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Le droit et la justice de la famille : un pluralisme inégal face à l’État

libanais entre pluralisme et immobilisme

C- Le droit et la justice de la famille : un pluralisme inégal face à l’État

Sur le plan juridique familial, les choses sont plus nuancées. Il convient ainsi de distinguer entre les communautés religieuses musulmanes et les autres communautés.

Même si sa portée a été limitée quelques années plus tard aux communautés chrétiennes seulement suite à 50

l’opposition des communautés musulmanes. Voir : Méouchy, Nadine. (2007). “La réforme des juridictions religieuses…”, op.cit., p. 367 et s..

Comme le précise l’article 10 dans ses alinéas 2 et 3, ainsi que l’article 17 de l’arrêté. 51

Un droit et une justice islamiques relevant juridiquement de l’État

Sans revenir aux origines de cette distinction, il faut préciser que le droit des communautés musulmanes est régi par une série de lois produites par le parlement national libanais où sont représentées par quotas la plupart des communautés. Pour la communauté sunnite, des lois de 1955, 1956 et de 1962 organisent le statut juridique général et les tribunaux de la charia compétents dans les affaires de statut personnel . Depuis 2012, l’article 242 (dont je décrirai 52

les transformations dans le dernier chapitre) de cette loi de 1962 précise que les décisions du Conseil de la charia de la communauté sont la première source du droit de la famille. En cas d’absence de décisions du Conseil, l’article précise que le code applicable est le Code ottoman de la famille de 1917 . Troisièmement, tout ce qui échappe à ce code devrait être 53

puisé dans l’opinion dominante de la tradition hanafite . La communauté chiite, organisée à 54

son tour par cette loi de 1962 et la loi du 19 décembre 1967, a pour référence la doctrine ja’farite (elle-même plurielle) et le code de 1917, tant qu’il ne la contredit pas. Enfin la communauté druze libanaise a pour droit de référence la loi du 24 février 1948, ainsi que le droit hanafite lorsque cette loi est insuffisante. Sans entrer dans des nuances que j’aborderai ultérieurement, il faut donc constater que les communautés musulmanes dépendent de lois civiles centrales pour le fonctionnement de leurs tribunaux et la détermination de la hiérarchie des sources du droit de la famille applicable aux membres de chaque communauté. Le cas des communautés chrétiennes est différent. Suite à une loi du 2 avril 1951, les communautés chrétiennes reconnues par l’État libanais doivent envoyer au Parlement national les projets de codes de la famille qu’elles comptent adopter pour leurs communautés respectives. Ces codes ne devaient devenir applicables dans les tribunaux des communautés qu’une fois validés par le Parlement. Il faut noter cependant qu’après 1951, les communautés chrétiennes qui ont soumis leurs projets de codes au Parlement libanais ou alors n’ont jamais reçu la validation de ce dernier. Face à ce silence de l’État, elles ont néanmoins continué à les appliquer normalement dans leurs tribunaux respectifs, avec la bénédiction de la Cour de

Le décret-loi n. 18 du 13 janvier 1955, amendé par les lois du 28 mai 1956 et du 16 juillet 1962. Voir : 52

Rabbath, Edmond (1986). op.cit., p. 121 et s..

Pour plus de détails sur ce code, voir : Chehata, Chafik. (1970). Droit musulman: applications au

Proche-53

Orient. Paris : Dalloz.

L’école hanafite est l’une des quatre écoles religieuses et juridiques dans l’Islam sunnite. Elle est suivie par 54

les membres de la communauté musulmane sunnite au Liban. Voir : Hallaq, Wael. (2009). An introduction to

cassation qui a ainsi adopté une position pragmatique pour éviter de créer un vide juridique préjudiciable aux non Musulmans . Parmi ces communautés religieuses chrétiennes 55

reconnues (au nombre de douze ), les communautés catholiques rattachées à Rome suivent 56

le même Code des canons des églises orientales adopté au Vatican en 1989, tout en l’appliquant dans des tribunaux différents relevant de chaque communauté catholique à part. Les autres communautés chrétiennes ont théoriquement chacune leurs propres codes et tribunaux, même si sur le terrain certaines communautés faiblement institutionnalisées et représentées (comme les coptes) ont recours aux juridictions des communautés voisines pour régler les différends familiaux de leurs membres au Liban .57

Sur le plan judiciaire, la situation est encore différente. Le rattachement des tribunaux de la charia des communautés musulmanes à l’État est encore plus direct que dans le cas du contenu des codes. L’article premier de la loi civile du 16 juillet 1962 organisant la justice sunnite et chiite dispose ainsi que “la justice de la charia sunnite et jaafarite [chiite] constitue une partie des organisations judiciaires de l’État” . L’article 447 de la même loi précise que 58

“les tribunaux de la charia sont rattachés à la plus haute position islamique du pouvoir exécutif [de l’État], qui prend en charge les affaires de ses fonctionnaires ainsi que ses affaires administratives et financières”. Les juges de la charia des communautés sunnite, chiite et druze sont ainsi rémunérés par l’État libanais, qui organise également leurs carrières. Ils font partie intégrante de la fonction publique libanaise . Lorsque le salaire des juges civils 59

libanais a été augmenté en 2011, les juges religieux musulmans en ont ainsi automatiquement profité . Leurs qualifications, leurs formations, et leurs modes de recrutement et d’évaluation 60

Gannagé, Pierre. (1966). “Les conséquences du défaut d’approbation des codes de statut personnel des 55

communautés non musulmanes”, dans Gannagé, Pierre (2001). op.cit., p. 55-63.

Les communautés maronite, grecque-orthodoxe, catholique-melkite, orthodoxe, arménienne-56

catholique, syrienne-orthodoxe, syriaque, assyro-chaldéenne, chaldéenne, latine, protestante et copte.

Pour plus de détails sur les droits chrétiens de la famille au Liban, voir : Traboulsi, Ibrahim. (2011). Anẓimat

57

al-aḥwāl al-šaḫṣiyya…, op.cit.; Basile, Basile. (1993). Statut personnel et compétence judiciaire des

communautés confessionnelles au Liban. Étude juridique comparée. Kaslik - Liban : Bibliothèque de

l’université Saint-Esprit. Sur le cas spécial du droit de la famille de la petite communauté copte au Liban, voir : Ghamroun, Samer. (2011). “Al-aḥwāl al-šaẖsiyya li-l-tā’ifa al-qubṭiyya : qānūn min ajli qaḍiyya wāḥida ?” [Le statut personnel de la communauté copte : une loi pour un cas unique ?], Al-mufakkira al-qānūniyya, num. 2 (octobre), p. 6.

Voir : Zayn el-Dīn, ʿāref. (2010). Qawānīn wa-nuṣūs wa-aḥkām al-aḥwāl al-šaḫṣiyya wa-tanẓīm al-ṭawā’if

al-58

islāmiyya fī-lubnān [Lois, textes et dispositions du statut personnel et de l’organisation des communautés

islamiques au Liban]. Beyrouth : Al-Halabi, p. 49.

Article 455 de la loi de 1962. 59

Comme le dispose le même article 455, alinéa 2. 60

diffèrent cependant de ceux des juges civils des tribunaux de droit commun . Ainsi, les juges 61

de la charia n’ont pas à être diplômés en droit pour être nommés à ce poste, puisqu’un diplôme en études de la charia est suffisant . Leur nomination se fait par décret du premier-62

ministre libanais, forcément sunnite . Les tribunaux religieux islamiques disposent de juges 63

uniques en premier ressort, dispersés sur le territoire, ainsi que d’un double degré de juridictions pour chaque communauté pourtant inconnu du droit musulman où seul le juge 64

unique existe. Lorsque la procédure à suivre lors des audiences et précisée par la loi de 1962 est lacunaire ou incomplète, le juge de la charia doit revenir au texte du Code de procédure civile de 1983 qui reste le droit commun en matière procédurale.

À l’opposé, les tribunaux de la famille des communautés religieuses chrétiennes bénéficient d’une autonomie très importante par rapport à l’État libanais. Les juges et fonctionnaires qui y travaillent sont rémunérés par les Églises elles-mêmes et ne relèvent pas de la fonction publique. La procédure suivie durant les audiences est spécifique aux communautés en question, qui disposent donc de la liberté d’organiser elles-mêmes les carrières des magistrats tout comme l’accès aux tribunaux. Cette autonomie par rapport à l’État explique ainsi pourquoi il est beaucoup plus difficile pour le chercheur d’accéder à l’intérieur des tribunaux chrétiens, alors que l’accès aux tribunaux musulmans demeure public et donc beaucoup plus facile, du fait de leur rattachement aux codes procéduraux de l’État. Par certains aspects, les tribunaux de la charia restent donc partiellement ouverts au regard extérieur, alors que ceux des communautés chrétiennes constituent des espaces clos aussi bien sur les plans organisationnel, normatif que politique.

Sur les modalités de travail des juges de la charia, voir : Clarke, Morgan. (2012). “The judge as tragic hero: 61

judicial ethics in Lebanon’s shari’a courts.” American Ethnologist, 39, num. 1, p. 106-121. Article 448 de la loi de 1962.

62

Article 453. 63

Avec une Cour d’appel sunnite, une Cour d’appel chiite et une Cour d’appel druze à Beyrouth. 64

Un contrôle très timide de la part des juridictions civiles

Les décisions des tribunaux religieux doivent passer par le juge civil de l’exécution pour devenir exécutoires . Ce contrôle du juge de l’exécution a déjà été rapproché de celui exercé 65

par les tribunaux libanais sur les décisions étrangères qui doivent obtenir l’exequatur au Liban . Malgré tous les rattachements juridiques observables notamment pour les tribunaux 66

islamiques, les décisions judiciaires religieuses restent donc des décisions étrangères à l’État et ses juges civils, qui en autorisent l’exécution mais n’en contrôlent jamais le contenu. Un conseil supérieur de la magistrature islamique gère les affaires judiciaires des deux communautés chiite et sunnite. Il est présidé par le mufti de la République, lui-même sunnite, et organise le recrutement des juges religieux et leurs formations . 67

La présence de la justice civile dans les tribunaux islamiques est également visible via un procureur général censé représenter l’intérêt public dans ces tribunaux d’exceptions, au niveau des Cours d’appel à Beyrouth . Un inspecteur de la justice civile est également 68

nommé auprès des tribunaux de chaque communauté musulmane , alors que les tribunaux 69

des communautés chrétiennes en sont dispensés. Les observations du déroulement des audiences et les entretiens que j'ai menés convergent cependant pour indiquer une présence purement formelle de ces procureurs et inspecteurs civils dans les tribunaux islamiques, puisqu’ils se contentent souvent d’entériner les décisions des juges religieux. Notons également un enchevêtrement supplémentaire des logiques civile et religieuse : ces inspecteurs et procureurs civils doivent obligatoirement appartenir à la communauté religieuse dans les tribunaux de laquelle ils travaillent . 70

Il faut insister sur ce rôle du juge civil de l’exécution qui peut demander au justiciable venant faire exécuter 65

une décision religieuse de prouver que celle-ci n’est pas contraire à l’ordre public (Voir, pour un cas récent au Liban : (2011). “Al-qāḍī al-madanī yaqra’u ḥukman maḏhabiyyan : naḥwa istinbāṭ “mabādi’ al-niẓām al-ʿām” [Le juge civil lit une décision communautaire : vers la création des “principes de l’ordre public”],

Al-mufakkira al-qānūniyya, num. 1. Ce dernier type de contrôle reste cependant aussi exceptionnel que celui opéré

par la Cour de cassation.

Gannagé, Pierre. (2001). Le pluralisme des statuts…, op.cit.

66

Voir le site internet officiel des tribunaux de la charia sunnites au Liban : http://slc.gov.lb/ (consulté la 67

dernière fois le 16 février 2016). Notons que le site des tribunaux islamiques relève sur le net d’un nom de domaine qui est celui du gouvernement libanais (.gov.lb).

Article 14 de la loi de 1962 précitée. 68

Article 461. 69

Articles 14 et 461 de la loi de 1962. 70

Le contrôle judiciaire exercé par les institutions civiles sur ces tribunaux religieux est principalement celui de la Cour de cassation libanaise sur les décisions des tribunaux de la famille musulmans et chrétiens . Ce contrôle ne peut intervenir, selon une loi de 1995, que 71

lorsque la décision religieuse intervient en dernier ressort et ne laisse donc plus la place à aucune possibilité d’appel dans la justice religieuse . Même dans ces situations devenues 72

plus limitées, ce contrôle reste réduit à deux cas de figure limitativement définis par le texte du paragraphe 4 l’article 95 du Code libanais de procédure civile :

“L’assemblée plénière de la Cour de cassation réunie selon les règles de quorum prévues par la loi sur l’organisation judiciaire, statue sur les oppositions formées à l’encontre des jugements rendus en dernier ressort et susceptibles d’exécution par un tribunal ecclésiastique ou chari`é,

Pour incompétence de ce tribunal,

Pour la violation d’une formalité substantielle d’ordre public”.

La première fenêtre d’intervention de la Cour de cassation réside donc dans ce conflit de compétences, qui peut concerner deux tribunaux religieux relevant de deux communautés religieuses différentes, ou un tribunal religieux et un tribunal civil. Nous verrons dans les chapitres suivants comment le conflit politique entre tribunaux de la charia et juge civil des enfants s’est juridicisé à travers cette notion de compétence que la Cour de cassation doit trancher. Déterminer à qui appartient la compétence juridictionnelle, entre le tribunal religieux et le tribunal civil, constitue dans un contexte concurrentiel entre juridictions une source intarissable de controverses et de débats. La deuxième fenêtre d’intervention, celle de l’atteinte à “une formalité substantielle de l’ordre public” de la part des décisions des tribunaux communautaires, nous intéresse encore davantage, l’ordre public étant intrinsèquement lié à la question de l’État, de son unité, et des valeurs fondamentales qu’il défend.

Dans un État comme le Liban où le pluralisme juridique est institutionnalisé dans le domaine familial, l’intervention d’un quelconque ordre public pose problème. En effet, l’État étant

Pour un exposé plus détaillé du rapport de la Cour de cassation libanaise aux juridictions religieuses, voir : 71

Mitri, Mounah. (2001). “Le rôle de la Cour suprême libanaise en matière de statut personnel”, in Cedroma. Les

Cours judiciaires suprêmes dans le monde arabe. Bruxelles : Bruylant, p. 121-136.

Avant cette date, la Cour de cassation pouvait intervenir tant que la décision religieuse était exécutoire : Mitri, 72

neutre à l’égard de toutes les communautés religieuses, il ne peut puiser dans la tradition juridique, religieuse ou morale de l’une d’entre elles les éléments de l’ordre public familial qu’il entend imposer et défendre, sans que cela ne constitue une atteinte au principe de l’égalité intercommunautaire. Alors que certains voient dans cette timidité de l’ordre public à la libanaise un signe supplémentaire de la faiblesse de l’État libanais, d’autres y repèrent au contraire la preuve d’un libéralisme tolérant . Il convient également de noter que l’article 95 73

évoque une atteinte à une “formalité substantielle” d’ordre publique, et non à l’ordre public lui-même. La notion de formalité substantielle a donc limité le contrôle de la Cour de cassation à des questions procédurales liées presque exclusivement au respect du droit de la défense par les tribunaux religieux. L’ordre public “de fond” n’est donc pas concerné par le contrôle de la Cour de cassation (à supposer qu’un tel ordre public soit identifiable et identifié au Liban), et les Libanais(es) ne peuvent pas par exemple invoquer des discriminations contre les femmes commises par les tribunaux religieux pour demander à la Cour de cassation de censurer une décision. Là aussi, la timidité de la Cour de cassation à intervenir pour des motifs autres que strictement procéduraux est venue renforcer l’idée de l’État faible dont la justice se retire devant celle des communautés religieuses , tout comme 74

elle a réduit davantage les possibilités de recours de ceux et celles qui s’estiment discriminé-e-s par les droits religieux.

Comment changent les droits religieux, et comment interagissent-ils ?

À travers l’approche de sociologie politique du droit ici adoptée, deux principaux types de problèmes possibles se posent dans un tel univers juridique. Le droit positif libanais y apporte des solutions en apparence très claires, relevant parfois des simples mécanismes du changement de la loi applicable, et parfois de ce que les juristes libanais appellent le droit intercommunautaire, couramment enseigné dans les facultés de droit en quatrième année de maitrise parallèlement à l’enseignement des principaux droits religieux de la famille . À 75

Voir les développements qu’y consacre Pierre Gannagé par exemple (2001, op.cit.). Pour une étude du rapport 73

de la notion d’ordre public avec le droit musulman dans certains systèmes juridiques arabes et européens, voir : Bernard-Maugiron, Nathalie et Dupret, Baudouin. (2012). Ordre public et droit musulman de la famille en

Europe et en Afrique du Nord. Bruxelles-Marseille : Bruylant -IRD.

Gannagé Pierre. (2001). Le pluralisme des statuts personnels…, op.cit., p. 24 et p. 32, par exemple. 74

Voir par exemple le cursus de la quatrième année de droit de la Faculté de droit et des sciences politiques de 75

l’Université Saint-Joseph : http://www.usj.edu.lb/admission/dipl.htm?cursus=311 (Consulté le 18 novembre 2015).

chacun de ces problèmes, le travail de terrain apportera cependant des éclairages différents en ce qui concerne les interactions entre institutions civiles et institutions communautaires, et les transformations internes à chacune des sphères religieuses et civiles qui en résultent.

1. Comment changent les différents droits religieux de la famille ?

La question de tout changement juridique invite généralement deux réponses, l’une formelle et l’autre plus substantielle. Si la réponse substantielle - sociologique pourrions-nous dire - suppose de prendre en compte de multiples éléments politiques et sociaux, la réponse formelle tient à l’adoption d’un nouveaux texte par l’autorité législative compétente (le Parlement), selon des procédures codifiées. Or même cet aspect formel pose problème dans le cas des droits communautaires au Liban. J’ai déjà expliqué comment les droits de la famille étaient relativement autonomes sur le plan législatif par rapport à l’État central. Cette autonomie est complète pour les communautés chrétiennes, et relative par rapport aux communautés musulmanes toujours dépendantes administrativement et juridiquement de l’État central. Même dans ce dernier cas, j’ai déjà indiqué comment les institutions civiles centrales ont toujours évité d’intervenir législativement dans les droits de la famille des communautés religieuses islamiques, pour se contenter d’entériner ce qui a déjà été validé en amont par les instances communautaires. Cette autonomie de fait est reconnue au Liban :

“Certes l'autorité publique ne met en mouvement cet appareil que dans le sens qui lui est indiqué par les communautés intéressées. Sur le plan législatif, toutes modifications apportées au statut personnel de l'une d'elle est faite sur sa demande où avec son approbation. Sur le plan judiciaire, les magistrats des juridictions de la charia et druzes appartiennent nécessairement à la confession de la communauté dont ils doivent juger les membres. L’organisation législative et judiciaire de l'État, loin d'apparaître contraignante, est ainsi mise au service des communautés qui en sont dépourvues. Elle ne manque pas cependant, comme on le constatera, d’imprégner les droits qu'elle encadre” . 76

Politiquement, seul le possible est celui qui provient de la communauté. La situation n’en devient que plus opaque, notamment lorsque ce changement répond à une demande par le bas : comment, où, contre qui se mobiliser pour demander le changement du droit de la famille d’une communauté religieuse ? Dans quels espaces et selon quelles procédures

Gannagé, Pierre. (1967). “L’État face au pluralisme des statuts familiaux au Liban”, Proche-Orient, Études 76

devraient se faire ces revendications et ces changements ? Si la légitimité du changement juridique est d’habitude liée à celle des Parlements qui les adoptent, qui sont en principe démocratiquement et régulièrement élus, cette légitimité est évidemment introuvable dans le cas des communautés religieuses, où les instances qui font la loi ne tirent pas leur légitimité d’élections périodiques au suffrage universel. La question du changement devient donc épineuse politiquement, puisque seuls les changements portés par le haut de la hiérarchie religieuse communautaire peuvent être tolérés. Les mobilisations par le bas, si elles ne sont pas interdites, restent paralysées comme nous le verrons par l’opacité des procédures et des institutions communautaires qui n’ont pas de comptes à rendre aux membres de la communauté . 77

Dans le cas de la communauté sunnite, il suffira de préciser que jusqu’en 2012, deux voies de changement législatif étaient possibles. Une modification de la loi de 1962 par le Parlement,