont aussi des mots, en apparence bien innocents, qui entraînent un homme à l’assassinat de celui qui a causé son infortune : « [Charles] dit [à Jeanne] : “je t’aime...” Ces mots-là firent tout le mal. Elle le repoussa avec horreur. » (446) C’est encore un mot qui est responsable du dégoût définitif qu’Armand développe pour l’amour malsain de sa mère : « Armand, une seconde, retrouva sa peur d’enfant devant les crises maternelles: “maman!”, murmura-t-il avec une douceur qui lui fit une honte secrète. Ce mot déchaîna le raffut. Esther retentit tout entière du bruit du bois sec quand la flamme s’y met, puis elle hurla soudain avec l’obstination de la chienne. » (251) Même

les effets engendrés par le texte du télégramme que ramasse Edmond, dans une scène fameuse pour son caractère exemplaire de la technique narrative du collage, trouvent leur origine dans quelques mots malheureux aux conséquences funestes : « Il lit : “ma petite fille adorée, je n’ai pas dormi cette nuit, j’ai pensé tout le temps aux mots que tu as dits, à ces affreux mots qui font mal.” » (328) Pour tous ces personnages et pour bien d’autres, l’impact des paroles, plutôt que d’être médiatisé par la connaissance ou relativisé par l’expérience, comme c’est le cas pour les adolescents raisonneurs de La Conspiration, par exemple, se fait sentir directement, dans leur corps même. À cette force du verbe peu d’entre eux résistent, bien que la plupart soient peu ou prou avertis des méfaits qu’elle peut occasionner277.

Dans la même logique, ce sont toujours ceux qui manient la plume avec dextérité ou qui font montre d’une grande performativité langagière qui sont aux postes de commande. Le pouvoir est au bout des mots : ils dominent les autres, qu’ils persuadent facilement par leur(s) « belle(s) parole(s) ». Ils deviennent par conséquent des figures d’autorité ou des gens influents, dont la rencontre jalonne les parcours respectifs des deux frères Barbentane, lesquels entretiennent des relations avec le langage tout aussi intenses mais fort différentes.

Edmond, malgré son fier arrivisme pragmatique278, s’avère particulièrement réceptif aux

résonances ondoyantes des mots. Quoique destiné à la médecine depuis son plus jeune âge, il n’en cultive pas moins une grande sensibilité poétique. Sa faveur va à la « chair inerte » d’« Une martyre » et aux splendeurs inquiétantes de son « cadavre impur » : « Il y avait deux lignes dans les Fleurs du mal qui retentissaient en lui d’une façon bizarre, et qui se prolongeaient toujours pour lui au delà de la raison : “La très-chère était nue, et, connaissant mon cœur / Elle n’avait

gardé que ses bijoux sonores.” » (270) Sa tendance toute baudelairienne à colorer de sombre

277 Le romancier était lui-même très conscient du pouvoir des mots. Il se considérait linguiste, comme il l’a fait

savoir au reste du monde dans le cadre d’un discours prononcé le 7 janvier 1965 à l’Université Lomonossov et resté dans la mémoire vive des spécialistes de son œuvre : « Toute la vie, dans le secret de mon cœur, je me suis considéré comme un linguiste [...]. » (L. Aragon, « Puisque vous m’avez fait docteur », Les Lettres françaises, n° 1063, 14 janv. 1965.) Il connaissait ainsi les travaux de ses prédécesseurs et contemporains dans ce domaine de recherche, comme le corroborent notamment les commentaires de Gaiffier dans Blanche ou l’oubli, en plus d’avoir suscité des réflexions de la part de certains d’entre eux, dont un article notable de Roman Jakobson, qui le classe parmi les premiers des « livres de cette décennie [1960] qui donnent à penser sur les questions fondamentales du langage ». (R. Jakobson, « Le métalangage d’Aragon », L’Arc, vol. 53, mars 1973, p. 79.). Aragon a par ailleurs parsemé son œuvre de commentaires métatextuels sur l’inquiétant pouvoir des mots. Plusieurs chercheurs ont centré leurs travaux sur la complexité du langage et de son effervescence chez Aragon : « Tant il est vrai que la langue, Aragon n’en a pas été seulement un praticien, mais également un technicien et un critique, se faisant tour à tour et parfois de façon récurrente, outre son activité de prosateur et de poète, traducteur, lexicographe et linguiste. » (Cécile Narjoux, « Introduction. “Briser les cadres fixes du langage” », dans Cécile Narjoux (dir.), La Langue d’Aragon. « Une constellation de mots », Dijon, Éditions Universitaires de Dijon, coll. « Langages », 2011, p. 9.)

lyrisme les objets les plus macabres et à prospecter la pépite langagière dans la boue des discours quotidiens vire à l’obsession alors qu’il s’astreint à adopter le latin scientifique et le lexique étiologique dont l’emploi par ses maîtres en chaire le charme au point de lui tourner la tête. Il associe les descriptions anatomiques qu’il découvre dans ses ouvrages scolaires au répertoire métaphorique de son poète favori : « Pour lui, la poésie était là, si je me fais bien comprendre. Les images de Farabeuf parlant du collier à double rang de perles de l’astragale, ou du fichu de la grisette et du schall de la courtisane pour les muscles du dos, cela lui tenait lieu de Baudelaire, cela lui prolongeait Baudelaire. » (216) Pour lui, ces termes recèlent une métaphore dont les développements sont si vastes et si profonds qu’ils sont susceptibles d’expliquer tout ou partie de l’existence. Ces mots « disent plus », pour reprendre l’expression d’Aragon citée en introduction à cette étude : « Des notions comme la chronaxie alors invention encore confidentielle, devenaient d’inestimables trésors pour ses pensées intimes, l’élément premier des métaphores de sa vie. » (216) À l’inverse, la langue « grossière » des internes, cet « argot fait des mots scientifiques et d’une petite dégueulasserie de salle de garde », lui répugne d’une part parce qu’elle rabaisse la taxinomie révérée au plancher souillé de sang et de déjections humaines, d’autre part parce qu’elle accouple les préciosités de la langue latine au bas corporel.

Le texte est parsemé d’italiques et de guillemets pour mettre en valeur ces expressions qui saillent et scintillent aux oreilles et aux yeux du jeune homme. Au fur et à mesure qu’il avance, l’attrait des mots exerce un empire de plus en plus grand sur l’étudiant esthète, à telle enseigne qu’il en vient à subsumer tout l’apprentissage de la médecine sous la seule mémorisation de sa terminologie médicale. Sa capacité à les utiliser et prononcer publiquement le ravit, et le blesse si elle est dépassée par quelqu’un : « L’ambition […] lui faisait apprendre des pages et des pages, et se […] répéter [des mots savants] tout bas, contrôlant sur sa montre le minutage de son débit. L’humiliation aussi parce que cette fille à lunettes, qui était de la même conférence, comment s’appelait-elle? Lagrivelière, Lagrivèlerie? arrivait à parler beaucoup plus vite que lui. » (254) Outre le jeu onomastique – la grive est, comme le merle, un oiseau reconnu pour sa faculté à répéter plusieurs sons – mis en évidence par le redoublement du patronyme, légèrement modifié, l’extrait montre bien le fait que ce sont davantage les lèvres du carabin que ses méninges qui servent son aspiration à la réussite sociale.

Aussi n’est-il nullement surprenant de le voir agir de la même façon dans les occasions mondaines. Honteux du provincialisme de son expression orale car, s’il peut masquer l’accent

chantant, il ne peut éviter les locutions régionales qui lui viennent en bouche, il tend l’oreille et enregistre les formules du beau monde parisien, pour lui inouïes. Au contact de Carlotta, un nouvel univers linguistique s’ouvre à lui. Elle l’impressionne en ornementant ses récits de tournures vigoureusement imagées, qui laissent le jeune homme interdit279 :

Elle avait été malheureuse à Marseille, à cause d’un homme, un forain. Il brisait le fer dans ses dents. « Et les femmes entre ses cils... » Edmond se fit répéter cette dernière phrase qu’il n’avait pas bien comprise. Langage acide que celui de cette délicieuse et provocante fille, où le lyrisme frisait perpétuellement les poncifs des chansons de deux sous, mais que rompait soudain une expression vulgaire, amère, comme un mégot craché […]. (311-312)

La langue de la courtisane gouailleuse – souvent qualifiée de « romanesque », moins en raison du caractère fantasque des histoires qu’elle raconte que de la forme inconsciemment poétique qu’elle leur donne – participe d’une stylisation similaire à celle du deuxième tome du Monde

réel. Elle multiplie les antithèses, amalgame les tons et puise à des sources très éloignées de la

culture française sans les hiérarchiser.

S’il profite de ces perles, dans la mesure où elles contribuent à parfaire son éducation tant sentimentale que sociale, sa préoccupation langagière le ramène toujours à lui-même. Cupide, il collectionne ces « trésors pour sa pensée intime » sans y recourir pour entrer en contact avec ceux qui l’entourent ni envisager les partager ou en nourrir une production artistique. Il les cultive et les retient pour deux raisons différentes, mais non exclusives l’une de l’autre, soit parce qu’ils le distraient, soit parce qu’il caresse le projet de parvenir à mieux se faire valoir grâce à eux. À ses yeux, il ne pourra devenir celui qu’il rêve d’être que s’il est capable d’enjôler à son tour les autres par sa verve, signe incontestable de son « entregent280 ».

Les mots importent toutefois à Armand plus qu’à tout autre personnage des Beaux

Quartiers. Au fil du récit, il présente une impressionnabilité face au langage qui va s’amplifiant.

Ce caractère participerait de la nature générale des néo-pubères, à en croire Pierre Mendousse. Selon ce dernier, « [les mots leur] apparaissent comme des entités douées d’une puissance indéfinie capable de se communiquer aux objets les plus divers sans rien perdre d’elle-

279 Même lorsqu’il sera tout à fait familier avec la façon de parler de sa maîtresse, il continuera de sursauter à

l’occasion à l’écoute d’une anecdote crûment lyrique qu’elle lui rapportera : « Elle raconta la chose à Edmond, très vite, en des termes d’une crudité qui l’atteignirent, lui, le cynique. » (431)

280 « Que diable, on ne se fait pas une place de médecin à Paris rien qu’avec des bouquins! Il faut avoir de

même281. » La parole et l’écriture ne sont pas des tekhnè qui permettraient d’atteindre une fin; elles sont des manières de divinités qu’on ne peut assujettir à ses propres desseins, mais au service desquelles on peut se mettre, pour s’en faire des alliées. Il prend ainsi le contre-pied du rapport utilitaire avec les mots qui caractérise son aîné. Aux yeux de l’adolescent, ces mots contiennent autant de clefs qui le secourront de son enfermement en lui donnant accès à des communautés distinctes de celle dont il provient et en lui garantissant l’entrée en communication avec l’Autre.

C’est le forgeron Avril qui l’éveille le premier à la force libératrice de la langue, lui qui « […] avait un langage à lui, fait de toutes sortes de choses ignorées d’Armand » (93). Ce langage a impulsé ses rêveries étrangères – anciennes et exotiques – puis sa quête de lui-même, hors des voies connues et des options offertes par son milieu. Le mystère celé dans les mots employé par l’artisan pour dépeindre les lieux qu’il fantasme attise la curiosité du jeune garçon sans toutefois l’entraîner dans l’exploration de ceux-ci. Armand se laisse bercer par les paroles d’Avril sans tenter de les comprendre, il n’échange pas avec lui, et poursuit plutôt un soliloque parallèle au sien. Cela crée une apparente conversation qui joue sur deux niveaux nettement contrastés, comme la juxtaposition des propositions des deux locuteurs le souligne avec humour :

À la question sur sa connaissance des îles d’Or, Avril répond par la négative : « Non, à vrai dire. Je n’ai point été jusque-là. J’ai seulement vu Nice et Cannes, quand j’étais militaire… » / Évidemment, Avril avait accompagné Raimbaud d’Orange jusqu’à la nef qui l’avait emporté sur la mer. / […] Soufflez-y sur les couilles [du cheval] pour qu’il se tienne tranquille… » (93)

Comme beaucoup d’adolescents, à en croire les psychologues, Armand peine à faire le lien entre son monde intérieur, foisonnant de visions romanesques et romantiques, et le monde extérieur, à plus forte raison quand sont impliquées les relations sociales. Les fictions qui l’habitent, il les transpose dans la vie réelle, projetant sur ceux qui l’entourent des informations ou des jugements tirés d’elles, même si elles s’avèrent – et pour cause! – complètement infondées ou s’ils les nient littéralement, ce qui creuse forcément une distance avec eux. Dans le cas présent, il s’agit d’une fable à laquelle le jeune garçon ne donne guère créance. Si le texte, au lieu de critiquer cette

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