• Aucun résultat trouvé

Le droit au respect de son domicile

Si le Défenseur des droits a noté une suspension des expulsions des lieux de vie implantés sur le territoire de la ville de Calais pendant la première partie de l’année 2015, il n’en demeure pas moins saisi pour les périodes antérieures (évacuation du 2 juillet 2014 notamment) et pour des faits plus récents (évacuations du 21 septembre 2015, cf. infra, partie II). Indépendamment des conditions matérielles dans lesquelles se sont déroulées ces évacuations et qui font l’objet d’un examen approfondi des services du Défenseur des droits, il semble qu’aucune des opérations n’ait été précédée d’un diagnostic social qui aurait permis d’envisager la mise en œuvre de la continuité des droits des occupants ainsi que des solutions alternatives d’hébergement.

Dans l’attente de la mise en œuvre d’une politique volontariste de résorption des bidonvilles en France, dont l’impérieuse nécessité a été soulignée à plusieurs reprises, notamment par

le Défenseur des droits41, il convient de rappeler la protection qui est dévolue au domicile par l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme. À cet égard, la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme est claire, précisant qu’entre dans le champ de cette protection tout abri considéré par une personne comme le lieu où elle se sent chez elle, et cela même lorsqu’il s’agit d’abris de fortune (tentes, cabanes, etc.)42.

C’est à l’aune de cette jurisprudence que doivent être menées les visites des forces de l’ordre sur les terrains occupés sans droit ni titre ainsi que, le cas échéant, les expulsions de ces terrains. Sur ce point, la circulaire interministérielle du 26 août 201243 doit trouver à s’appliquer pleinement, notamment concernant la procédure juridictionnelle à respecter, l’obligation de continuité des droits, la préservation des biens personnels, etc.

À cet égard, l’ensemble des préconisations que le Défenseur des droits a eu l’occasion de formuler dans son rapport sur les campements dits « Roms » de juin 2013 peuvent être réitérées s’agissant de la situation des migrants de Calais44. Dans le même sens, la Commission nationale consultative des droits de l’Homme (CNCDH) a demandé, en février 2015, l’arrêt des expulsions sans proposition de relogement et le respect de la trêve hivernale pour les populations occupant les bidonvilles45.

Sur ce point, le Comité européen des droits sociaux (CEDS), saisi de la conformité à la Charte sociale européenne révisée des procédures d’expulsions de bidonvilles menées par la France, avait déjà constaté, dans une décision du 11 septembre 2012, que la protection juridique des personnes visées par ces menaces d’expulsion était insuffisante dès lors que cette procédure pouvait avoir lieu à tout moment de l’année, notamment en période hivernale, de jour comme de nuit. Ce dispositif a été condamné par le Comité comme contraire au respect de la dignité humaine46.

Dans le même sens, dans sa décision du 10 mars 2011, le Conseil constitutionnel avait déjà censuré les dispositions permettant aux préfets de procéder à l’évacuation forcée des lieux occupés sans droit ni titre, notamment en ce qu’elles permettaient de « procéder dans l’urgence, à toute époque de l’année à l’évacuation, sans considération de la situation personnelle ou familiale, de personnes défavorisées et ne disposant pas d’un logement ».

Parmi les arguments ayant fondé la censure du dispositif, l’on retrouve le principe de l’interdiction d’expulser les occupants de terrains ou d’abris de fortune pendant certaines périodes de l’année47.

Par ailleurs, les juges ont accordé à de nombreuses reprises des délais pour l’exécution des décisions de justice prononçant l’expulsion des occupants de tels terrains. Dans le cadre de plusieurs de ces contentieux, le Défenseur des droits avait présenté des observations. Ce faisant, ils ont reconnu le droit de ces derniers de se prévaloir des dispositions du code des

41 Défenseur des droits, Bilan d’application de la circulaire interministérielle du 26 août 2012 relative à l’anticipation et l’accompagnement des opérations d’évacuation des campements illicites, Août 2012-Mai 2013.

42 La notion de domicile inclut notamment le cas de personnes vivant sous une tente (CEDH, 24 novembre 1986, Gillow c. Royaume-Uni, req. n° 9063/80 ; CEDH, 19 septembre 2006, McKay-Kopecka c. Pologne, n° 45320/99).

43 Circulaire interministérielle NOR INTK1233053C du 26 août 2012 relative à l’anticipation et à l’accompagnement des opérations d’évacuation des campements illicites.

44 Défenseur des droits, Bilan d’application de la circulaire interministérielle du 26 août 2012, op. cit.

45 CNCDH, Avis sur le respect des droits fondamentaux des populations vivant en bidonvilles, « Mettre fin à la violation des droits », 20 novembre 2014 (JORF n°0034 du 10 février 2015).

46 CEDS, 11 septembre 2012, Médecins du monde international c. France, Décision sur le bien-fondé, récl.

n°67/2011, §§ 55, 73-82.

47 Conseil constitutionnel, 10 mars 2011, DC n°2011-625.

procédures civiles d’exécution (articles L.412-3 et L.412-4 notamment), considérant que le champ d’application de ces dispositions devait s’étendre aux abris de fortune, terrains nus ou caravanes lorsque ceux-là constituent la seule habitation des personnes visées par la mesure d’expulsion48.

Récemment, dans un arrêt du 22 janvier 2015, la Cour d’appel de Paris a considéré que ces dispositions trouvaient à s’appliquer « même pour un simple baraquement précaire qui, quel que soit son niveau de confort et de salubrité, constitue un local d’habitation comme tout lieu couvert où des personnes habitent de façon durable »49.

Ces jurisprudences internes vont dans le sens de la jurisprudence relative à la protection du domicile, développée par la Cour européenne des droits de l’Homme sur le terrain de l’article 8. Or, les procédures d’expulsion mises en œuvre par les autorités françaises dans le cadre de l’occupation de terrains sans droit ni titre soulèvent des difficultés au regard des obligations qui incombent à la France en vertu de la Convention européenne des droits de l’homme. C’est pourquoi, saisi d’un nombre élevé de cas d’évacuations de campements par les pouvoirs publics, le Défenseur des droits a décidé de présenter, en 2014, une tierce intervention devant la Cour européenne dans l’affaire Hirtu et autres c. France (req. n°

24720/13)50. Cette affaire, encore pendante devant la Cour, soulève la question de la conformité des procédures d’expulsion des familles en situation d’extrême précarité aux articles 3 et 8 de la Convention, appréciée au regard des conditions dans lesquelles ces expulsions ont lieu, de leurs répercussions sur les conditions d’existence des familles, en particulier des enfants, et de l’effectivité des voies de recours existantes.

Ayant été saisi, encore récemment, de réclamations relatives à l’évacuation de squats de migrants établis dans le centre de Calais, le Défenseur des droits entend rappeler que les évacuations de terrains occupés sans droit ni titre, pour être conformes aux exigences nationales et internationales relatives au droit à disposer d’un abri et à la lutte contre les exclusions, se doivent de respecter l’invitation faite aux préfets par la circulaire du 26 août 2012 d’assurer un accompagnement des personnes expulsées et de rechercher pour elles un hébergement d’urgence. Aucune évacuation ne devrait donc être réalisée sans que la continuité de la scolarisation et de l’accès aux soins ne soient garanties, ainsi que le préconise la circulaire interministérielle du 26 août 2012.

S’agissant des évacuations engagées sans mise en œuvre des mesures de préparation et d’accompagnement préconisées par la circulaire en matière d’hébergement, de scolarisation et d’accès aux soins, le Défenseur des droits réitère ses recommandations tendant à ce que celles-ci n’interviennent pas sur le fondement de notions générales telles que l’insalubrité ou l’insécurité, mais soient limitées à des cas d’une extrême gravité (prostitution, exploitation de personnes vulnérables ou d’enfants) précisément définis en conformité avec les exigences de la jurisprudence.

Dans les cas où les mesures d’accompagnement préconisées par la circulaire n’auraient pu être mises en œuvre alors même que l’on ne se trouverait pas dans une situation d’extrême gravité telle que précédemment évoquée, le Défenseur des droits recommande, une nouvelle fois, qu’un sursis à l’évacuation soit prévu et que, sans

48 Voir en ce sens TGI Bobigny, 24 janvier 2013, n°12/13284 ; TGI Nantes, 15 octobre 2012, n°12/04352.

49 CA Paris, 22 janvier 2015, n°13/19308.

50 Défenseur des droits, Décision n° MDE-MSP-MDS/2014-11 du 15 septembre 2014 (non publiée).

préjudice de circonstances particulières justifiant l’octroi d’un délai plus long, un délai minimum de 3 mois soit accordé aux occupants – comme l’autorisent les articles L.412-1 et suivants du code des procédures civiles d’exécution – afin de permettre aux autorités compétentes de trouver une solution alternative d’hébergement d’urgence et/ou de logement.

Enfin, le Défenseur des droits réitère ses recommandations tendant à ce que la trêve hivernale prévue par l’article L. 412-6 du code des procédures civiles d’exécution s’applique à l’évacuation des terrains occupés sans droit ni titre. À cet égard, il précise que l’obligation de surseoir à l’évacuation d’un terrain occupé illégalement durant la période hivernale se déduit de plusieurs normes supranationales liant la France – Convention internationale des droits de l’enfant, Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, et Charte sociale européenne.