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Le développement d’une prise en charge humanitaire dans le bidonville

B. Une offre de soins très insuffisante et inadaptée

3. Le développement d’une prise en charge humanitaire dans le bidonville

Les médecins de la PASS n’interviennent pas sur le lieu de vie des migrants. Depuis le 15 mars 2015, les migrants de Calais ont accès à une salle de soins infirmiers installée au sein du centre d’accueil de jour Jules Ferry. Un infirmier de la PASS y est détaché du lundi au vendredi, et assure l’accueil des migrants entre 11 heures et 14 heures 30. De 11 heures à 12 heures, la consultation de soins infirmiers est consacrée exclusivement aux femmes et aux enfants. De 12h30 à 14h30, la consultation est ouverte à l’ensemble de la population sur place.

75 Article 2 du code de déontologie médicale, repris à l’article R.4127-2 du code de santé publique.

76 Article 3 du code de déontologie médicale, repris à l’article R.4127-3 du code de santé publique.

Le rôle de l’infirmier consiste à dispenser des soins qui ne nécessitent pas de prise en charge médicale (pas de délivrance de médicaments), effectuer de la prévention (éducation à la santé) et orienter les patients vers la PASS, ou le service d’accueil des urgences (SAU) du centre hospitalier de Calais, selon le degré d’urgence.

Seules 15% des consultations relèvent réellement de soins infirmiers. L’état de santé de la majorité des migrants qui consultent nécessite un examen médical et conduit à leur orientation par l’infirmier vers la PASS. L’association La Vie Active assure ces transferts. En raison de l’affluence à l’ouverture de l’infirmerie, tous les patients qui le souhaitent ne peuvent pas être reçus en consultation. L’infirmier assure habituellement entre vingt et trente consultations.

Si l’installation d’une salle de soins infirmiers au sein du centre d’accueil Jules Ferry constitue un réel progrès, il n’en reste pas moins que les besoins en santé des migrants sont davantage des besoins en soins médicaux qu’infirmiers. À ce titre, on peut regretter qu’un médecin ne soit pas présent sur place, que les médicaments les plus courants ne soient pas délivrés pour éviter des transferts inutiles vers la PASS, qu’un seul personnel soignant assure la consultation de soins infirmiers, que l’amplitude horaire de cette dernière soit restreinte et que tous les patients qui nécessitent d’être orientés vers la PASS ne bénéficient pas du système de navette, en raison des capacités insuffisantes de transport.

De surcroit, faute de voies d’accès et d’éclairage public la nuit, les services de secours d’urgence (pompiers, SAMU, police) n’interviennent pas directement dans le bidonville. Les personnes qui en ont besoin doivent se déplacer à l’entrée du site par leurs propres moyens lorsqu’elles ne trouvent pas d’aide auprès des associations locales, qui en tout état de cause, ne disposent pas des moyens nécessaires à assurer le transport sécurisé de personnes nécessitant une intervention en urgence. De telles circonstances entravent donc, quoi qu’il en soit, toute prise en charge en urgence, et s’avèrent particulièrement dangereuses en cas de détresse vitale.

Face à ces carences de l’action publique, les acteurs associatifs privés se sont peu à peu substitués à l’État, sans autorisation préalable de celui-ci ni financement quelconque de sa part.

« C’est effarant de retrouver sur le territoire français une situation pire que sur les terrains de crise ! On peut voir cela au Soudan ou au Népal, après le tremblement de terre. Mais ici, à Calais, c’est aberrant »77, déclarait « Solidarités International », une ONG humanitaire qui agit depuis trente-cinq ans sur le terrain des crises humanitaires internationales.

C’est ainsi que quatre organisations humanitaires – Médecins du Monde, Le Secours Catholique, Le Secours Islamique et Solidarité Internationale – ont décidé de s’associer, à la fin du mois de juin 2015, pour tenter de répondre aux immenses besoins des populations et soutenir les acteurs locaux débordés : « chacun a pu mettre en œuvre leurs compétences et leurs moyens logistiques habituellement réservés aux situations de guerre ou de catastrophe »78. L’opération n’aurait pas vocation à durer, étant pour le moment limitée dans le temps. Au-delà de l’aide humanitaire immédiate qu’elle dispense (distribution de kits d’hygiène, de bidons et jerricanes pour conserver l’eau potable, construction de blocs

77 Le Quotidien du médecin, 3 septembre 2015, « Avec les 3000 migrants de Calais, Les humanitaires sur le pied de guerre »

78 Communiqué de presse – Médecins du Monde – Juin 2015.

sanitaires), l’opération vise à alerter les pouvoirs publics et l’opinion, afin que les aménagements annoncés soient réalisés dans les plus brefs délais.

De son côté, Médecins du Monde a déployé plus spécifiquement, au début du mois de juillet 2015, une clinique mobile, composée de trois tentes et de trois bungalows en bois, identiques à ceux installés dans des pays connaissant une situation humanitaire tendue (guerre ou catastrophe naturelle), pour proposer des consultations médicales de proximité, qui mobilisent chaque jour une quinzaine de professionnels de santé bénévoles. Deux médecins assurent trois heures de consultation le matin et trois heures de consultation l’après-midi, réalisant soixante consultations médicales par jour. En outre, quatre infirmiers sont présents en permanence sur le bidonville, assurant trente consultations. En dépit de cette disponibilité, trente patients sont refusés chaque jour, attestant de l’immense besoin en soins médicaux des personnes concernées. Des permanences d’écoute, de rééducation (kinésithérapeute) et de soutien psychologique (psychothérapeute) ont également été mises en place. Lorsque cela est nécessaire, les migrants sont transférés par navette à la PASS, puis ramenés sur place après les premiers soins. Des équipes sillonnent les différents secteurs du bidonville, à la rencontre des différentes communautés, pour s’assurer de la bonne observance des traitements et déceler d’éventuels problèmes.

Au-delà de l’urgence humanitaire, le champ de la prévention reste à investir en matière d’hygiène, de dépistage des infections sexuellement transmissibles et notamment du VIH, de contraception et de vaccinations.

Le Défenseur des droits, conscient que le centre hospitalier de Calais fait face à une situation délicate, qui plus est dans un cadre financier contraint, préconise :

- une augmentation des moyens de la PASS, actuellement inadaptés à la situation calaisienne, afin qu’elle puisse être en mesure de recevoir les patients toute la journée, et non plus seulement l’après-midi, et assurer un meilleur suivi médical (pour rappel, la PASS de Calais reçoit jusqu’à sept mille patients par an contre par exemple mille cinq cents patients pour la PASS de l’Assistance Publique des Hôpitaux de Marseille79) ;

- la création d’une « PASS mobile » qui interviendrait au sein du bidonville, la demande considérable de soins médicaux (et non pas seulement infirmiers) étant aujourd’hui laissée à la charge d’ONG travaillant habituellement en zones de conflits ou de catastrophes naturelles ;

- le renforcement des ressources matérielles et humaines du centre Jules Ferry de façon à pouvoir assurer l’accompagnement physique des patients à la PASS ;

- la mise en œuvre d’un véritable accompagnement social pour une meilleure information sur l’accès aux droits, notamment à l’assurance maladie ou à l’aide médicale d’État ;

- l’arrêt immédiat des pratiques d’identification des migrants se rendant au centre hospitalier, telles que décrites précédemment, en ce qu’elles portent une atteinte inacceptable au principe du respect de la dignité humaine et sont potentiellement sources de danger pour l’état de santé des intéressés ;

79 Pour l’année 2011.

- la mise en place d’un dispositif d’identification des patients reçus à la PASS à l’instar du numéro d’identification personnelle (NIP), ce type de dispositif existant déjà dans certaines PASS (centre hospitalier universitaire de Bichat à Paris) et ayant permis d’améliorer le suivi des patients.

V. L’accès à l’asile des exilés vivant dans le Calaisis : un changement de