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Le projet durabilité et l’organisation universitaire : incertitude, évolutivité et complexité paradoxale incertitude, évolutivité et complexité paradoxale

Nous avons pu voir au cours du chapitre précédent que l’institution universitaire et l’impératif de durabilité partagent un certain nombre de traits communs en ce qui concerne leur normativité et les controverses prévalant autour de leur caractérisation.

Ces dimensions ne sont cependant pas les seules formes de correspondance qui relient nos deux objets d’étude. En effet, l’université entendue sous l’angle de l’organisation présente également une série de similitudes avec les conditions de mise en œuvre opérationnelle du projet de durabilité.

Dans le cadre de ce troisième chapitre, nous nous concentrerons sur ces deuxièmes prismes de lecture de l’université et de la durabilité. Contrairement à l’analyse précédente, notre préoccupation sera davantage orientée vers l’analyse de leur dimensions positives et non plus normatives. Il ne s’agit dès lors pas de répondre aux questions du « pourquoi l’université et la durabilité ? » mais bien à celle du « comment ces objets prennent-ils effectivement forme ? ». Il va sans dire que ces deux interrogations sont inextricablement liées bien que, comme nous avons pu l’évoquer au cours du premier chapitre, leur séparation apparaisse utile à des fins de précision conceptuelle.

L’organisation universitaire et la durabilité conceptualisée à partir de ses trois piliers peuvent être rapprochées par rapport à plusieurs de leurs attributs fondamentaux. Ceux-ci sont relatifs, d’une part à l’incertitude et à l’évolutivité inhérentes à ces deux objets et, d’autre part, au systémisme et à la complexité paradoxale qui les caractérisent.

Ces deux groupes de propriétés forment les deux grandes sections structurant ce chapitre. Leur discussion nous permettra finalement de disposer d’une compréhension générale de nos objets d’étude pour, ensuite, nous diriger vers la deuxième partie de ce travail qui porte sur l’articulation de ces derniers dans le cadre plus spécifique de l’évaluation.

Section 1. Incertitude et évolutivité

L’incertitude et l’évolutivité sont deux caractéristiques fondamentales du projet de durabilité et de l’organisation universitaire. Celles-ci sont étroitement liées à la question de leurs temporalités. Plus précisément, ces deux objets partagent la particularité de connaître des évolutions sur des temps relativement longs.

Face à ce phénomène, il s’avère difficile de prévoir les enjeux auxquels l’organisation universitaire et le projet de durabilité se trouverons confrontés à l’avenir. Par conséquent, il est tout aussi compliqué de prévoir les formes d’adaptation qu’ils adopteront, ou devront adopter. Ainsi, bien que leur évolutivité soit indiscutable, la nature de leurs évolutions reste fortement imprévisible compte tenu de l’incertitude omniprésente dans leur analyse.

Nous entamerons la présente section par l’analyse de ces problématiques dans le cadre du projet de durabilité (1.1). Dans un deuxième temps, nous exposerons les implications de l’incertitude et de l’évolutivité sur la structuration l’organisation universitaire (1.2).

Temps long, incertitude et multidimensionnalité du projet de durabilité 1.1

Comme nous avons pu le mentionner précédemment, les scientifiques peinent à s’accorder sur les conditions opérationnelles de mise en œuvre du développement durable. Si cette absence de consensus peut s’expliquer par les divergences épistémologiques et méthodologiques propres à chaque discipline ou école de pensée, elle est également imputable aux caractéristiques même du projet de durabilité. Dans le domaine de la science économique, la diversité des enjeux advenant sur des périodes de temps relativement longues est à l’origine d’une incertitude importante qui rend leur examen difficile.

L’analyse économique des problèmes environnementaux fait face à plusieurs difficultés en raison de leurs temporalités. Plus précisément, les modèles d’évaluation de l’action optimale aboutissent rarement à des conclusions similaires du fait de divergences dans les hypothèses de base retenues par les auteurs, et particulièrement sur le choix du taux d’actualisation114 (Stern, 2007 ; De Bruin et al., 2009).

L’étude des cycles naturels requiert la prise en compte d’horizons temporels sensiblement élevés et différenciés : les mesures de prévention des enjeux reposent sur des

114 Le taux d’actualisation est un paramètre incontournable dans l’étude économique d’un projet d’investissement. Son application entraîne une valorisation supérieure du présent par rapport au futur.

coûts à supporter maintenant tandis que les avantages (en matière de dommages évités) ne se feront ressentir que dans des dizaines, voire des centaines, d’années.

Avec l’utilisation de taux d’actualisation « traditionnels», la valeur économique des dommages environnementaux survenant à très long terme est réduite à des niveaux insignifiants en comparaison avec les coûts de leur atténuation (OCDE, 1995). Les recommandations scientifiques pourraient donc privilégier l’implémentation de mesures d’atténuation plus tardives, ou encore pointer la sous-optimalité de l’objectif de soutenabilité. A ce propos De Bruin et al. (2009) précisent qu’étant donné l’utilisation de taux d’actualisation élevés : « Il y a une chance que les décideurs politiques ne considèrent pas le contrôle optimal à long terme mais seulement dans un futur proche. En d’autres termes, le monde est myope115» (p.25). Il s’agit dès lors de ne pas laisser la détermination de ce niveau d’actualisation au hasard mais bien d’estimer celui-ci de façon appropriée face à la problématique étudiée (OCDE, 1995 ; Stern, 2007b).

Au-delà du problème de l’actualisation, l’éloignement temporel est également à l’origine d’un haut degré d’incertitude dans l’examen des problématiques relatives à la soutenabilité du développement. Dans ce cadre, il apparaît impossible d’anticiper l’ensemble des impacts associés aux dégradations environnementales. L’incertitude est ainsi entendue au sens de Knight (1921) : elle est non-probabilisable (Faucheux et Noël, 1995).

L’incertitude est davantage renforcée par notre méconnaissance des spécificités du capital naturel. Celui-ci se trouve composé d’une multitude d’éléments hétérogènes et multifonctionnels difficilement appréhendables dans leur intégralité par l’esprit humain. En conséquence, il nous est difficile de prévoir précisément la nature des phénomènes environnementaux à l’origine des enjeux auxquels les sociétés sont, ou seront, confrontées.

Cette observation peut être illustrée à travers l’exemple du changement climatique. Dans ce domaine, les boucles de rétroaction représentent une contrainte importante pour l’estimation de l’ampleur du réchauffement futur (IPCC, 2014).

Une première forme de rétroaction est relative à la vapeur d’eau qui constitue le premier GES (Gaz à Effet de Serre) naturel116 (Devret, 2007). Avec la hausse des

115 Traduction personnelle de l’expression originale : « There is a chance that policymakers do not look at the optimal control over time but only consider the near future. In other words, the world has a myopic view. ».

116 Le CO2 est bien le premier GES de source anthropique contribuant au réchauffement climatique, mais l’effet de serre est un phénomène qui existe depuis toujours. Sans celui-ci la température moyenne sur Terre ne serait pas de 15°C mais de -18°C (Baechler, 2006). Les nuages sont dans ce contexte le principal GES d’origine naturelle.

températures, la vaporisation des sources d’eau liquide s’accentue et la vapeur d’eau, en plus grande quantité dans l’atmosphère, contribue à la poursuite du réchauffement.

Un deuxième mécanisme de rétroaction découle du phénomène d’albédo des surfaces terrestres. On entend par albédo la capacité de réflexion de l’énergie solaire par une surface donnée. La glace et la neige possèdent toutes deux un albédo élevé (elles réfléchissent respectivement 60 et 90% de l’énergie solaire). A l’opposé le sable ne réfléchi que 30% de cette énergie et l’eau environ 10%. Le réchauffement climatique, responsable de la dilatation thermique des océans, de la fonte les glaces et de la désertification, réduit la capacité de réflexion globale de la Terre et engendre une nouvelle hausse des températures.

Une troisième crainte d’auto-amplification du phénomène est liée à la fonte des glaces polaires et notamment du permafrost sibérien (Schuur et al., 2011). L’épaisse couche de glace recouvrant cette zone contiendrait, selon les estimations, des milliards de tonnes de méthane. Si cette glace venait à fondre elle pourrait libérer dans l’atmosphère de grandes quantités de GES, ce qui accentuerait d’autant plus le réchauffement.

L’ampleur que prendra le réchauffement à l’équilibre est difficilement prévisible. L’état actuel des connaissances scientifiques ne permet pas d’évaluer avec certitude l’influence et l’importance des différentes boucles de rétroactions. Ainsi, même si l’on parvenait à stabiliser les concentrations atmosphériques de GES à leur niveau actuel, il est probable que l’élévation des températures se poursuive à hauteur de 1,5°C (IPCC, 2014b). En d’autres termes, les effets de rétroactions auront probablement pour conséquence de doubler la hausse des températures déjà enregistrée depuis la révolution industrielle.

A côté de notre méconnaissance des phénomènes environnementaux, une deuxième forme d’incertitude est relative aux conséquences de ces évolutions sur le système humain. Si l’on reprend l’exemple du changement climatique, ces impacts apparaissent divers et variés.

Il portent, tout d’abord, sur les ressources en eau. Celles-ci sont appelées à se raréfier à l’avenir, principalement dans les pays en voie de développement. A cet égard, le réchauffement jouera probablement un rôle non négligeable via la fonte des glaces de terre, la salinisation des nappes phréatiques et la modification des précipitations.

La fonte des glaces de terre touche particulièrement les glaciers de haute altitude qui représentent la principale source d’alimentation des grands fleuves asiatiques comme, notamment, le Gange, le Brahmapoutre, le Mékong, le fleuve Jaune et le Yangzi Jiang (Brown, 2003). La surface des glaciers diminuant, les débits de ces fleuves devraient atteindre un pic entre 2050 et 2070 provoquant d’importantes crues dans les vallées annexes, après quoi

ils commenceront à se tarir plongeant dans une situation de stress hydrique plus d’un sixième de la population mondiale vivant dans ces régions (IPCC, 2014c ; Devret, 2007).

En ce qui concerne les précipitations, celles-ci risquent d’augmenter dans les régions à moyennes latitudes et de diminuer aux basses latitudes, notamment en Afrique. Selon les projections, le phénomène de pauvreté hydrologique sera accentué et touchera 75 à 250 millions de personnes sur ce continent d’ici 2020 (GIEC, 2007).

Un deuxième enjeu est relatif aux pertes de biodiversité dont les conséquences pour le système humain sont difficilement quantifiables. A l’heure actuelle, les dégradations d’habitats et l’exploitation des ressources par la chasse et la pêche représentent la majorité des pressions humaines sur les écosystèmes117 (McLellan et al., 2014). A l’avenir, la contribution du réchauffement est toutefois appelée à s’élever via l’appauvrissement des ressources en eau et le dérèglement des écosystèmes. Ainsi, l’acidification des océans résultant des émissions excessives de GES entraînera l’extinction d’un grand nombre d’espèces marines.

Les pertes de biodiversité constituent une menace pour de nombreux services écosystémiques et pour la pérennité des ressources halieutiques dans des régions où la pèche constitue la principale denrée alimentaire (IPCC, 2014c). D’autres conséquences peuvent être mises en évidence en matière de santé humaine et d’avancées médicales. Aujourd’hui, un quart des médicaments modernes trouvent leurs origines dans le patrimoine génétique conservé par les plantes. La réduction de ce patrimoine en raison des pertes de biodiversité diminue donc les chances de découvrir de nouveaux médicaments et représente un coût d’opportunité non négligeable (Bontems et Rotillon, 2007).

Une troisième conséquence du changement climatique sur les sociétés humaines est la hausse du niveau des mers. Cette élévation dépend de deux facteurs, la dilatation thermique et la fonte des glaces de terre, tous deux influencés par le réchauffement. Les projections relatives à la hausse du niveau de la mer sont entourées d’incertitudes car elles dépendent en grande partie de l’évolution future des nappes glaciaires de l’Antarctique et du Groenland118.

117 Entre 1970 et 2010, les populations d’animaux vertébrés mesurées par le Living Planet Index ont été réduites, en moyenne, de 39% pour les espèces terrestres, 79% pour les populations d’eau douce et de 39% pour les espèces marines (McLellan et al., 2014). Selon ces mêmes estimations, l’exploitation et la dégradation des habitats représentent près de 70% des pressions humaines sur les milieux naturels. Le réchauffement, pour sa part, y contribue à hauteur de 7% au même titre que les espèces invasives (5%) et la pollution (4%).

118Dans ce domaine les estimations prévoient que si l’inlandsis groenlandais dont l’épaisseur est en moyenne de 1,5 km, venait à disparaître, cela provoquerait une élévation du niveau des mers de 7 mètres (Brown, 2003 ; IPCC, 2014c). Selon le GIEC ce phénomène est susceptible d’apparaître avec une élévation des températures comprise entre 1° et 4°C.

L’élévation du niveau de la mer constitue une menace pour les zones côtières parfois densément peuplées. Celles-ci seront sujettes à des phénomènes météorologiques extrêmes, à l’érosion des côtes et à des inondations récurrentes (IPCC, 2014b). Certaines zones sont même vouées à devenir inhabitables, le réchauffement mettant en péril l’intégrité territoriale d’îles et de régions continentales situées à trop faible altitude (Burkett, 2011).

Le quatrième type de conséquence attendue du réchauffement climatique est relatif à l’augmentation du nombre et de l’envergure des phénomènes climatiques extrêmes. De grandes incertitudes subsistent quant à la compréhension et la prévision de ces phénomènes mais le suivi des tendances passées soulève plusieurs inquiétudes. Ainsi, le Munich Reinsurance Group, 2ème entreprise mondiale dans le secteur de la réassurance, soulignait en 2000 que les fréquences d’apparition de catastrophes naturelles avaient été multipliées par quatre entre 1950 et 2000 (Munich Re, 1999). Les pertes économiques associées ont, pour leur part, subies une progression de 1300% sur la même période.

Face à l’ensemble de ces impacts, il est vraisemblable que les populations humaines adopteront une série de réactions susceptibles d’amplifier les retombées négatives du réchauffement. Ce cinquième type d’impact, d’ordre non plus environnemental mais social, prendra probablement la forme d’un accroissement des conflits et des flux migratoires.

En ce qui concerne les pays industrialisés, leurs situations géographiques et leurs niveaux de développement diminuent leur vulnérabilité face aux conséquences du réchauffement. Il est cependant à craindre que les problèmes d’accès aux ressources naturelles et les pénuries mondiales qui se profilent alimentent les conflits entre régions (IPCC, 2014c ; Buckley et al., 2010 ; Blattman et Miguel, 2010 ; Devitt et Tol, 2012).

Par ailleurs, d’importants flux migratoires sont également attendus suite aux conséquences du réchauffement. Les « réfugiés climatiques » seront probablement chiffrés en centaines de millions même s’il est difficile d’en évaluer précisément la portée du fait du caractère multi-causal de ce type de phénomènes (GIEC, 2007 ; IPCC, 2014c).

La liste des conséquences du réchauffement climatique est longue et ne se limite en rien aux quelques éléments évoqués ci-avant. Nous pourrions également mettre en évidence les déplacements des vecteurs de maladies infectieuses vers le nord suite à l’élévation des températures ou encore les risques encourus par les populations indigènes isolées, notamment dans l’Arctique, dont les modes de vie risquent d’être sensiblement bouleversés119.

119 Les projections d’élévation des températures mentionnées dans cette partie sont des estimations moyennes globales, les incidences des changements climatiques n’étant pas réparties géographiquement de manière

Finalement, il convient de souligner que l’horizon de long terme constitue également un obstacle pour l’anticipation des préférences des générations futures. L’estimation de ces dernières est toutefois nécessaire pour déterminer les modalités à travers lesquelles les individus pourront répondre à leurs besoins. Combiné à l’impossibilité d’anticiper précisément les enjeux environnementaux et leur conséquences, cette troisième forme d’incertitude entrave notre capacité à identifier les mesures d’atténuation adéquates à mettre en œuvre. Ainsi, l’épuisement d’une ressource naturelle a priori inutile présente le risque d’éliminer des possibilités de consommation futures dont nous pourrions, aujourd’hui, ignorer l’utilité.

Le réchauffement climatique n’est qu’une thématique parmi d’autres du projet de durabilité mais présente l’avantage de refléter sa multidimensionnalité et son caractère global. Le constat qui ressort de son examen celui de la grande diversité des enjeux et de leur conséquences sur les systèmes humains et naturels. Cette caractéristique amplifie l’incertitude inhérente à leur étude. Face à cette incertitude, il est vraisemblable que les objectifs et les priorités de la durabilité évolueront au fur et à mesure que de notre connaissance de ces phénomènes se développera et que de nouvelles problématiques apparaitront. Le projet de durabilité est, à cet égard, un concept évolutif.

L’organisation universitaire : dépendance au sentier et isomorphisme 1.2

institutionnel

A l’instar du projet de durabilité, l’organisation universitaire apparaît également comme un objet évolutif. Tout au long de l’histoire, elle fut marquée par une série de phénomènes d’adaptation, de sélections des traits, de diffusion des meilleures pratiques ou encore de résistances internes aux réformes réglementaires imposées de l’extérieur.

Au cours du chapitre précédent, nous avons pu voir que les évolutions de l’institution universitaire étaient le résultat de l’interaction entre les intérêts d’une pluralité d’acteurs dont les rapports de pouvoir ont varié avec le temps. Si ce cadre analytique s’est révélé opportun pour représenter les mutations de l’université depuis sa création, il n’est pas suffisant pour faire état de l’ensemble des mécanismes déterminant ses transformations.

Plus précisément, l’institution apparaît comme une référence centrale dans la construction des formes organisationnelles de l’université. Elle fait partie intégrante des

uniforme. Il est généralement reconnu que le réchauffement sera à son maximum aux plus hautes latitudes de

représentations des individus et oriente leurs intérêts et leurs actions. L’organisation universitaire est donc le produit de sa réalité en tant qu’institution.

Cette affirmation repose sur les hypothèses d’incertitude et de rationalité limitée des acteurs. Ces dernières ont donné lieu à l’élaboration de cadres d’analyse évolutionnistes et institutionnalistes permettant d’expliquer l’apparition de certaines mutations organisationnelles. De manière générale, ces transformations découlent de l’importance des structures institutionnelles qui encadrent le comportement d’individus opérant selon une série de routines (March et Simon, 1958).

Par conséquent, les acteurs façonnent les organisations et participent à l’évolution des institutions, mais ces dernières exercent également une influence sur les représentations individuelles et, de ce fait, sur les structures organisationnelles. L’influence entre ces différents niveaux est réciproque et multilatérale (Emery et Trist, 1965).

Dans cette partie, nous nous concentrerons sur la discussion des mécanismes à travers lesquels la réalité institutionnelle de l’université influe sur les structures de son organisation120. De manière générale, ces transformations sont le fruit de deux principales dynamiques : la dépendance au sentier et l’isomorphisme institutionnel.

1.2.1 Dépendance au sentier

Un premier constat qui ressort de l’examen de l’évolution de l’organisation universitaire est son inscription dans une dynamique de dépendance au sentier (Lanciano-Morandat et Verdier, 2004 ; Musselin, 2009).

Initialement introduite par Paul David (1985) pour expliquer les phénomènes de verrouillages technologiques sur les marchés, la notion de dépendance au sentier fut davantage précisée par North (1990). Selon cet auteur, une institution est avant tout le produit de son histoire. Elle ne peut donc être comprise dans sa forme effective à l’instant t sans s’intéresser aux évolutions qu’elle a traversée aux temps t-1, t-2, voire t-n, n constituant le nombre de périodes séparant le présent de l’époque à laquelle elle est apparue.

120 Il convient de garder en mémoire que celles-ci ne sont pas les seuls facteurs d’évolution de l’organisation. Elles s’accompagnent des manœuvres stratégiques d’individus qui – bien que dotés d’une rationalité limitée – ne sont pas pour autant entièrement dépourvus d’informations et de capacités cognitives permettant de les traiter. Ces derniers n’agissent pas uniquement de manière « réactive » – en reproduisant machinalement des pratiques ou des structures – mais ont également un comportement « proactif » qui relève de leurs intérêts, croyances ou idéologies. Notre argumentaire s’inscrit ainsi dans la lignée des conceptions formulées par plusieurs auteurs tels que Giddens (1984), Jepperson (1991) ou encore Rojot (1997) selon lesquels les phénomènes institutionnels ne peuvent être exhaustivement analysés en faisant l’économie d’une théorie de l’acteur et de ses actions. Dans ce cadre, l’organisation universitaire est le résultat d’interrelations réciproques entre des structures, des intérêts et des interventions qui s’entrecroisent pour finalement donner lieu à un objet singulièrement complexe. Nous reviendrons sur cette question dans la deuxième section de ce chapitre.

Un deuxième élément central qui ressort de l’analyse de North est l’importance de l’environnement dans lequel se trouve l’institution. Appliquée à notre objet d’étude, cette constatation revient à souligner l’affiliation des universités à leur contexte et, compte tenu de la première proposition, de l’évolution de ce dernier. En d’autres termes, des réformes au contenu identique appliquées aux établissements d’un pays A et d’un pays B, n’aboutiront pas