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CHAPITRE II : Impact de l'enfrichement sur la dynamique de population

2.2 Dynamique actuelle d'enfrichement et devenir de la population

Le taux d'enfrichement actuel, calculé sur la période 1992 à 2002, apparaît nettement moindre comparé à celui de la période 1952-1992 (Gourmelon et al. 1995 ; et données issues du programme IFB). De l’ordre de 0,5 %, il est presque 10 fois inférieur à celui estimé sur la période 1952-1992. Un net ralentissement de la dynamique d’enfrichement semble avoir lieu. Les surfaces d'habitats littoraux, parmi lesquels figurent les habitats du Crave, ont de la même façon peu évolué sur cette décennie (18 % de la superficie totale, données issues du programme IFB). Il ne nous a malheureusement pas été possible d'estimer l'évolution des habitats réellement favorables, dans la mesure où nous ne disposions pas d’informations sur la superficie initiale des formations rases. Les prairies pâturées, pour majorité, intérieures et sous pâturées, ne constituent donc désormais que très rarement des habitats favorables au Crave. La dynamique d'enfrichement des habitats littoraux et plus particulièrement des habitats favorables à l'espèce est donc sans doute actuellement à peine décelable. L'incertitude sur l'impact actuel et futur de l'enfrichement sur les habitats du Crave demeure ainsi élevée.

2.2.2 Viabilité de la population de Crave dans un contexte d'enfrichement.

Pour tenter d'évaluer l'impact potentiel futur de l'enfrichement sur la dynamique de population, de nouvelles simulations ont utilisé le Modèle Individu Centré développé précédemment. Deux scénarios ont été envisagés et comparés :

● Scénario A, dans lequel le succès reproducteur est considéré comme fixe (F=1,6 jeunes à l’envol/couple). Se basant sur le fait que les habitats littoraux aurait en fait peu évolué entre 1992-2002, on considère qu’il en sera de même dans l’avenir et donc que le taux de fécondité n’en sera pas affecté.

● Scénario B "catastrophique " intégrant une baisse de la fécondité de 0,5 % chaque année. Dans ce cas, on considère en effet que le taux actuel (1992-2002) d’enfrichement à l’échelle de l’île se traduit directement par la perte d’habitats favorables et que par conséquent, le taux de fécondité étant lié à la superficie d’habitats favorables, celui-ci diminue de 0,5 % par an (voir chapitre 1.2.2).

Figure II-4 : Taille moyenne des populations non éteintes et probabilités d'extinction cumulées en fonction des scénarios. Scenario A (*), Scénario B (▲). [Itérations = 2500 ; N0 =55 ; la structure d'âge à l'initialisation correspond à la structure d'âge stable matricielle]

0 10 20 30 40 50 60 2005 2015 2025 2035 2045 2055 Année T a ille d e la p o p u la tio n 0 0,02 0,04 0,06 0,08 0,1 0,12 0,14 2005 2015 2025 2035 2045 2055 Année P ro a b ilit é d 'e xt in ct io n

Le scénario A prédit ainsi au terme de 50 ans une stabilité de la population proche de l’effectif initial, avec une probabilité d’extinction de l’ordre de 1 %. A l’inverse, le scénario B prévoit une chute des effectifs, passant de 50 individus à seulement 25 en un demi-siècle. Dans ce cas, la probabilité d’extinction de cette population atteint 13 % (fig. II-3).

Conclusions du chapitre II

La dynamique d'enfrichement depuis 1950 est sans doute en très large partie responsable de la diminution de la population de Craves sur Ouessant. Le phénomène a eu d’autant plus d’effet que la diminution de pression de pâturage s’est combinée à un glissement des pâtures, des zones littorales peu productives aux zones intérieures aux conditions édaphiques plus favorables. Entre 1952 et 1992, la dynamique d'enfrichement a ainsi été particulièrement forte (taux annuel de 2 à 5 % selon les zones et habitats) : Les friches se sont installées sur près de 45 % des prairies de 1952, pour la plupart littorales et favorables au Crave (fig. I-4 et fig. II-2 ; Gourmelon et al. 1995). Dans le même laps de temps, les cultures ont progressivement été remplacées par des prairies. 60 % de celles-ci occupent désormais les emplacements de ces anciennes cultures aux sols plus profonds et plus riches. mais plus productives, elles nécessiteraient une pression de pâturage plus importante pour être maintenues rases et se révèlent donc aujourd’hui inutilisées par les Craves.

Les pertes d'habitats favorables au Crave consécutive au processus d'enfrichement sont donc considérables : zones enfrichées, prairies insuffisamment entretenues en cours d'enfrichement, et prairies à la pression de pâturage trop faible pour le maintien d'une végétation rase. En 2002, seuls 3 % des pâtures demeurent favorables aux Craves alors que la quasi-totalité d’entre elles l’était potentiellement en 1952. Les prédictions du Modèle Individu Centré semblent cohérentes avec les observations : la taille de population prédite pour les années 50 est de l’ordre de 80 individus, ce qui était effectivement le cas (chapitre Modèle Biologique, fig. 13) et la stabilité de la population prédite dans le contexte actuel (stabilité de l’enfrichement) correspond à ce qui est observé sur la période 1995-2005.

Si l'enfrichement continue à avoir un impact en termes de perte d'habitats favorables au Crave au même rythme que la progression actuelle de la friche sur l'ensemble de l'île, la population aura alors nettement tendance à diminuer et le risque d'extinction cumulé à 50 ans commencera à devenir sensible (13 %).

A ce stade, l'intérêt du modèle dans une approche prospective reste limité simplement par manque de données (taux d'enfrichement actuel et futur). Répondre à la question du maintien de la population de Craves dans ce contexte d'enfrichement actuel impliquerait deux approches : ● L’une, quantitative, consisterait par exemple à mesurer la réelle évolution des habitats favorables. La cartographie fine mise en place en 2000 constitue en ce sens une base qu'il serait nécessaire de mettre à jour périodiquement.

● L’autre, qualitative, consisterait à prendre en compte les acteurs locaux. En effet, les

incertitudes pesant sur l’évolution de l'élevage ouessantin sont grandes : La pression de pâturage est actuellement assurée à 50 % par un élevage ovin traditionnel familial (une centaine de familles), qui se révèle déclinant, en relation notamment avec la dynamique de la population ouessantine. De plus, de nouvelles pratiques apparaissent, comme les enclos qui réduisent l'importance de la pression de pâturage lors de la vaine pâture et donc particulièrement sur les milieux littoraux. Aujourd'hui, 28 % de la pression de pâturage est assurée par un troupeau de vaches, 16 % par les chevaux du centre équestre. Or, autrefois chevaux et vaches n'étaient présents qu'à l'unité au sein des familles, mais leur présence ne repose désormais que sur quelques personnes pour lesquelles se pose à court terme la question d’un renouvellement

(retraite). Enfin, 6 % de la pression de pâturage est enfin assurée par les chèvres, une pratique nouvelle apparue il y a une dizaine d'années…

Ces aspects qualitatifs sont abordés au travers d'un Système Multi Agents au chapitre V.

Enfin, si l'incertitude semble importante à ce stade, l'enfrichement n'est qu'un des facteurs pouvant influencer la dynamique de population de Crave. La fréquentation touristique, au travers du dérangement (chapitre III) ou du piétinement des habitats côtiers (chapitre IV), est susceptible d'avoir des impacts importants.

C'est ainsi la mise en parallèle de l'ensemble de ces facteurs (chapitre V) qui pourrait permettre de mettre en lumière les zones d'incertitude et de hiérarchiser l'impact de ces différents facteurs.