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1. Introduction

1.2. La dynamique de l’ARN

1.2.1. Généralités

Une molécule d’ARN en solution n’est pas présente dans une conformation unique mais sous forme d’un ensemble de structures à l’équilibre. Une représentation utile pour visualiser cet ensemble est celle du paysage énergétique [103, 104] : en représentant les variations d’énergie libre le long de l’espace conformationnel, il est possible d’obtenir une surface dont les vallées (les minima locaux) représentent des états métastables de la molécule étudiée. (Figure 1.9). Une molécule d’ARN donnée va passer spontanément d’une conformation à une autre au

cours du temps à une fréquence et avec une rapidité dépendant directement de l’importance de la barrière énergétique qui les sépare. Connaître le paysage énergétique permet ainsi théoriquement de déterminer la population des différentes vallées et par conséquent la probabilité d’observer le système dans un état donné en solution.

1.2.2. Une dynamique échelonnée dans le temps

Le paysage énergétique est très rugueux : chaque vallée contient à son tour des vallées, et ainsi de suite. Selon l’échelle à laquelle on observe le paysage énergétique d’une molécule, on observe ainsi des ensembles conformationnels différents, ce qui entraîne une hiérarchisation de la dynamique [105] (Figure 1.9). À l’échelle la plus large, chaque vallée représente une structure secondaire stable, séparée des autres par de hautes barrières énergétiques. Les transitions entre ces conformations sont lentes, de l’ordre de la seconde et plus. Au sein de chacune de ces vallées s’en trouvent d’autres qui représentent les variations dans l’organisation des paires de bases à un niveau local. Pour une structure secondaire donnée, il va être ainsi possible d’observer des bris de paires et des changements de partenaire d’appariement au sein des éléments de structure secondaire et tertiaire en des temps allant de la microseconde à la seconde. À une échelle encore plus réduite interviennent les changements de plissement des riboses, les fluctuations d’empilement de bases, les mouvements de résidus non-appariés et les mouvement inter-hélices dont les variations interviennent en quelques pico- à microsecondes. Finalement, les vibrations des atomes autour de la position d’équilibre de leur liaison covalente ont une fréquence de l’ordre de la picoseconde. Il est certain que ces différents niveaux de dynamique n’opèrent pas indépendamment. Le déplacement d’une hélice connectée à une jonction, par exemple, nécessite des déplacements locaux de résidus au niveau de l’interface entre l’hélice et la jonction. Il a aussi été montré que chez les riborégulateurs, des interactions tertiaires permettaient de stabiliser certain type de structure secondaire plus aptes à se lier à leur ligand [106, 107].

La hiérarchisation et l’interdépendance des niveaux de dynamique ont plusieurs conséquences remarquables. En effet, cela souligne l’importance de déterminer à quelle échelle de temps se déroulent les phénomènes d’intérêt et la résolution temporelle des protocoles utilisés pour leur observation afin de pouvoir obtenir des données pertinentes. En outre, s’il est possible

de modifier la dynamique à un niveau différent que celui auquel se passent ces phénomènes, par exemple en empêchant la formation de quelques interactions tertiaires pour changer radicalement les populations relatives des différentes structures secondaires d’un ARN, la connaissance précise du paysage énergétique d’un système devient alors cruciale pour son ingénierie rationnelle. Finalement, on peut constater que des mouvements importants de larges éléments de structure secondaire se font à des échelles de temps relativement rapides. Il est donc important de prendre en compte ces déplacements, qui peuvent radicalement changer l’organisation d’une molécule d’ARN et altérer sa fonction.

Figure 1.9. Hiérarchie des types de mouvements impliqués dans la dynamique de l’ARN. Les lignes pointillées représentent un agrandissement d’un minimum énergétique de l’échelon temporel supérieur. Le premier échelon représente les changements de structure secondaires. Le second échelon comprend les bris de paires de bases (en bleu), les changements de partenaires d’appariement (en rouge) et les appariements tertiaires (en vert). Le troisième échelon comprend les mouvements de résidus non-appariés (en rouge) et les mouvements inter-hélices (en vert). Adapté de [105].

1.2.3. L’étude de la dynamique de l’ARN

La dynamique de l’ARN peut être étudiée par des méthodes biophysiques, biochimiques ou bio-informatiques. Dans les deux premières catégories, on peut d’un côté trouver les techniques qui renseignent sur la dynamique moyenne d’un ensemble d’états métastables, telles la spectroscopie RMN [108] et les expériences de small angles X-ray scattering (SAXS) [109] et de selective 2′ hydroxyl acylation by primer extension (SHAPE) [110] et de l’autre les technique mono-moléculaires comme le single molecule FRET (smFRET) [111, 112] et la cryo- microscopie électronique (cryoEM) [113]. Ces méthodes apportent de précieuses informations mais il n’en existe pas une actuellement qui réunisse les conditions pour une observation complète de la dynamique de l’ARN, soit une méthode capable : 1) d’offrir une résolution atomique et apte à percevoir tous les types d’atomes, 2) d’échantillonner des mouvements à des échelles de temps allant de la pico à la milliseconde, 3) de discriminer les mouvements appartenant à chaque échelon temporel, 4) d’identifier et quantifier les différentes populations de l’ensemble conformationnel, 5) d’opérer dans des conditions expérimentales optimale pour l’observation de la dynamique du système étudié.

Les méthodes bio-informatiques basées sur la dynamique moléculaire, décrites dans la section 1.3, se sont fait une place parmi ces techniques car elles sont théoriquement capables de réunir ces conditions avec l’avantage supplémentaire qu’elles ne nécessitent pas la préparation d’échantillons, l’optimisation des paramètres de réaction et l’utilisation de matériel spécialisé. Bien entendu, des limitations existent. Les simulations de très longues durées (>1ms) demandent des temps de calculs et des ressources informatiques non triviales et sont soumises à des risques d’erreurs de calcul cumulatives. La simulation d’espèces chimiques peu communes comme des bases modifiées ou des ions complexes souffre d’imprécision. Malgré tout, la dynamique moléculaire permet d’obtenir des données inédites à résolution atomique et est maintenant une technique de choix pour l’étude de la dynamique de l’ARN.

1.2.4. Dynamique et fonction des ARN catalytiques

La dépendance de la fonction des ARN catalytiques à leur dynamique est un fait bien documenté. En particulier, le ribosome est une molécule dont l’intégralité de la fonction dépend non-seulement de mouvements inter- et intra sous-unités de grande amplitude centrés sur des mouvements locaux [114] mais également de la flexibilité des ARN de transfert [115]. Les petits ribozymes nucléolytiques sont des modèles très utiles pour comprendre la dynamique de l’ARN puisque leurs mouvements dépendent essentiellement de leurs capacités dynamiques intrinsèques en solution. Les études sur la dynamique de plusieurs petits ribozymes naturel et artificiels ont démontré l’importance de la dynamique à différentes échelles. À l’échelle atomique d’abord, comme dans le cas du leadzyme dont le passage du résidu C6 d’une

configuration C3′ endo à C2′endo est cruciale pour l’activité de clivage [116]. À l’échelle locale ensuite, comme pour l’exploration d’états conformationnels rares par la boucle A du ribozyme hairpin [117]. À l’échelle globale enfin, comme dans le cas de l’exploration de conformation inactives causée par une formation précoce d’un pseudo-nœud par le ribozyme twister [118]. Dans tous ces cas de figure, la réaction de clivage par le ribozyme est très rapide mais le taux de réaction final est fortement influencé par la dynamique intrinsèque du système et sa capacité à explorer des régions de l’espace conformationnel dans lequel les différentes parties du site actif sont dans une conformation favorable à sa formation.