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La jeunesse bourgeoise se dresse contre la sclérose de ses pères : il serait naïf de croire qu’elle cesse pour si peu d’être bourgeoise.

(L. Aragon, « Sur un certain front unique », Europe, janvier 1933.)

Le « mauvais âge »

Le troisième et dernier roman de Paul Nizan raconte dans un premier temps le cheminement vers le communisme d’un clan de normaliens qui les conduit de la création d’une revue gauchiste à une conspiration avortée. Les deux parties suivantes font le récit de leurs désillusions. Elles focalisent sur le parcours des deux pôles opposés du groupe : le grand bourgeois assertif Bernard Rosenthal, chef de la bande à l’origine du projet de conspiration, et le plus modeste Serge Pluvinage, le seul du groupe à n’avoir pas intégré Normale. L’un se détourne de toute activité politique pour l’amour de sa belle-sœur, lequel le pousse au suicide; l’autre, garçon fuyant et mal aimé de ses pairs, trahit la cellule du parti communiste à laquelle il se joint. À mi-distance entre eux, leur ami Philippe Laforgue est un révolutionnaire modéré issu d’une famille aisée. Bien qu’il ne soit que sommairement présenté par rapport à ses camarades, c’est à lui qu’appartiennent tant la première phrase que le mot de la fin. Outre cet encadrement du récit, la tonalité ironique de ses interventions, qui ressemble à celle de la narration, laisse penser qu’il agit généralement comme relais de la voix narrative. Cela confère un poids particulier à ses paroles. Deux collègues de classe à l’identité floue complètent cette bande : Jurien et Bloyé. Ce dernier fait le pont avec les romans précédents, où son nom figure également. Leur fréquentation commune du prestigieux établissement de la rue d’Ulm explique l’amitié entre ces garçons qui ne proviennent pas tous de la même classe sociale. Ils sont davantage liés par l’étape de la vie où ils se trouvent tous. D’entrée de jeu l’accent est mis sur cette appartenance générationnelle : « C’étaient cinq jeunes gens qui avaient tous le mauvais âge, entre vingt et vingt-quatre ans […]457. »

457 Paul Nizan, La Conspiration, Paris, Gallimard, coll. « Folio», 1973 [1938], p. 12. Désormais, les références à

Définir lapidairement l’adolescence comme le « mauvais âge » ou, mieux, l’« âge ingrat » revient à reconduire un poncif. L’introduction de cette expression négative dans la présentation initiale des protagonistes n’en est pas moins significative. Désignés au gré des pages comme des « jeunes gens », des « jeunes hommes » ou des « adolescents », ces garçons sont toujours considérés en fonction de leur âge, lequel les identifie plus que toute autre caractéristique. Répétant à l’envi l’épithète « jeune » qui marque leur statut de novice, le narrateur extradiégétique se positionne essentiellement vis-à-vis d’eux sur le plan de la maturité. Lui dont l’état n’est jamais précisé jouit toutefois d’une personnalité bien trempée. Son portrait psychologique se dessine en creux au fil de commentaires et de jugements de valeur dont il est prodigue, tant sur les événements historiques que sur les personnages mêmes dont il raconte les mésaventures. Il n’hésite jamais à interrompre une description pour donner son avis sur son objet : « […] des femmes se déshabillaient, mais elles étaient trop loin pour qu’on pût distinguer si elles étaient belles; elles ne l’étaient pas » (12); « Depuis vingt-trois ans qu’il respirait cet air de la Muette – qui ne vaut pas la brise qui souffle à minuit sur les paulownias du parc Montsouris mais enfin – […]. » (17) Ce ton désenchanté de celui qui connaît tout s’aggrave lorsqu’il est question de ses cadets. Démontrant parfois une complaisance presque attendrie, la plupart du temps, il fait en effet preuve d’une âpreté critique à leur endroit, saisissant toutes les occasions pour révéler leurs ridicules, leurs hontes, leurs mensonges : « Ils n’étaient pas modestes, ils se comparaient à de célèbres associations, aux Encyclopédistes, aux Hégéliens » (60); « […] comme c’est facile, une rupture intérieure, qu’aucune action n’atteste que la satisfaction du cœur! » (134); « Enfin, ces soupçons, s’ils se confirmaient, promettaient à Bernard et à Philippe des occasions de parler en justiciers et de se trouver purs […]. » (218) Ces manières de parabases assoient la supériorité du narrateur tout en lui ménageant la complicité du lecteur, lui aussi capable, par ses bonnes grâces, de lire dans le jeu des personnages.

Elles soulignent à grands traits ironiques la légèreté inconséquente de ceux pour qui tout est source de dérision, jusqu’aux occupations qui les mobilisent le plus longuement : « À la rentrée, dit Laforgue, nous pourrons donc publier cette revue, puisqu’il se trouve des philanthropes assez naïfs pour nous confier des argents qu’ils ne reverront pas. » (13) Les déclarations irrespectueuses de ce genre, dont ils sont friands, participent de la façade d’assurance qu’ils érigent pour égaler une galerie dont ils s’imaginent le point de mire. Suivant la doxa de l’époque, ce comportement a trait à l’égocentrisme propre aux adolescents,

généralement adeptes du « culte du moi » rendu fameux par le « prince de le jeunesse » que demeurait encore le « premier Barrès » pour les nouvelles générations de l’entre-deux-guerres. Bernard serait tout particulièrement atteint de ce vice typique. Il fait ainsi valoir à sa belle-sœur, dont il est amoureux, sa spécificité ontologique, laquelle ne fait aucun doute à ses yeux et le place au-dessus de la médiocrité générale : « Des gens comme moi ne peuvent pas se contenter de la complicité. » (186) Les complexes dont est perclus Pluvinage ne l’empêchent pas d’être tout aussi convaincu de sa valeur élevée et de sa destinée singulière : « Vous me paraissiez seuls dignes de moi »; « Les gens comme moi ne doivent être capables de fidélité qu’avec les vainqueurs. » (288) Les projets qu’ils chérissent doivent leur intérêt à ce qu’ils leur donnent de l’importance : la publication de leur revue, Guerre civile, les rend « tous assez fiers d’eux- mêmes à cause de leur nom en capitales dans le sommaire […]. » (44)

La découverte de soi passe pour ces jeunes gens par de minutieuses études de leur reflet dans le miroir. Leurs explorations intellectuelles s’orientent selon cette quête identitaire : « Ils apercevaient une piste et s’y lançaient moins pour s’instruire que par espoir de tomber sur un miroir ou sur une source. » (58) Leurs stimulations spirituelles provenant de l’extérieur se restreignent aux artistes et aux grandes figures historiques, car ils dévalorisent la plupart des adultes qui les entourent, méprisent les aînés qui pourraient agir auprès d’eux en tant que maîtres sinon de modèles. Ils ne se soucient donc guère de s’attirer leur bienveillance ou d’en obtenir des conseils, mais s’ingénient plutôt à les choquer aussi souvent que possible, rassurés des succès remportés par les propos irrévérencieux tenus dans leur revue lorsque leur parviennent « des lettres du ton Jeune-homme-vous-n’avez-pas-honte » (45). Pour ces soi-disant affranchis de leur famille, de leur milieu et de leur classe sociale, seule compte l’opinion de leurs copains : il s’agit bien du regard de l’autre, mais de l’autre en tant que même, puisque ce sont des adolescents comme eux partageant globalement leurs mœurs et leurs valeurs. Ils surveillent ainsi les moindres réponses de leurs meilleurs amis comme s’ils se trouvaient devant des miroirs, ceux-là moins indulgents que ceux de leur propre psyché parfois embuée par leurs rêves : « Que de cascades d’influences, de jeux de reflets sur des glaces, dans la vie des jeunes gens qui se sentent un peu trop invertébrés encore pour marcher sans compagnons, sans confidents et sans témoins. » (96)

Ils s’interrogent automatiquement sur l’avis de leurs camarades devant une de leurs actions ou devant une situation dans laquelle ils se trouvent : « De quoi aurais-je l’air si Bloyé

rentrait, avec cette fille théâtrale, sa figure en transe? » (38); « Essuyez votre bouche, dit Pauline. Si vos amis voyaient tout ce rouge… » (40); « Simon se dit qu’il ne pourrait souffrir l’idée d’être discrédité aux yeux de Bernard […]. » (110) Ce n’est pas en vain, car les critiques acerbes fusent au sein de leur cohorte. La dureté de ces verdicts rendus à l’emporte-pièce cause des ravages chez Serge, dans l’esprit duquel germe un imaginaire judiciaire qui le fait frissonner d’angoisse à la moindre rencontre : « Quelle vie, de vivre dans un monde de regards! Toute l’existence est comme un tribunal plein de juges, qui vous retournent, qui vous pèsent et il n’y a pas moyen de ne pas se sentir coupable » (250); « J’entendrai toujours Rosenthal me demander [raison] d’une immonde voix de juge […]. » (297) Diversement affectés par cette vigilance permanente, tous sentent les regards impitoyables les scruter, à la recherche d’une faille qui les rendrait parjures et bouleverserait la hiérarchie qu’ils sont toujours en train de mettre à jour, selon les déboires des uns et des autres : « Peut-être Rosenthal ne craignait-il pas moins que ses amis, de qui il exigeait d’être constamment approuvé, ne découvrissent des contradictions entre les idées qu’il défendait avec plus d’intransigeance qu’eux-mêmes et le décor familial où il avait encore la paresse de vivre. » (156)

Cette compétitivité féroce qui tend les liens de leur amitié perce dans le texte par la multiplication des locutions adverbiales d’évaluation. La plupart d’entre elles sont employées comme autant de « parades de foire » (221) par ces adolescents incertains d’eux-mêmes, mais souhaitant à tout prix avoir le dernier mot dans les débats qui les opposent : «[…] la Révolution est moins dangereuse pour la santé que les femmes458 » (31); «[…] la bourgeoisie […] leur paraissait enfin moins criminelle et moins meurtrière qu’imbécile » (59); «[…] on aime mieux avoir été complice que naïf » (61-62); « Un homme qui croit en Dieu, il est en proie au sentiment

le plus sordide du monde » (81); «[…] il n’y a pas plus kierkegaardien qu’un État-major » (84);

« […] un maquereau vaut encore mieux qu’un inverti ou qu’une brute » (103-104); « Il n’existe rien de plus honteux que la mort » (269); etc. Il serait possible de réunir ces sentences non dépourvues d’humour en un florilège, à la constitution duquel le narrateur contribue de son côté, puisqu’il y joint des maximes plus sérieuses quoique souvent d’un lyrisme similaire à celui qui parsème les répliques des personnages : «[…] rien ne s’amortit plus vite que les ondes d’un coup de foudre » (57); «[…] les fidélités de parti sont plus puissantes que les fidélités de la mort et du sang » (210); etc. L’omniprésence de ce type de comparatifs dans le discours des personnages

comme dans celui du narrateur témoigne de la persistance en eux d’un souci de distinction typiquement bourgeois. Bien qu’ils croient rêver d’une France communiste, ils ne parviennent pas à concevoir les rapports humains autrement que dans une verticalité qui transpose le modèle de l’échelle sociale capitaliste. Ils reproduisent avec ces évaluations hiérarchiques le comportement de leur famille : « Personne ne s’abandonnait à une paresse naturelle que n’impose guère que la mer ou la neige, les bourgeois moins que personne, qui sentaient vivre au-

dessus d’eux la vieille société provinciale de propriétaires fonciers, liés par d’inimitables

échanges d’hommages encore féodaux […]. » (163) Ces locutions, lorsqu’elles s’insèrent dans des propositions aux sujets plus intimes, servent aux normaliens à se situer eux-mêmes par rapport aux autres : « Ils s’apercevaient qu’ils n’avaient pas été moins dupés au lycée que leurs pères ou leurs frères aînés sur le front » (61); « Tu te rappelles, nous étions stupéfaits que le

premier d’entre nous à franchir le pas fût justement celui qui paraissait le moins sûr, le plus

ambigu… » (217); « J’ai eu tout de suite plus de violence que vous-mêmes. » (281) Elles mettent au jour le présupposé de tout échange cordial qui consiste en un désir plus ou moins admis d’écraser l’autre. La violence verbale que recèlent les comparatifs ressort spécialement des discussions entre Rosenthal et Simon, lequel élève sur un piédestal celui qu’il surestime et tient pour un « philosophe aussi important que Bergson » :

Rosenthal, qui se réjouissait moins de voir son Idée commencer à se réaliser et à commander des gestes réels que d’avoir une fois de plus imposé l’un de ses désirs […] dit enfin à Simon qu’il paraissait ne point se rendre compte de la bassesse de sa vie et que cette indifférence était pire que la délectation même. (108-110)

Dans cette mesure, les contacts que ces adolescents établissent avec les rencontres de passage comme avec leurs proches demeurent toujours indirects et les relèguent à une profonde solitude. Outre cette distance hiérarchique qu’ils creusent toujours davantage entre tous ceux qu’ils côtoient et eux-mêmes, le caractère oblique de leur rapport aux autres s’accentue par la médiation de l’image idéale du « moi social » qu’ils sont constamment occupés à façonner devant leur miroir. C’est avec leur propre reflet en tête qu’ils affrontent le monde, de sorte que la vision qu’ils ont d’eux-mêmes fait écran aux relations qu’ils entretiennent avec autrui, fût-ce avec l’objet d’un amour inévitablement éperdu : « [… Bernard] cherchait simplement l’image de lui-même qui pourrait enfin parmi toutes les figures possibles enchaîner pour toujours Catherine et la décider à l’éclat. » (204) Ce dernier mot est doté d’un triple sens dans ce contexte : tandis

qu’il signale la volonté qui anime Rosenthal de causer avec sa maîtresse un esclandre dans le but de diviser la famille et trahit son ambition d’en faire « éclater » le noyau, il exprime par surcroît le désir semi-conscient de briller sous les feux d’une rampe qui ne s’éteint jamais pour lui.

Les coups de gueule dont ils emplissent leur vie quotidienne s’expliquent alors davantage par un réflexe spéculaire qui confine avec l’usure au spectaculaire : à force de se regarder agir, de passer toutes leurs poses au crible de leur autocritique sévère, ils deviennent pour eux-mêmes d’exigeants impresarios contrôlant l’interprétation du personnage difficile qu’ils incarnent pour le bénéfice des autres, souvent trop occupés d’eux-mêmes pour apprécier ce qu’ils vivent. C’est le cas de nombreux adolescents mis en texte à l’entre-deux-guerres. Si les récits s’acharnent sur leurs ridicules, les personnages eux-mêmes en remettent souvent, ne laissant rien échapper de leurs imperfections qu’ils voudraient éradiquer. Par exemple, Armand Barbentane, ascète fanatique dans son enfance devenu juge impitoyable de sa propre personne, évalue « sévèrement », dans un exercice de casuistique chiffrée dont il a l’habitude, l’importance même de l’attrait du théâtre sur sa vocation religieuse : « Il ne pouvait se dissimuler, par exemple, que dans sa vocation ecclésiastique, il entrait cinquante, soyons francs, soixante pour cent du désir de prêcher, de diriger les âmes, de faire en un mot les gestes du prêtre, plutôt que d’être profondément un prêtre459. » (98) L’adolescent voit clair dans son propre jeu, et jusque dans son désir de jeu.

« Travailler sur soi » équivaut ainsi pour Bernard non à un approfondissement psychologique, mais à la conception d’une « mise en scène » (204) visant à convaincre sa bien- aimée. Comble de l’insatisfaction, les rôles disponibles à l’entre-deux-âges qu’est l’adolescence ne se distribuent que dans le registre médiocre, malgré les efforts déployés par leurs exécutants : « J’ai l’air d’un imbécile, il ne se passe rien. Pas de tragédie. Pas de comédie larmoyante. À peine un drame bourgeois, du mauvais Diderot, ce moyen terme… » (227) Cette piètre théâtralité semble pour Nizan l’un des apanages de l’âge ingrat : dans Le Cheval de Troie, Lange, récemment sorti de Normale comme Bloyé, dont il est le camarade, est toujours en représentation, preuve parmi d’autres d’une immaturité jamais dépassée qui affecte jusqu’à ses choix politiques, dont la fragilité le conduit à se contredire et à trahir ses amis : « Lange n’avait

plus qu’un divertissement : il jouait son propre personnage, il se donnait la comédie460 », « il s’occupait moins de ses passions et ses attitudes. Il se soucie moins d’être que de se poser. » Quelques années avant leur condisciple de la rue d’Ulm, les amis conspirateurs sacrifient chacun à sa manière leurs idéaux politiques à leur « idée théâtrale de la vie » (217). Pluvinage se convainc si bien d’incarner aux yeux de tous le traître d’une pièce dont il ne maîtrise pas la distribution qu’il en vient fatalement à la trahison : « Le désir de justifier votre défiance, cet air d’accusation où mon nom, mon visage, mon enfance me condamnaient à vivre le personnage que vous n’avez jamais pu ne pas me soupçonner d’être » (299); Rosenthal délaisse le complot qu’il a ourdi pour jouer au sein de sa famille les séducteurs d’un mélodrame bourgeois, qu’il magnifie en tragédie sans y croire vraiment : « Si l’amour est perdu, sauvons au moins la tragédie! » (236)

La superficialité dramatique dont ils font preuve dans leurs moindres actions condamne par avance leurs entreprises amoureuses et révolutionnaires, lesquelles ont pourtant pour départ des aspirations sincères. Leur usage de la comédie a brouillé en leur esprit les frontières entre la franchise et le mensonge. Ils sont convaincus d’être la voix par laquelle s’exprime « la sincérité de l’insolence » et d’incarner les principaux responsables du « déclin de l’époque du mensonge » (62). Forts de cela, ils se sentent justifiés de faire la morale à leurs contemporains, particulièrement à leurs aînés : « aucune recherche ne paraissait plus importante [à Rosenthal] que la critique de la mystification et la mise au clair du mensonge. » (61) Ils ferment cependant les yeux sur leur propre hypocrisie : « sa sagesse n’empêche pas le jeune homme de mentir. » (31-32) La lucidité qu’ils manifestent à l’endroit de leurs propres affectations ne les exempte aucunement de complaisance quant il s’agit de se leurrer eux-mêmes pour se préserver de déconvenues trop brutales : « On ne peut pas dire qu’ils soient absolument dupes de leurs discours sur la métamorphose du monde […] » (30); « […] ils accompagnaient encore leurs actes d’illusions qui ne les trompaient pas » (32); « Bernard Rosenthal a l’illusion de demeurer entièrement étranger aux soucis et aux plaisirs pour lesquels vivent les siens. Comment un jeune homme échapperait-il à une illusion si agréable, qui le dispense si vite de résoudre les difficiles problèmes de la classe, de la complicité et du sang? » (133) En toute connaissance de cause, ils miment des sentiments, faux-semblants susceptibles d’assurer le bon fonctionnement des échanges sociaux : « [… ils étaient] trop solitaires pour ne pas s’efforcer de remplacer la réalité

460 P. Nizan, Le Cheval de Troie, Paris, Gallimard, coll. « L’Imaginaire », 2005 [1935], p. 53. Désormais, les

références à cette œuvre seront indiquées par le signe C. suivi du numéro de la page, et placées entre parenthèses dans le corps du texte.

des compagnes nocturnes par les reflets de la camaraderie virile […] » (32); « Laforgue n’était pas dupe des mythes de la consolation. » (239) Ils en viennent naturellement à exagérer leur vigilance par rapport aux apparences et doutent systématiquement de la réalité des êtres qu’ils sont amenés à fréquenter : « […] il faisait si chaud qu’on n’avait pas envie de se passionner pour l’existence des hommes et qu’il n’était même pas facile de se persuader qu’ils étaient autre chose que des images, des projections, des reflets. » (14-15) Les gens, toujours perçus de biais, paraissent autant de reflets, dont la vanité éclate aux yeux de ceux dont les sens sont abusés par les heures passées à se mirer dans la glace et à se composer des visages-paravents. L’image

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